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Une alternative aux limites de la tradition orale dans l’aire culturelle akan : les textes tambourinés, les jurements et autres textes figés

Histoire

Une alternative aux limites de la tradition orale dans l’aire culturelle akan : les textes tambourinés, les jurements et autres textes figés

Par Sandro CAPO CHICHI 27 novembre 2014

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Pour citer cet article:

Kouamé René Allou (2015), Une alternative aux limites de la tradition orale dans l’aire culturelle akan : les textes tambourinés, les jurements et autres textes figés , NAC’s Journal of African Cultures & Civilizations, n°1, 2015, Paris : New African Cultures, : http://nofi.fr/?p=6433 ; ISSN  2428-2510

Par le Professeur ALLOU Kouamé René
Maître de Conférences à l’Université d’Abidjan-Cocody. Filière des Sciences historiques.

Résumé
La tradition orale est une source désormais incontestable de l’histoire des peuples sans écriture. Concernant les peuples Akan, cette tradition orale possède des textes figés donc inaltérables et qui ont la fiabilité des sources écrites. Il s’agit notamment des textes tambourinés, des jurements, des dictons, des devises, des proverbes, des maximes, des chants à caractère historiques et du langage symbolique.
Puisque l’épreuve du temps n’altère pas ces textes figés, ils peuvent être perçus comme une véritable alternative et une aide aux limites de la tradition orale.
Mots clés : Tradition orale-source orale-textes tambourinés-jurements-textes figés.
Abstract
Oral tradition is an historical source from now on unquestionable of peoples without writing history. About Akan peoples, this oral tradition have stiff texts then not subject to deterioration and which have the reliability of writing sources. It is about drum texts, oaths, old tag, devices, proverbs, maxims, historical songs and symbolic languages.
As time proof did not make thirsty those stiff texts, they can be perceive as an true alternative and an help to the limits of the oral tradition.
Key words: oral tradition-oral source-drum texts-oats-stiff texts.

