Neïba

Abraham Hanibal, génie africain en Russie et ancêtre de Pouchkine

Histoire

Abraham Hanibal, génie africain en Russie et ancêtre de Pouchkine

Par Sandro CAPO CHICHI 29 août 2016

Pour ne rien manquer de l'actualité,
téléchargez l'application depuis ce lien
Recevez du contenu exclusif, de l'actualité, des codes promos Nofi Store ainsi que notre actualité évenementielle chaque week-end !

Enfant africain arraché à sa terre natale, filleul du Tsar Pierre Ier à la cour duquel il fut élevé, mathématicien, ingénieur militaire, Abraham Hanibal, ou Abram Petrovitch Gannibal, fut le premier Noir à servir comme général en chef de l’armée russe. Sa trajectoire extraordinaire est amplifiée par celle de son arrière-petit-fils, le poète russe Alexandre Pouchkine.

Par Sandro Capo Chichi / Nofipedia

Des origines africaines non définies

À travers les documents laissés par Hanibal, son gendre et biographe estonien Rotkith et Pouchkine nous livrent quelques indications imprécises sur le pays d’origine d’Hanibal. Il s’agirait d’une cité appelée Logone. Pour Rotkith et les premiers anthropologues russes, il s’agirait de l’Abyssinie au sens restreint du terme, qui inclut l’Ethiopie et l’Erythrée actuelles.
Pour l’historien béninois Dieudonné Gnammankou[1], il s’agirait de l’Abyssinie au sens large, c’est-à-dire de presque toute l’Afrique au sud de l’Egypte. Pour lui, la seule ville d’Afrique appelée Logone serait celle de Logone-Birni, au nord de l’actuel Cameroun. Cette cité d’ethnie kotoko, située près d’un fleuve était la cible fréquente de razzias de la part de royaumes puissants entretenant des relations commerciales avec l’empire ottoman, ce qui pourrait expliquer qu’Hannibal se soit fait enlever par voie fluviale, puis retrouvé à la cour du Sultan à Constantinople en 1703.
Une autre hypothèse[2], apparemment inconnue du milieu académique, aurait vu la redécouverte d’un village appelé « Lagwen » en Erythrée, qui aurait gardé dans la tradition orale et écrite la mémoire d’un Abraha Zerai, dont elle rapporte la vie depuis son enlèvement jusqu’à sa mort en Russie.
Il va sans dire que si ces faits venaient à être vérifiés, l’Erythrée devrait être considérée comme le lieu de naissance de Pouchkine. Toutefois, cet incroyable scénario n’a jamais été analysé par un historien, et il faut reconnaître qu’il paraît suspect, notamment de la plume de l’auteur d’un blog sur la richesse de l’héritage historique érythréen. Contentons nous de dire que cette question n’est pas réglée et qu’Hanibal était simplement un Noir africain.

De la cour ottomane à la cour russe

En 1703, à l’âge d’environ 7 ans, le futur Hanibal est envoyé à la cour du sultan ottoman de l’époque, où étaient employés des Noirs africains à différents postes de l’administration. Il y est nommé Ibrahim. Racheté clandestinement un an plus tard par des marchands russes, il est envoyé en Russie à la cour du tsar Pierre Ier. Ce dernier souhaitait en effet qu’on lui apporte des enfants noirs pour montrer qu’en l’éduquant, un Africain possédait les mêmes facultés intellectuelles que les autres hommes. Très vite, la relation entre les deux hommes est intime, et le jeune garçon, désormais connu sous le nom d’Abraham, est élevé par le tsar comme son fils. En 1705, il est baptisé, avec comme parrain le tsar Pierre Ier lui-même à Vilnius, dans l’actuelle Lituanie.
Entre 1708 et 1714, il suit le tsar dans ses campagnes militaires et fait un premier apprentissage pratique de l’art de la guerre. Désormais secrétaire et valet du tsar, il l’accompagne dans des voyages aux Pays-Bas, puis en France où Pierre Ier l’installera  pour suivre ses études d’ingénieur.

En France

Fin 1717, Abraham est donc à Paris où il prend des cours de mathématiques et de français, et s’offre des livres afin de se constituer une bibliothèque. Peut-être pour parfaire ses chances d’intégrer une école militaire, il s’engage volontairement en tant qu’élève-ingénieur dans l’armée française lors de la guerre franco-espagnole de 1719. Il y sera promu lieutenant ingénieur, et intégrera la prestigieuse école d’artillerie de La Fère, créée par le roi Louis XV entre 1720 et 1723.

