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POUR DES INTERNAUTES IVOIRIENS, LIRE 400 PAGES EN 2 JOURS SERAIT MISSION IMPOSSIBLE

Société

POUR DES INTERNAUTES IVOIRIENS, LIRE 400 PAGES EN 2 JOURS SERAIT MISSION IMPOSSIBLE

Par Dozilet Kpolo 9 juin 2023

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Depuis plusieurs jours maintenant, des internautes ivoiriens crient au loup après qu’un célèbre serial entrepreneur ait affirmé qu’il était capable de lire 400 pages en 2 jours.

« Tu as fini tes devoirs et puis tu assis comme ça ? », demandaient des parents, le plus souvent Maman, curieux de savoir à quelle sauce ils allaient manger leur enfant beaucoup trop à l’aise devant la télévision. Les pieds en éventail, en bonus.

Tu parles de temps immémoriaux que les moins de vingt ans ne connaissent pas. Ou alors une époque dont ils ont vaguement entendu parler un peu comme cette légende selon laquelle tous les parents étaient premiers de leur classe. Un jour peut-être, Ils en parleront lors d’un « T’aide X », après l’intervention d’un entrepreneur venu expliquer son parcours semé d’embûches.

Lorsqu’il a accepté de participer à l’enregistrement du podcast Entrepreneur State Of Africa, animé par Kahi Lumumba, cofondateur des Adicomdays, événement digital africain annuel qui réunit créateurs/entrepreneurs/entreprises, et Moulaye Tabouré, directeur général d’Anka, « solution tout-en-un » pour vendre et expédier des produits dans le monde, Fabrice Sawegnon, président entre autres de Voodoo Group, ne s’attendait probablement pas à créer une nouvelle controverse aux pays des polémiques. Explication de texte.

FABIO CAPELLO MAÎTRISE L’ART DE LIRE 400 PAGES EN 2 JOURS

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La tête que tu fais quand tu as l’habitude d’être dans les polémiques.©️Wikimedia Commons

Après les débats sur : quand ça l’arrange Suspect 95 fait ça, se séparer de son ancien manager free-lance, Oui ou non, l’absence de Jonathan Bamba puis de Séko Fofana aux derniers rassemblements de l’Équipe Nationale de Côte d’Ivoire, la Séléphanto, ou encore celle sur l’arrestation d’une influenceuse beauté.

Mais aussi plus près de nous, la radiation[1] des listes électorales d’un ancien chef d’État pourtant accueilli par une Haye d’honneur lors de son retour au pays ou encore quelques mois plus tôt, la hausse du coût d’Internet, en attendant que l’essence passe à 1 000 francs CFA, au calme, la dernière controverse date d’il y a quelques jours seulement et est donc signée *roulement de tambour* Fabrice Sawegnon. Ou plutôt « Fabio Capello », surnommé ainsi par ses amis d’enfance pour sa capacité à organiser les choses, comme cet ancien entraîneur italien à succès du Milan AC dans les années 90. Souviens-toi.

« […] On allait acheter des magazines. Je voulais qu’ils lisent aussi. On achetait des magazines, des livres et tout. La lecture, on en reparlera. Moi c’est la lecture qui a changé ma vie ! […] La lecture c’est fondamental. », commence d’abord par expliquer le quinquagénaire successful. Jusqu’ici, tout va bien.

Mais là où le bât blesse, des internautes, c’est quand le serial entrepreneur, parti à Las Vegas puis Los Angeles avec son cousin chercher puis obtenir le moyen de faire venir Kim Kardashian en Côte d’Ivoire, après un an de discussions, lâche ceci quand on lui demande comment il a fait pour « combler » le fait de ne pas avoir fait ses études à l’étranger :

« […] La lecture ! La lecture ! En fait ce qu’il faut que tu saches c’est que moi j’ai grandi au Plateau. Et quand je dis le Plateau, mon cœur bat toujours parce que c’est le Plateau. C’est le cœur de la Côte d’Ivoire, le cœur d’Abidjan, avec les deux mains en avant pour bien attraper ce cœur. […] Au Plateau, y avait de la culture. Au Plateau, y avait des cinémas. Y avait la bibliothèque Nationale, le Centre Culturel Français [devenu aujourd’hui Institut Français de Côte d’Ivoire, NDLR]. Enfin, y avait de la culture au Plateau. »

Puis, cet enfant du Plateau, quartier d’affaires abidjanais, enfonce le clou

« […] Et donc moi très rapidement, je suis au Plateau, j’habite au Plateau, je m’inscris au Centre Culturel Français. Mais, j’ai accès à des livres. J’ai accès à des livres. Et donc à partir du moment où je commence à lire, ma vie change. Moi, je dévorais des livres. À 15-16 ans, je lisais des livres de 400 pages en 2 jours. Parce que je commençais, même à table, je venais avec mon livre à table. Maman disait :  » Ferme ton livre : tu aimes trop ça ! » […] »

Les trois entrepreneurs jouent depuis plus d’une 1 heure et 7 minutes au jeu des questions/réponses quand l’homme en bleu et aux chaussures blanches réussit le coup du patron qui a commencé petit et qui est devenu grand. La VAR est formelle : ça joue !

POUR DES INTERNAUTES IVOIRIENS, LIRE 400 PAGES EN 2 JOURS SERAIT MISSION IMPOSSIBLE
Balle au centre.©️Unsplash

Il n’en fallait pas plus pour que des internautes ivoiriens se déchaînent sur la Toile.

TU NE LIS PAS ? PAS GRAVE, L’ÉCOLE IVOIRIENNE EST DÉJÀ TRISTE

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Apparemment, lire ce n’est pas la tasse de thé de tout le monde.©️Unsplash

D’emblée, certains internautes accusent celui qui « a lu tous les Arsène Lupin », le traitent même de « menteur », quand ils ne mettent en avant le fait que « Pauvre ait tort ! » Tweets choisis.