Introduction
Les peuples sans écriture ont en général une tradition orale bien établie, une mémoire collective active. C’est le cas des peuples Akan (Le peuple Akan le plus célèbre et le plus connu est le peuple Ashanti) si bien que leurs traditions orales sont des sources assez fiables. Le problème des sources de l’histoire précoloniale les concernant trouve quelques solutions grâce à la mémoire collective [1].
Dans l’aire culturelle des peuples Akan, il y a d’autres sources issues de la mémoire collective mais qui ont la particularité d’être figées pour éviter leur corruption. C’est le cas des textes tambourinés largement connus grâce aux travaux du très regretté professeur Georges Niangoran-Bouah, des jurements, des dictons, des proverbes à caractère historique, du langage symbolique etc. Ces sources orales figées complètent et accroissent la fiabilité des traditions orales issues de la mémoire collective. C’est ce que cet article compte montrer en s’appuyant sur des exemples pris chez plusieurs groupes Akan et qui révèlent la richesse de ces sources orales figées.
Notre plan se subdivise en trois parties. La première présente quelques textes tambourinés, les commente pour montrer leur valeur historique. La deuxième partie présente quelques jurements en usage chez des peuples Akan et les commente. L’on se rendra compte que les jurements sont des condensés d’importants faits historiques. Enfin, la troisième partie du plan présente d’autres types de textes figés tels que les dictons, les devises, les proverbes ayant un caractère historique, les maximes, le langage symbolique etc.
1.Quelques textes tambourinés et leur interprétation
Comme l’écrivait le Professeur Georges Niangoran-Bouah « chez les Akan, c’est par le tambour parleur que l’on rend certains textes officiels ». De ce fait, un texte mentionné au tambour tombe dans le domaine public et un récit tambouriné devient la version que la mémoire collective conserve d’un fait ou d’un personnage historique[2] . Le tambour est donc mémoire, institution et moyen de consigner des évènements.
Le problème du chercheur est de comprendre et interpréter le message du tambour en faisant un commentaire correct de celui-ci. Certes le Professeur Georges Niangoran-Bouah a fait de gros efforts de collecte et de traduction de textes tambourinés de différents groupes Akan. Mais ce travail a besoin d’être poursuivi afin d’avoir un corpus complet de textes tambourinés de l’ensemble des peuples de l’espace culturel akan.
Examinons à présent quelques textes tambourinés. Le nom des Ashanti joué par le tambour dit « wu kum apem a apem bèba » ( Ashanti porc-épics, tuez en mille et mille surgiront à nouveau). Ce texte indique que l’Ashanti avait pour symbole le porc-épic, un animal perçu comme intrépide. Que l’Ashanti pouvait mobiliser des milliers de guerriers en un temps record. L’importance démographique de la confédération ashanti faisait sa puissance militaire. En effet, elle était une coalition de plusieurs royaumes et chefferies. Sans compter les troupes auxiliaires des royaumes tributaires mobilisées lors des campagnes militaires[3].
Le nom tambouriné des Eotilé (Mekyibo) d’Etuéboué dans le Département d’Adiaké (Sud-Est de la Côte d’Ivoire) dit « Atsi Angama Bléké » (Atsi crocodiles immémoriaux). Atsi indique l’origine Etsi de nombre de groupes au sein de l’ensemble Eotilé. Les Etsi ont été les premiers habitants du littoral fanti avant l’arrivée des Borbor Fanti, c’est-à-dire des Fanti venus du Bono principalement de la région de Takyiman. Bléké est le surnom ou le nom fort du crocodile, cela indique leur présence sur les pourtours des lagunes Aby-Tendo-Ehy et pratiquement le long de tout le complexe lagunaire ivoirien. Angaman qui signifie immémoriaux, indique leur présence très ancienne sur le pourtour de ce complexe lagunaire.
Le problème difficile à résoudre est l’interprétation de ces textes figés. Quand le tambour parleur abron-gyaman dit « hene naen yè nyame » (le pied du roi est dieu), il faut simplement comprendre que le roi ne va pas n’importe où, il ne quitte le palais que pour des raisons hautement importantes et ne le fait jamais seul. A ce propos, une tradition nzema (Peuple akan vivant dans le Sud-Ouest du Ghana et dans le Sud-Est de la Côte d’Ivoire) veut que quiconque rencontre le roi loin du palais et seul, a le devoir de le ramener même de force s’il le faut [4].L’olifant dit du roi abouré ehivè de Bonona (Côte d’Ivoire) « Je suis ce que je suis, je ne dois à personne ce que je suis » [5]. Cela indique la totale indépendance de la famille royale Ehivèvèlè.
Un texte du tambour de devise (Tchunisini/Kenlenzini) du roi denkyira Ntim Gyahari dit « Je porte des pagnes en soie, je porte des cache-sexes en soie, je me couche sur des couvertures en soie » [6]. Ce roi se vantait d’être riche. Il l’était effectivement, au delà du fait que les Akan donnent au roi le titre de Brempong qui signifie riche par excellence, par principe, même s’il peut ne pas l’être dans les faits. Cette soie était acquise grâce aux échanges avec les compagnies commerciales Européennes.
La pensée des Abron-Gyaman à propos de la guerre est exprimée à travers un texte qui affirme que la guerre est une bonne chose [7]. En effet, ils estiment qu’elle est un moyen par lequel les hommes se montrent courageux. Les rois abron-gyaman étaient donc des rois guerriers et les différentes provinces étaient dirigées par des chefs militaires (asafohene). Les Abron-Gyaman étaient conscients que la guerre a été le moyen par lequel leurs ancêtres ont fondé un royaume, un Etat.
Leur histoire a été jalonnée de nombreuses guerres depuis l’Akwamu en passant par suntireso (Suntreso) en Ashanti, Abanpredease dans le Brong et au Gyaman même. Leur pire ennemi était la redoutable confédération Ashanti. Un texte tambouriné du Bentô grand tambour des Abron-Gyaman dit à ce propos « La guerre ne peut que venir d’Ashanti Kôtôkô. Okofo Datè nous le savons et nous l’avons deviné ». Okofo Datè ou Tan Datè est le roi qui a amené les Abron-Gyaman à Zanzan. Il est considéré comme le premier roi gyaman, précurseur dans la fondation du royaume. Dans le Dôma, un royaume fondé par une fraction des Abron-Gyaman, les textes tambourinés qualifient le roi de grand guerrier qui se tient toujours prêt pour aller au combat [8]. Ils lui ont attribué le titre prestigieux d’Abono Kyempem Duoduokwahene (Les mille boucliers bono, roi semeur de guerriers) un ancien titre des rois Bono.
Le nom tambouriné des Denkyira, peuple qui a dominé le monde akan avant l’érection de la Confédération ashanti se dit « Adawufo Denkyira mene Sono ». C’est-à-dire gens des flèches mortelles, Denkyira qui avalent l’éléphant. Or l’éléphant est un animal qui symbolise le roi chez les Akan. Si les Denkyira avalent l’éléphant, c’est dire qu’ils « avalent » le roi par extension tous les rois des peuples voisins. Les Denkyira se voulaient donc au-dessus de tous les autres royaumes. C’est ce qu’ils vont chercher à réaliser par leur politique hégémonique jusqu’à la défaite de leur roi Ntim Gyakari face aux Ashanti menés par Osei Tutu en 1701.
Quant aux Akyem Abuakwa, leur nom tambouriné se dit amantiré[9], autrement dit ceux qui se tiennent à la tête des peuples. Le grand tambour des Denkyira pour dire que les futurs fondateurs de la confédération ashanti ont été anciennement sous la domination du roi denkyira dit « Kôtôkô som Amposen » (Porc-épic est serviteur du roi Boa Amposen). Le Porc-épic symbolise le peuple Ashanti qui fut sous la domination du roi denkyira Boa Amposem sous le règne de qui le Denkyira a atteint son apogée.
Le tambour Guabra délivre le message à travers lequel le roi du Denkyira invite son peuple dispersé par les tribulations de l’histoire à revenir à lui « vient mon peuple perdu, resté derrière, pris en esclavage, captif de guerre, vous tous revenez à moi ». Or les Denkyira dispersés par les tribulations de l’histoire sont nombreux. Citons pêle-mêle les Baoulé Alanguira, les Agni-Denkyira, les Mansié de l’Abron-Gyaman, les Ashanti de Nkawie, les Nzema d’Awiebo, les Alui Dumnihen, les Ahouan de l’Ano etc. Le tambour de la province Fumassa dans l’Abron-Gyaman dit « Moi je suis Fumassa, je suis poudre à canon, je suis pierre à feu, je viens de Juaben ». Ce texte indique le rôle militaire et l’origine ashanti-Juaben des Fumassa.
Dans le monde akan, l’une des façons de faire directement appel à la cour de justice du roi était de prononcer publiquement le grand jurement du royaume. Examinons à présent le jurement comme moyen de conservation de la mémoire collective et source orale qui condense des pans entiers des épisodes tragiques et douloureux du passé des peuples Akan.

