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Entretien avec Claudy Siar, homme de médias, homme de combats

Société

Entretien avec Claudy Siar, homme de médias, homme de combats

Par SK 21 février 2017

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Claudy Siar: « Chaque personne qui trahit la communauté s’engage contre moi dans une guerre de cent ans. »

Claudy Siar revient sur le devant de la scène comme présentateur du programme The voice Afrique Francophone. A cette occasion, NOFI l’a rencontré afin de parler du parcours de cet homme de médias aguerris.  Partisan d’une Afrique libre de tout dictat occidentale, Claudy Siar est aussi un homme d’action qui travaille à la revalorisation de la communauté afro-carribéenne, en France et sur le continent.Sa vision, ses combats pour Tropique Fm, son engagement anti-Franc cfa et ses projets ; le mélomane militant se livre sans langue de bois.

Parlons de votre expérience à The Voice Afrique francophone.

Pour moi, la plus belle victoire ce n’est pas de présenter « The voice Afrique francophone » mais qu’on m’ait appelé pour le faire. Je remercie Rolande Kammogner qui est la fondatrice de Voxafrica  parce qu’elle m’a fait confiance et a vu en moi celui qui pouvait incarner cette Afrique, au sens pluriel du terme. The Voice Afrique francophone, pour moi, ça été une expérience exceptionnelle.

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Avant cela, vous étiez à l’origine du programme Africa Star, pourquoi trouviez-vous important de promouvoir les talents de la musique en Afrique ?

Parce qu’on est à ce moment là dans une Afrique qui regarde tout ce qui se fait en Occident, et veut avoir le même type de show. Mon militantisme m’a donc poussé non pas à vouloir adapter la Star Ac en Afrique mais à faire notre propre Star Ac. lorsque vous demandez à un continent de musique, à ses talents, d’être dans une telle compétition, forcément c’est chargé d’identité et de culture.

« En France, lorsque tu es Noir et que tu as des convictions, tu ne réussis pas. »

 

Vous êtes l’une des seules personnalités médiatiques à qui l’engagement trop prononcé n’a pas fermé de portes. Comment l’expliquez-vous?

Pour être très honnête, ça ma énormément handicapé. En France, lorsque tu es Noir et que tu as des convictions, tu ne réussis pas. Ma détermination explique là où je suis, non pas la chance. Trouve-moi aujourd’hui un Noir en France dans le monde audiovisuel qui affirme ses idées, ose parler et n’est pas au chômage. C’est pour ça que lorsque certains de mes amis se permettent de me donner des leçons, ça me gêne toujours un peu. Parce qu’ils ne se sont jamais engagé pour les leurs et ont une vision très individualiste de leur carrière.

N’avez-vous jamais aspiré à devenir plus sage ?

J’appartiens à une génération qui doit bâtir, accepter des moments de martyre, de sacrifices, parce que nous ne devons pas léguer aux jeunes et aux générations futures le monde dans lequel nous l’avons trouvé.  Je le dis avec sincérité et sans prétention, je fais partie de ceux qui posent souvent les premières pierres, et n’en récoltent pas le bénéfice. Mais pour moi le bénéfice vient plus tard et pour l’intérêt général. Donc j’accepte ce rôle, que je me suis donné et que mon éducation m’oblige à tenir. Je ne peux pas casser mon logiciel, ce serait une insulte à ma maman (rires).

Votre militantisme vous a porté jusqu’au poste de délégué interministériel. L’Etat était-il prêt à entendre ces revendications identitaires ?

Très honnêtement, l’Etat n’est jamais prêt. Mais lorsque le gouvernement fait des choix politiques, stratégiques ou de communication, évidemment, il y a une volonté d’apporter de petites solutions. Je me suis rendu compte que les gouvernants ne comprennent pas, n’intègrent pas l’ampleur de l’injustice. Ni l’ampleur de leur politique qui crée de la relégation, de la discrimination. Pourtant, ils m’ont laissé faire. C’était l’accord que nous avions, je décidais de mon orientation et je ne m’engageais pas dans une campagne politique (on approchait alors de l’élection présidentielle).

