Neïba

Gary Wordlaw, « chef d’orchestre » de la chaîne TV Black News Channel

Culture

Gary Wordlaw, « chef d’orchestre » de la chaîne TV Black News Channel

Par Redaction NOFI 24 mars 2020

Pour ne rien manquer de l'actualité,
téléchargez l'application depuis ce lien
Recevez du contenu exclusif, de l'actualité, des codes promos Nofi Store ainsi que notre actualité évenementielle chaque week-end !

Par Pascal Archimède. Le 10 Février 2020 est une date qui va rentrer dans l’Histoire car elle marque le lancement de la Black News Channel. Détenue et dirigée par des Africains-Américains, cette chaîne TV est la 1ère à promouvoir la culture Noire 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Nofi a rencontré Gary Wordlaw, Vice-Président de la programmation et de l’information sur Black News Channel. Récompensé 8 fois aux Emmy Awards, ce journaliste nous a parlé de son parcours et a partagé sa vision de l’évolution des Noirs aux Etats-Unis.

Il nous a également présenté la grille d’émissions ainsi que les objectifs et perspectives d’avenir de cette chaîne TV.

Bonjour Gary, parle nous de ton parcours scolaire

J’ai grandi à Chattanooga, au Tennessee, dans le sud-est des États-Unis où j’ai fréquenté des établissements publics et poursuivi mes études à l’Université. Parmi les matières enseignées, mon choix s’est porté sur la communication verbale et l’art théâtral. J’ai également suivi quelques cours à l’Université de Clemson en Caroline du Sud ainsi qu’ à l’Université de Géorgie.

À l’âge de 16 ans, tu es devenu l’un des premiers employés afro-américains à être embauchés à la télévision dans l’État du Tennessee. Parle nous de ton expérience dans l’industrie audiovisuelle.

En effet, à l’époque où j’ai débuté, il n’y avait pas beaucoup d’Afro-Américains en poste. J’ai donc fait partie des premiers à travailler à la télévision. Embauché en tant qu’employé de studio sur une chaîne locale, pendant 11 ans j’ai collecté un maximum d’informations sur le fonctionnement d’une chaîne TV. J’ai accédé au poste de directeur adjoint du service des nouvelles, mais je savais que je ne serai jamais promu directeur de l’information. À  cette époque, il était difficile pour les Afro-Américains de briser le plafond de verre. Ainsi, après cette première expérience de 11 ans, j’ai déménagé avec ma famille dans l’État de Washington où j’ai occupé le poste de directeur de l’information dans une station de télé locale. J’y ai passé deux ans et demi. Par la suite, j’ai déménagé à Baltimore, dans le Maryland. Il s’agissait d’un marché beaucoup plus vaste avec davantage d’opportunités. Occupant le poste de rédacteur en chef, 6 ans plus tard j’étais nommé directeur de l’information. J’ai passé environ 10 ans sur cette chaîne à apprendre tous les aspects de la gestion des actualités.

Au bout de 10 ans passés à Baltimore, j’ai reçu un appel de  Washington DC. Une chaîne de télé plus connue avait besoin de mes services. On me proposait un poste de vice-président de l’information. J’ai bien entendu accepté et suis resté en poste pendant 9 ans. J’ai permis à cette chaîne de télé d’augmenter de manière exponentielle sa cote de popularité. Le départ de cette chaîne mettait fin, à cette époque, à ma carrière de journaliste.

En quittant Washington DC, je suis allé à Syracuse, à New York en tant que président-directeur général d’une chaîne télé. J’ ai travaillé pendant 4 ans à la direction de cette station avant d’être embauché par le réseau CBS. J’ai ensuite, pendant quelques années, dirigé leur chaîne télé à Seattle, dans l’état du Washington, avant de gérer leur chaîne à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. L’ouragan Katrina a mis fin à ces nouvelles activités. J’ai alors quitté la Nouvelle-Orléans pour occuper le poste de vice-président et directeur général d’une chaîne de télévision à Tallahassee, en Floride. Au bout de 5 ans, je suis revenu à la Nouvelle-Orléans pour occuper le poste de directeur général à Bounce télévision. J’ai bossé sur cette chaîne jusqu’à ce que je sois nommé coordonnateur national de l’info pour le groupe Nextstar Media en Louisiane. Quelques années plus tard, je reçois un coup de fil du Président Directeur Général de Black News Channel. Ce fut pour moi l’occasion de m’installer à Tallahassee, en Floride et d’occuper le poste de vice-président de la programmation et de l’information. Et voilà où j’en suis actuellement!

Gary, que penses-tu de l’évolution des Noirs aux États-Unis au cours des 60 dernières années? Amélioration ou régression?

Le constat est mitigé. Je pense qu’à bien des égards, la situation des Noirs aux États-Unis s’est amélioré sur le plan matériel, social ou encore politique. Toutefois, plus les Noirs grimpent dans l’échelle sociale, plus on leur met des bâtons dans les roues. Alors, certes, nous avons été en mesure d’intégrer certains secteurs de la société américaine qui nous étaient refusés auparavant! Mais alors, rares sont ceux qui arrivent à ce niveau. Donc, le combat est toujours d’actualité. Les Noirs doivent encore se battre pour être reconnus à leur juste valeur. Je suis conscient qu’aujourd’hui nous avons plus de PDG noirs qu’avant. En même temps, nous possédons également aujourd’hui davantage d’entreprises. Je pense que nous devons rester sur le qui-vive, continuer à travailler d’arrache-pied et faire de notre mieux pour atteindre nos objectifs.