2.Les jurements dans le monde akan : un résumé de l’histoire tragique
Le jurement (Ntam/Ndaa/Ndane) tel que nommé dans les langues akan rappelle un évènement historique douloureux. Il est prononcé devant le peuple et les dignitaires par tout roi nouvellement intronisé qui alors s’engage à diriger le pays conformément aux coutumes établies par les ancêtres. En outre, le prononcer revient à faire appel au tribunal du roi. Celui qui l’a prononcé à tort est passible de la peine capitale.
Nous allons citer des jurements de royaumes et chefferies en indiquant les évènements historiques qui les ont fait naître. Dans le Sanvi, royaume akan (Sud-Est de la Côte d’Ivoire), le grand jurement se dit «Me ka foué, me ka alaka nsan, me ka Adahou» (je jure par samedi, je jure par les trois cercueils, je jure par la localité d’Adahou,).Ce jurement rappelle la mort un samedi de trois membres du lignage royal Oyôkôfoè à Adahou, village où vivent les bourreaux qui ont la charge d’inhumer les rois du Sanvi.
Le jurement des Nzema qui dépendent de l’autorité du roi de Benyinli se dit « Me ka Bia anloanu, me ka Klindjabo ». Il rappelle la guerre civile qui a opposé Ama Ekyi, leader des Nzema Ouest à Avo puis au frère de celui-ci, leaders des Nzema Est pour le contrôle de tout le pays Nzema. Au moment où Ama Ekyi et certains de ses partisans allaient en pirogues se réfugier à Krindjabo, ils ont essuyé les tirs des guerriers agni sanvi postés sur les deux rives de l’embouchure de la Bia. De nombreux partisans d’Ama Ekyi sont morts. En outre, l’accueil des Sanvi à Krindjabo n’a pas été chaleureux pour Ama Ekyi et les siens à cause des guerres récentes du roi nzema Kakou Aka contre le Sanvi.
Le jurement des Nzema qui dépendent de l’autorité du roi d’Adoanbo se dit « Me ka Ehane nu ». Il rappelle un autre épisode de la guerre civile qui a opposé les Nzema entre 1868 et 1874. En effet, les partisans de Bilé se sont refugiés à l’intérieur d’une forteresse faite avec des végétaux le long du fleuve Amanzule. Là, ils ont souffert de faim et de soif[10].
Le grand jurement des Eotilé qui vivent sur les pourtours du complexe lagunaire Aby-Tendo-Ehy est « Me ka Efiè ». il évoque la guerre perdue face aux envahisseurs Agni Brafè autour de 1754. Des Eotilé ont fui leur pays. Certains se sont installés à Bétimono (Vitré I, Vitré II), à Impérié (Bonoua) et en pays Aïzi. D’autres sont allés à Nzulezo en pays nzema. Ceux qui sont restés à Efiè (zone près d’Alonguanu en zone actuelle des Nzema Aduvolè) ont subi des attaques constantes aussi bien des Agni Brafè que des Nzema jusqu’à ce qu’ils acceptent de se placer sous l’autorité du roi des Agni Sanvi, Amon Ndufu Kpanyi[11].
Le grand jurement du royaume abron-gyaman se dit « Me ka Kpon, me ka Tain » (Je jure par Kong, je jure par Tain). Il rappelle deux évènements douloureux de l’histoire de ce royaume. Jurer sur Kong fait mémoire de la défaite du roi abron Abo Miri en 1740 face au roi des Ashanti Opoku Ware. La famille royale et de nombreux gyaman ont dû se refugier à Kong. Humiliation suprême, les guerriers ashanti ont emporté la tête tranchée du roi Abo Miri. « Me ka Tain » fait mémoire de la défaite du roi abron gyaman Adingra kuma face au roi ashanti Osei Bonsu en 1818. La débâcle des guerriers abron a eu lieu sur les bords de la rivière Tain [12].
Nkoranza, un royaume du Brong Est a trois grands jurements liés aux mêmes évènements. Le premier est « Bo akyi » (L’arrière du rocher). Le second est « Afo tabire a osi nsuo ani » (objets noirs à la surface de l’eau). Le troisième est « Ntoa Nsuomu » (Ntoa dans la rivière). Ces jurements concernent la guerre du roi de Nkoranza Guakoro Effa Panyi contre le royaume de Banda qui a obtenu le soutien militaire de Wenchi et de Nsoko sur ordre du roi ashanti. Guakoro Effa Panyi est mort à la suite de la bataille décisive qui a eu lieu derrière un rocher. Le fleuve Volta Noire a failli emporter les objets du culte du génie tutélaire des Nkoranza à savoir le Ntoa qui y sont tombés. Ces événements datent de 1830 [13].
Le jurement du royaume Eguafo dont dépendait anciennement El Mina (Edena)est « Abo Takyi Ebenada » (Le mardi d’Abo Takyi). Ce roi eguafo est parti un jour de mardi pour un lieu d’où il n’est jamais revenu [14]. Ce roi a probablement été fait prisonnier quand il s’est rendu à Cape Coast puis assassiné par les Anglais qui lui reprochaient d’avoir renoué ses relations avec les Hollandais[15] . Ces événements se sont déroulés pendant la première moitié du XVIIème siècle.
Au début du XVIIIème siècle, les Adanse craignant une attaque des Ashanti du roi Osei Tutu parce qu’ils avaient refusé d’entrer dans la coalition de celui-ci contre le Denkyira se sont refugiés sur les collines des terres akyem. Opoku Ware, successeur d’Osei Tutu et deuxième Asantehene (roi des Ashanti) permettra leur retour au pays. Ces événements sont rappelés par le jurement « Me ka Bonsam nsuo ni » (Je jure par le génie Bonsam à la surface de l’eau, entendre à la surface du fleuve Pra). En effet, les Adanse ont dû franchir le fleuve Pra à leur allez comme à leur retour. Chaque fois, ils avaient avec eux des objets témoins de leur deuxième génie tutélaire appelé Bonsam. Le premier génie tutélaire était Bona.
Le jurement des Etsi de l’Assen dit « Me ka Otiman Benada » (Je jure par le peuple Etsi et par mardi)[16] . Ce jurement fait référence à la défaite des Etsi, premier peuple autochtone du littoral fante face aux Borbor Fante et le refuge d’une fraction de ceux-ci au Nord du fleuve Pra. Ces évènements peuvent être situés au XIIème siècle, période du peuplement Borbor fante suite à des migrations partis du Bono, principalement de la région de Takyiman.
Le Denkyira possède plusieurs grands jurements. Le premier et le plus grand est « Me ka Fiada, ka Denkyira Man » (Je jure par vendredi et par le peuple Denkyira). Ce jurement rappelle la défaite du Denkyira dirigé alors par le roi Ntim Gyakari face aux coalisés Ashanti dirigés par Osei Tutu. Ce fut un vendredi de l’an 1701 après trois ans d’affrontements. Le jurement « Me ka Denkyira berèso » (Je jure par l’époque glorieuse du Denkyira) est le second grand jurement des Denkyira. Il rappelle avec nostalgie la période pendant la quelle le Denkyira dominait le monde akan.
Le troisième grand jurement du Denkyira se dit « Owusu Bore bunu » (L’abîme d’Owusu Bore). Owusu Bore est le roi denkyira qui a pris part en 1730 aux côtés des Akyem à la guerre contre l’Akwamu. Il perdit pendant les combats des objets importants liés aux insignes du pouvoir royal chez les Denkyira. Le grand jurement du royaume ahanta est « Monle Bolo » (Larmes du Dimanche). Cela est lié à l’expédition menée en 1838 par les Hollandais contre l’Ahanta. Le roi Badu Bonso et plusieurs chefs de l’Ahanta seront pris et pendus [17].
Le grand jurement des Ashanti se dit « Me ka ntam Kese miensa » (Je jure par les trois grands jurements). Ce jurement résume trois évènements tragiques de l’histoire des Ashanti à savoir la mort d’Osei Tutu en 1717 pendant les combats contre l’Akyem. Son corps a été emporté pour toujours par les eaux du Pra. Aussi la coutume veut-elle que le roi des Ashanti ne regarde pas les eaux de ce fleuve. Le deuxième évènement lié à ce jurement est l’attaque du pays et de sa capitale Kumassi en 1718 par des guerriers Aowin (Agni) conduits par le chef guerrier Ebiri Moro (Abele Emolo). Durant cette expédition, Nyanko Kosiamoa, la mère d’Opoku Ware a été tuée. Les Aowin firent captifs des milliers d’Ashanti principalement des femmes et des enfants.
C’est à la suite de cet évènement tragique que les Ashanti vont mettre en place l’arrière-garde de l’armée (Kyidom/Ankobia) pour veiller sur le pays et la capitale quand ses armées sont en campagne. Le troisième événement douloureux lié au grand jurement des Ashanti est la grande défaite militaire de 1874 face aux armées coalisées des royaumes et chefferies de la Gold Coast soutenues par les Anglais. Kumassi sera pillée et incendiée. Cette défaite des Ashanti aura un énorme retentissement dans l’ensemble du monde akan. Des troubles et des instabilités au sein même de la confédération ashanti vont surgir jusqu’au retour d’exil de l’Asantehene Prempeh.
A côté des textes tambourinés et des jurements, il y a d’autres textes figés comme des devises, des proverbes, des dictons, des maximes, des chants à caractère historique et un langage symbolique qui sont des sources très utiles de l’histoire des peuples Akan.

