Les Nubiens, un peuple entre exils et discriminations

Parmi les dernières populations d’Egypte et du Soudan à avoir maintenu leur identité africaine, les Nubiens sont depuis des siècles les victimes d’exils, de discrimination et de menaces à leur identité culturelle au nom de la modernité et de l’arabisation.

En Egypte et au Soudan, le Nil revêt depuis les temps anciens une importance fondamentale. Grâce à ses crues, il a permis l’agriculture en rendant fertile le sol de la Vallée du Nil. Toutefois, certaines années de grandes ou de faibles crues, ce même Nil entraînait des inondations, la perte de récoltes et des périodes de faim ou la sécheresse pour les populations locales. Pour contrôler ces phénomènes, les Egyptiens anciens ont imaginé la divinité Hapi qu’ils cherchaient à apaiser par le biais de rituels et d’offrandes.

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Le dieu Hapi

Des millénaires plus tard, malgré plusieurs tentatives, ce caractère incontrôlable du Nil constituait toujours un redoutable défi. Entre 1899 et 1902, les colons britanniques financent la construction d’un premier barrage à Assouan pour le relever.

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Le kiosque de Trajan au début du vingtième siècle

 

Il allait être étendu à deux reprises entre 1907 et 1934. Cette construction, alliée aux conditions difficiles auxquelles avaient été sujets les Nubiens sur leur terre lors des siècles précédents (confiscation de leurs récoltes par les taxes de gouverneurs turcs, exactions de soldats responsables de kidnappings et de viols de femmes nubiennes) allait rendre leur vie extrêmement difficile sur leurs terres. Lorsque fut construit le second barrage d’Assouan entre 1960 et 1970 pour générer de l’énergie hydro-électrique et utiliser de l’eau pour l’irrigation, plus de 50000 Nubiens d’Egypte et près de 50000 autres du Soudan durent migrer au Nord à Kom Ombo en Egypte ou à Khashamangerba au Soudan.

Le Grand barrage d'Assouan Lloyd Cluff/Corbis
Le Grand barrage d’Assouan
(par Lloyd Cluff)

Les conditions difficiles de vie dans ces lieux isolés en plein désert ont forcé beaucoup d’entre à émigrer dans les grandes métropoles de l’Egypte et du Soudan comme le Caire ou Khartoum. De nombreux vestiges de la civilisation pharaonique menacés de destruction ont à cette époque pu être sauvés grâce à une immense mobilisation internationale.

Déplacement du Grand temple d'Abou Simbel de Ramsès II après la construction du second barrage d'Assouan
Déplacement du Grand temple d’Abou Simbel de Ramsès II après la construction du second barrage d’Assouan

L’année dernière a eu lieu le 50ème anniversaire de la construction du Grand Barrage d’Assouan. Si le déplacement des monuments y a été mentionné, le sort des Nubiens ne l’a pas été. Aujourd’hui, ces derniers demandent des compensations pour les dommages engendrés à la suite de ces migrations passées forcées et dénoncent une sorte de génocide culturel qui tenterait de faire disparaître leur culture, leur langue et leur identité. Certains demandent même à quitter cette ‘nouvelle Nubie’ pour retourner dans leur région d’origine. De nombreux Nubiens en Egypte se plaignent en outre de racisme et de discrimination au quotidien.

Un Nubien en Egypte
Un Nubien en Egypte (par Son of Groucho)

C’est ainsi que selon Nada Zeitoun, un réalisateur de films nubien et égyptien a déclaré il y a deux ans à nos confrères d’Al Jazeera qu’il s’était fait refuser le service d’un pharmacien du Caire lui ayant déclaré qu’il ne voulait « pas recevoir d’argent provenant de mains noires » et que la plupart des Egyptiens ne se considéraient pas comme des Africains. Au Soudan, un barrage a été construit à Merowe en 2009, doublant la production d’électricité du Soudan mais ayant déplacé plus de 50000 personnes.

 

Le Temple pharaonique de Soleb, potentielle victime de la construction de nouveaux barrages
Le Temple pharaonique de Soleb, potentielle victime de la construction de nouveaux barrages

Le projet de construction de deux nouveaux barrages au Soudan qui menace non seulement l’habitat des Nubiens mais aussi la survie de monuments archéologiques anciens a récemment causé des heurts, faisant quatre morts lors d’une manifestation entre forces de l’ordre et manifestants en 2008. Il s’agit en tous cas là d’un tragique hasard que ces barrages entraîne à la fois la disparition des vestiges des civilisations africaines de la Vallée du Nil et celle de l’identité culturelle de ses derniers héritiers, les Nubiens, sous la pression de la modernité et de l’arabisation.

Enfant nubien d'Egypte (par David Smith)
Enfant nubien d’Egypte (par David Smith)

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