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Quelles actions avez-vous menées quand vous étiez en poste ?

Mon projet était de créer de la solidarité au sein de la société en créant un dispositif justement appelé « Solidarité ». Il s’articulait notamment autour des originaires d’outre-mer, un peu partout en France. Je parlais aussi de la représentativité : Que sommes-nous dans cet ensemble français ? Ce fut d’ailleurs le sujet de mon dernier rapport, « Les 10 exemples flagrants de l’inégalité de traitement envers l’outre-mer et ses originaires ». J’en ai alors déduit que nos territoires d’outre-mer ne sont que des confettis de l’Empire colonial. J’ai démissionné le 27 juillet 2012. Je suis parti parce que je n’avais pas vocation à rester et que j’en avais vu les contours et surtout les limites.

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Qu’en est-il de l’affaire Tropique FM aujourd’hui ?

Aujourd’hui, mon associé indélicat veut juste faire une radio musicale qui ne serait pas une radio d’opinion. Pourtant, c’est l’essence de mon projet, auquel je ne l’ai associé qu’en tant que financier. On voit finalement comment quelqu’un qui est étranger à nos combats, à ce que nous sommes, veut donner de nous une image qui est erronée. Mon combat est là. Ce qui se passe avec cet associé est de ma faute parce que je lui ai donné un pouvoir que je n’aurai jamais dû lui donner. Il n’a pas cette sensibilité, peut-être parce qu’il n’est pas de cette communauté, donc il ne comprend pas et surtout, il n’a jamais mené de combat de sa vie. Il fait partie de ces gens, comme une majorité d’ailleurs, qui sont très individualistes.

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Ce combat va-t-il au-delà du média Tropique FM ?

A un moment donné, tu ne trahis pas ni un projet ni toute une communauté qui est en construction. Moi je dis que chaque personne qui intègre cette communauté et la trahit, me trouvera toujours sur son chemin et s’engage contre moi dans une guerre de cent ans. Je suis très clair avec ça, et ce quelle que soit l’issue des choses, je ne m’arrêterai pas. La réalité est que certaines personnes se permettent de tels comportements vis-à-vis de nous parce qu’elles savent que nous sommes des communautés fragiles.

La  situation est-elle en train d’évoluer ?

Beaucoup de gens de la communauté m’ont dit de laisser tomber, de créer autre chose. Non. Notre mentalité est c’est d’accepter, se résigner. Les  choses sont actuellement en pourparlers, elles vont peut-être se finaliser ; si ce n’est pas le cas, elles exploseront. Pour l’instant les digues sont là, mais elles vont céder. Je suis un homme de dialogue, d’apaisement et de paix et je ne comprends pas que quelqu’un puisse aller loin en sachant qu’il est en tort. Il sait que ce n’est pas bien, que ce n’est pas juste. Lorsqu’on est dans le conflit, à un moment donné dans la vie, il faut en sortir en allant sur le terrain des solutions. Mais vous avez ces gens qui vivent dans le conflit comme si cela leur permettait d’exister, c’est très étonnant.

Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre le mouvement contre le FCFA aux côtés notamment de Kemi Seba ?

Cela fait plus de 20 ans que je dis, même sur RFI, qu’il va falloir mettre un terme à cette monnaie coloniale. Mais pour cela, il va bien falloir que les dirigeants et responsables économiques de ce continent se réunissent pour comprendre comment on peut le faire. Et surtout penser une monnaie qui ne sera pas flinguée par les instances occidentales parce que c’est bien ça le problème. Kemi Seba est dans un combat qui nous intéresse tous et qu’il a structuré, contrairement à moi et à d’autres, il y a quelques années. Et on doit s’inscrire dans cette action là aussi. C’est pourquoi je suis avec lui, et depuis bien longtemps. Par ailleurs, quand j’étais délégué interministériel, une certaine presse avait titré : « Fidèle ami de Kemi Seba », comme pour me discréditer. Mais il faut laisser les gens parler.

