Le comportement (africain) physique et social des Antillais
Culture

Par Makandal Speaks 24 avril 2021
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Nofi vous propose un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Jean-Luc Bonniol, « Historial antillais. Tome I. Guadeloupe et Martinique. Des îles aux hommes« , pp. 275-289. Pointe-à-Pitre: Dajani Éditions, 1981, 591 pp. réalisée à partir de l’article de Huguette Bellemare, “Survivances africaines.”
Le comportement (africain) physique et social des Antillais
Les attitudes physiques
Dans les gestes les plus quotidiens des Antillais, on retrouve l’origine africaine.
Comme les premiers esclaves africains que nous décrit le Père Du Tertre, les femmes antillaises portent encore leurs enfants sur la hanche. De plus l’habitude si répandue ici de porter les enfants « à dada », c’est-à-dire à califourchon sur le dos, n’est-elle pas une survivance un peu dégradée (le pagne s’étant perdu en route) de la manière traditionnelle de porter les enfants en Afrique ?
Comme en Afrique, également, les Antillais portent les objets légers sur le plat de la main retournée et les fardeaux les plus lourds sur la tête. (remarquons le rôle des femmes dans le maintien de ces gestes antiques).
Notons que ces survivances qui sont profondément ancrées dans le corps sont tout à fait indépendants du type physique.
Tout au plus peuvent-elles être liées à la classe sociale. Une antillaise dont le statut socio-professionnel implique l’obligation de transporter des fardeaux portera ainsi quelle que soit son origine ethnique.
Tant il est vrai que la culture étant essentiellement apprise, elle n’est pas absolument liée au type physique ou racial.
Le comportement « social »
Dans les sociétés précoloniales d’Afrique Occidentale, l’individu était pris dans un réseau de relations sociales et politiques fort complexe. Bien sûr, ces systèmes sociaux africains ne pouvaient guère coexister en Amérique avec le système esclavagiste. Pourtant, dans le comportement social de l’Antillais, dans ses modes de relations avec autrui subsistent bien des traits d’origine africaine. Pour les analyser, nous irons du moins au plus institutionnalisé
L’étiquette
Il y a, chez les Antillais, et plus généralement chez les Noirs d’Amérique un code de politesse auquel on obéit très strictement.
En Martinique, certaines vieilles personnes détournent encore le visage quand elles rient ; le geste de se couvrir la bouche de la main dans cette même circonstance est encore plus fréquent et se retrouve encore même chez les jeunes ruraux. Selon Herskovits qui a observé les mêmes comportements aux États-Unis, ce sont des attitudes d’origine africaine.
Lorsque deux Antillais se rencontrent, leur échange se fait sous la forme d’un dialogue institutionnalisé, c’est-à-dire que tandis que l’un parle, l’autre acquiesce rituellement : « Oui, Han-Han, Ebin, ou ka conprann…. »
Mais, qui plus est, ce comportement se retrouve dans une situation irréciproque ou un individu d’une autre culture (par exemple occidentale) ne songerait pas a acquiescer. Ainsi, exposé, conférence, explication donnée par un guide etc… peuvent être ponctués par des « oui monsieur »… au moins lorsque l’auditoire est d’origine modeste.
Cette attitude se constate également chez les Noirs des États-Unis et a même été institutionnalisé par les Pasteurs Noirs. (Oh oui, oh non…).
Il faut la rapprocher de la conception africaine de la politesse d’après laquelle écouter passivement les paroles d’autrui c’est se montrer impoli.
Enfin, un chapitre important de la politesse, et même de la morale antillaise c’est le respect dû aux aînés. Nous traiterons ce point plus loin.
Les formes de coopération
La solidarité est un élément important de l’éthique africaine, elle cimente le groupe et se traduit par des habitudes de coopération dans le domaine économique.
Cette pratique de la solidarité ne pouvait qu’être renforcée par l’esclavage : en effet, l’organisation du travail sur les plantations [1] participa certainement a maintenir les habitudes de labeur en commun. D’autre part, les esclaves, livrés à eux-mêmes en dehors de la tâche exigée, durent organiser leur vie et leur survie et ils ne le purent que grâce à leur pratique de l’entraide. Aujourd’hui encore les pratiques de solidarité de l’Afrique subsistent dans la masse rurale encore imparfaitement intégrée à l’économie moderne.
Le travail coopératif
Dans les Antilles rurales, pour accomplir une tâche importante (défricher et retourner un champ, mais aussi bâtir une maison, grager du manioc…) on fait très rarement appel au travail salarié [2]. On organise plutôt un assaut – l’assaut-tè par exemple : les hommes du voisinage se réunissent sur, la terre à défricher ou labourer. Les femmes servent les boissons et préparent la nourriture – boissons et nourriture qui sont offertes par le propriétaire ; les hommes s’encouragent par des chants, des plaisanteries, des défis… Autrefois même, le propriétaire s’assurait le concours d’un orchestre, ou au moins d’un joueur de tam-tam :
« … Le jour voulu, tous ils viennent avec des houes, des coutelas, pioches, bêches. On n’a qu’à préparer le chaudron de légumes (et de porc salé), le barillet de rhum et le tam-tam [3] ».
Cette forme d’organisation du travail se retrouve en Guadeloupe (c’est le convoi), à Trinidad (Gayap), en Haïti (c’est le célèbre coumbite décrit par Roumain), aux États-Unis et plus généralement, partout dans le continent américain ou il y a de fortes concentrations de Noirs.
