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Entretien avec Domingas Francisco, fondatrice de l’association « Cri des Mères »

Société

Entretien avec Domingas Francisco, fondatrice de l’association « Cri des Mères »

Par Mathieu N'DIAYE 12 juin 2017

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Domingas Francisco est l’une de ces mère-courage, qui se bat pour préserver l’enfance en Afrique. En 2013, elle fonde l’association « Cri des mères », avec laquelle elle mène des actions de terrain en faveur de la jeunesse défavorisée. Pour attirer l’attention de la diaspora sur l’importance de l’éducation sur le continent, elle organise un événement le 17 juin prochain. Au programme, échanges, stands et témoignages. Entretien avec une femme africaine déterminée.

Peux-tu te présenter en quelques Mots, qui est Domingas ?

 

Bonjour, je m’appelle Domingas Francisco Bakosa. Je suis une femme, une épouse et mère de cinq enfants. Je suis une femme entreprenante, indépendante, active, engagée et surtout très épanouie. Je suis une femme ouverte sur le monde, mais je suis la fille du Royaume Kongo dia Nthotila [1] (Angola et République Démocratique Congo) et en ce qui nous concerne aujourd’hui, je suis la présidente et coordinatrice principale de l’association « cri des mères« .

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Quel est ton parcours ? Qu’as-tu faits pour en arriver là ?

Tout allait bien pour moi enfant. Je menais une vie paisible en Angola dans le village de Maquela do Zombo jusqu’à la mort de ma mère, qui a succombé à une maladie grave quand j’avais 10 ans. Mon père étant polygame, il n’a pas été présent pour moi après le décès. Il n’a pas pris part à mon éducation. C’est à cette époque que tout bascule pour moi et que mon parcours devient cauchemardesque. Je suis alors très rapidement déscolarisée, traînée de famille en famille principalement chez des tantes. Finalement, j’atterri chez ma sœur mais, sans possibilité de poursuivre ma scolarité car en charge des tâches ménagères. C’était une situation compliquée pour une jeune fille de 11 ans qui, plus que tout, avait besoin d’une mère, un guide, ce qui me faisait terriblement défaut.

Rappelons qu’à cette époque, l’Angola était de nouveau secoué  par la guerre civile, suite aux élections de 1992 [2]. Cette guerre participera elle aussi grandement à ma déscolarisation. Vivre sous les bombes et se réfugier au village a été pour moi d’une rare violence psychologique. La guerre fait donc elle aussi parti de mon enfance. Plus tard, j’irai vivre chez la nièce de mon père. Comme précédemment, chez elle aussi, je devrais m’occuper du foyer et surtout des enfants, qui étaient au nombre de sept. Une situation qui m’empêchera, malgré mes nombreuses demandes, de reprendre mes études, de suivre une scolarité normale-et obligatoire en France-comme mes cousins et ainsi d’avoir l’opportunité d’accomplir mon rêve : devenir médecin.

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Mes pleurs, mes cris, mon désir d’étudier n’ont été entendus que par mon oncle, seule personne à comprendre ma détresse. C’est lui qui m’inscrira à l’école, au collège. Je me rappelle de ce jour comme si c’était hier, cela représentait pour moi la liberté. Je pouvais enfin devenir une enfant comme les autres.

Malgré les nombreuses difficultés, je n’ai pas baissé les bras. Je dois cela au fait que je suis une battante, et une croyante. J’ai transformé mes faiblesses en force qui m’ont permis d’avancer. Ce parcours difficile m’a fait prendre conscience de ma mission : m’engager auprès de la jeunesse africaine, notamment en matière d’éducation.

Pourquoi avoir créé « Cri des mères » ?

D’abord, par rapport à mon parcours difficile, mais aussi tout simplement par ce que je suis une femme, une mère le pilier de la société. Lorsque l’on donne la vie, c’est un cri que nous lançons, et c’est aussi par un cri que l’enfant manifeste sa venue au monde et s’impose. J’ai ressenti le besoin d’être une voix, pour toutes ces femmes, tous ces enfants dont la vie a été oubliée et de leur venir en aide.

