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Rap et Homosexualité sont-ils compatibles?

Société

Rap et Homosexualité sont-ils compatibles?

Par Redaction NOFI 1 août 2016

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Par José Kossa. La compatibilité entre le rap et l’homosexualité est un débat qui agite depuis plusieurs années le milieu du Hip-hop. Longtemps considéré comme homophobe, le rap connait une évolution de mentalité avec des artistes qui assument leur homosexualité et d’autres qui soutiennent ce mouvement. Une démarche qui s’inscrit pour de nombreux jeunes dans la ball culture, un système communautaire américain qui sert d’échappatoire et souvent de famille de substitution pour des jeunes issus des minorités discriminées, principalement noires, latino-américains très majoritairement homosexuels ou LGBT et fréquemment en rupture familiale.

Né dans les ghettos noirs américains dans les années 70 sous le signe de la révolte et de la contestation, le rap est un courant musical et culturel qui appartient au mouvement Hip-Hop. C’est au début des années 80 que le rap prend son envol avec l’apparition des « bloc party », de grands rassemblements où s’affrontent danseurs, grapheurs, djs et rappeurs. De là naîtront les premières « stars » tels que Run DMC, Grandmaster Flash et Afrika Bambaataa. Le mouvement commence ainsi à prendre de l’ampleur, traverse l’Atlantique et arrive jusqu’en France. A cette époque, le style musical est encore très funky et électronique, conçu pour tourner dans les discothèques.

Joey Starr (ancien NTM) dans "L'amour dure 3 ans", de fR2D2RIC Beigbeder

Joey Starr (ancien NTM) dans « L’amour dure 3 ans », de fR2D2RIC Beigbeder

Au cours de l’année 85, le rap va subir un tournant capital dans son histoire, avec l’apparition du groupe « Public Enemy », qui délaisse le coté festif de cette musique pour dénoncer les inégalités sociales et raciales. En France, des groupes tels que NTM, IAM, ASSASSIN font leur apparition avec  des discours très inspirés du modèle américain. Mais c’est au milieu des années 90 que le rap change définitivement avec l’arrivée d’artistes comme 2 PAC, Notorious BIG, Nas, Snoop Dogg ou encore Jay Z. Des labels très puissants sont créés (Def Jam, Death Row), l’ambiance devient malsaine et sombre. Armes, drogues, embrouilles, filles et homophobie sont désormais les mots d’ordre, le gangsta rap vient de naître.

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Une musique aux codes homophobes? L’avènement du gangsta rap a instillé dans la culture urbaine ce côté hyper virilisé. Des codes aux parfums de testostérone qui se sont accrus au fil de cette décennie. Selon la journaliste et bloggeuse pour Madame Rap Eloïse Bouton « Le rap a des clichés hétéronormés: filles à poil, grosses bagnoles, alcool, argent. ». Ainsi, des rappeurs comme Ice Cube clamaient à l’époque leur homophobie dans leurs textes. Pour le rappeur Neilu J, ce côté homophobe est un état d’esprit: « Le rap c’est un milieu où les gens font les durs, c’est normal que ce soit encore tabou. ». Alors est-il plus simple d’être lesbienne dans le rap? Elle affirme: « Pour les femmes il y a un côté double discrimination, déjà parce que ce sont des femmes, et parce qu’en plus elles sont homos ». Le milieu hip hop serait-il donc hétérosexuel?

Mykki Blanco, fer de lance du rap queer

Mykki Blanco, fer de lance du rap queer

Aux Etats-Unis, le rap est plus ancré dans la culture populaire. Selon Eloïse Bouton « Quand on voit Jay Z et Beyoncé aux côtés d’Obama il n’y a rien de choquant. Si on voyait Booba avec François Hollande on se dirait qu’il essaye d’aller choper des voix auprès des jeunes de banlieue ». La connaisseuse précise qu’en France « le rap n’a pas la même place. On dirait que dans l’imaginaire collectif cela appartient aux banlieues». Un problème social en somme. Pourtant : « Il y a un nouveau courant hip hop qui est né des cendres de la « ball culture », le pilier des identités africaines, latino américaines et LGBT », observe la bloggeuse. En effet, sur le Nouveau Continent, un changement de mentalité s’est opéré depuis 2010. On a donc vu apparaître des artistes tels que Azealia Banks et Franck Ocean qui ont officiellement fait leur coming out. Puis, l’émergence du courant du rap queer, avec Mykki Blanco en tête de file, qui joue sur l’ambiguïté.

La France accuse aujourd’hui un retard conséquent sur son voisin d’outre-Atlantique. Parmi les centaines de rappeurs présents sur la scène hexagonale, seul un a reconnu son homosexualité. Il s’appelle Monis. Cet artiste dijonnais ne s’est jamais caché mais refuse de plaider pour la cause gay : « Je le dis, je ne suis ni un militant ni un porte-parole, je suis juste un petit mec qui écrit ses idées et qui les met en musique. » Même s’il reconnait ne jamais avoir souffert d’homophobie dans le milieu, il admet qu’il n’est pas facile de se faire une place en France : « Nous sommes un pays très conservateur, on n’aime pas vraiment la diversité et l’ouverture à l’autre. Aujourd’hui dire « je suis homosexuel » est une chose encore assez compliquée à assumer ». Une difficulté en vertu de tous ces codes et termes propres au Hip-hop.

Azealia Banks Crédit photo: Idolator

Azealia Banks
Crédit photo: Idolator

Un jargon homophobe qui est pourtant devenu trivial et qui n’a plus aujourd’hui la même essence. La plupart des rappeurs n’ont d’ailleurs pas conscience de l’impact que peuvent avoir certaines de leurs punchlines. Aurélien Burlet, journaliste spécialiste rap, explique que « pour eux, le terme « pédé » ou « tapette » est un mot générique. Ça englobe plein de choses comme le sont des mots comme « LOL » ou « bouffon ». Donc, lorsqu’ils sortent ces termes, il peut y avoir de nombreuses significations différentes ». Pour Monis, il y a un « manque d’éducation ». Les rappeurs ont un vocabulaire défini et ne pèsent plus leur mot. Le rappeur de Dijon raconte par exemple: « en 2008, j’avais fait un concert, et à la fin un mec est venu me voir pour me féliciter et me dire « franchement plus jamais je ne dirais « sale pédé » ou « va te faire enculer » à quelqu’un ».

Depuis une dizaine d’années, des rappeurs tentent de faire évoluer les choses en apportant leur soutien à la cause homosexuelle. Lors des Grammy Awards en 2001, Eminem avait ainsi interprété sur scène son célèbre morceau « Stan » avec Elton John, artiste ouvertement gay. Ils avaient conclu cette prestation main dans la main. En France, c’est l’apparition de Joey Starr dans le film « L’amour dure 3 ans » sorti en 2012 qui a fait réagir. L’ancien membre du duo NTM y incarnait un gay refoulé. Une première pour un rappeur français. Des actions qui peuvent sembler insignifiantes mais encourageantes comme l’explique Eloïse Bouton : « C’est positif je pense, cela permet de créer des « role models » pour les jeunes ».

Eminem et Elton John aux Grammy Awards en 2001 AFP / Getty Images

Eminem et Elton John aux Grammy Awards en 2001 AFP / Getty Images

Révéler son homosexualité dans ce milieu peut s’avérer être à double tranchant. Malgré le respect de la démarche, l’artiste peut vite se retrouver avec l’estampillage « artiste gay ». C’est notamment ce que dénonce la rappeuse Azealia Banks qui a fait son coming-out dans sa chanson « 212 » : « je ne veux pas devenir la rappeuse lesbienne, ni que les gens m’imposent une catégorie ». Monis a aussi dû faire face à ce problème : « Canal + ne m’aurait jamais invité si je n’avais pas dévoilé mon homosexualité ». Une stigmatisation qu’il retrouve aussi dans certaines maisons de disques : « il y a des producteurs qui interdisent à certains rappeurs de révéler leur homosexualité. Certains m’ont conseillé d’enlever tous les passages y faisant référence». Alors quand on lui pose la question « Que faudrait-il modifier dans l’industrie du disque pour que cela change? », il répond: « Peut-être que l’humain repasse avant le CAC 40 ».

Par José Kossa