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Les soeurs Nardal, précurseuses de la Négritude

Histoire

Les soeurs Nardal, précurseuses de la Négritude

Par Sandro CAPO CHICHI 28 octobre 2022

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Les Martiniquaises Paulette et Jeanne Nardal furent parmi les figures intellectuelles les plus importantes du milieu noir parisien de l’entre deux guerres. Leurs contributions sont considérées comme ayant été fondamentales dans le futur courant de la Négritude.

Les soeurs Nardal, précurseuses de la Négritude

Paulette et Jeanne (aussi connue sous le nom de Jane) Nardal sont deux des sept filles de l’ingénieur Paul Nardal et de la pianiste Louise Achille. Paulette naît en 1896 et Jeanne quelques années plus tard au début du 20ème siècle. Elevées dans le milieu bourgeois martiniquais, elles suivent les pas de leur père, premier Martiniquais noir à obtenir une bourse pour étudier à la Sorbonne. A Paris, elles deviennent les premières femmes noires à étudier dans la célèbre université parisienne. Jeanne y étudie la littérature alors que Paulette en sort diplômée en anglais. A Paris, Paulette et Jeanne ont aussi été rejointes par leur plus jeune soeur Andrée, musicienne et étudiante.

Paulette Nardal

Paulette Nardal dans les années 20-30

Les trois soeurs font l’expérience du Paris d’entre-deux-guerres, où la vision du Noir oscille entre la vision colonialiste et la fascination ‘primitiviste’ de certains Parisiens blancs pour le corps, l’art et les artistes noirs.  Cette fascination, Jeanne Nardal  l’a critiquée avec virulence dans un de ses articles intitulé ‘Pantins Exotiques’ (1928), notamment à travers la figure de l’Américaine Josephine Baker, incarnation de cet exotisme.

 

Nardal

Jeanne Nardal (?)

Au début des années 1930, les soeurs Nardal ont organisé, dans leur domicile de Clamart en région parisienne, des rencontres hebdomadaires entre des intellectuels noirs africains, antillais et afro-américains, francophones et anglophones de l’époque. Dans ces réunions, étaient évoqués l’actualité, le colonialisme, le racisme ou encore l’influence grandissante des Noirs dans la société parisienne de l’époque.

Parmi les participants de ce cercle d’amis, on trouve parmi les grands intellectuels et artistes afro-américains de passage à Paris. Le bilinguisme français-anglais de Paulette Nardal sera déterminant pour introduire les travaux de ces intellectuels anglophones à des Noirs parisiens. Parmi ceux-ci, on trouve les futurs fondateurs du courant littéraire de la Négritude, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas.

Ces auteurs ont reconnu avoir fréquenté le cercle des soeurs Nardal. A la fin de sa vie, Aimé Césaire, déclarait:

« Deux Martiniquaises, les sœurs Nardal, tenaient alors un grand salon. Senghor le fréquentait régulièrement. Pour ma part, je n’aimais pas les salons – je ne les méprisais pas pour autant-, et je ne m’y suis rendu qu’une ou deux fois, sans m’y attarder. »

Léopold Sédar Senghor était lui aussi bien familier des soeurs Nardal, lui qui avait demandé sans succès sa main à Andrée Nardal, quelque temps avant la mort de cette dernière en 1935 à l’âge de 25 ans seulement.

En 1960, Senghor expliquait dans une lettre à son biographe qu’il avait été mis en contact avec des personnalités afro-américaines entre 1929 et 1934 via Paulette Nardal et le salon qu’elle organisait.

La même année, Paulette Nardal, accusait amèrement dans une lettre ces auteurs dans une lettre au biographe de Senghor:

« Césaire et Senghor ont repris les idées que nous avons brandies et les ont exprimées avec beaucoup plus d’étincelles, nous n’étions que des femmes ! Nous avons balisé les pistes pour les hommes. »

Dans les contributions intellectuelles de Paulette et de Jeanne Nardal on trouve en effet, selon l’universitaire afro-américaine Tracy Denean Sharpley-Whiting des éléments précurseurs de ce qui allait devenir la Négritude.

Dans la Revue du Monde Noir co-fondée par Paulette Nardal, cette dernière écrivit par exemple en 1932  l’article « L’Eveil de la conscience de race chez les étudiants noirs ». Cet article, qui compare l’histoire littéraire afro-américaine et antillaise française invite les Antillais à écrire sur leurs expériences. Il s’articule, comme le fera plus tard la Négritude, autour du panafricanisme, de la réhabilitation de l’Afrique et de la nécessité, pour les Noirs, de s’affirmer à travers leurs productions culturelles. Comme sa soeur Paulette  Jeanne Nardal fournira en 1928, avec son article ‘Un internationalisme noir’ un antécédent à la Négritude, ici dans le domaine du développement de la conscience de race chez les francophones descendants d’Africains, indépendamment de leur classe et de leur degré de métissage. Comme Paulette, qui a écrit quelques essais littéraires, Jeanne a écrit sous le pseudonyme africain Yadhe  de la poésie dans laquelle elle compare les Antilles à l’Afrique comme le feront plus tard les poètes de la Négritude.

La vie de combat des soeurs Nardal ne se limita pas à celle de précurseuses de la Négritude.

Paulette, fut à quarante quatre ans, victime d’un grave accident en 1939, lorsque son bateau fut attaqué par des sous-marins allemands au début de la Seconde Guerre mondiale. L’usage de sa jambe et sa mobilité en furent largement limitées jusqu’à la fin de sa vie. Après sa longue convalescence, elle risqua sa vie en Martinique sous le gouvernement de Vichy en donnant des cours à ses concitoyens prévoyant de se rendre dans des îles anglophones voisines et y rejoindre le parti de la France Libre de Charles de Gaulle. Lorsque cette dernière prit le pouvoir en 1943, Paulette Nardal fut très active, à la Martinique, dans la lutte pour les droits des femmes. Elle fonda le Rassemblement Féminin, la branche martiniquaise de l’Union féminine civique et sociale ainsi qu’une revue, La Femme dans la Cité et un nouveau salon de discussion dédié à ces thématiques.

A la demande du Ministère des Colonies, elle écrivit aussi un texte à propos des droits des femmes dans les colonies intitulé  ‘féminisme colonial’. Après un passage aux Etats-Unis où elle travailla pour l’ONU, elle revint en Martinique en 1947 où elle mourut en 1985.

De son côté, Jeanne, qui a enseigné deux ans  au Tchad, verra sa volonté de faire de la politique découragée par un attentat dirigé contre la maison familiale. Dans les années 1960, Jeanne Nardal commencera à perdre la vue et disparaîtra de la vie publique.

Notamment à cause d’un incendie qui détruisit la maison familiale, les données nous restant sur la vie et les accomplissements des soeurs Nardal sont très lacunaires.
De Jeanne, qui mourut en 1993, le grand public ne connaît aujourd’hui ni la date de naissance ni même le visage. Il ne reste, en éclairage de son travail pionnier, qu’une description nostalgique  par Victor Sablé de son apparence et de son allure dans les rues parisiennes de l’entre-deux-guerres:

« Jeanne Nardal, première diplômée en arts des Antilles, émerveillait le boulevard avec son élégante silhouette noire, son chapeau, ses gants couleur gris-perle, canne en main comme une héroïne de la Garçonne, activiste pour les droits des femmes »

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