« Ressusciter le Bal nègre aujourd’hui ce n’est pas ressusciter quelque chose de positif. »

 

En quoi pensez-vous que la musique participe à la revalorisation et l’unification de la communauté ?

Pour moi qui suis un descendant d’esclaves, la musique, le tambour, cette réminiscence musicale africaine, est là pour me permettre de résister à l’infamie de l’esclavage. Au moment des revendications autonomistes et indépendantistes, la musique traditionnelle accompagne aussi tous les militants. Le groupe Kassav, par exemple, sort son premier album en 1979. La révolution zouk arrive vraiment avec un tube comme « O madiana » en 1982, et  plus tard le tube « Zouk la sé sel médicament nou ni », de l’album de Jacob Desvarieux et Georges Décimus. On est dans l’affirmation d’une identité qui cette fois se partage à travers cette langue créole et aussi avec l’africanité que le groupe revendique. On est bien dans une envie de créer l’union entre l’Afrique et ses diasporas, dans l’affirmation de ce que nous sommes. Quand ils chantent « An ba chen’n la », dans aucune chanson de Zouk on ne te parle de chaînes d’esclavage, ça n’existe pas. Seuls deux artistes ont été capables de faire ça dans le zouk à part eux, c’est Yvan Voice et moi-même. La musique est quelque chose de très important dans nos histoires.

Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je regrette que bon nombre d’artistes ne travaillent qu’en espérant participer à la grande bouffe. Ça, pour la culture, l’identité, l’authenticité, la sincérité de la création, c’est dévastateur. J’en parlais encore avec David Taïro, le plus grand arrangeur de l’histoire de la pop africaine francophone. A une époque, à Abidjan, il y avait des maisons de disque, des labels, des studios ivoiriens. Aujourd’hui, ce sont les Sony, Universal qui s’installent. Ça veut dire qu’à un moment donné, on ne contrôlera plus notre culture et nos musiques. Ce n’est pas leur présence que je note mais plutôt l’absence de’ la présence des autres, qui est dommageable.

Vous avez entendu parler de la polémique autour du « Bal nègre », qu’en avez-vous pensé ?

Pour moi, l’histoire du bal nègre est une histoire importante quant à la présence des Noirs en France. On est alors dans une période coloniale, on dit nègre à tout va et le « Bal nègr »e est l’endroit où se retrouvent des Noirs et où des Blancs venaient s’encanailler au contact de cette culture indigène. C’est une époque. Ressusciter le « Bal nègre » aujourd’hui ce n’est pas ressusciter quelque chose de positif. Le « Bal nègre » des années 1920-30, c’est les discothèques aujourd’hui, les clubs. On n’a pas besoin de réminiscences de ce passé colonial. Je ne rejette rien, c’est une époque, de grands artistes ont joué au « Bal Nègre », ça fait parie de l’histoire. Mais quelle est l’importance aujourd’hui d’appeler un lieu « Bal nègre », si ce n’est pour des gens qui ont une vision passéiste de notre présent et de ce que nous sommes. En revanche, je travaille à faire bannir l’emploi du mot « nègre » pour désigner une personne écrivant pour une autre. Et il n’y a qu’en France que ça existe. Je souhaite aussi  qu’on organise à nouveau un congrès entre africains et les diasporas comme il y a eu au début du XXème siècle, un congrès panafricain pour que nous puissions parler de tout.

Quelle est votre actualité ?

Beaucoup de projets très importants pour l’indépendance et l’émancipation de l’Afrique, surtout dans le monde médiatique. Nous préparons actuellement la deuxième saison de The Voice Afrique francophone. Peut-être aussi le retour du Claudy Show.