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Exploration des noms de famille martiniquais d’origine africaine

Culture

Exploration des noms de famille martiniquais d’origine africaine

Par Sandro CAPO CHICHI 5 janvier 2024

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Nofi vous invite à découvrir l’histoire fascinante des noms de famille martiniquais d’origine africaine. Explorez l’étymologie unique et l’héritage culturel africain préservé à travers les patronymes martiniquais, témoins de l’histoire et de l’identité d’un peuple. Un voyage captivant à travers les racines africaines et leur influence durable dans la culture martiniquaise.

On traite ici des noms de famille martiniquais d’origine africaine qui auraient été préservés depuis la période de l’esclavage.

Les noms de famille martiniquais d’origine africaine

Dans un article précédent, j’ai rappelé le cas de la famille Massembo de Guadeloupe, qui autres traits culturels, avait préservé jusqu’à ce jour son nom de famille hérité de ses ancêtres africains. Malgré les réelles difficultés rencontrées par cette famille pour préserver cette identité, celles-ci furent toutefois différentes de celles dont ont fait l’expérience les Africains et leurs descendants déportés aux Antilles Françaises durant la période de l’esclavage.

Après cette dernière, qui prit fin en 1848 en Martinique1, on demanda aux esclaves affranchis d’utiliser des noms différents de ceux de leurs anciens maîtres. Alors que certains d’entre eux utilisèrent des anagrammes des noms de leurs anciens maîtres, des noms religieux voire faisant référence à la mythologie antique, d’autres choisirent des noms n’ayant aucune étymologie en français.

Dans des cas, ces noms étaient d’origine africaine et furent choisis par les esclaves affranchis, car il s’agissait de leur nom d’origine qu’ils avaient continué à utiliser plus ou moins clandestinement dans le contexte de l’esclavage.

Cas notables de noms martiniquais d’origine africaine

Un exemple illustrant cette situation est celui d’une ancienne esclave martiniquaise prénommée Louisia par ses maîtres, dans le cadre de l’esclavage. Lors de l’abolition, elle fut invitée à utiliser un nom de famille différent de celui de son ancien maître. Elle choisit donc d’utiliser comme nom de famille son prénom africain Londo. On sait que ce dernier est africain, non seulement parce qu’il en possède la consonance, mais aussi parce que Louisia Londo a clairement expliqué à ses enfants et à ses petits-enfants que le nom Londo venait d’Afrique où il était à l’origine son prénom.

Son nom de famille en Afrique était M’Pollo N’Delle. L’histoire de cette femme morte en 1938 a été racontée, près de soixante ans plus tard par sa petite-fille Hélène-Aimée Labranche-Debrose dans son ouvrage « Je vous la raconterai : M’Pollo N’Delle Londo, esclave africaine née en Guinée : souvenirs d’enfance« .

De nombreux autres noms adoptés par des affranchis après l’Abolition de l’Esclavage ont une consonance africaine. Toutefois, contrairement Louisia Londo, leur origine africaine n’a pas été toujours été confirmée à leurs descendants de génération en génération.

Pour combler cette lacune, c’est à cet exercice de recherche étymologique et historique que se sont adonnés les universitaires Guillaume Durand et Kinvi Logossah dans leur ouvrage « Les noms de famille d’origine africaine de la population martiniquaise d’ascendance servile« .

Dans ce cadre, ces auteurs ont pu mettre en évidence des propositions d’étymologie pour des patronymes martiniquais apparemment d’origine africaine et précédant l’arrivée de travailleurs engagés la décennie suivant 1848.

Parmi ces nombreuses propositions, de l’aveu même de ces chercheurs, certaines sont beaucoup plus pertinentes que d’autres. Un point particulièrement intéressant de la méthodologie de ces auteurs est qu’ils ont conjugué la probabilité de l’origine linguistique d’un nom avec les contacts historiques entretenus par la Martinique avec les régions d’Afrique concernée.

Pierre Aliker (1907-2013)

Cela leur a par exemple permis de postuler de manière convaincante qu’Aliker, nom de famille d’André2, journaliste martyr de la conscience ouvrière en Martinique et son frère Pierre3, homme politique en faveur de l’autonomie de l’île, était originaire de l’ethnie Acholi d’Afrique de l’est4.