« Cependant, l’assaut coûte cher, nous dit Revert, à cause de la réception qui l’accompagne. On se contente de plus en plus maintenant de “coups de main” donnés entre voisins, à charge de revanche ».
Bastide note la même évolution en Haïti de l’association (échange de travail contre monnaie ou nourriture) à la ron -qu’il fait venir du français : la ronde (échange de travail contre du travail). Bastide pense également que le travail collectif en Haïti était lié à la grande famille étendue (Laku) qui a son origine en Afrique.
Tout en reconnaissant l’importance du travail collectif pour les sociétés noires, divers auteurs ont mis en doute son origine exclusivement africaine. Bastide fait remarquer que ces pratiques existent dans les sociétés paysannes traditionnelles d’Europe. Celles qu’il appelle les sociétés folk.
Cependant, Herskovits avait déjà remarqué que si le travail coopératif existait bien parmi les premiers colons américains (« les pionniers »), il n’était certainement pas pratiqué dans les régions où il y avait des esclaves puisque ceux-ci étaient là, par définition, pour accomplir toutes les tâches, des plus légères aux plus lourdes. Aussi pense-t-il que ces traditions de travail coopératif sont héritées de l’Ouest Africain et particulièrement du Dopkwe dahoméen.
Que subsiste-t-il aujourd’hui de ces coutumes ?
Du travail pratiqué en musique nous restent des chants de travail conservés dans notre folklore.
Dans les masses populaires à faible pouvoir économique, continue de se pratiquer le coup de main notamment pour construire en un jour (le dimanche le plus souvent), et en cachette des représentants de l’ordre, les petites cases composant les bidonvilles des banlieues.
Les sociétés mutualistes
Tout le monde connaît l’importance des sociétés secrètes en Afrique Occidentale, mais on a beaucoup moins parlé des nombreuses autres associations qui ont pourtant joué un rôle considérable dans les structures sociales africaines.
Les Antillais ont hérité tout particulièrement du caractère « associatif » de leurs ancêtres africains. De plus, comme nous l’avons dit, l’esclavage, mais aussi la société post-esclavagiste, ayant laissé les masses populaires noires en dehors des circuits économiques (banques…) et sociaux (assurances, mutuelles…), celles-ci ont dû organiser elles-mêmes leur entr’aide.
Pour toutes ces raisons, les associations mutualistes se sont considérablement développées aux Antilles [4]. Citons par exemple : l’Humanité Solidaire, Vers La Lumière, La Fraternité… l’Espoir, etc… Ces sociétés ont pour but d’assumer le remboursement des frais médicaux et pharmaceutiques en cas de maladie, et d’apporter une aide financière aux familles décédées -afin de leur permettre de faire face aux frais de l’enterrement, tout particulièrement.
Mais, selon Bangou, « à côté de ces avantages matériels, elles répondent essentiellement à un besoin pour l’Antillais de se réunir et d’organiser ensemble des fêtes périodiques. » En cela, elles ont eu peut-être, à l’origine un rôle de compensation pour le Noir d’abord tenu à l’écart de la société globale.
Enfin, toujours dans le domaine de la coopération, signalons l’institution que les Yoruba appellent esusu et qu’on retrouve à Trinidad sous le nom de susu :
« Un nombre déterminé de personnes accepte de déposer une certaine somme chaque semaine chez l’une d’entre elles ; celle-ci ne demande rien pour les services qu’elle rend… Elle s’engage à remettre à une autre l’ensemble des fonds accumulés pendant la semaine, et cela jusqu’à ce que tous aient pu faire des réalisations entre ces mises de fonds… Ce système permet à une personne, sans qu’elle ait besoin de réaliser des économies systématiques, de financer des projets personnellement sans en avoir les moyens » (Herskovits)
Cette institution se retrouve avec le même nom (sousou), le même fonctionnement et les mêmes buts en Martinique, où elle est encore pratiquée aujourd’hui malgré l’urbanisation et l’occidentalisation du mode de vie, même chez les couches les plus acculturées – celles de la petite bourgeoisie.
Notes et références
[1] La coupe, en particulier, se faisait à l’aide d’équipes de travailleurs (hommes, femmes et souvent enfants) ou chacun avait sa tâche, complémentaire de celle des autres.
[2] D’ailleurs dans la société rurale -tout au moins la traditionnelle- l’argent circule et même apparaît très peu. La base de l’économie est l’échange de services et de dons. L’argent n’apparaît que dans les grandes occasions plus ou moins catastrophiques, l’accident ou la maladie qui frapperait un parent ou un voisin (remarquons encore ici le sens de la solidarité). Et encore, il n’est pas toujours conservé liquide. Les économies, la thésaurisation ont souvent la forme des bijoux de la femme ou d’un animal (cochon, boeuf) qu’on vendra ou tuera en cas de malheur (voir sur ce problème les romans de Zobel).
[3] Zobel : Diab’là, p. 76-79. Nouvelle Édition Latine.
[4] « En 1951, la Fédération Mutualiste de la Martinique groupait 66 associations comptant près de 60.000 membres et, en 1952, celle de la Guadeloupe plus de 70 sociétés réunissant quelques 40.000 personnes » Leiris, Contacts de civilisation, p. 62.