Retour en Russie

Après une dernière année difficile en France en raison d’une crise financière, Abraham rentre à Saint-Pétersbourg en 1723, où il retrouve son « père adoptif ». Le tsar le nomme lieutenant bombardier, et il est chargé d’enseigner les mathématiques et les fortifications aux apprentis ingénieurs.
Lors de la mort de Pierre Ier en 1725, sa veuve l’impératrice Catherine, qui le tenait en estime, le charge de l’éducation du futur tsar Pierre Alexeevitch. Mais à la mort de l’impératrice en 1727, le pouvoir est entièrement assumé par le général Manchikov, qui n’apprécie guère Abraham. Ce dernier, qui rejoint un groupe d’opposition aux abus de pouvoir de Manchikov, est exilé en Sibérie.
En 1730, après la chute de Menchikov, il parvient à retourner à Saint-Pétersbourg, fort d’un nouveau nom, Hanibal. Il a en effet ajouté à son nom d’alors, Abraham Petrov, le nom du général carthaginois de l’antiquité Han(n)ibal lors de son exil. Il est affecté comme lieutenant bombardier sous les ordres du comte de Münnich, couverneur de Saint-Pétersbourg.
Il se marie, en 1731, avec Eudoxie, la fille d’un militaire grec. Affecté à Pernov, une petite ville de province, ses rapports avec son épouse grecque, qui ne l’a jamais apprécié, se dégradent rapidement. Ces différends sont motivés par les liaisons extraconjugales de cette dernière qui la feront accoucher d’une fille blanche, événement qui couvrira Hanibal de honte, puis à une tentative d’assassinat fomentée avec son amant. Hanibal demande et obtient sa retraite anticipée dans l’actuelle Estonie où il acquiert des terres en 1733. Il y rencontre et épouse la fille d’un officier suédois Christina-Régina de Schöeberg. Leur mariage est plus heureux et voit la naissance d’un enfant, Ivan en 1735 qui s’ajoutera à la fille de sa première femme dans le foyer d’Hanibal. Une deuxième fille nommée Elisabeth, ainsi que quatre garçons suivront, en 1737. Entre-temps, sa première épouse Eudoxie avait été emprisonnée pour adultère. Elle finira ses jours dans un couvent après un long conflit qui empêchera Hanibal de voir son mariage avec Christina-Regina rendu légal jusqu’en 1753. A la mort de l’impératrice Anna en 1740, le comte de Münnich est nommé Premier ministre de l’Empire, et Hanibal est nommé Lieutenant-Colonel et placé dans ville stratégique de Reval, près de ses terres Kariakoula en Estonie.

Ascension et fin de vie

En 1741 naÎt la deuxième fille d’Hanibal, appelée Anna. L’année suivante, Elisabeth, fille de Pierre Ier, accède au pouvoir. Favorable à Hanibal, elle le nomme lieutenant-colonel de l’artillerie et général-major de l’armée. En 1752, il est nommé à la direction technique de l’armée impériale russe et est affecté à la direction des fortifications de l’Empire. Il est ainsi à l’origine de nombreux travaux de constructions de nouvelles forteresses dans le cadre de la défense de l’empire russe. En 1755, il est nommé général-lieutenant, puis l’année suivante, le Principal général ingénieur de l’Empire.

Trois ans avant sa retraite en 1762, il accède au rang de général en chef de l’armée russe. C’est alors la fin de la prodigieuse carrière  d’Abraham Hanibal qui se retirera dans l’une de ses propriétés de campagne près de Saint-Pétersbourg à Souida. Il y mourra en 1781, témoin de l’accession de son fils Ivan au rang d’amiral de la flotte russe. Sa fille Elisabeth épousera le lieutenant colonel André Pouchkine dont le petit-fils Alexandre Pouchkine deviendra le plus grand poète russe et qui sans être africain de culture, s’enorgueillira de l’être de sang, via son lointain ancêtre Abram Petrovitch Gannibal.

 

[1] Dieudonné Gnammankou, Abraham Hanibal, l’aïeul noir de Pouchkine, Paris : Présence Africaine, 1996.

[2] http://kemey.blogspot.fr/2008_11_01_archive.html