Portrait d’un homme Acholi entre 1877 et 1880.

De même, les auteurs ont fait remarquer que le nom Anelka se retrouvait chez les Efik du Nigéria et dont le nom du célèbre footballeur pourrait dériver.

Nicolas Anelka5

Durand et Logossah font aussi dériver le nom Kanuty, notamment porté par le conseiller régional d’Île de France Pierre Kanuty, du nom répandu au Soudan Occidental6, Kanouté. Selon ces auteurs,  Kanouté serait en Afrique un prénom féminin signifiant ‘joie’ et dont le premier Martiniquais connu pour l’avoir porté aurait été une femme. Si ces dernières données sont exactes, la comparaison serait tout à fait pertinente.

Un dernier exemple parmi d’autres concernant ces noms africains préservés depuis l’esclavage en Martinique est celui de Matinda, un nom issu de l’ethnie Ngala7 et répandu aux Congos. Ce nom se retrouve comme patronyme en Martinique, où il est notamment porté par le musicien (Olivier) Matinda fondateur du groupe Ruff Neg.

Matinda et son fils

Les noms de famille martiniquais, une fenêtre sur un passé africain

Ces quelques exemples de noms martiniquais  illustrent la persistance de l’héritage africain aux Antilles en général, mettant à mal le cliché d’îles et de leurs habitants ayant cherché à effacer la mémoire de l’Afrique de leurs identités.

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Notes et références

Pour approfondir le sujet des noms de famille d’origine africaine en Martinique et l’histoire de l’esclavage, voici deux ouvrages recommandés :

« M’Pollo N’Delle Londo, esclave africaine née en Guinée (souvenirs d’enfance)« , H.A. Labranche-Debrose, 1996

Cet ouvrage offre un récit personnel et intime, racontant l’histoire de M’Pollo N’Delle Londo, une esclave africaine née en Guinée. À travers des souvenirs d’enfance et des récits de famille, ce livre offre un aperçu émouvant et profond de la vie d’une femme africaine confrontée à l’esclavage et de son héritage culturel et familial. Il s’agit d’une source précieuse pour comprendre l’expérience personnelle de l’esclavage et son impact sur les générations suivantes.

« Les noms de famille d’origine africaine de la population martiniquaise d’ascendance servile« , Et autres survivances africaines en Martinique (Seconde édition revue et enrichie), Guillaume Durand
Kinvi Logossah, 2002

Cet ouvrage universitaire se penche sur l’étymologie et l’origine des noms de famille chez les descendants d’esclaves en Martinique. Les auteurs y explorent comment ces noms reflètent l’héritage africain et la résilience culturelle malgré le contexte de l’esclavage. Le livre offre une analyse approfondie des liens entre les noms de famille, l’histoire africaine et la diaspora africaine dans les Caraïbes, constituant une ressource essentielle pour comprendre l’histoire et la culture martiniquaise.

Ces deux livres fournissent des perspectives uniques et enrichissantes sur l’histoire de l’esclavage, l’héritage africain dans les Caraïbes et la préservation de l’identité culturelle à travers les générations.

