Neïba

Le royaume de Kerma

Histoire

Le royaume de Kerma

Par Sandro CAPO CHICHI 14 novembre 2014

Pour ne rien manquer de l'actualité,
téléchargez l'application depuis ce lien
Recevez du contenu exclusif, de l'actualité, des codes promos Nofi Store ainsi que notre actualité évenementielle chaque week-end !

Le royaume de Kerma sera à son époque, sera le plus grand rival de l’Egypte pharaonique.

 

Vers 2 500 avant J-C, un état s’organise autour de la ville de Kerma, dans l’actuel Soudan. Environ 500 ans plus tard, un nom apparaît dans les textes égyptiens contemporains pour désigner cet état : « Kouch »[1].

Probablement dû à l’émergence d’une nouvelle élite à la tête de la civilisation de Kerma, ce nom va marquer le début de l’histoire du royaume de Kouch, qui, à cette époque, sera le plus grand rival de l’Egypte pharaonique. Puis il assumera le rôle du grand frère protecteur, la libérant à plusieurs reprises et lui survivant de plusieurs siècles.

L’histoire du royaume de Kouch est divisée en trois périodes, nommées d’après les trois nécropoles utilisées par ses rois. La première période, celle de Kerma, s’étend d’environ 2 000 à 1 500 avant J-C. C’est d’elle dont nous allons parler ici.

Une population pluriethnique

D’après les plus récentes recherches, les fondateurs du royaume de Kouch descendraient d’une population habitant les rives du Wadi Howar, ancêtre des Nubiens modernes d’Egypte et du Soudan, ainsi que des Nara d’Erythrée. Quand la vallée du Wadi Howar s’est desséchée, une partie de ses habitantsse serait installée aux alentours de la région de Kerma pour contribuer à l’établissement d’une nouvelle culture.

L’analyse des crânes issus de cimetières de Kerma contemporains du royaume de Kouch montre que la population était pluriethnique, avec des individus de grande taille, au nez plutôt large et avec un prognathisme[2]assez prononcé, proches de(s) populations du Kenya moderne, d’autres de grande taille, proches des Egyptiens anciens, avec un moindre prognathisme et des nez plus étroits, et enfin les populations dites « indigènes », probablement celles de l’élite de Kouch, ressemblant aux Egyptiens, mais de stature plus trapue. Il semblerait que la majorité des Kouchites de la période de Kerma ressemblait aux Nubiens, aux peuples de l’oasis de Siwa et aux Nord-Ethiopiens modernes,tandis qu’un plus petit nombre ressemblait aux peuples nilotiques du Kenya, sud de l’Ethiopie et du Sud-Soudan.

Une langue proche des langues nubiennes modernes

D’après les dernières recherches[3], la langue des Kouchites, ou du moins de l’élite de l’époque Kerma était proche de celle parlée par les souverains de Kouch jusqu’à la fin de l’histoire du royaume, c’est-à-dire un langage proche des langues nubiennes modernes, du nara (Erythrée) et du nyimang.

Les Kouchites de Kerma n’ont pas utilisé l’écriture pour retranscrire leur langue. Les rares traces écrites du royaume le sont dans des inscriptions sur des sceaux en hiéroglyphes égyptiens.

Principal témoignage de la culture kouchite : l’architecture

Les témoignages « matériels » de la culture kouchite se retrouvent principalement dans l’architecture religieuse avec les « deffufas », qui sont des ruines de temples ; dans l’architecture funéraire, avec d’immenses tombes circulaires dont l’intérieur est orné de restes de crânes de bovins, ou de béliers coiffés de plumes d’autruches (en référence au dieu-bélier,fondamental chez les Kouchites de Kerma, qui adoraient également Mash, un dieu solaire), et parfois de personnes sacrifiées à la mort du défunt. Et enfin, l’architecture militaire, avec les fossés et les palissades pour protéger la ville.

Eleveurs de bovins et de caprins, chasseurs ou pêcheurs, les Kouchites de Kerma se distinguaient également par le travail du cuir (vêtements, récipients), du bronze (armes tranchantes), de la faïence (décor mobilier ou mural), ou par la création d’une fameuse céramique rouge à bout noir.

Le royaume de Kouch, un État ennemi de l’Egypte

Dès sa première apparition dans les textes égyptiens, le royaume de Kouch est présenté comme un état ennemi de l’Egypte.

À cette époque, il occupe la Haute Nubie, la Basse Nubie, frontalière du sud de l’Egypte,étant occupée par l’Etat de Wawat. Ces populations, bien que distinguées par les noms de leurs états, étaient toutes appelées « Nehesiou » par les Egyptiens anciens. Un nom,dont la signification probable en égyptien (« ceux qui marmonnent des incantations »[4]) fait écho à la réputation de magiciens qu’attribuaient les Egyptiens anciens à leurs voisins du Sud.

Au tout début du XXe siècle avant J-C, le roi égyptien Amenemhat Ier conquiert Wawat et l’annexe au sud de l’Egypte. Les Egyptiens y construisent des forteresses leur permettant de contrôler des richesses de la Basse Nubie.

 Après la conquête, la colonisation

Puis le roi égyptien Sésostris I tente également une invasion de Kouch. Bien que réussie, elle ne permet toutefois pas à l’Egypte d’annexer Kouch ; elle lui impose simplement de payer un tribut à l’état pharaonique.

L’Egypte, contrôlée au nord par les souverains Hyksos*, relâche son attention sur la Basse Nubie, qui finit par se libérer entièrement. Kouch en profite pour conquérir la Basse Nubie et occuper les forteresses égyptiennes de la région. Le nom d’un des rois de cette région, Nedjeh, est mentionné dans un texte égyptien. Au XVIe siècle avant J-C, Kouch, allié aux populations de Wawat, du Medjay et de Pount, inflige une cuisante défaite à l’Egypte qu’ils pillent, sans chercher toutefois à l’occuper[5].

Affaiblie par l’alliance entre les Hyksos, qui contrôlent le nord de l’Egypte, et les Kouchites qui en occupent le territoire au sud, l’Egypte réagit, pour chasser les Hyksos et reconquérir l’ensemble de la Nubie, y compris Kerma. Commence alors une longue période de colonisation de Kouch par les Egyptiens qui marquera profondément la culture et l’histoire de ces deux civilisations.

 

[1] Appelé ks, k3s, kš ou k3š dans les textes égyptiens.

[2] On appelle ainsi le fait d’avoir la mâchoire plus ou moins projetée vers l’avant.

[3] Cf. Claude Rilly (2007), La langue du royaume de Méroé : un panorama de la plus ancienne culture écrite d’Afrique subsaharienne, Paris : H. Champion, 617 p. et Claude Rilly (2010), Le méroïtique et sa famille linguistique, Louvain : Peeters, 556 p.

[4] cf. R.L.P. Etilé (2003), Étude sur une civilisation négro-africaine, l’Égypte antique [Texte imprimé] : mystification sur les tombeaux des rois, Paris : Menaibuc, p.54

[5]Dalya Alberge (July 28, 2003), Tomb Reveals Ancient Egypt’s Humiliating Secret,  The Times (Londres).