Les Agudas, descendants de Brésiliens en Afrique de l’Ouest

Aguda est le nom donné aux populations descendantes d’anciens esclaves brésiliens, de Brésiliens libres et de Portugais installés au Togo, au Bénin et au Nigéria depuis plusieurs siècles. Largement intégrés dans ces pays, ils ont aussi contribué à leurs cultures et à leurs langues.

Par Sandro CAPO CHICHI / Nofipédia

Origines
Au début du 18ème siècle, le terme ‘aguda’ désigne chez les esclaves du Dahomey (sud de l’actuel Bénin) le Brésil. Au 19ème siècle toutefois, au Dahomey, le terme désigne tous les Lusophones, Portugais, Brésiliens, esclaves ou hommes libres. L’origine du terme est inconnue. Il a été proposé que le nom serait dérivé d’Ajuda, du nom portugais de la ville dahoméenne de Ouidah, un des principaux ports de déportation d’esclaves vers les Amériques. Toutefois, en Nupe, une langue parlée au centre du Nigéria, Àgùdà, ne fait pas référence aux Portugais ou aux Brésiliens, mais aux commerçants français de la période précoloniale. Le terme pourrait à l’origine avoir une référence aux commerçants occidentaux dans les langues de la région. Jusqu’au début du 19ème siècle, des esclaves affranchis revenaient individuellement dans la région du Golfe de Bénin (Togo, Dahomey, Nigéria). Le siècle commençant allait voir l’arrivée sur les côtes du Golfe de Bénin, d’hommes libres brésiliens, portugais, d’anciens esclaves qui allaient contribuer au trafic des esclaves vers le Brésil notamment. Le plus fameux d’entre eux fut Francisco Félix de Souza, un Brésilien d’origine mixte qui arriva vers 1800 et participa au coup d’Etat du roi Guézo de Dahomey dont il deviendra un ministre.

Francisco Félix de Souza : il fut l'objet du film Cobra Verde de Werbner Herzog avec Klaus Kinski (1987)
Francisco Félix de Souza : il fut l’objet du film Cobra Verde de Werbner Herzog avec Klaus Kinski (1987)

Parmi ces autres trafiquants lusophones installés sur la côte, on compte encore Joaquim d’Almeida, un noir d’ethnie mahi né au Dahomey, déporté puis retourné en Afrique et établi à Agoué. En 1835, un autre événement allait entraîner la consolidation de cette communauté afro-brésilienne du Golfe de Bénin, cette fois-ci avec une migration à grande échelle d’anciens esclaves noirs. Il s’agit de la révolte d’esclaves musulmans à Bahia.

Flagellation publique d'un esclave noir au Brésil dans les années 1830
Flagellation publique d’un esclave noir au Brésil dans les années 1830

Cette révolte, l’une des plus importantes de l’histoire du Brésil allait entraîner le retour de Noirs libres suspectés et la déportation d’anciens esclaves impliqués dans celle-ci. Ces derniers allaient soit acheter leur liberté, soit travailler comme serviteurs de commerçants brésiliens établis à Ouidah (actuel Bénin). Ces nouveaux rapatriés, principalement d’ethnie yoruba, mais aussi haoussa, borno, fon ou Mahi allaient s’établir dans quatre ports de la région : Lagos (Nigéria), Porto Novo et Ouidah (Bénin) et Agoué, Togo. Les esclaves impliqués dans la révolte de Bahia étant principalement issus de l’actuel Nigéria, ils choisirent en priorité de s’établir à Lagos où environ deux tiers de leurs 350000 descendants étaient établis dans les années 1970.

De la colonisation à aujourd’hui
Unie autour de la langue portugaise qu’elle a progressivement abandonnée, de la religion catholique, d’un style vestimentaire hérité du Brésil et souvent d’un lettrisme, la communauté aguda allait profondément influer sur la vie culturelle du sud-Togo, du Sud-Bénin et du Sud-Nigéria. Avec leur contribution à l’évangélisation des autres populations de la région, l’importation du savoir faire brésilien dans certains domaines, de plats, de rites ou encore d’emprunts de mots. Ainsi par exemple, la Grande Mosquée de Porto Novo, bâtie en 1935, serait la réplique d’une église de Salvador de Bahia au Brésil.

Une église de Bahia et la grande mosquée de Porto Novo
L’église Saint François de Bahia et la grande mosquée de Porto Novo

La célèbre danse folklorique brésilienne du Bumba meu boi se retrouve ainsi sous la forme du spectacle du Buriyan. Les plats brésiliens de la Feijoada et du kokada se retrouvent au Bénin sous les noms de Fechuada et de Kowunkada. De même, un grand nombre de termes fon (asinyola « nonne », abuneka « poupée », akonta « calcul », balume  « perçeuse, vrille », busu « poche » , basiya « bassine » dotoo  « médecin » parmi beaucoup d’autres) sont d’origine brésilienne sans que les populations du Sud Bénin n’en aient aujourd’hui quasiment plus conscience. Bien que les Agudas aient ‘travaillé’ avec les missionnaires européens pour évangéliser leurs voisins négro-africains, il est remarquable de noter leur implication dans de nombreux actes de résistance à la colonisation. On compte parmi ceux-ci la participation au journal anti-colonial ‘La Voix du Dahomey’ sanctionné par un procès intenté par la France ou encore par la fondation par Augstino de Souza (un descendant de Francisco Felix) du CUT (Comité de l’Unité Togolaise), parti de l’indépendance togolaise et évidemment du martyr de Sylvanus Olympio, son premier président, assassiné par la France.

Sylvanus Olympio
Sylvanus Olympio

Références :
Alcione M. Amos, « Afro-Brazilians in Togo », Cahiers d’études africaines, The Case of the Olympio Family, 1882-1945, pp. 293 – 314
Robin Law (2005), Yoruba liberated slaves who returned to West Africa, in Toyin Falola and Matt D. Childs (éds.), The Yoruba diaspora in the Atlantic world The Yoruba diaspora in the Atlantic world, Bloomington : Indiana University Press, pp. 349-365
Monique Viallard (2005), La communauté afro-brésilienne du
Golfe du Bénin : Un cas unique de Diaspora africaine dans l’aire culturelle lusophone , Latitudes, Avril 2005, pp. 41-47
Olabiyi Babalola Yai (1997), Les ‘Aguda’ (Afro-Brésiliens) du Golfe du Bénin, Identité, Apports, Idéologie : Essai de Réinterprétation, Lusotopie 1997, pp. 275-284

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