3. Les autres textes figés : dictons, devises, chants historiques, textes des pleureuses

Un dicton nzema dit « Si Agyili se rend à Assinie-Mafia, ne lui demande pas de t’apporter du tabac » [18]. Agyili Peter qui fut chef de Mafia (Assinie-Mafia) était un courtier auprès des compagnies commerciales européennes opérant à Assinie et était lui-même un consommateur assidu de tabac. Il avait toujours ce produit à disposition et comme courtier en vendait. Ce personnage a vécu au début du XIXème siècle. Comme on le voit ici, un simple dicton révèle un pan de l’histoire commerciale d’Assinie-Mafia avec les Européens ainsi que le rôle d’un chef local comme grand courtier.

Deux dictons répandus dans l’ensemble du monde akan et particulièrement en Ashanti affirment « Là où le siège n’est pas, le roi ne peut être » (Akonua ni hoa, ohene ni ho). « Le roi meurt, le siège ne meurt pas » (Ohene wu a, akonua en wu). Ces dictons font comprendre que l’essence du pouvoir royal chez les Akan est d’abord et avant tout le siège des ancêtres. La personne du roi n’est qu’une incarnation et un serviteur du siège des ancêtres.
Un dicton agni sanvi dit « Même le roi Karikari on lui parle » (Blemgbi Kalikali bôbô bê ka y nyunlu djolè). Ce dicton rappelle un aspect de l’histoire des relations entre le Sanvi, l’Ashanti et le Nzema. En effet, durant la guerre civile des Nzema entre 1868 et 1874, le roi Ama Ekyi des Nzema Ouest s’est refugié à Krindjabo. Ce fut précisément en 1870. Le roi des Ashanti Kofi Karikari auprès de qui il a envoyé son ambassadeur Bèfiènza pour avoir son soutien dans la guerre contre Avo le roi des Nzema Est, lui donne une réponse favorable. Kofi Karikari à son tour dépêche son ambassadeur Akyeampong à la cour du roi agni sanvi Amon Ndufu Kutua (Amon Ndufu II). Il exige que son ami le roi Ama Ekyi soit traité avec tous les égards dû à son rang. Ce dicton agni sanvi rappelle la réponse du roi Amon Ndufu Kutua qui signifiait à l’ambassadeur ashanti qu’il était libre d’agir comme il voulait car il était le monarque d’un royaume souverain. Et que cela soit transmis au roi Kofi Karikari.
Une chanson de guerre ayant un caractère historique dans le Sanvi proclame « Avec quoi construit-on un pays, un royaume ? C’est avec le fusil, nous l’avons fait avec des fusils . Cette chanson résume l’histoire de l’érection du royaume Sanvi. En effet, ce royaume est né après des conquêtes militaires grâce aux fusils de traite acquis sur la côte auprès des européens. Les Agni Brafè noyau fondateur du Sanvi ont conquis les territoires des Agoua, des Eotilé et des Essuma.
Les textes qui servent à pleurer les membres des sept matriclans chez les Nzema sont des sources orales fiables car ils ne s’altèrent pas. Ces textes pour chaque matriclan révèlent des pans de leur histoire, donne des noms d’ancêtres et exposent des péripéties vécues par ces ancêtres là [20] . Ainsi, les membres du matriclan Ezohile/Asona ont découvert la culture du riz et ont apprivoisé le chat.
Les membres du matriclan Nvavile/Agona/Anona ont découvert la culture du maïs, crée le grand tambour (Edomgbole) et institué l’Abissa/Kundum une institution qui marque l’année nouvelle et donne une vigueur renouvelée au pouvoir royal à travers les critiques rituelles. Les Mafolè/Asamankoma/Bretuo, Asenee/twidan ont découvert l’or. Le palmier raphia et la calebasse ont été découvert par les membres du clan Alonwoba/Oyôkô. Les ancêtres de ce matriclan se déplaçaient beaucoup d’où leur surnom de Kolanwonlama (Nomades). Ils extrayaient le vin du palmier raphia d’où leur surnom Nzankanvoma (tireurs de vin).
Le surnom donné aux membres du matriclan Anzanwule/Asokore/Kona à savoir pleureurs (Awolèyelèma) à lui seul rappelle un épisode important de l’histoire de ce matriclan. Désirant se cacher au cours d’une guerre, ils avaient cependant avec eux un coq dont le chant a révélé leur cachette, les exposant aux attaques des ennemis. Les survivants de ce clan ont dû leur salut aux habitants de Moho, bien qu’au cours de la bataille cette cité fut détruite [21]. Les Azanwule ont découvert la culture de l’igname.
On se rend compte que l’onomastique est d’un grand secours pour éclairer certains faits historiques tirés de ces textes figés. En effet, le matriclan Ndweafo/Aduana/Abrade/Ahua qui a découvert le feu et apprivoisé le chien a deux composantes, à savoir Manhile et Azawua. Chez les Agni, ce matriclan forme les sous-groupes Ahua et Sawua. Chez les locuteurs du twi, il s’agit respectivement des Aduana et des Abrade. Dans le nom Aduana, l’on retrouve le terme Adua/Alua/Ahua qui sert à nommer le chien.
Le matriclan Adahonle/Odako/Asakyiri a découvert la graine de palme, le piment et le taro et révélé leurs vertues nutritives. C’est à travers les pleurs rituels des pleureuses et des textes dits dans leurs pleurs que l’on peut reconnaître les matriclans des différents Nvilié (matriclans exogamiques chez les Agni) (Bilé Ekyi, instituteur à la retraite. Adiaké. Côte d’Ivoire. Juin 2009). A ce propos, le nom Asekyere qualifié de nom fort du roi des Agni Ndenian (Région d’Abengourou, Côte d’Ivoire) et qu’une femme prononce à l’oreille du cadavre de celui-ci, lui indique en réalité son matriclan afin que son âme retrouve aisément ses ancêtres dans l’au-délà. Asakyere n’est autre que le matriclan nommé Asakyiri ou Odako chez les Ashanti et les autres locuteurs du twi.
Certaines attitudes sociales chez les Akan sont un langage vivant qui témoigne de faits passés et lointains. En effet, quand les Agni-Denkyira d’Assakro dont le lignage royal se réclame d’Amia Panyi un descendant de Ntim Gyakari ancien roi du Denkyira arrivent dans les villages ahua, ils refusent de payer le vin de palme qu’ils consomment[22] . La légende sous forme de récit dit que le matriclan Agona est à l’origine de la découverte des vertues nutritives de ce végétal. Chez les locuteurs du twi, le palmier est le symbole des Agona. Or la famille royale denkyira est du matriclan Agona de même sans doute Amia Panyi. D’où l’attitude des Agni-Denkyira.
De même, le lignage dirigeant des Agni Djuablen (Région d’Agnibilékro, Côte d’ivoire)issu de celui de Dadièsso dans le Suamara est Oyôkô de sorte que leurs ancêtres se sont beaucoup livrés à la culture du palmier à huile raphia sur le territoire occupé ensuite par les Agni Bona (Région de Koun-Fao, Côte d’Ivoire). Cette plante est le symbole de leur matriclan comme l’indique le récit et la légende sur le matriclan Alonwoba tel que nommé chez les Nzema.
Un agni djuablen peut donc boire le vin de palmier raphia dans les villages agni bona sans bourse déliée. Il peut se permettre d’arracher des mains même d’un vieillard respectable le gobelet de vin de palmier raphia pour en boire le contenu tout simplement parce que c’est un bien découvert par ses aïeux. Cela lui est concédé et nul ne trouverait à rédire devant un tel geste apparemment indélicat [23].