L’association « Cri des mères », que j’ai fondée en 2013, est donc née de mon expérience personnelle. C’est pour moi un juste retour des choses que de venir en aide aux enfants, aux jeunes filles et aux familles défavorisées d’Afrique, plus particulièrement en République démocratique du Congo .« Cri des mères » matérialise ma responsabilité en tant que femme, que mère et que chrétienne de tendre la main aux orphelins, aux enfants déscolarisés, aux femmes violentées et aux victimes de guerre. Je souhaiterais que la jeunesse puisse s’instruire pour que chaque enfant devienne à son tour un adulte responsable et accompli. Avec « cri des mères » je souhaite offrir un avenir meilleur à nos enfants, car ils sont notre avenir, notre futur et je suis persuadée que lorsque nous les encourageons, nos enfants prospèrent.

En France, beaucoup d’entre nous ont tendance à oublier d’où ils viennent, ce n’est pas mon cas. Malgré le confort de l’occident, je n’ai jamais oublié toutes les difficultés que j’ai eues à traverser. Mon expérience peut servir d’exemple et encourager et fortifier notre jeunesse et notamment les jeunes filles qui n’ont plus la voix pour crier. Je n’ai pas la prétention de dire que je ferais les choses mieux que les autres, mais avec « Cri des mères », je veux apporter ma pierre à l’édifice. Il est temps que les femmes se lèvent et se mettent en action afin d’impacter positivement la société africaine.« Cri de Mères « , c’est la matérialisation de mon amour pour les enfants défavorisés, mon désir d’éducation pour eux, ma volonté de pousser les jeunes à poursuivre leurs rêves et transformer leur vie afin qu’ils impactent leur environnement.

Quelles actions menez-vous au sein de cette structure ?

Nous agissons principalement en matière d’éducation en participant à la construction et/ou à la réhabilitation d’établissements scolaires ainsi que de centres d’hébergement. Grâce à l’un de nos partenaires, nous avons notamment pu aider une ONG à construire un orphelinat/école que nous parrainons. Nous menons également de nombreuses actions sanitaires et sociales (notamment à Kinshasa), mais l’éducation reste le cœur de notre démarche. Nous visitons aussi régulièrement les personnes âgées trop souvent oubliées. C’est une action qui m’est venue de la relation particulière que j’entretenais avec ma grand-mère. Nous récoltons aussi du matériel médical ainsi que des fournitures scolaires. Nous soutenons aussi un foyer d’hébergement de jeune fille-mères. Un lieu où elles peuvent notamment apprendre un métier qui leur permettra d’être autonomes et contribuer à leur tour à l’économie sociale.

Nous projetons aussi de nous lancer dans l’agriculture (en mettant la diaspora à contribution) afin de s’atteler à la lutte contre la faim, pour l’autosuffisance alimentaire et combattre le chômage des jeunes. Mieux vaut apprendre à pêcher à quelqu’un plutôt que de lui apporter du poisson chaque jour. De plus, d’ici à 2018, nous souhaitons mettre à l’école de manière effective 100 enfants défavorisés, sans distinction de sexe. Chaque année, nous organisons l’événement « Noël solidaire », au cours duquel nous appelons aux dons afin de permettre à des jeunes de Kinshasa de passer les fêtes comme tous les autres enfants dans le monde. Notre action se concentre principalement sur Kinshasa, mais nous avons aussi vocation à aider ailleurs. Je suis une femme africaine et « Cri des mères » a vocation à étendre son activité ailleurs en Afrique.Nous cherchons à pérenniser nos actions par tous les moyens et cela passera par un plus grand investissement des populations locales et de la diaspora. Nous avons besoin de tout votre soutien, car seul, on va vite, mais ensemble, on va loin.

Pourquoi était-ce important pour vous investir en Afrique ?

Tout simplement parce que c’est le continent où j’ai vu le jour, où j’ai fais mes premiers pas. Ce continent fera, à jamais, partie intégrante de ma vie. L’Afrique c’est mes racines, ma culture. J’éprouve de la fierté à dire que je suis une enfant du Royaume Kongo dia NthotilaEn arrivant en France, j’avais involontairement tourné le dos à l’Afrique. Cependant, le passé nous rattrape toujours. Lorsqu’après 25 ans d’absence j’ai remis les pieds sur le continent, j’ai ressenti cet amour, cette envie renaître en moi. Aujourd’hui, je suis totalement passionnée par l’Afrique, je suis fière d’être africaine, fière de mes origines, de mes valeurs.  Et j’ai envie de crier au monde entier que c’est bon d’être africain !

Je veux voir mon Afrique avancer, prospérer. Je demande souvent à mes frères et sœurs au pays « Qu’est-ce que vous avez à venir en France, alors qu’il y a énormément de chose à faire ici ? » L’Europe n’est pas le paradis que l’on nous montre, il y a beaucoup de difficultés ici aussi. Pour ma part, je souhaite rapporter en Afrique mon expérience acquise en occident et pousser la diaspora à s’investir plus dans les problématiques africaines afin de bâtir un continent fort. Je suis persuadé que nous autres, les femmes, devons apporter notre pierre à l’édifice. Nos voix comptent et nous devons nous lever et nous mobiliser pour l’Afrique. Contrairement à d’autres, comme les Européens, nous n’avons pas encore bien compris, mais l’Afrique, c’est l’avenir. C’est à nous de travailler fort.

Pour vous quelle est la place de l’éducation en Afrique ?

L’éducation est pour moi négligée (je parle particulièrement de la situation en RDC et en Angola) alors que l’éducation est quelque chose de vital. L’éducation peut changer la vie, le destin d’un enfant. J’ai mal au cœur lorsque je vois que nos présidents, nos gouvernements bafouent allègrement le droit à l’éducation. L’éducation est aussi beaucoup une affaire de femmes, puisque ce sont elle les premières enseignantes.

C’est très bien que nous investissions dans l’immobilier, l’agriculture, etc, mais nous semblons régulièrement oublier l’éducation, ce qui est dommage. N’attendons pas que les autres viennent faire pour nous, que l’Europe nous donne la main. Nous sommes parfaitement capables de le faire. Je n’aurais de cesse de le dire, le futur du continent est entre les mains de la jeunesse. Voilà pourquoi nos enfants doivent être instruits. C’est un sujet qui me révolte. L’éducation est un droit et il doit être respecté. Je crois que c’est Koffi Annan qui disait qu’il ‘n’existe pas d’arme de développement plus efficace que l’éducation. C’est ce que je pense aussi.

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Avez-vous senti qu’en tant que femme noire les obstacles étaient plus nombreux ?

Aujourd’hui, je me refuse à me poser cette question. Il est vrai qu’il y a de cela quelques années, je n’étais pas à l’aise. On me faisait comprendre que j’étais femme et noire ce qui m’empêchais d’accéder aux mêmes droits que les autres. C’est lorsque que l’on ne sait plus qui on est que l’on peut douter de ses capacités. Désormais, mêmes si des obstacles peuvent advenir, ils ne m’empêcheront pas d’avancer. Mon histoire personnelle m’a fortifiée.

D’ailleurs, je suis contente de voir de plus en plus de femmes noires avancer. Voilà les exemples à suivre. La femme noire entreprend, elle fait partie intégrante de la société. Il y aura toujours des obstacles, mais j’ai plutôt envie d’exhorter les femmes africaines à surmonter ces obstacles. Cela nécessite de se lever, de le vouloir vraiment. Les obstacles ne me font pas peur et je serais toujours fière de me revendiquer en tant que femme noire. À nous d’être fortes et de transmettre cela à la génération suivante.

Selon vousla diaspora est-elle assez solidaire des problèmes du continent ?

Je ne pourrais pas me permettre de dire que la diaspora ne fait rien. Je vais uniquement parler de ce que je vois, puisque je débute dans le milieu du militantisme afro. Il y a de plus en plus de membres de la diaspora africaine qui prennent conscience de leur rôle dans le domaine de l’éducation en Afrique. On ne peut pas dire que la diaspora ne fait rien. Non. Mais ceux qui s’impliquent semblent être une minorité. Beaucoup en arrivant en occident semblent avoir oublié qui ils étaient ainsi que les nombreuses problématiques de l’Afrique.

Je ne veux pas juger ou lancer des pierres à qui que ce soit, car je ne vaut pas mieux que qui que ce soit, je fait simplement ma part. Cependant, je trouve que dans mon entourage, c’est mitigé… Certains veulent être des acteurs du développement, pensent au rapatriement et désirent investir. Mais d’un autre côté, beaucoup d’autres se contentent de mener la belle vie ici. Mention spéciale pour la diaspora congolaise…

Qu’est-ce qui pourrait être fait pour améliorer la situation ?

La diaspora doit se réveiller et prendre en charge son avenir et celui des enfants du pays. Certes, elle avance, mais ça n’est pas assez. Nous devons avancer mains dans la main, travailler ensemble. Comme j’ai à dire, un doigt seul ne peut laver un visage, il faut la main entière pour y parvenir. Nous devons agir de concert. Aujourd’hui, il y trop de division parmi nous, même si cela tend à s’améliorer. Nous devons nous unir et ne plus attendre que nos gouvernements agissent.

C’est à nous d’entreprendre. Prenons exemple sur les Chinois et leur diaspora qui ont travaillé fort pour arriver là où ils sont aujourd’hui. Regardez les Émirats arabes unis, c’était un désert, regardez ce qu’il en ont fait. C’est ça que je rêve pour l’Afrique et c’est à nous ses enfants de nous retrousser les manches pour accomplir cela. Mettons-nous au travail dans l’amour l’unité et la solidarité comme en appelaient de leurs voeux  Sankara, Nkruma ou Mandela.

Quelle est l’actualité de « Cri des Mères » ?

Le 17 juin prochain marquera le lancement officiel l’association « Cri des mères« . Ce sera une journée dédiée à l’éducation, une journée caritative en faveur des orphelins et des jeunes défavorisés de RDC, en collaboration avec « Reines Héroïnes d’Afrique« . Nous avons appelé cet événement « Crown a kid » couronner un enfant.

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Il s’agira lors de cet événement de mettre à l’honneur cette enfance qui est trop souvent bafouée, cette jeunesse qui n’est pas écoutée. Nous voulons redonner à nos enfants leur place en les couronnant de savoir. Cette journée ne se concentrera pas que sur l’éducation scolaire, nous aborderons l’éducation culturelle et populaire. Ce sera un moment de partage et de transmission inter-générationnelle au cours duquel il y aura des animations, des ateliers destinés aux enfants relatifs aux langues africaines notamment. Notre objectif est d’offrir à nos jeunes l’amour de l’Afrique. Il y aura aussi de la vente de produits afro et une exposition sur la femme africaine et l’art capillaire animée par Natou Sakombi de RHA, et même un concert.

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Ce sera l’occasion pour nous d’interpeller la diaspora, d’interpeller nos frères et sœurs au sujet des difficultés en matière d’éducation en Afrique. Trop d’enfants étudient dans des conditions terribles, alors que nous avons la possibilité d’agir. Nous lèverons d’ailleurs des fonds pour réhabiliter l’orphelinat/école que nous parrainons. 100 % des bénéfices serviront au financement de ce projet humanitaire.Ce sera une journée spéciale pour nous. Nous vous y convions et vous attendons nombreux.

Un mot sur vos partenaires, en quoi est-il important de travailler à plusieurs sur de tels sujets ?

Mon partenaire numéro 1, ma sœur de cœur, c’est Natou de RHA. Pourquoi ? Parce que c’est une femme formidable, pour laquelle j’ai beaucoup d’estime et qui m’inspire énormément. C’est une femme fière et amoureuse de son continent ainsi que de son histoire. C’est une personne qui m’a soutenu depuis le début. C’est d’ailleurs elle le moteur de l’événement du 17 juin. Elle n’a eut de cesse de me motiver à agir selon mes convictions.

Mes partenaires sont des personnes ou des structures qui à un moment dans mon parcours associatif m’on soutenue, motivée. J’ai été présente lors de leurs actions, ils sont présents pour moi en retour. J’ai choisi mes partenaires parce que j’ai confiance en eux, parce que ce sont des hommes et des femmes qui me tirent vers le haut.

Je tiens à les remercier chaleureusement pour leur présence à mes côtés et le soutien, financier ou matériel. Vous pourrez remarquer que parmi nos partenaires, il y a beaucoup de femmes, ce qui est encore une preuve que nous pouvons mener de nombreuses actions. Merci également à vous, l’équipe de NOFI pour m’avoir donné l’opportunité de faire connaitre mon engagement et mes actions. Merci encore. UMOJA comme on dit !!!

Où peut on en savoir plus sur vos actions ?

Nous avons un compte Facebook Cri des Mères acdm, mais aussi une page, l’Association Humanitaire Cri Des Mères. Par contre, nous n’avons pas encore de site internet. Je me permets donc de lancer un appel à ce sujet. Si des personnes souhaitent nous aider en nous créant un site, moyennant une contrepartie financière, vous être les bienvenus.

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Notes et références :

[1] Le Kongo dia Nthotila correspond au Royaume du Kongo réunifié, ou le Kongo du roi ou l’Empire de Kongo

[2] La guerre civile angolaise est un conflit important qui frappe l’Angola entre 1975, date de l’indépendance du pays, et 2002. La guerre débute immédiatement après l’indépendance obtenue du Portugal. Cette guerre qui s’étale sur vingt-sept années peut être divisée en trois périodes principales (1975-1991, 1992-1994 et 1998-2002), séparées par de fragiles périodes de paix.