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Avez-vous un ami noir ?

Société

Avez-vous un ami noir ?

Par SK 26 mars 2015

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François Durpaire, l’historien directeur des programmes de FDM TV, nous présente sa nouvelle expérience. Un travail qui n’entend pas se substituer à une analyse sociologique, mais qui vise à briser le tabou du « vivre ensemble réel ».

Avez-vous un ami noir ? Est un micro-trottoir comme on n’a pas l’habitude d’en voir en France. Une question simple et pourtant taboue sur le métissage des cultures et des communautés dans notre République. Plus que cela, cette vidéo permet de revenir sur les préjugés latents qui gangrènent la société. Une expérience sans voile, qui nous met face à notre propre intolérance.

D’où vous est venue cette idée ?

Tout d’abord, il faut rendre à Jimmy Kimmel ce qui lui appartient. Dans son émission, le « Jimmy Kimmel Live », diffusée sur ABC, l’animateur introduit toujours une « pedestrian question » (un micro-trottoir). Lors du Black History Month, il a voulu mesurer l’état réel du multiculturalisme aux Etats-Unis à travers la question « Do yo have a black friend« .

Cette vidéo a entraîné beaucoup de réactions car il y a actuellement un débat à propos du degré de métissage dans la société américaine. Est-ce que l' »harmonie raciale » est possible ? Cette question est également posée par le cinéma américain, notamment depuis la sortie du film Dear White People.

 

Est-ce un travail qu’on vous a commandé ?

Non, j’ai fait ce travail de ma propre initiative, avec mon équipe composée de Vincent Aubert, cadreur et d’Hélène Serignac, journaliste. Nous nous sommes rendus dans le sixième arrondissement de Paris, un dimanche après-midi à Saint-Germain-des-Prés. Ce travail comporte une grande dimension méthodologique car on l’a testé sur les quinze premières personnes venues. On ne voulait pas faire de sélection afin de ne pas orienter la conclusion qu’on peut se faire de ce micro-trottoir. On l’a fait de la manière la plus clinique possible. Donc, pas une enquête sociologique mais bien un micro-trottoir avec les exigences méthodologiques de la sociologie.

 29022_vignette_francoisSource photo: http://www.tv5monde.com/cms/chaine-francophone/Revoir-nos-emissions/Et-si-vous-me-disiez-toute-la-verite/Episodes/p-29022-Etats-Unis-Afrique-l-operation-de-charme.htm

Existe-t-il des travaux universitaires à ce sujet ?

Oui, aux Etats-Unis, c’est autorisé et des enquêtes sociologiques précises existent. Ces enquêtes révèlent que dans l’Amérique d’Obama, on a encore tendance à aller vers les gens qui nous ressemblent (voir le tableau en bas).

 

Pourquoi trouviez-vous important de réaliser cette expérience en France ?

En France on aime débattre des choses en théorie. Le vivre-ensemble est dans tous les discours politiques mais nous, nous voulions le tester sur le terrain. Les gens s’attendaient à ce qu’on débatte de cette question, de manière très intellectuelle, parce qu’ils en ont l’habitude. Toutefois, lorsque la question vient, directe, presque brutale, ils sont directement renvoyés à leur propre réalité. Au fait, est-ce que j’ai un ami noir ? Combien j’ai de Noirs dans mon répertoire téléphonique, moi qui me pense très ouvert d’esprit ?

 

Vous dites que vous avez « les mêmes exigences » qu’une enquête sociologique, c’est-à-dire ?

C’est-à-dire, d’abord, qu’on est parti sans à priori, qu’on ne cherchait pas à prouver quoi que ce soit. Ni que les Français étaient intolérants, ni le contraire. D’ailleurs, à partir de combien d’amis noirs peut-on être considéré comme antiraciste ? (rires) Ensuite, lors du montage, on a voulu rendre compte de ce que l’on a entendu, sans jugement. Nous restituons autant que faire ce peut l’ensemble de la réponse. L’objectivité est donc une donnée essentielle. Car notre idée n’est pas de faire l’apologie du métissage.

 

Ce type d’étude est interdit en France.

Effectivement, mais je ne pense pas qu’on aille en prison pour un micro-trottoir (rires). On a justement choisi cette forme, et l’humour, pour inciter la France à sortir de ses tabous et permettre d’ouvrir la possibilité d’un travail sur le fond.

Cette absence d’enquête permet d’entretenir l’idée – voire le mythe – que la France est un pays de mixité et de métissage par opposition aux Etats-Unis qui seraient une simple juxtaposition de communautés. Ce n’est pas nécessairement une idée fausse, mais ce n’est pas forcément une idée vraie puisqu’il n’y pas d’outil objectif de comparaison. De quoi a-t-on peur ?