L’habitude que les Agni, les Bono et les Abouré ont de désigner des matriclans et des matrilignages par les noms des sites géographiques occupés par leurs ancêtres à travers l’histoire permet de retrouver aisément leurs origines géographiques et même de suivre leurs différentes phases de peuplements. Ainsi, le clan Bessefoè du Ndenian vient de Bessekumann dans l’Asahié (Sefwi). Le clan Adukulofoè de l’Agni Sanvi vient d’Adukulo dans l’Ebrossa. Le clan Simanfoè dans l’Agni Sanvi vient de Siman au Nord de Krindjabo. Le clan Adjèkèpoè dans l’Abouré vient d’Adiaké sur les rives de la lagune Aby. Le clan Assokôpoè dans l’Abouré est originaire de l’île d’Assôkô-Monobaha en pays éotilé (Région d’Adiaké, Côte d’Ivoire).
Un dicton baoulé dit « tant qu’il y a des nobles, les captifs ne peuvent hériter » (Sè ba wieman,Kanga dia adja)[24] . Cela indique que les utérins dans la succession avaient une position de préséance par rapport aux agnats dans l’accession à l’héritage des biens familiaux. Les nobles (Dihiè/Ba/Liewa) avaient toutes prérogatives. Ce dicton indique également que chez les Akan, l’individu se situe par rapport à son lignage et à son statut à l’intérieur de celui-ci. Soit il est noble, c’est-à-dire descendant en ligne matrilinéaire des fondateurs du lignage, soit il est esclave (Donko/Kanga),soit il est descendant d’esclave (Abuluwa/Kyèlèzo/Kangaba/Donkoba).
De sorte qu’il est interdit de révéler publiquement les origines d’autrui surtout si l’on n’est pas membre de son matrilignage. Cette règle chez les Ashanti se voit à travers le dicton suivant « Obi nkyèrè obi ase » (Que nul ne révèle les origines d’autrui). Vu que les personnes d’ascendance servile étaient intégrées au sein des lignages [25]. Chez les Akan, il y avait tout un langage symbolique, très expressif, révélant parfois des faits sociaux, voire historiques. Certains objets indiquaient le rang social. Une peau de panthère, des parties du canard suspendues à l’entrée d’une concession indiquaient chez les Agni Bona qu’un chef important venait de décéder. L’exhibition de certaines parties d’animaux indiquaient le rang social de celui qui les arborait. Ainsi la peau de panthère, la queue, les oreilles et les défenses de l’éléphant étaient l’apanage des lignages dirigeants et faisaient partie des biens de prestige étalés pendant les fêtes et les funérailles pour entretenir le capital d’honneur et de considération [26].
Les chefs, rois et personnages importants ont des tambours de devises, hamacs, olifants, cannes d’autorité et d’autres objets témoins de leur pouvoir ou de celui de leurs ancêtres. Chez les Akyé, seuls les lignages dirigeants avaient le droit de sortir leurs sièges ancestraux et d’avoir des cases avec des mâts sculptés glorifiant les hauts faits de leurs ancêtres. Même au sein des lignages dirigeants, certains avaient des privilèges que d’autres n’avaient pas. Comme celui de posséder un grand tambour, de confectionner un siège en métal l’argent ou en feuilles d’argent (privilège du lignage dirigeant d’Ashanti-Mampong), de confectionner un siège en or ou en feuilles d’or (privilège réservé à la seule famille royale de l’Ashanti), d’avoir un hamac, un parasol etc.
La devise dans le monde akan était l’apanage des dignitaires. Seuls les rois, chefs et nobles dansaient au son du grand tambour. Dans l’Abron-Gyaman, la danse au son du grand tambour révélait des faits sociaux, voire des tranches d’histoire. Quand le roi en dansant fait de grandes parades, il indique qu’après Dieu et les ancêtres, il est le détenteur du pouvoir dans le royaume. Qu’il avait droit de vie et de mort sur ses sujets, mais que c’est seul la tête de l’esclave qui doit être tranchée [27].
La devise de la province Akyidom dans l’Abron-Gyaman clamait le privilège des nobles en disant « On ne tue pas un prince étranger, on ne vend pas un prince étranger. Quant à l’esclave, on lui tranche la tête »[28] . La pensée abron ainsi semble reconnaître l’universalité de la noblesse et du sort tragique réservé à l’esclave. Etre noble donne des privilèges, mais implique des responsabilités. Un adage akan dit à propos du devoir du noble « Si le noble ne se bat pas lui-même, les serviteurs prennent la fuite » (Sè Odehiè an Kon a, akoa djuane).
C’est pourquoi dans les temps anciens, l’avant-garde de l’armée était composée des membres du matriclan royal. Exemple l’Agonadontendom (avant-garde des Agona) dans le royaume denkyira. Ainsi les bâtisseurs de royaumes et d’Etats dans le monde akan comme Osei Tutu prenaient le risque d’être au plus près du front. D’où la mort d’Osei Tutu pendant la guerre contre l’Akyem en 1717 et son corps emporté par les eaux du fleuve Pra. Un rituel respecté encore aujourd’hui par les rois ashanti, consiste pour eux d’éviter de regarder les eaux du Pra, fleuve qui a gardé pour toujours la dépouille de leur glorieux ancêtre. C’est un rituel qui révèle un fait historique.
Dans l’Aïzi (Région de la lagune ébrié, Côte d’Ivoire) le patriarche, le chef de lignage et tout détenteur d’autorité est à l’image du tambour, aussi est-il appelé « Tanku Kpasa » alors que le tambour se dit « tanku » [29]. L’on voit ici l’importance du tambour comme attribut du pouvoir comme cela existe chez les autres Akan. Notamment les tambours d’Etat. Autre objet témoin de l’histoire et exprimant un langage symbolique est le trésor (Sanaa/Dja) pour l’usage de la poudre d’or, monnaie des Akan. Un dicton abouré dit au sujet du pauvre et à propos de la notion de pauvreté « Awune, me voici couché à terre, me voici à même le sol. Awune me voici dans une piteuse situation » [30].
Etre pauvre mène à la perte de toute dignité, « à être à même le sol ». Etre pauvre est humiliant et peut conduire à être mis en gage (awoba) si l’on est incapable de rembourser sa dette et même si l’on est noble (Dihiè). Par contre, l’esclave devenu riche même s’il demeure dans les liens de la captivité devient digne de respect parce que sa fortune contribue à la puissance du lignage de son maître dont il est lui-même membre.
Tous les peuples Akan célèbrent les festivités qui ont pour but de remercier les ancêtres et les honorer. Ces festivités révélaient des pans entiers de l’histoire qui étaient comme actualisés. Ainsi pendant la célébration du Kundum par les Nzema, Evaloè (Gens d’Axim, Ghana) et les Ahanta (Gens de la région de Sekondi-Takoradi, Ghana) est rappelé l’ascendance des sept matriclans, leurs attributs et titres de noblesse.
