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Emeutes de 1959 : la Martinique règle ses comptes avec le colonialisme

Culture

Emeutes de 1959 : la Martinique règle ses comptes avec le colonialisme

Par SK 16 décembre 2016

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En 1959,  la Martinique décide une fois pour toutes de régler ses comptes avec le colonialisme. Tout part d’un banal accrochage entre un automobiliste blanc et un jeune martiniquais sur un scooter, un 20 décembre. Le ton monte entre les deux, les gendarmes sont appelés en renfort…

Nous sommes le 20 décembre 1959, sur une route de Fort-de-France, en Martinique. Nous sommes treize ans après la loi de départementalisation*qui est censée garantir aux désormais ultramarins de faire partie de la France, au même titre que n’importe quel autre espace français et avec les pleins droits que cela engage. Pourtant, les choses ne semblent pas avoir changées pour les habitants des Antilles. Un automobiliste martiniquais noir se dispute violemment avec un autre automobiliste métropolitain blanc. Des habitants des environs accourent pour prendre part à la dispute, ils s’attroupent autour des deux hommes. La police est appelée en renfort. La confrontation dégénère en émeute : 5 personnes sont blessées, dont un sous-lieutenant qui décédera de ses blessures postérieurement ; 3 martiniquais perdent la vie : Edmond Eloi Véronique, Julien Betzi et Christian-Pierre Marajo. Suite à cela, les émeutes se poursuivent les 21 et 22 décembre ; des commissariats et des immeubles sont vandalisés. Pour la première fois, la Martinique fait bloc et se rebelle contre l’oppression. Ces événements violents matérialisent une colère sourde partagée par la population de puis trop longtemps.

 

Création de l’OJAM, organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique

Après ce « décembre noir », la Martinique est déterminée à se dresser contre le joug colonial. Aussi, trois ans plus tard, en 1962, des militants se regroupent pour créer l’OJAM : organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique. La même année, le mouvement  édite son manifeste intitulé « La Martinique aux martiniquais », affirmant clairement son désir d’indépendance. Grâce à un affichage clandestin, de nuit, ce brûlot est placardé sur tous les bâtiments publics à travers la Martinique les 23 et 24 décembre. Motivée par un vent d’insurrection qui touche toutes les anciennes colonies françaises de l’Asie à l’Afrique et par la littérature de Frantz Fanon, les jeunes de l’OJAM brandissent le poing en l’air. Les 18 signataires du manifeste sont arrêtés en 1963 et emprisonnés en métropole, à la maison d’arrêt de Fresnes (Seine et Marne) au motif d’ « Atteinte à la sûreté de l’Etat ». Leur procès aura lieu en 1964 ; ils seront tous acquittés.

decembre-1959

Les colonies à l’aire indépendantiste

En 1946, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion deviennent départements outre-mer. Une concession faite par la métropole pour réduire les velléités d’émancipation. Pour autant, les ultramarins ne jouissent pas des mêmes avantages que leurs concitoyens français. La frustration et le désir d’autonomie s’amplifient. Paris, qui ne veut rien lâcher et entre alors dans une ère de joyeuses ratonnades, notamment en  Martinique en 1959, en Guyane en 1962, en Guadeloupe en 1967 et à la Réunion en 1991. Aujourd’hui, en dépit de timides conciliations, les revendications ultramarines n’ont jamais véritablement trouvé satisfaction. Aussi, le problème n’ayant jamais été résolu, l’histoire s’est répétée. En 2009, la Guadeloupe s’embrasait à nouveau, suivie de la Réunion en 2012 et de la Martinique en 2014.

Photo ,de l'OJAM

Photo ,de l’OJAM

En 1962, la France est dans un enlisement total en Algérie. Un bourbier qui dure depuis le début les années 1950, Paris ayant complètement sous-estimé la détermination des algériens à être libres. Ce contexte va influencer la politique étrangère gauloise (et gaulliste) et forcer tous les anciens territoires annexés par la France à choisir le camp de la complaisance ou celui de la rébellion. C’est ce rapport de force qui contraint d’ailleurs le général à accord un semblant d’indépendance aux pays d’Afrique. Il n’est pas question toutefois de parler d’indépendance des Antilles-Guyane.

Ordonnance Debré : 15 octobre 1960, l’ordonnance Debré autorise que les fonctionnaires de l’Etat français en outre-mer considérés comme dissidents soient contraints à l’exil forcé en métropole, sur décision des préfets. La Réunion, la Martinique, La Guyane et la Guadeloupe en feront les frais.

En Juin 1963, la jeunesse des Antilles, étouffée par le chômage et la surpopulation est priée de gagner la Métropole. La France manque de main d’œuvre, surtout pour les tâches les moins qualifiées de la société. Le Bureau de développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom) est créé. Sous la tutelle de Robert Debré, on dispatche les ultramarins vers les postes inintéressants et pénibles que les métropolitains rechignent alors à exécuter. Tout le monde est content : des cacahuètes pour les macaques et la paix pour la classe dirigeante qui craint que cette jeunesse en colère n’embrasse les théories indépendantistes.