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Norbert Zongo, journaliste martyr du Burkina Faso

Histoire

Norbert Zongo, journaliste martyr du Burkina Faso

Par Sandro CAPO CHICHI 5 novembre 2014

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En décembre 1998 se déroulait la crise la plus importante de l’Histoire du Burkina Faso, une crise à deux doigts d’entraîner la chute du Président Compaoré. La raison : l’assassinat, quelques jours auparavant, d’un journaliste talentueux, populaire et incorruptible qui avait dénoncé le rôle de la famille Compaoré dans un meurtre.

Par Sandro CAPO CHICHI

Jeunesse et formation
Norbert Zongo naît en juillet 1949 à Koudougou (actuel Burkina Faso). Passionné de journalisme, il créé son premier journal dès le collège ‘La voix du Cours Normal’ . A cette époque, par son travail d’investigation, il parvient à prouver la non-comestibilité d’une farine donnée aux élèves et à faire interdire sa distribution au collège. Très tôt, il travaille comme instituteur tout en préparant son diplôme du baccalauréat qu’il obtient en 1975. Il commence ses études de journalisme au Togo où il s’installe en 1979. Sur place, il étudie à l’Institut supérieur de presse de l’entente de Lomé. En parallèle, il rédige un roman, ‘Le Parachutage’, qui dénonce, à travers des personnages fictifs, les comportements de dictateurs africains. Son manuscrit est intercepté par la Présidence togolaise, dirigée par Gnassingbé Eyadema et qui ordonne son arrestation. Prévenu à temps du traquenard, il parvient à s’échapper dans un camion de légumes et à rejoindre son pays où il est toutefois incarcéré pendant un an. Après des séjours formateurs en France, au Canada et au Cameroun, où il parvient à s’installer en 1984 et à étudier à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Yaoundé grâce à l’aide de son ami, l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma, il retourne dans son pays en 1986.

Début de carrière
Au Burkina Faso, il travaille d’abord dans la presse publique, dans le journal Sidwaya et le magazine Carrefour africain. Mais ses articles, trop critiques envers toutes sortes d’injustices dans la société, sont régulièrement censurés par ses responsables. Il se tourne alors vers la presse privée, collaborant à des publications comme le Journal du Jeudi et à La Clef. En 1988, il publie aussi son premier roman, ‘le Parachutage’, huit ans après sa rédaction. Il poursuit dans la presse ses critiques virulentes, notamment à l’endroit du pouvoir de Blaise Compaoré. Devenu dérangeant pour ce dernier, Norbert Zongo est affecté à Banfora, un lieu isolé à 400 kilomètres de la capitale du pays. Il refuse toutefois cet ordre et démissionne de son poste dans la presse d’Etat.

L’Indépendant

En 1993, Norbert Zongo fonde avec Basile Baloum, secrétaire de rédaction et Timpousga ‘Timpous’ Kaboré, dessinateur satirique, le journal hebdomadaire l’Indépendant. Dès son premier numéro, Zongo, qui écrit sous le pseudonyme d’Henri Sebgo, annonce une ligne éditoriale ancrée dans la vérité et l’intégrité. Pour lui, « L’Indépendant restera ou ne sera pas ». Il fait « le serment de ne jamais se laisser acheter avec la même devise qui lui permet d’acheter la banane ou les arachides » et choisit comme devise Borry Bana ‘la fuite est terminée’, phrase attribuée au résistant africain Samory Touré, qui après avoir usé de techniques de guérillas face à l’armée française, avait décidé de lui faire face dans un combat décisif. Comme lui, Norbert Zongo affirmait devoir faire face à son destin. Cette référence à un guerrier malinké pour le journaliste mossi n’est pas un accident. Dans son second roman, Rougbeïnga, il place son récit dans le cadre d’une révolte anti-coloniale, où la désunion d’Africains cause leur défaite. Zongo fait aussi référence dans ses interventions et écrits à la sagesse africaine de différentes cultures pour faire passer ses messages. Il ne s’attaque pas qu’au pouvoir corrompu et mafieux de son pays, mais dénonce également les dérives des élites des autres pays du continent, ainsi que celles de la politique occidentale en Afrique dans une perspective contemporaine comme historique. A propos de cette dernière, il écrit notamment : « Demain, le Petit Dupon (sic) ne dira pas dans sa leçon d’histoire : « La Gauche était contre le néo-esclavage et la néo-colonisation de l’Afrique. La Droite ne peut pas en dire autant. » Parce que Gauche comme Droite françaises, vous n’avez pas d’Histoire séparée vis-à-vis de l’Afrique. Alors, pas d’Histoire !». Bientôt, la qualité et l’intégrité du journal fait de l’Indépendant vont générer un intérêt considérable chez le public burkinabé, notamment sa jeunesse, qui s’arrache, outre le journal, les conférences du journaliste le plus intègre du pays. L’Indépendant devient le journal le plus lu du Burkina avec 20000 exemplaires tirés par semaine, un véritable tour de force dans un pays à plus de 85% analphabète. Norbert Zongo déclare ainsi : « Souvenons-nous que le peuple est en chacun de nous. Nous en sommes tous et chacun en est un microcosme. Le développement du Burkina dépend donc de la volonté, de la détermination et de la capacité de chacun de nous de forger son propre destin. »