Les festivités annuelles en l’honneur des ancêtres sont appelées Odwira en Ashanti et sont appelées Ohum en Akyem. Ces festivités sont plus connues sous le nom de fête des ignames. La nouvelle igname n’est pas consommée avant l’offrande aux mânes des ancêtres (D.G.CORSEY. 1965. p.50). La fête des ignames chez les Adjoukrou (Peuple akan lagunaire de la région de Dabou, Côte d’Ivoire) est appelée Kpôl et le rite pour honorer les mânes ancestraux est le Makpegn-ob. A cette occasion, des chants historiques qui racontent le passé des lignages et leurs origines sont exécutés. Ce type de chant est appelé Sèlu [31]. Chez les locuteurs du Twi, il est connu sous le nom de Kwadwom. A l’intérieur du Sèlu, les chants qui rappellent les événements tristes et tragiques de l’histoire sont appelés Adja. C’est dire que les festivités qui marquent l’année nouvelle chez les Akan sont des moments forts où l’on peut recueillir des informations capitales sur leur passé.
D’après T.E. Bowdich, le soir du samedi de la célébration du « yam custom » (Fête des ignames) en Ashanti, le roi reçoit les chefs. On lui présente des crânes de chefs ennemis vaincus et plusieurs esclaves sont immolés à Bantaman en l’honneur des rois ashanti défunts[32] . La célébration de la fête des ignames apparaît comme une pièce vivante reproduisant ou rappelant des faits historiques précis. Ici la tradition orale plus que parlée est jouée, vécue à nouveau par des générations d’une période postérieure.
Chez les Brong du Dôma, le roi pendant la célébration de la fête des ignames un jeudi se tient devant la case des sièges. Quatre têtes de chefs ennemis vaincus par ses ancêtres sont posées devant lui et sur lesquelles il pose les pieds [33]. Les pèpèsa de Simpa ( peuple du Sud-Ouest du Ghana) célèbrent le Tafe qui consiste à exhiber des trophées de guerre rapportés par leurs ancêtres [34].
L’univers des symboles et de leur langage chez les Akan est vaste. Les objets témoins de l’histoire comme les sièges d’ancêtres, tambours, olifants, cors d’appel, chasse-mouches, clochettes, petits gongs, mâts sculpté, sabres, parties d’éléphants, panthères, crocodiles, poissons scie, baleines, singes etc sont autant de symboles et de langages qui parlent de l’homme de pouvoir.
Quand le tambour Mini (tambour mère) est joué pendant les funérailles chez les Akyé, chaque danseur fait des gestes qui parlent. Chacun danse sa situation sociale et révèle ses origines. Toujours chez les Akyé et bien d’autres Akan lagunaires de Côte d’Ivoire, le chapeau du chef guerrier peut être en peau de panthère, symbole de force ou en peau de singe symbole d’agilité [35]. Comme pour dire que la force et la faiblesse se côtoient sans cesse. Elles se complètent pour construire un équilibre créateur. A ce propos, un dicton abouré dit « L’éléphant pose le pas, la biche pose le pas »[36] .
Il est interdit au roi des Agni Ndenian de voir l’œuf du perroquet car cet objet est symbole de mort pour lui. Comment peut-on expliquer ce langage symbolique ? Il trouve son explication dans l’histoire. En effet, la famille royale du Ndénian à savoir la famille Anikle auparavant avait des ancêtres qui servaient les rois du Denkyira comme portes-canne (kpomafoè) et portes-parole (kyeame). Envoyés par le roi Ntim Gyakari du Denkyira pour demander au roi des Aowin Ano Asema de lui fournir des troupes auxiliaires pour faire face à l’offensive des Ashanti d’Osei Tutu, ceux-ci n’ont pas réussi leur mission. Ayant échoué, ils se sont laissés convaincre par Ano Asema qui les invitait à rompre avec le roi du Denkyira et à s’établir dans son royaume.
Or le perroquet est un symbole du matriclan Agona, celui de la famille royale du Denkyira. Bref cette coutume rappelle la rupture des Anikle avec le royaume denkyira et le reniement de leur allégeance au roi des denkyira pour une nouvelle allégeance du roi Ano Asema de l’Aowin. Le Sanaa/Dja qui contient les « poids-monnaie » akan à peser l’or par les pièces qui le compose est en soi un véritable document d’histoire. En effet, les connaissances des anciens akan étaient consignées dans le Sanaa/Dja [37]. Grâce à l’observation du Sanaa/Dja, l’on sait que les anciens Akan connaissaient la croix à crochets ou croix ansée ou encore croix gammée appelée Swastika en Inde. Elle était représentée sous la forme de deux crocodiles croisés à savoir Dindje/Blafou.
Grâce au Sanaa/Dja, l’on sait que les anciens Akan connaissaient la pyramide. En effet, la pyramide appelée Sumpi pour les Akan est dans le Sanaa/Dja. Elle est symbole de la royauté et ses sept degrés représentent les sept matriclans. Le Sanaa/Dja se présente donc comme la somme condensée du vécu et du connu des Akan. Il est le livre des anciens Akan et se présente finalement comme une fenêtre ouverte sur leur lointain passé .
Les figurines du Sanaa/Dja révèlent des récits, des croyances, des préceptes de vie, des pensées, des symboles, bref toute une connaissance dont le décryptage des pièces et figurines doit être poursuivi par des chercheurs après le travail monumental du très regretté professeur Georges Niangoran-Bouah. Ainsi l’on voit que l’institution du Sanaa/Dja est une alternative qui peut pallier aux non-dits de la tradition orale et venir au secours des oublies des gardiens de la tradition orale.
Le Sanaa/Dja royal ou grand Sanaa/Dja (Sanaa Kese/Dja Pli) symbolise le pouvoir financier du roi. Ses pièces sont donc de grand format pour estimer la poudre d’or, les impôts, tributs, amendes et achats importants. Le grand Sanaa/Dja permet l’indépendance financière du roi car dans l’idéologie des Akan, les emprunts créent des liens de dépendances vis-à-vis du créancier et limitent la liberté des initiatives politiques. Bref, être endetté fait perdre sa liberté et son indépendance [39]. Cette idée des anciens Akan peut aider les pays africains actuels. Ils peuvent se constituer un trésor en or (un stock d’or) pour assurer leur indépendance financière car il y a un peu partout en Afrique des mines d’or, voire même des gisements d’or.
Les paroles pour exprimer la réflexion doivent pour les Akan être exposées suivant des nœuds donc des points de conceptualisation d’où l’usage des proverbes. Or les proverbes sont parfois révélateurs du passé de la vie des peuples Akan. Les points de conceptualisation (Nyansanpô), les proverbes (Ahindra/Ebè), les maximes, les dictons sont des textes figés qui informent et révèlent des pans entiers du passé des peuples en général et des Akan en particulier.
Un proverbe agni sanvi dit « Si le roi convoque le porc-épic à Krindjabo, le hérisson ne peut pas dire qu’il n’est pas concerné ». Ainsi les figurines qui représentent le porc-épic (Kôtôkô) et le hérisson (Ekpinzè) indiquent que ce qui arrive à un membre du matrilignage touche tous les membres car ils sont parents tout comme ces deux animaux sont de même espèce. C’est pourquoi dans l’organisation politique du Sanvi, deux provinces importantes l’Afema et l’Ahiaa furent placée sous la direction de proches parents du roi.

