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“Je ne suis pas raciste mais je n’aime pas Aya Nakamura” : Décryptage d’un racisme sous jacent

Culture

“Je ne suis pas raciste mais je n’aime pas Aya Nakamura” : Décryptage d’un racisme sous jacent

Par Jérémy Musoki 11 mars 2024

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“Je n’aime pas Aya Nakamura, mais ce n’est pas du racisme, je ne comprends pas ses paroles, elle est vulgaire, elle ne chante pas en français”. Alors, bien sûr que ne pas aimer Aya ne fait pas d’une personne quelqu’un de raciste, cependant, très souvent, c’est le cas.

Mais pourquoi Aya Nakamura suscite-t-elle des réactions aussi vives ?

Certains accuseront un manque de talent. Pourtant, comme on dit : “Les hommes mentent mais pas les chiffres” et les chiffres sont depuis longtemps en faveur de la franco-malienne.

  • 903 millions : c’est le nombre de vues de son clip « Djadja » sur Youtube à compter du 24/01/23. A titre de comparaison, à cette même date, ses titres les plus forts que sont Pookie », « Copine », « Bobo » et « Jolie Nana » cumulent respectivement 336, 485, 60 et 59 millions de vues.
  • 20 millions : c’est le nombre d’auditeurs mensuels qu’avait Aya sur Spotify en 2020, à son prime.
  • 3 672 260 : C’est le nombre de followers d’Aya sur Spotify en 2022. Elle se place ainsi 7eme des artistes francophones les plus suivis sur la plateforme.
  • 12 millions : c’est le nombre de fois qu’a été téléchargé son troisième album Aya en quatre jours à peine sur la plateforme de streaming Spotify.
  • 1 milliard : En juillet 2021, l’album Nakamura (2018) a franchi la barre du milliard de streams sur Spotify. Elle est à ce jour la seule artiste féminine à avoir réussi cet exploit.

Et la liste ne s’arrête pas là, vous pouvez la retrouver chez les confrères de Rapcity.

Autant dire que quand on est la première artiste féminine à donner un concert intéractif dans Fortnite (400M de joueurs à travers le monde) comme Travis Scott ou encore Eminem, c’est qu’on fait forcément quelque chose de bien. Que l’on aime Fortnite ou non n’est pas le sujet. Snobée pendant longtemps, elle est enfin nommée Artiste de l’année en 2024.

Née le 10 mai 1995 à Bamako, elle arrive à Aulnay-sous-Bois encore enfant et grandit en Seine-Saint-Denis. Issue d’une famille de griots, elle est bercée par la musique et les chants traditionnels. Nous parlons donc d’une personnalité publique arrivée très jeune en France et qui y a grandi et y vit encore, y travaille etc. Malgré sa carte d’identité française, elle est constamment renvoyée à une question de nationalité. Et si ce n’était que ça.

La cible des médias

Dans sa carrière, Aya semble déranger. Sur les plateaux télé, des gens se moquent ouvertement et gratuitement d’elle. 

En 2023, Anne Roumanoff, pendant qu’elle faisait l’éloge de la chanteuse disait « Il y a un mépris pour elle parce que c’est une femme, parce qu’elle est noire et parce qu’elle n’a pas les codes de certains trucs« . Et pour beaucoup, cette analyse fait sens. Revenons, pour cela, à une autre polémique passée : Les victoires de la musique 2020. Événement dans le domaine musical en France qui voit Aya s’incliner face à Pomme, qui elle même avouera se sentir gênée de cette victoire. Et sans manque de respect, on peut comprendre son ressenti tant les stats étaient sans équivoque.

Aya répondra qu’il y a des quotas et qu’elle ne rentre pas dans les codes, tout en essayant d’éviter la polémique. Sur les réseaux sociaux, il n’en faudra pas plus pour envoyer l’artiste française la plus écoutée à l’étranger au bûcher. Insultes, moqueries, misogynie, racisme, tout y est. Elle est comparée à un animal, le fameux grand classique pour nous les noirs, le combat de Vinicius Jr ou de Balotelli

Elle est aussi systématiquement mise en compétition avec Angèle pendant 3 ans. Certains veulent un feat entre les deux artistes en vogue, pour d’autres, c’est la guerre qu’ils veulent, mais surtout voir Angèle sacrée plus grande chanteuse française du moment. Absurde car d’une part elle est belge, ce qui tend à montrer qu’en France, on semblerait préférer une artiste sans la nationalité à une française. Doublement absurde car leur nombre d’écoutes n’ont rien à voir déjà à ce moment-là.

2024 : Aya et les JO

2024, les Jeux Olympiques de Paris arrivent et la France se prépare. Le président Macron fait l’aveu de vouloir Aya pour ouvrir l’événement sportif planétaire. Et en soi, il n’y a rien de surprenant, Aya est connue par le public du monde (Et la relation Mali parait si loin maintenant). Mais il veut Aya sur du Edith Piaf. Et c’est encore une nouvelle fois suffisant pour allumer le feu du racisme sous jacent français.

