Débattons : Karaba la sorcière aurait-elle été violée ?
Culture

Par Makandal Speaks 15 avril 2021
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Vrai ou faux ? L’histoire de Karaba la sorcière serait-elle celle d’un sordide viol en réunion ? La question à été soulevée par une internaute dont la fille a préparé un devoir, à l’occasion de la journée de la femme. Mais pourquoi Karaba la sorcière est-elle aussi méchante ? ». Voici quelques éléments de réponse.
Débattons : Karaba la sorcière aurait-elle été violée ?
Les contes africains ont la caractéristique de porter en eux une puissante charge didactique et/ou philosophique. Leur caractère intemporel et universel autorise différents degrés de lecture et renforcent l’éducation des jeunes (et moins jeunes) en portant un message éducatif ou moral. En cela, le long -métrage Kirikou et la sorcière, adapté d’un conte ouest-africain, n’est pas différent…
A première vue, ce film d’animation franco-belgo-luxembourgeois réalisé par Michel Ocelot et sorti en 1998 narre la manière dont le jeune Kirikou, né dans des circonstances hors du commun, sauve son village, à force d’intelligence et d’abnégation de la méchante sorcière Karaba qui transforme les hommes en fétiches. Cette lecture semble la plus accessible et celle que la plupart des spectateurs auront retenu. Cependant, d’autres comme le journaliste Gilles Ciment et la psychologue/psychothérapeute Véronique Cormon voient dans l’histoire de Karaba, une illustration symbolique du viol et de la maltraitance faite aux femmes.
Cette interprétation, quoi que surprenante, fait sens lorsque l’on s’y penche d’un peu plus près. Rappelez- vous de ce que répond le sage, grand-père de Kirikou lorsque son petit-fils lui demande : « Pourquoi Karaba la sorcière est-elle aussi méchante ? ». Ce dernier lui raconte l’angoissante manière dont Karaba se fit molester par un groupe d’hommes qui lui ont enfoncé dans le dos une épine (représentation phallique ?) qui la fera terriblement souffrir, et qui changera son comportement.

« Tu as raison de demander pourquoi mais ce sont des choses qui nous feraient remonter jusqu’à la création du monde. Arrête-toi à ce qui t’intéresse vraiment, à la sorcière. »
Selon Véronique Cormon [1] :
« Karaba est une femme blessée, victime d’un traumatisme au sens étymologique, victime d’une effraction de la peau, d’une brèche dans son enveloppe corporelle. »
La Psychothérapeute fait le parallèle entre le comportement de Karaba et celui des trop nombreuses victimes de viol :
- Comme cela peut se produire dans le réel, Karaba rend tous les hommes responsable de son crime [2]. Ils lui inspirent le dégoût.
- Karaba ne parle pas de sa vie antérieure car après viol rien n’est plus comme avant.
- Le fétiche au gros yeux sur le toit de la case de la sorcière représente la vigilance permanente que les victimes de violences sexuelles peuvent s’imposer vis-à-vis des hommes.
- A l’instar de certaines filles/femmes violées, Karaba s’interdit la joie, l’insouciance ainsi que l’amour et dresse une barrière de haine autour d’elle.
- En devenant maléfique Karaba, tout comme de nombreuses victimes de viol, active un mécanisme (psychique) d’identification à l’agresseur.
- Karaba refuse de pas parler de son martyr car, pour de nombreuses femmes, ce serait « une reviviscence insoutenable à cause de la révélation de vécu originaire et du souvenir de l’effroi qui l’accompagne« . Les victimes peuvent même se sentir coupables d’avoir été impuissantes face à leur agresseur, ce qui réduit leur propension à en parler (et à porter plainte).
- De la même manière que Karaba, certaines femmes peuvent éprouver le besoin de s’entourer d’homme-objets (fétiches) qu’elles pourront dominer.
Ces comparaisons, même si certains peuvent les trouver « tirées par les cheveux« , nous on semblé assez judicieuses pour en faire mention.
Selon Gilles Ciment [3] :
« le récit de cette péripétie permettra aux adultes d’interpréter son agression comme un viol collectif particulièrement traumatisant. C’est après avoir ôté l’épine du dos de la sorcière que Kirikou grandit subitement pour atteindre l’âge de s’unir à Karaba – l’enfant devient homme et gagne sa virilité en rachetant le mal que d’autres hommes ont fait avec la leur (…) »
Ainsi, c’est en voulant connaître le « pourquoi » du comportement de Karaba, en s’intéressant à ses souffrances et en ayant la ferme volonté d’y mettre fin que Kirikou mène sa future femme sur le chemin de la rémission. Kirikou la libère de ses souffrances et lui rend sa capacité à aimer. Plus aucun doute, « Kirikou est petit, mais il peut beaucoup !!! ».

« Je n’ai plus mal, je suis de nouveau moi » dira-t-elle à son futur époux
Puisse cet article sensibiliser les lecteurs aux souffrances qu’endurent les femmes victimes de viol à travers le monde et notamment en Afrique, où les viols de guerre entachent quotidiennement l’actualité. Pour conclure, nous vous invitons à méditer sur les paroles de Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes » :
« Chaque femme violée, je l’identifie à ma femme ; chaque mère violée à ma mère et chaque enfant violé à mes enfants. »
Notes et références :
[1] Critique de Kirikou et la Sorcière par Gilles Ciment, parue dans Positif, n°455, janvier 1999.
[2] Véronique Cormon, « Viol et métamorphose » paru dans le Journal International de la Victimologie, (Tome 1, numéro 1 – Octobre 2002)
[3] L’article 222-23 du code pénal, dispose que :
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. »
De plus, au sujet du viol en réunion (qui constitue, en qui français une circonstance aggravante), l’article l’article 222-24 du code pénal dispose :
« Le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu’il est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice »