Le gouverneur-général Félix Éboué

Félix Eboué fut un administrateur colonial hors du commun, mais également un ethnographe, un résistant. Un visionnaire et un humaniste diront certains. Retour sur ce parcours qui l’a mené de la Guyane au Panthéon.

Par Hugo Breant

Le gouverneur-général Félix Éboué

Félix Eboué est né le 26 décembre 1884 à Cayenne, en Guyane française. Son père était chercheur d’or avant de rejoindre sa mère pour s’occuper de l’épicerie familiale. Après un début de scolarité brillant, Félix Eboué obtient en octobre 1901 une bourse qui lui permet de poursuivre ses études au lycée Montaigne de Bordeaux. Il intègre l’équipe de football du lycée, en devient rapidement capitaine et part pour des matchs en Belgique et en Angleterre. La presse régionale s’enflamme alors pour les exploits de ce jeune joueur noir. En 1905, il obtient son baccalauréat littéraire et décide de partir à Paris pour étudier le droit.
Très tôt intrigué par sa condition de créole et fasciné par les civilisations africaines, il décide d’intégrer parallèlement l’Ecole coloniale, qui forme alors les cadres de l’administration coloniale. En 1908, il obtient sa licence et son diplôme.
En 1909, alors élève administrateur des colonies, il demande à être nommé en Afrique Equatoriale Française, là où la pénétration coloniale est encore la plus superficielle. Il débarque à Brazzaville et demande à être dirigé vers l’Oubangui-Chari (qui devient la République centrafricaine). Il passe alors deux ans près de la frontière camerounaise comme administrateur en chef des colonies. Pendant plus de quinze ans, il est affecté dans différentes subdivisions et sa demande d’intégration dans l’Armée française lui est refusée en 1914.
Eboué prend très à cœur son poste d’administrateur colonial et veut donc participer activement au développement des zones dont il a la charge, en faisant notamment construire des routes et des écoles.

De l’Oubangui-Chari au Soudan français en passant par les Antilles

A cette époque commencent alors les voyages successifs de Félix Eboué. Ce dernier n’a en effet pas totalement rompu ses liens avec la Guyane. En 1921, il s’y rend pour épouser Eugénie Tell et pour s’initier à la franc-maçonnerie. En 1932, le ministre des Colonies, Paul Reynaud, le nomme secrétaire général rattaché au Gouvernement de Martinique. En l’absence du gouverneur, il fut chargé à deux reprises de l’intérim. En avril 1934, la France le renvoie en Afrique, au Soudan français où il devient gouverneur intérimaire.
Puis en 1936, le nouveau ministre des Colonies du Gouvernement mené par Léon Blum, lui propose le poste de gouverneur intérimaire de Guadeloupe. Eboué devient ainsi le premier noir à parvenir à un tel poste. En octobre 1936, Eboué trouve à Point-à-Pitre une île agitée par des émeutes et des grèves causées par la hausse du prix du sucre. Il y lance rapidement des programmes de négociations, d’aide au crédit, de formation professionnelle, de constructions et surtout d’assainissement des finances et fait appliquer la politique du Front Populaire. Il favorise également l’émergence de syndicats, nomme de nouveaux inspecteurs du travail et punit les excès des forces de police. La Guadeloupe garde de son passage un souvenir fort. Eboué restant celui qui a lutté pour un minimum vital, pour la création de logements sociaux, l’amélioration des routes et la formation technique. Surtout, il a vu en la Guadeloupe un potentiel fort : « La Guadeloupe si riche en beautés naturelles peut et doit devenir un des pôles du grand tourisme».
En juillet 1938, la France le rappelle et fait de lui le gouverneur de seconde classe du Tchad, un pays stratégique face aux avancées italiennes. Dès janvier 1939, Félix Eboué lance depuis Fort-Lamy des constructions d’infrastructures économiques et prépare le Tchad à la guerre en enrôlant près de 40 000 soldats et en accélérant la production de guerre.