 

Cette vidéo est un échantillon unique autour de cette problématique ?

Cette vidéo est la première et sera suivie de plusieurs autres du même format et sur les mêmes thématiques. Il s’agit d’aller vers les gens et de leur poser des questions très franches, comme ici, « Avez-vous un ami noir ? ». Ce qu’on veut interroger en premier lieu c’est la société française et, savoir si elle produit vraiment du mélange. On pourrait très bien étendre la question aux classes sociales : « Avez-vous un ami ouvrier ? « Avez-vous un ami agriculteur ? ».

 

Qu’est-ce qui ressort de cette expérience de terrain ?

Les gens sont surpris parce qu’ils ne s’attendent pas à ce qu’on leur pose ces questions. Plusieurs ne se l’était jamais posée. On pensait même voir notre démarche contestée, mais très peu l’ont fait.

Beaucoup de Français blancs ont la perception d’avoir des amis noirs mais ce n’est qu’une perception. C’est pour cela qu’on leur a posée la question de manière très précise. On posera également la question à des Noirs, à savoir, « Avez-vous un ami blanc ? ».

 

Est-ce que certaines données auraient pu fausser cette enquête ?

La sociologie du quartier peut évidemment jouer. C’est pourquoi on l’a fait un dimanche après-midi, qui est un moment où l’on croise des promeneurs et pas seulement des gens du quartier. On a aussi fait le choix, contrairement à Jimmy Kimmel, de ne pas interroger les touristes. Cependant, la toile de fond c’est la montée d’un puritanisme identitaire au sein de toutes les communautés. Il n’y a qu’à voir les réactions suite à l’élection d’Ariana Miyamoto, d’un côté comme de l’autre. Le fait de le dire n’est pas une volonté d’opposer l’identitarisme blanc et l’identitarisme noir. Cela dit, par rapport à l’histoire, un Noir qui dit ne pas vouloir se mélanger, ce n’est pas la même chose qu’un Blanc, majoritaire dans son pays, qui adhère à la « théorie du grand remplacement ».

 

Qu’est-ce qui ressort de tous ces témoignages ?

Deux choses. La première c’est qu’il est important que chacun se fasse sa propre appréciation. La question est suffisamment complexe pour laisser cette liberté. Dans un second temps, il faut préciser que lors du montage, on n’a pas voulu seulement travailler sur les préjugés des gens qu’on interrogeait, mais aussi sur nos propres préjugés, sur ceux qui vont regarder la vidéo. En demandant : « A votre avis, Paul a-t-il un ami noir ? » On ne dénonce rien. A chaque moment de notre vie, on est amenés à juger rapidement, puis, à faire un travail sur soi pour revenir sur notre première impression. Ce travail est fondamental pour prétendre à une réelle cohabitation entre les gens, voire à une vraie éducation à la tolérance.

 

Est-ce que vous-même avez des priori sur la façon dont va être perçu ce travail ?

Non. On constate en ce moment la montée des commentaires haineux sur internet, l’anonymat n’arrangeant rien. Je mets cela de côté. Pour le reste, je vais m’appuyer sur les commentaires des internautes pour analyser et poursuivre nos analyses. Toutefois, je tiens encore à préciser que le fait pour un Blanc de ne pas avoir d’ami noir ne signifie pas qu’il est raciste. Le fait d’avoir un ami noir ne signifie pas qu’on est tolérant et ouvert… Ce n’est pas cela que l’on veut dire. On cherche plutôt à interroger un système. Quels sont nos lieux de rencontre ? A-t-on autant de chances de nous rencontrer, à l’école, au travail, en soirée ?

 

Les micros-trottoirs thématiques de François Durpaire sont à retrouver sur la France Diversité Média (canal 31 de la TNT).

Quelques chiffres:

Aux Etats-Unis :

  • •         Sur 100 amis, un noir a 83 amis blancs et 8 amis blancs*
  • •         Sur 100 amis, un blanc a 91 amis blancs et 1 ami noir*
  • •         3 /4 des blancs déclarent ne pas avoir d’ami noir*

*Moyenne (statistiques incluant seulement les noirs et les blancs)

  • •         La majorité des noirs se marient dans leur communauté.

Chez les jeunes, la tendance au brassage est plus évidente :

  • •         60% des adolescents déclarent avoir eu des relations amoureuses avec des personnes d’autres communautés.

 

Chiffres rapportés par François Durpaire, notamment tirés du Public Religion Research Institute

 Source photo http://www.paulette-magazine.com/fr/culture/article/top-5-des-tumblr-de-l-ete/2382