Selon un sondage Odoxa Winamax RTL, 63% des français voudraient une autre artiste qu’Aya pour la représentation (et pas notre représentation, de facto). Mais bon, 21% des français estiment qu’Emmanuel Macron s’occupe d’eux alors que 58 ont voté pour lui. Les mathématiques ne mathent pas.

En quelque temps, Aya devient l’illustration de l’expression misogynoir. “La misogynoir est une forme de misogynie envers les femmes noires dans laquelle la race et le genre jouent un rôle concomitant.” Et ce phénomène est beaucoup trop banalisé. Rokhaya Diallo en est la cible sur les réseaux aussi, de l’autre côté de l’Atlantique, Serena Williams, idem. Une femme noire talentueuse, c’est beaucoup trop. Si elle devient la meilleure dans son domaine, ce n’est pas acceptable.

“Je ne suis pas raciste mais je n’aime pas Aya Nakamura” : Décryptage d’un racisme sous jacent
Oui, on est bien en 2024, internet se porte bien. Le racisme et la misogynie aussi.

“Arrêtez de vous victimiser” dirent-ils en se victimisant

Parce que oui, c’est l’argument phare quand le français d’origine étrangère ose exprimer son mécontentement quant à certains comportements suspects du voisin. On en veut à la victime d’être victime d’un méfait, tout en réfutant des éléments factuels. Parce que oui, Queen Aya n’est pas la première.

On vous laisse aller découvrir les commentaires sous cette chronique très pertinente d’Elisabeth Philippe

En 2021, les Bardella et Zemmour s’insurge contre le choix de Youssoupha pour l’hymne de l’Équipe de France. L’hymne est relégué au rang de clip promotionnel. La direction de la FFF prétend même ne pas avoir été au courant de la commande passée au chanteur et accuse les jeunes salariés. A round of applause, please !

Avant ça, en 2016, sous la pression de l’extrême-droite, la mairie annulait le concert du rappeur Black M, lors des commémorations de la bataille de Verdun, en raison de « risques forts » de troubles à l’ordre public. 

Édith Piaf, sujet de discorde

On peut lire à droite et à gauche qu’Édith se retournerait dans sa tombe. Que ce serait ternir l’héritage de La môme et qu’elles ne sont pas comparables. Et force m’est de constater que ces gens soi-disant fiers de leur culture et héritage ne semblent même pas connaître Édith Piaf. Pour eux, en réalité, c’est la dame qui chante dans les pubs. Clairement, ils ne connaissent pas le personnage.

Sans trop spéculer, on peut légitimement penser qu’Édith Piaf aurait été une supportrice d’Aya. Les deux profils sont d’ailleurs plus proches qu’il n’y paraît.

Toutes deux issues de l’immigration, car il ne faut pas oublier qu’Édith Piaf avait des origines berbères par sa grand-mère, ont marqué l’histoire de la musique française en devenant des icônes internationales. Elles chantent des/leurs expériences de femmes, et parfois de manière un peu crue.

Pour l’une pourtant, c’est de la poésie, pour l’autre de la vulgarité. Et cette différence de traitement peut facilement s’apparenter à la perception qu’ont certains de la femme noire, celle qui ne correspond pas aux standards (biaisés) de beauté universels(?) imposés depuis des décennies. 

“Mais, je ne vois toujours pas le problème ! Moi, je n’aime juste pas Aya Nakamura ! Ça n’a rien à voir avec du racisme !”

Et les goûts sont personnels. On a le droit de ne pas aimer et personne ne dit le contraire ! Néanmoins, c’est une question de manière, de moment et de raison. Pour ceux qui ne voient toujours pas de problème, prenons un contexte différent. En 2024, en France, voici ce dont on peut être témoins.

“Je ne suis pas raciste mais je n’aime pas Aya Nakamura” : Décryptage d’un racisme sous jacent

En dessous d’une publication dénonçant le racisme évident de cette bannière, on peut lire des opinions du genre “Eux sont racistes, mais moi, ça n’a rien à voir, juste sa musique c’est de la m****”.

Déjà, on apprend aux enfants à dire “Je n’aime pas les épinards” et pas “C’est dégueu”. Ensuite, pourquoi choisir ce moment, cette publication ? Car cela revient juste à marcher dans la même manifestation que le raciste en se targuant d’avoir le même but mais pas les mêmes motivations. Et vous connaissez l’adage : “Dis moi avec qui tu marches, je te dirais qui tu es”.

Ce type de racisme peut être difficile à détecter car il n’est pas toujours évident ou ouvertement exprimé. Et beaucoup de gens ne semble pas se rendre compte qu’il est ancré dans leur quotidien et habitude, ce qui le rend difficile à combattre.

Et si après ça, vous trouvez toujours pertinent de justifier votre raisonnement… alors, désolé de vous le dire, mais, on ne peut plus rien pour vous, c’est ce que l’on peut considérer aussi comme du racisme sous jacent. Ainsi, je vous pose cette question simple : Si vous êtes plusieurs franco-français (Apparemment plus de 60% hein !) à essayer d’empêcher une femme noire d’obtenir un job que vous ne pouvez pas faire, en quoi n’est-ce point du racisme systémique ?

En tout cas Aya, nous, on veut te voir chanter !