L’administrateur ethnographe

Félix Eboué fut un administrateur colonial au style particulier. D’après lui, la colonisation devait certes moderniser économiquement l’Afrique mais devait respecter les cultures africaines. Lui-même va produire une œuvre ethnographique importante. Eboué a compris que pour asseoir l’autorité coloniale sur l’Afrique, il fallait connaitre ses administrés. C’est pour cette raison qu’il s’initie aux langues locales et cherche à comprendre les traditions des zones dont il est chargé. En 1918, il écrit un ouvrage sur les langues Sango, Banda, Baya et Mandjia.
En 1931, il participe au Congrès international d’ethnographie à Paris, congrès organisé pendant l’exposition coloniale. Puis en 1933, il écrit un essai ethnographique et linguistique sur les peuples d’Oubangui-Chari. C’est dans cette optique qu’en tant qu’administrateur colonial, il a également encouragé des productions locales comme le coton et a participé au maintien de cultures vivrières.
Cette vision personnelle et son engagement en 1928 à la Ligue des Droits de l’Homme lui ont valu quelques tensions avec ses supérieurs coloniaux qui ne comprenaient pas que l’on puisse être un gestionnaire colonial rigoureux et un humaniste passionné par les traditions africaines.
Eboué le résistant
En juin 1940, Paris plie sous la domination allemande. Félix Eboué refuse l’armistice et indique au gouverneur général Boisson, qui a rejoint Pétain, qu’il veut que le Tchad poursuive la guerre. Dès le mois de juillet, Eboué contacte de Gaulle et le 24 août, René Pleven et le commandant Colonna d’Ornano débarquent à Fort-Lamy. Eboué se rallie donc très rapidement à la résistance et le 26 août, c’est le Tchad qui rejoint officiellement la France libre. Le Congo, l’Oubangui-Chari et le Cameroun suivent très rapidement cet exemple.
En octobre, de Gaulle va rencontrer lui-même Félix Eboué et le nomme membre du Conseil de Défense de l’Empire puis en novembre Gouverneur général de l’AEF. Le Tchad devient alors une base arrière pour les combattants français en Afrique. Leclerc y débute une offensive en 1942 et les FFL y commencent leur attaque des forces italiennes. Quant au Gouvernement de Vichy, il le démet de ses fonctions et le condamne à mort par contumace.

Un administrateur colonial réformateur entré dans la mémoire collective

Félix Eboué reste donc celui qui a toujours voulu penser et réformer la colonisation. Le 8 novembre 1941, il fait paraitre une circulaire qui stipule que le droit coutumier doit être respecté et que les conseils africains sont associés à l’administration. Première pierre à l’édifice apportée par cet homme qui concevait une association des colonies plus qu’une totale assimilation. De plus, Eboué veut que les chefs coutumiers jouent un rôle important dans la colonisation. Il cherche donc le plus possible à intégrer une bourgeoisie locale dans la gestion des affaires coloniales. En juillet 1942, de Gaulle signe trois décrets qui vont dans le même sens que la circulaire d’Eboué.
En 1945, il publie La nouvelle politique indigène pour l’Afrique Equatoriale Française, ouvrage dans lequel il explique sa vision de la colonisation. Et cette vision fut notamment reprise entre janvier et février 1944 lors de la Conférence de Brazzaville à laquelle il participe.
Le 16 février, fatigué par la conférence et déçu de ne pas avoir pu soutenir l’idée d’une autonomie à terme des colonies, il part avec son épouse et sa fille pour un voyage en Egypte. Il rencontre notamment le Premier ministre du roi d’Egypte Nahas Pacha et les membres du Comité français de la Libération Nationale (CFLN). Il donne également une conférence au lycée français du Caire sur l’AEF et son évolution. Pris d’un malaise, il s’arrête. Il s’agit en fait d’une congestion pulmonaire. Il décède le 17 mai 1944.
Lui qui en 1927 avait été fait Chevalier de la Légion d’Honneur sur proposition du ministre de l’Instruction Publique, entre le 20 mai 1949, au Panthéon. Auparavant, sa dépouille avait été accueillie à Marseille le 2 mai, puis avait été exposée lors d’une veillée funèbre sous l’Arc de Triomphe à Paris. Félix Eboué fit donc son entrée au Panthéon le même jour que Victor Schoelcher.
Le Général de Gaulle déclarait à cette occasion : « La patrie et tout l’Empire sont en deuil de Félix Eboué. Gouverneur Général de l’Afrique et compagnon de la libération. Chaque Français sait et se souviendra quand maintenant en guerre, au pire moment de notre histoire, le territoire du Tchad dont il était le Gouverneur, Félix Eboué a arrêté aux lisières du Sahara l’esprit de capitulation, avant-garde de l’ennemi, consacré un refuge à la souveraineté française, assuré une base de départ au triomphe de l’honneur et de la Fidélité. Félix Eboué, Grand Français, Grand Africain est mort à force de servir. Mais voici qu’il est entré dans le génie même de la France. »
Date : 26 décembre 1884 – 17 mai 1944

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