4.Conclusion générale
La tradition orale est vraiment une source vivante de l’histoire des peuples [40]. Jan VANSINA, concernant les données orales met l’accent sur les témoignages oculaires et les témoignages auriculaires [41]. Bien plus, chez les Akan, elle a des textes figés dont la fiabilité est proche de celle des sources écrites. Ainsi, les textes tambourinés, les jurements, les proverbes, les dictons, les maximes, les chants à caractère historiques, le langage symbolique traversent l’épreuve du temps sans s’altérer.
En outre, ces textes sont de véritables sources historiques. Les historiens devraient songer à les utiliser plus souvent comme complément de la tradition orale transmise par les gardiens de la mémoire collective. La tradition orale peut toujours transmettre l’essentiel des faits historiques des peuples d’Afrique et cela n’est pas négligeable. Par contre, ce qu’elle ne pourra jamais faire, c’est de fournir des données qui permettent d’établir une chronologie précise des faits historiques. Elle ne peut permettre qu’une chronologie approximative.
Mais cela n’est pas une raison pour rejeter cette source inestimable de l’histoire des peuples d’Afrique comme l’on fait certains de ses détracteurs. Les textes figés des traditions akan prouvent que les traditions orales ont des ressources insoupçonnées qu’il faut chercher à creuser. D’ailleurs quand des enquêtes policières, sénatoriales, parlementaires, judiciaires sont menées et que les enquêteurs interrogent des témoins probables, n’est-ce pas déjà cela la quête de la source orale ?

