« Black Wall Street », ou l’organisation économique des Noirs en Oklahoma

Peu après l’esclavage, le quartier de Greenwood à Tulsa, en Oklahoma, hébergeait l’une des économies noires les plus florissantes de toute l’histoire américaine. Malheureusement, ce que l’on surnomme désormais «Black Wall Street» fut brûlé au cours des émeutes raciales qui s’y déroulèrent en 1921.

« Black Wall Street », ou l’organisation économique des Noirs en Oklahoma

En 1906, O.W. Gurley, un jeune et riche entrepreneur afro-américain, s’installe à Tulsa et fait l’acquisition de nombreuses terres. Son objectif ? Vendre uniquement ces biens fonciers  à des membres de la communauté noire.  Gurley aspirait à faire de ce quartier un refuge pour les noirs durement oppressés du Mississippi, ainsi qu’une source d’opportunités en matière de business communautaire. Evidemment, 41 après l’abolition de l’esclavage au Etats-Unis, être noir, accéder à la propriété foncière et s’organiser afin de s’élever économiquement n’était pas chose ordinaire.

J.B. Stradford, un autre entrepreneur noir, joua lui aussi un rôle important dans la création de « Black Wall Street« . Pour lui, le progrès économique de la communauté noire ne pouvait passer que par la mutualisation de ses ressources, la collaboration et le soutien réciproque. Il devint propriétaire de vastes parcelles qu’il revendait, lui aussi exclusivement à des Noirs. Stradford usa également de  son sens de l’entrepreneuriat pour faire bâtir l’Hôtel Stradford sur Greenwood, où les Noirs ne subissaient pas la négrophobie des lois Jim Crow. La genèse de cette enclave noire indépendante fut donc une initiative orientée vers l’accession à un leadership auto-entrepreneurial et communautaire.

L’épine dorsale de Black Wall Street était l’avenue Greenwood. Contrairement à d’autres rues et avenues de Tulsa, qui traversaient à la fois les quartiers blancs et noirs, l’avenue Greenwood desservait essentiellement la communauté noire.

L’extrémité sud de l’avenue Greenwood ainsi que les rues adjacentes abritaient l’élite commerciale noire. Surnommé «Deep Greenwood», ce pâté de maison de plusieurs immeubles en briques rouges abritait des dizaines d’entreprises. Aux abords du quartiers des affaires, de nombreux afro-américains possédaient des terres agricoles, certains d’entre eux se lancèrent même dans l’industrie pétrolière.

À son apogée, Black Wall Street se composait de 15 épiceries, 4 cinémas, 2 journaux, 4 pharmacies, une bibliothèque, un service d’ambulances, des salons funéraires, un hôpital, 4 salons de piment, des boîtes de nuit et 13 églises. La communauté, forte de plus de 10 000 habitants, avait aussi ses propres avocats, médecins et dentistes.

L’argent n’était pas jeté par les fenêtres ni dilapidé à tort et à travers. Bien au contraire, il n’était pas rare que les dollars ne circulent des dizaines de fois dans des mains noires avant de passer entre d’autres mains. Un seul dollar pouvait rester à « Black Wall Street » près d’un an avant de quitter la communauté. A en croire la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP)*, de nos jours au Etats-Unis, 1$ resterait dans les communautés asiatiques 1 mois, 20 jours dans les communautés juives et seulement 6h dans la communauté noire. Les communautés qui réussissent dépensent leur argent avec les leurs, ce n’est qu’une question de bon sens.

La communauté a prospéré jusqu’en juin 1921. C’est à cette période que « Black Wall Street » fut le théâtre de l’un des massacres les plus sanglants et les plus importants de l’histoire de l’Amérique. Un sombre épisode communément appelé « les émeute raciales de Tulsa« . Les sources officielles affirment que l’émeute aurait trouvé son origine dans une rumeur selon laquelle Dick Rowland, un homme noir, aurait violé Sarah Page, une jeune opératrice d’ascenseur blanche dans un immeuble commercial. Des sources plus officieuses invoquent la négrophobie et la jalousie comme principaux motifs de cet incroyable déchaînement  de violence, sur lequel plane le spectre du Ku Klux Klan.

Une foule blanche surexcitée prit les armes et se dirigea vers Black Wall Street. La police locale, qui versait peu dans la « négrophilie«  ne fit rien pour protéger la composante noire de la population, au contraire, certains témoins oculaires affirmèrent que les agents se joignirent au lynchage. Rapidement, Black Wall Street fut cerné par cet attroupement d’enragés, plein de ressentiment à l’égard de la réussite de ces Noirs qu’ils haïssaient.

Des milliers de Blancs ont déferlé vers Black Wall Street tuant hommes et femmes noirs, brûlant et pillant leurs magasins et leurs maisons. L’expédition punitive fit environ 3000 victimes noires et la quasi-totalité des habitants de la zone se retrouvèrent sans-abri.  Les autorités de la ville de Tulsa étaient de connivence avec la foule raciste et interpellèrent plus de 6 000 résidents noirs. Les dégâts matériels s’élevèrent à plus de 1,5 million de dollars en biens immobiliers et à 750 000 dollars en biens personnels.

Nombreux furent les témoins à avoir affirmer que les gardes nationaux firent feu à la mitrailleuse sur les noirs et même qu’un avion avait largué des bâtons de dynamite. Un compte-rendu d’un témoin oculaire, découvert en 2015, relate d’ailleurs, la surveillance d’une douzaine d’avions privés déposant des boules de térébenthine (liquide inflammable) sur les toits de Black Wall Street. Plusieurs groupes de Noirs tentèrent bien évidement de défendre leurs familles et leur communauté. Ils prirent donc les armes, mais furent submergés par le nombre de Blancs armés. Certains d’entre eux trouvèrent la mort en s’efforçant d’éteindre les flammes. De nombreuses familles prirent la fuite cependant, beaucoup furent piégées par l’incendie. C’en fut terminé de l’une des concentrations les plus importantes d’entreprises afro-américaines aux États-Unis au début du XX° siècle.

Cet épisode oublié de l’histoire insiste sur le caractère essentiel de la mise en commun des ressources économiques, dans le processus d’auto-détermination des noirs. Par ailleurs, il rappelle qu’aux Etats-Unis, même jusqu’à et sous le pouvoir de Barack Obama, chaque initiative ou tentative d’élévation communautaire fut entravée par la haine et la crainte des institutions de voir voler en éclat un état de fait plutôt accommodant.

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https://www.nofi.media/2021/04/malcolm-x-et-le-pouvoir-de-leconomie-noire/74113

Sources :

  • Hirsch, James S. Riot and Remembrance: The Tulsa Race War and its Legacy
  • Brophy, Alfred L. « Tulsa (Oklahoma) Riot of 1921« . In Rucker, Walter C.; Upton, James N. Encyclopedia of American Race Riots
  • Madigan, Tim. The Burning: Massacre, Destruction, and the Tulsa Race Riot of 1921
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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