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Amadou Hampaté Bâ, résistant africain au fondamentalisme musulman dans les années 50

Culture

Amadou Hampaté Bâ, résistant africain au fondamentalisme musulman dans les années 50

Par Sandro CAPO CHICHI 21 mai 2015

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Amadou Hampaté Bâ (1901-1991) était un traditionaliste, écrivain et ethnologue malien. 

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

Amadou Hampaté Bâ est né en 1900 ou 1901 à Bandiagara, ancienne capitale de l’empire peul du Macina et aujourd’hui chef-lieu du pays dogon au Mali. Très tôt, par ses parents il est placé sous l’éducation de Tierno Bokar, un sage musulman soufi peu après avoir intégré l’école colonial française. Cette double éducation, associée à une autre formation, dans l’art de raconter les contes peuls auprès d’un maître appelé Koullel, qui allait lui donner surnom Amkoullel, qui signifie ‘petit Koullel’ allait façonner sa personnalité. Celle d’un homme dont les plus  importantes quêtes allaient être de transmettre les enseignements de son maître Tierno Bokar et sa vision de l’Islam, les richesses et les spécificités des traditions africaines, mobilisant notamment ce nouveau support de communication qu’étaient devenues la langue, l’écriture et les institutions françaises pour l’Afrique.

Dès la fin des années 30, Bâ allait chercher à publier en langue française des enseignements de Tierno Bokar, ce qu’il allait parvenir à faire en  1957 avec la publication de ‘Le sage de Bandiagara’ grâce notamment au concours de Théodore Monod, alors directeur de l’Institut Français d’Afrique Noire qui était devenu son ami mais aussi de l’administrateur colonial Marcel Cardaire, responsable des affaires musulmanes.

Théodore Monod

Théodore Monod

Entre temps, après la seconde guerre mondiale, des musulmans africains avaient voyagé dans des pays arabes comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite de qui ils avaient perçu des aides financières afin d’étudier. Ils cherchaient notamment à fuir la marginalisation entraînée dans leurs pays d’origine par leur pouvoir colonial. Ce sont quatre anciens étudiants ouest-africains de l’Université d’Al-Azhar en Egypte qui allaient introduire le mouvement wahhabiste en Afrique de l’Ouest dans l’ancien Soudan français.  Ce terme, que l’on entend souvent prononcer ces jours-ci pour désigner des organisations terroristes comme DAECH et al-Qaeda qui en constituent une extension radicale, désigne une branche de l’Islam développée en Arabie Saoudite au 18ème siècle par Muhammad Ibn Abdelwahhab et basé sur un retour aux principes de vie de l’époque du Prophète dans l’Islam. En créant des écoles arabophones de plus en plus populaires à Bamako, qui se remplissaient au détriment des écoles coraniques africaines traditionnelles et des écoles coloniales, le courant wahhabiste allait constituer une menace pour le pouvoir colonial français.

Celui-ci craignait en effet les affinités de celui-ci avec des mouvements musulmans anticolonialistes en oeuvre dans la guerre d’Algérie et en Egypte avec l’avènement de Nasser. Le pouvoir colonial français allait trouver un allié en la personne d’Amadou Hampaté Bâ, farouche opposant à cette arabisation de la culture africaine et dont l’un des principaux objectifs de vie était de faire connaître les travaux de son maître Tierno Bokar.

Amadou Hampate Bâ (à gauche) en 1954

Amadou Hampate Bâ (à gauche) en 1954

En s’alliant avec Marcel Cardaire,  Amadou Hampaté Bâ allait donc choisir l’africanité de sa culture et la transmission des savoirs de son maître au détriment de la résistance à la colonisation, un choix qui lui aura plus tard été reproché comme une collaboration avec l’occupant par certains de ses détracteurs. Le gouvernement français allait encourager des violences contre les propriétés de Wahhabistes à Bamako, et avec le concours de Bâ, favoriser l’éducation des écoles coraniques traditionnelles  et y présenter la vision de l’Islam de Tierno Bokar qu’il jugeait acceptable. Quelques années après la publication de ‘Le sage de Bandiagara’ écrit par Bâ et Cardaire,  le Mali allait obtenir son indépendance en 1960.

Lors d’un voyage à Paris cette même  année, il allait y produire un discours et y mentionner la nécessité pour l’UNESCO de contribuer à conserver le patrimoine immatériel africain, peut-être comme lui l’avait jusque là fait avec ses moyens, comparant la mort de vieillards africains à l’incendie d’une bibliothèque. Amadou Hampaté Bâ avait gagné son combat pour la préservation du patrimoine oral africain. De son vivant seulement, car après sa mort  en 2001, le spectre du fondamentalisme musulman en Afrique allait réapparaître en Afrique et plus précisément au Mali, terre d’Amadou Hampaté Bâ par le biais d’organisations terroristes comme Ançar Dine ou al-Qaeda au Maghreb Islamique.

Des manuscrits de Tombouctou brûlés par des Islamistes en janvier 2013 au Mali

Des manuscrits de Tombouctou brûlés par des Islamistes en janvier 2013 au Mali

A Tombouctou notamment, des bibliothèques de manuscrits et d’hommes allaient y être brûlées et une nouvelle fois, Français et Maliens allaient s’allier pour combattre cette menace pour leurs intérêts respectifs. Une menace à la culture causée ici et là, à plus d’un demi-siècle d’intervalle par les abus et les ingérences de la politique africaine de la France : colonisation d’abord, puis intervention militaire française en Libye sous le commandement de Nicolas Sarkozy.