Sources et bibliographie
Sources orales : informateurs
ANANDA Agnini, planteur à Ewèssèbo. Sous-préfecture de Tiapoum. Côte d’Ivoire. Février 2009.
BILE Ekyi, instituteur à la retraite. Adiaké. Côte d’Ivoire. Juin 2009.

Sources orales imprimées

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Sources écrites
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OUVRAGES GENERAUX
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Thèses et mémoires
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Articles de revues
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LOUCOU J.N.,1985, « Note sur l’Etat baoulé précolonial» Annales de l’Université d’Abidjan. Serie I. Histoire. Tome XIII. pp.27-59.
GOODY J. ; BOATENG C.Y.,1965: « The history and traditions of Nkoranza » Research Review. Supplementn°1 december. pp.170-185.

[1] G. NIANGORAN-BOUAH, 1981, Introduction à la drummologie, Abidjan, Université Nationale de Côte d’Ivoire. Institut d’Ethno-Sociologie (IES). Collection Sankofa, éditée par GNB. 199p.,p.19.

[2] G. NIANGORAN-BOUAH. 1981, Op. Cit., p.21

[3] René Kouamé ALLOU, Histoire des peuples de civilisation Akan. Des origines à 1874. Thèse pour le Doctorat d’Etat, S.H.S, Université de Cocody-Abidjan, ., 2002,Tome I, 1515p, p.383.
[4] Amihere ESSUAH. 1962, Mekakye bie III, Catholic mission press. 220p., p.19.
[5] Albert ABLE. 1978, Histoire et tradition politique du pays abouré. Imprimerie Nationale. Abidjan . Dépôt Légal n°935. 19 février, 439p., p.224.
[6] G.NIANGORAN-BOUAH 1981, Op. Cit., p.72.
[7]Ibidem.
[8] S.K. OWUSUH. 1976. Oral traditions of Dorma. I.A.S University of Ghana-Legon, January, 81p., p.50 et suivantes
[9] J.M. SARBAH 1968., Fanti national constitution. Frank Cass and Co LTD.London 273p. First edition 1906.,p.15.
[10] Amihere ESSUAH. 1962.Op. Cit., p.30 et suivantes
[11]H. DIABATE. 1984, Le Sannvin un royaume akan de la Côte d’Ivoire 1701-1901. Thèse pour le Doctorat d’Etat. Université de Paris I. UER d’Histoire. Octobre, Vol IV. 733p.
[12] Emmanuel TERRAY. 1984, Une histoire du royaume Abron du Gyaman. Des origines à la conquête coloniale. Thèse pour le Doctorat d’Etat. Université de Paris V. Tome 1. 361p. Tome 2. 836p. Tome 1. Tome 2.
[13]J. GOODY and C.Y. BOATENG. 1965, « The history and traditions of Nkoranza » Research Review. Supplementn°1 december, pp.170-185, p.178.
[14]J.K. FYNN. 1974, Oral traditions of Fante states N°2. Eguafo. I.A.S.University of Ghana-Legon. September p.3.
[15]W.W. CLARIDGE. 1964, A history of the Gold Coast and Ashanti from the earliest times to the commencement of the twentieth century. Volume one. Frank Caszs and Co LTD. London, 649p., p.153.
[16] K.Y. DAAKU. 1967, Unesco research project an oral tradition. Assin-Twifo. Institute of African Studies (I.A.S). University of Ghana Legon, p.2 et suivantes
[17]Amihere ESSUAH. 1959, Mekakye bie II ,Catholic mission press, 225p.,p.20.) (F. SWANZY. 1850, Narrative of the expedition to Apollonia from Cape Coast Castle in 1848. From the United Service Magazine of may-june, Co 96/27,p.8.
[18]Rapporté par Ananda Agnini planteur à Ewèssèbo. Sous-préfecture de Tiapoum. Côte d’Ivoire.Février 2009
[19]H. DIABATE. 1984,Op. Cit., p.432.
[20]P.K.K. QUARM. 1982, Ezunle nu awoleyele. University of Ghana-Legon, 40p., p.24 et suivantes ) ( F.K. EBOYI-ANZA. 1979 Benlea Maamela. Bureau of Ghana langauages. Accra, 63p.,p.47 et suivantes)
[21](P.K.K. QUARM. Idem, p.30.) (F.K. EBOYI-ANZA. Idem, p.42.)
[22] C.H.PERROT.1984, Les Agni Ndenye et le pouvoir politique aux XVIIIème et XIXème siècles. Université de Paris V. Doctorat d’Etat tome 1. 1978. 474p., p.117.
[23] [23]Idem,p.706.
[24]J.N. LOUCOU. 1985, « Note sur l’Etat baoulé précolonial» Annales de l’Université d’Abidjan. Serie I. Histoire, Tome XIII. pp.27-59, p.34.
[25]N. KLEIN. 1975, « The two asantes competing interpretations of « slavery » in Akan-Asante culture and society » Research Review Vol 12 n°1., p.38 ; 39
[26]J.P. ESCHLIMAN 1985, « Lorsque l’homme sème la mort chez l’animal et les végétaux » Kasa Bya Kasa n°6, pp.75-122, p.78.
[27]K.BINI 1983, L’idéologie politique des Abron à travers les tchunissini (tambours de devise). Mémoire de maîtrise. UNCI. FLASH Sociologie. Abidjan, juin, 98p., p.50.
[28]K. BINI 1992, Les Abron-Gyaman à travers leurs instruments de musique. Thèse de 3è cycle. Ethno-Drummologie. UNCI. FLASH IES., 404p.,p.130
[29]G. HERAULT 1971, L’Aïzi. Esquisse phonologique et enquête lexicale. Documents linguistiques. Institut de Lingustique Appliquée (ILA). Université d’Abidjan, p.54.
[30]G. NIANGORAN-BOUAH. 1984.Op. Cit., p.25 ; 26
[31]A. B. LATH 1982, L’Amida. Genre lyrique chantée des Adioukrou de la région de Dabou (Côte d’Ivoire). Mémoire d’Ethnomusicologie. Université François Rabelais. UER des Sciences de l’Homme. Juin,188p., p.27.
[32] T.E. BOWDICH. 1966, Mission from Cape Coast Castle to Ashantee. Third edition. Frank Cass and Co LTD, 512p. First edition 1819., p.239 ; 274 ; 275
[33]E.S.K.OWUSU 1976, Op. Cit., p.45
[34]K.Y. DAAKU 1974, Op. Cit., p.42
[35]I.Y.YAO 1982, Le Fokwè musique et classe d’âge en pays akyé (Côte d’Ivoire). Mémoire ’Ethnomusicologie. UER des Sciences de l’homme Tours. Université François Rabelais. Octobre, 98p., p.17
[36]S. EHIVET 1983, Etude du langage tambouriné chez les Abouré. Aspects socio-culturels.Dakar, Thèse de 3ème cycle. Université de Dakar. Faculté des Lettres et Sciences Humaines. Lettres Modernes. Tome 1. 609p., p.58
[37]G. NIANGORAN-BOUAH. 1984.Op. Cit., p.51 et suivantes
[38]Idem, p.309
[39]G. NIANGORAN-BOUAH 1984, Op. Cit., p.53 et suivantes
[40]J.N. LOUCOU 1994, La tradition orale africaine, Abidjan Editions NETER., p.7
[41]J. VANSINA, De la tradition orale, Tervuren, Musée royal d’Afrique Centrale, « Sciences Humaines » n°36, 1961, p.23.