L’affaire David Ouedraogo

Dans son exercice de journaliste d’investigation sans tabou et incorruptible, Norbert Zongo s’est attaqué directement et nommément aux personnages des plus hautes sphères de l’état burkinabé, l’élimination d’adversaires politiques, leur corruption et leur appropriation des secteurs clés de l’économie du pays. En décembre 1997, François Compaoré, frère du Président et surnommé « le Petit Président » par Zongo, soupçonne son chauffeur, David Ouedraogo et deux de ses compagnons de lui avoir volé de l’argent. Sur son injonction, ils sont internés dans une caserne militaire. François Compaoré aurait lui-même appelé l’adjudant Marcel Kafando, pour aller chercher Ouedraogo qui mourra des tortures de Kafando, de Koama et de Karo, tous trois membres de la garde rapprochée du Président Compaoré. Dès janvier 1998, L’Indépendant dénonce ‘l’affaire David’ où il dénoncera, en 1998, l’implication du pouvoir Compaoré à travers une vingtaine d’articles. Elles permettront à la famille Ouedraogo d’oser porter plainte mais resserreront l’étau sur Norbert Zongo. Il confie à ses proches recevoir de plus en plus de menaces de mort. Le 13 décembre 1998, Norbert Zongo et trois de ses compagnons sont retrouvés morts dans une voiture carbonisée près de la ville de Sapouy.

L’héritage

Quelques jours après la mort de Zongo émerge un mouvement de protestation sans précédent contre le pouvoir Compaoré, qui, pour la première fois de son histoire, vacille. Le président doit accepter malgré lui la création d’une Commission d’Enquête Indépendante (CEI), destinée à jeter la lumière sur la mort du journaliste qui mobilisait des milliers de manifestants demandant la justice et accusant directement Blaise Compaoré comme responsable du meurtre. La crise se poursuit jusqu’à l’année suivante et en août 2000, sous la pression du journal l’Indépendant et du Collectif contre l’Impunité, né de la crise sociale de décembre 1998, un procès est ouvert sur le meurtre de David Ouedraogo. En décembre 2000, alors que les Burkinabés et des observateurs étrangers s’apprêtent à célébrer le deuxième anniversaire de la mort de Norbert Zongo, une loi présidentielle interdit formellement toute procession vers sa tombe. Le jour de la commémoration, les effigies du journaliste sont interdites dans la ville de Sapouy où est enterré Zongo. Des forces de l’ordre, aidées par des encerclaient la ville et empêchaient l’accès au cimetière. Lorsque les manifestants tentèrent à plusieurs reprises d’atteindre le cimetière, ils furent systématiquement attaqués à coups de gaz lacrymogène. En 2001,l’adjudant Kafando est condamné à vingt ans de prison dans l’affaire Zongo et le Président Compaoré, toujours fragilisé par la mort de celui qui était devenu un martyr de son régime, crée une journée nationale du pardon pour se concilier ses compatriotes. En 2006, Kafando bénéficie d’un non-lieu. La main qui avait tenue l’arme du crime est donc lavée de toute responsabilité ; le cerveau de ce crime, François Compaoré, n’a jamais été inquiété par la justice. Deux injustices décriées dans la presse et les organisations des droits de l’homme internationales et qui contribuent, malgré leur ignominie, à renforcer la mémoire de Norbert Zongo, comme contribue la nuit noire à mettre en valeur la brillance d’une étoile.

Références
Pascal Bianchini, ‘Norbert Zongo ou le journaliste comme intellectuel total’ in Abel Kouvouama et al. (éds.), Figures croisées d’intellectuels : trajectoires, modes d’action, productions, Paris : Éd. Karthala, pp.137-160.
Luc Damiba & Abdoulaye Menès Diallo (2003), Borry Bana, le destin fatal de Norbert Zongo, Burkina Faso : ZARADOC, Semfilms, IPAO, 57 minutes.
Peter Doucey (2000) ‘L’Indépendant’, in Serge Bailly & Didier Beaufort (éds.), Média Resistances / COTA, Paris : Karthala, pp. 18-34
Mathieu Hilgers (2010), « Koudougou une ville rebelle ? A propos des révoltes durant l’Affaire Zongo », in Hilgers M., Mazzocchetti J., Révoltes et oppositions en contexte semi-autoritaire : le cas du Burkina Faso, Karthala, Paris, pp. 175-193
Loro Mazono D. (2003), Hommage au journaliste Norbert Zongo : un homme face à son destin ou La parabole du lion, Paris ; Budapest ; Torino : l’Harmattan, 63p.
http://thomassankara.net/spip.php?article52