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L’engagisme, la suite de l’esclavage aux Antilles et en Guyane

Histoire

L’engagisme, la suite de l’esclavage aux Antilles et en Guyane

Par Sandro CAPO CHICHI 2 février 2018

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L’ engagisme est une pratique qui a vu l’arrivée de plus de 17000 Africains aux Antilles et en Guyane française entre 1854 et 1862. Présentée comme consistant en de simples contrats de travail par les autorités françaises, il s’agissait en fait de racheter des captifs africains pour les déporter, les exploiter et ainsi pallier au manque de main d’oeuvre consécutif à l’abolition de l’esclavage.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

Le roman national français présente l’abolition de l’esclavage comme une entreprise civilisatrice. En réalité, il s’agissait d’un outil de légitimation de la colonisation de l’Afrique, qui, parce qu’elle pratiquait à plusieurs endroits encore l’esclavage, devait être conquise et ‘civilisée’. L’abolition de l’esclavage, si elle offrait une justification pour la colonisation, causait un véritable problème, à savoir une perte de la main à moindre frais. C’est dans ce contexte qu’a été mis en place le système des travailleurs engagés ou d’engagisme.

La lutte contre la traite des Noirs au Royaume-Uni

Au début du 19ème siècle, sous la pression du mouvement abolitionniste, le Royaume-Uni cherche à réprimer la traite des esclaves. A cet effet, sur le littoral africain, des navires négriers sont arrêtés et leurs équipages et responsables punis par la loi. Les prisonniers sur le bateau s’apprêtant à être déportés sont quant à eux affectés dans des colonies britanniques où l’esclavage a été aboli comme les Seychelles, Saint-Hélène et la Sierra Leone. Ils y sont établis comme domestiques, cultivateurs ou dans l’armée britannique. Entre 1808 et 1840, environ 12000 Africains récupérés sur les bateaux négriers sont certes libérés, mais engagés contre leur gré dans l’armée britannique. Entre 1841 et 1867, plus de 18000 Africains, la plupart libérés sur les bateaux négriers  immigrèrent dans les Antilles britanniques.

La solution de la France

Dans ce contexte, la France souhaite aussi trouver un moyen de pallier à la perte de main d’oeuvre causée par la répression de la traite des Noirs. Elle n’a toutefois pas accès à autant de navires que les Britanniques pour y ‘libérer’ les captifs s’apprêtant à être déportés pour les utiliser de manière significative comme main d’oeuvre dans ses colonies. Les Français décident de racheter des captifs africains étant soit issus de la classe servile locale ou de razzias effectuées par des Africains pour les soumettre à la vente aux négriers européens. Après ce rachat, on leur fait signer sans consentement, un contrat d’une dizaine d’années qui les fera travailler aux Antilles, en Guyane françaises souvent dans la cultivation de « la canne à sucre, des cafés, ou autres produits de la Colonie, à donner tout son temps et à remplir toutes les obligations en général de l’engagé envers l’engagiste, jusqu’à l’expiration de son engagement ».  Les anciens captifs se voient nourris « selon les us et coutumes de la colonie », logés, soignés par les engagistes, mais devront racheter leur liberté avec le maigre revenu qui leur sera versé durant leur contrat excédant souvent les dix années. La ressemblance de cette pratique avec la traite négrière n’échappe pas aux abolitionnistes britanniques qui écrivent, par la plume de leur ministre des affaires étrangères en 1854, Lord Clarendon : « Déguisons-le comme nous pouvons, l’achat d’esclaves n’est que la traite des nègres (…) Personne ne peut douter qu’on entreprendra des guerres et des razzias dans l’unique but de se procurer ce nombre de prisonniers en plus de ceux qui pourraient être capturés dans des conditions ordinaires, conformément aux coutumes ou aux exigences des tribus se faisant mutuellement la guerre ».

Pour contourner ces critiques, les autorités françaises font passer le rachat de captifs comme un comportement humanitaire, même civilisateur, qui ferait échapper l’Africain à la barbarie régnant sur son continent a fortiori dans sa situation de captif. Lors de leur envoi aux Antilles et en en Guyane françaises, les captifs seront rejoints dans une moindre proportion par des engagés libres, c’est à dire  des Africains ayant accepté de se rendre aux Antilles et en Guyane de manière tout en étant libre. Ces engagés libres constitueront 7% des quelques 18500 engagés africains à avoir quitté l’Afrique pour les Antilles et la Guyane française entre 1854 et 1862.  Tout comme les anciens captifs, leurs droits seront largement abusés par les engagistes.

Abus et résistances dans le cadre de l’engagisme

Tous ces Africains engagés ne furent pas non plus dupes sur le caractère illégal de leur condition. Une fois sur place, nombreux sont ceux à s’être plaints des salaires dérisoires et de l’irrégularité de leurs versements, de l’insuffisance de la nourriture fournie, des durées d’engagement parfois plusieurs fois plus longues que celles qui leur avaient été promises avant leur départ, du type d’emploi qu’ils sont contraints à exercer différent de ceux pour lequel il s’étaient engagés  ou encore des violences exercées par les engagistes sur eux. Ces réactions prennent différentes formes, celles d’émeutes comme les deux qui ont eu lieu dans des plantations de Guyane en 1857, de plaintes, de grèves, de pétitions, et de marronnage.

Constitution ethnique des Africains arrivés aux Antilles et en Guyane dans le cadre de l’engagisme

Alors qu’en Guadeloupe et en Martinique, la population de ces engagés était largement composée de ‘Congos‘, celle de Guyane est plus diversifiée avec principalement des Wolofs, des Krou (actuel Liberia) et des ressortissants de l’actuel Gabon (dits ‘Roungous’).

L’intégration

Malgré leur exploitation et leurs différences culturelles avec les habitants locaux, la grande majorité des engagés finira par s’intégrer dans la société locale. Certains d’entre eux,  contribueront notamment à certaines de ses plus célèbres émeutes comme l’insurrection du sud de la Martinique en septembre 1870 Bien que leur statut d’immigrant ne le leur permettait officiellement pas, leur intégration dans les sociétés locales leur permettra de voter. Leur volonté de réussite au sein de leur nouvelle société avait en effet vaincu les lois destinées à les asservir.

Pour en savoir plus
Céline Flory / De l’esclavage à la liberté forcée

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