Comment pourrait-on leur en vouloir dans un pays où la kpafloterie[1] n’est jamais finie ? Où des bonimenteurs et autres opérateurs économiques passent matin/midi/soir pour des modèles, quand ce n’est pas sur des plateaux de télévision, ravis de surfer sur leur buzz effervescent, qui ne durera que trois jours. Comment pourrait-on leur en vouloir ?


Sauf qu’ici, il n’est pas question que de richesse, si tant est que la culture générale n’en soit pas une, mais plutôt de capacités de concentration et intellectuelles : être en mesure de lire 400 pages en 2 jours. Point à la ligne.

En vrai, cette énième pseudo polémique n’est pas si inutile puisque ça permet de mettre le doigt sur quelque chose de tangible finalement : le désamour pour l’école en général et la lecture en particulier.
 
Au pays des Drogba qui remportent le cœur des dipsomanes, tandis que le principal intéressé lui n’a jamais réussi pas à toucher celui des dirigeants insensibles à sa gloire d’antan, et ces rencontres au sommet entre le pied de la table basse et le gros orteil au terme d’une course folle pour célébrer un de ses buts, il y a longtemps que l’école ivoirienne est triste.

L’exemple le plus frappant est probablement celui de la session du baccalauréat.

Les chiffres officiels témoignent du faible niveau de l’école aujourd’hui.

Ainsi en 2022, le taux de réussite était de 30,78% contre 29,24% l’année précédente.

Pour faire simple, seulement 1 candidat sur 3 a été admis. Ceux qui l’ont raté le repasseront probablement une fois après avoir fait le tour du quartier pour éviter d’en être la risée, ou après avoir fugué le temps que leurs parents déçus se calment. Les autres ne seront pas forcément mieux lotis puisque parmi ces nouveaux diplômés, d’autres placeront – en attendant que le marché de l’emploi se décante un jour – des bâches dans funérailles bhété. Des bacheliers, quoi.

Et pendant ce temps-là, d’autres se gaussent de ceux qui plutôt que de se jouer les bandits en leur famille, ont révélé qu’ils étaient incapables de lire 400 pages en 2 jours.

UN VILLAGE D’IRRÉDUCTIBLES RÉSISTE ENCORE ET TOUJOURS À L’ENVAHISSEUR

Au pays du paiya, réjouissances nocturnes le plus souvent comme au plus fort de la période coupé-décalé, adossé au mouvement des petits[2], chacun s’enjaille comme bon il semble.

Et si certains trouvent dans des festivités leur plaisir, qui peut leur en vouloir ? Personne ou presque ! Enfin, à part ces maîtres de la bien-pensance qui critiquent le fait qu’ils écoutent « la musique du monde ». C’est précisément le genre de critiques qu’on ne fera jamais à ceux qui lisent régulièrement des romans parce qu’ils y sont déjà dans leur monde. Et quel monde, mesdames et messieurs !

Vieux livres qui attendent d’être à nouveau à la page, ouvrages neufs achetés sur un coup de tête « zidanesque », sans expulsion à la clé cette fois-ci, mais aussi groupes de discussions où s’échangent bons mots et bons plans, ou encore mots surlignés quand ce ne sont pas des mots dièse, hashtag booklover, bienvenue chez « les romantiques » ! Ces gens qui lisent encore beaucoup les romans en 2023-là pour continuer à parler familièrement. Et bien sûr, la polémique les a fait réagir quand ce n’est pas sourire. Florilège.

Les « romantiques » ne se contentent pas de Twitter. Non, ils s’organisent, se rencontrent, discutent, refont le monde autour d’une œuvre, choisie des semaines au préalable, et d’un repas.

C’est le cas notamment pour au moins deux groupes : le Mosaïque Book Club ou encore le club de lecture « Lire, discuter et manger », dans lequel figure notamment l’entrepreneure sociale et grande liseuse : Tchonté Silué.

Très impliquée dans le tissu social associatif, la « bouquivore » a ouvert à Yopougon un premier puis un second Centre Eulis à Faya. Certes, la géolocalisation est différente mais la mission, elle, reste la même : offrir un cadre propice à la lecture et aux études à des petits et grands enfants.

D’autres encore multiplient les initiatives personnelles. C’est le cas de Rita Dro, fondatrice de l’association « Notre boîte à livres », et ce dispositif de mini-bibliothèques dans certains quartiers d’Abidjan.

Et bien sûr, il y a aussi ces auteurs ivoiriens qui donnent envie de lire même quand c’est difficile. Demba Diop ou encore Gauz.

Ce dernier n’a d’ailleurs pas manqué de réagir dans son style caractéristique : sans faire de détails !

Dommage qu’il ait fallu attendre que les propos – tirés de leur contexte – d’un directeur d’une chaîne de télévision privée pour que beaucoup s’intéressent à un problème national. Et pendant ce temps-là, selon des chiffres officiels, le taux d’alphabétisation régresse passant de 51% en 2002 à 43, 8% en 2015 puis 43,7% en 2019.
 
Si ça continue dans quelques années, rares sont ceux qui seront effectivement capables de lire 400 pages en 2 jours. Exceptionnels seront ces parents qui voudront peut-être savoir : « Tu as fini tes devoirs et puis tu assis comme ça ? »

[1] L’ex-président a déposé un recours auprès de la Commission Électorale Ivoirienne, ce jeudi 8 juin 2023.

[2] L’art de mentir.

[3] Genre musical qui emprunte au coupé-décalé ces codes clinquants quand il ne pioche pas dans des expressions et/ou souvenirs d’enfance pour enjailler des gens.