  1. L’Abolition de l’Esclavage en 1848 : L’abolition de l’esclavage en 1848 marque une étape cruciale dans l’histoire de la France et de ses colonies, notamment en Martinique. Le 27 avril 1848, sous l’impulsion de Victor Schœlcher, secrétaire d’État aux colonies, le gouvernement français proclame l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Cette décision historique met fin à des siècles de traite négrière et d’esclavage, libérant ainsi des milliers d’esclaves. L’abolition a eu des répercussions profondes sur la société coloniale, entraînant des changements majeurs dans les structures économiques, sociales et culturelles des colonies. Elle représente un tournant décisif dans la lutte pour les droits humains et l’égalité. ↩︎
  2. André Aliker (1894-1934) : Journaliste et militant politique martiniquais, André Aliker est surtout connu pour son rôle en tant que rédacteur en chef du journal « Justice », organe du Parti Communiste Martiniquais. Il s’est distingué par son journalisme engagé, dénonçant la corruption et les abus de pouvoir au sein de la société martiniquaise de l’époque. Sa disparition tragique en 1934, dans des circonstances mystérieuses et controversées, a été largement perçue comme un assassinat politique en raison de ses enquêtes et de ses prises de position audacieuses. La mort d’André Aliker a eu un impact profond sur la Martinique, devenant un symbole de la lutte pour la liberté de la presse et la justice sociale. ↩︎
  3. Pierre Aliker (1907-2013) : Médecin et homme politique martiniquais de renom, Pierre Aliker a joué un rôle majeur dans la vie politique et sociale de la Martinique. Frère d’André Aliker, journaliste assassiné en 1934, Pierre Aliker s’est engagé dans la lutte pour l’autonomie de la Martinique et a été un fervent défenseur des droits civiques et de l’égalité. Il a été le bras droit et le conseiller de longue date d’Aimé Césaire, maire de Fort-de-France et figure emblématique du mouvement de la négritude. Pierre Aliker a également marqué son époque par son engagement dans le domaine de la santé publique et son action pour l’amélioration des conditions de vie des Martiniquais. Sa longue carrière et son dévouement à la cause martiniquaise en font une figure historique et respectée de l’île. ↩︎
  4. Acholi : Groupe ethnique nilotique principalement situé dans la région du Nil, au nord de l’Ouganda et au sud du Soudan. Les Acholi sont connus pour leur riche culture traditionnelle, qui comprend des danses, de la musique, des récits oraux et des pratiques spirituelles distinctes. Historiquement, ils sont organisés en petits royaumes dirigés par des chefs et des conseils d’anciens. La société Acholi a été profondément affectée par les conflits régionaux, notamment la guerre civile ougandaise et les activités de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Malgré ces défis, les Acholi ont préservé de nombreux aspects de leur identité culturelle et continuent de jouer un rôle important dans la diversité ethnique et culturelle de l’Afrique de l’Est. ↩︎
  5. Nicolas Anelka (né en 1979) : Ancien footballeur professionnel français, Nicolas Anelka est connu pour sa carrière internationale remarquable, ayant joué pour de nombreux clubs prestigieux tels que Paris Saint-Germain, Arsenal, Real Madrid, Liverpool, Manchester City, Chelsea, et d’autres. Évoluant principalement au poste d’attaquant, Anelka a été reconnu pour sa vitesse, sa technique et sa capacité à marquer des buts. Il a également fait partie de l’équipe nationale française, participant à plusieurs tournois internationaux, dont les Coupes du Monde de la FIFA et les Championnats d’Europe de l’UEFA. Sa carrière a été marquée par des hauts et des bas, y compris des controverses et des transferts médiatisés. Après sa retraite du football professionnel, Anelka s’est engagé dans diverses activités, y compris le coaching et le commentaire sportif. ↩︎
  6. Soudan Occidental : Terme historique désignant une région de l’Afrique de l’Ouest qui couvrait une vaste zone incluant des parties des actuels Mali, Mauritanie, Sénégal, et Niger. Cette région, riche en histoire et en culture, a été le berceau de plusieurs empires et royaumes africains importants, tels que l’Empire du Ghana, l’Empire du Mali, et l’Empire Songhaï. Le Soudan occidental était connu pour ses centres de commerce et d’apprentissage islamique, notamment Tombouctou et Djenné. Au cours des siècles, la région a joué un rôle crucial dans les échanges commerciaux transsahariens, notamment dans le commerce de l’or, du sel et des esclaves. Le terme « Soudan » vient de l’arabe « bilād as-sūdān » qui signifie « pays des Noirs », reflétant la composition démographique de la région. ↩︎
  7. Ngala : Groupe ethnolinguistique d’Afrique centrale, principalement situé dans la région du nord-est de la République Démocratique du Congo. Les Ngala sont connus pour leur langue, le Lingala, qui est l’une des quatre langues nationales de la RDC et qui joue un rôle important comme langue véhiculaire dans la région centrale de l’Afrique. Le Lingala est largement utilisé dans les communications quotidiennes, les médias, la musique populaire et même dans certaines administrations. Les Ngala, à travers leur langue et leur culture, ont eu une influence significative sur la région, en particulier dans les zones urbaines et le long du fleuve Congo. Leur contribution culturelle est particulièrement notable dans la musique, où le Lingala est souvent utilisé dans des genres populaires comme la rumba congolaise et le soukous. ↩︎