J’ai l’impression qu’aujourd’hui les Noirs sont plus visibles à la télévision qu’il y a quelques décennies. Je pense aux artistes, aux présentateurs et autres. Je me trompe ?

Tu as raison et tort. Vu qu’il y a plus de chaînes, il y a nécessairement plus d’employés de couleur. Mais combien de Noirs possèdent ces chaînes? Combien de managers noirs y a t’il dans les médias audiovisuels par rapport à tous ceux que tu voies devant la caméra?
Donc, oui, nous sommes de plus en plus nombreux devant la caméra, mais nous devons encore nous battre pour être à la tête de ces chaînes et pour posséder nos propres plateformes. La lutte continue. Nous avons progressé, mais la route est encore longue.

Que penses-tu de l’évolution des Noirs dans l’industrie audiovisuelle au cours des 30 dernières années?

Fin des années 1980, début des années 1990, nous avions très peu de directeurs afro-américains. Aujourd’hui, il y en a plus. Cependant, les directeurs généraux afro-américains se font rare. Ce sont les directeurs généraux qui dirigent les chaînes TV. Il reste donc encore du chemin à faire. Beaucoup d’Afro-Américains brillants sortent de la fac munis d’une expérience solide. Je crois que ce n’est qu’une question de temps avant que nous soyons de plus en plus nombreux à pouvoir siéger autour de la table.

Tu as remporté 8 fois les Emmy Awards dans la catégorie « nouvelles télévisées ». C’était à quelle période de ta vie? Quel impact ces victoires ont-elles eu sur ta vie sociale et professionnelle?

Gary Wordlaw, "chef d’orchestre" de la chaîne TV Black News Channel

Crédit Photo: Black News Channel

C’est quand j’étais à Washington DC que nous avons obtenu le plus de succès avec les Emmys et autres. J’avais créé une unité d’enquête sur place et embauché des gens brillants. Nous étions sur le terrain et couvrions des sujets que les autres ne couvraient pas. Ces histoires ont poussé les gens à regarder nos programmes car nous répondions à des problématiques et mettions en lumière beaucoup de faits de société dont les gens parlaient, mais qui n’étaient pas forcément portés à l’écran.

Ainsi, les Emmys, les  Society Professional Journalism Awards,  les Radio Television News Director Awards ainsi que l’ Associated Press ont été le fruit du succès de la chaîne. En quoi cela m’a t’il affecté personnellement? Eh bien, je suis aujourd’hui vice-président de la programmation et de l’information de la première chaîne TV américaine dirigée et appartenant à des Afro-Américains. Je pense m’être fait connaître sur le territoire américain pour ma capacité à diriger un groupe de personnes dans ce type de projets innovants. C’est la meilleure chose qui me soit arrivée ! Je ne vais pas me faire prier pour les récompenses. Il est cependant  plus important pour moi que les gens visionnent ce que nous faisons. Les récompenses sont merveilleuses, mais le succès que nous avons remporté en incitant les gens à visionner nos reportages est encore plus appréciable!

Tu as été nommé vice-président de la programmation et de l’information à Black News Channel (BNC), la première chaîne américaine qui, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, diffuse des programmes qui mettent en lumière l’actualité des Africains-Américains. Que représente ce projet pour toi?

Ça représente tout pour moi! Je travaille depuis longtemps dans le domaine de la télédiffusion et j’ai toujours collaboré avec des gens entièrement dévoués au traitement de l’information. Mais tout le monde ne comprend pas forcément l’épreuve que vivent les Afro-Américains. En travaillant ici, je supervise donc nos infos quotidiennes qui sont, d’un point de vue culturel, en adéquation avec les besoins et les attentes de la communauté afro-américaine. Et nous traitons ces informations sans complexe ! Je veux que le monde nous regarde et voit les Noirs faire des choses positives. Car malheureusement, nous sommes aujourd’hui trop souvent présentés à la télé comme des criminels et stigmatisés !
Pour m’aider à accomplir cette mission, je me suis donc entouré d’une équipe d’ Africains-Américains talentueux déterminés à faire connaître ces histoires positives ainsi que ce qui se passe partout dans le monde.

Quels types d’émissions sont diffusées?

Nous proposons une série de programmes. Nous avons un bulletin de nouvelles qui commence le matin à 6 h. Donc, de 6 h à 9 h, il y a un journal télévisé qui dure trois heures. À 9 h, un programme en direct de Washington D.C qui s’intitule « D.C Today Live » permet d’examiner les us et coutumes des Afro-Américains sous l’angle de la capitale du pays. À 10 h, deux jeunes femmes brillantes animent une émission télévisée en direct intitulée « Being a Woman ». Elles traitent de sujets susceptibles d’intéresser les femmes de tout âge. Ensuite, le journal télévisé du matin est rediffusé jusqu’au milieu de l’après-midi.

Photo credit: Black News Channel

Chaque jour, nous proposons des émissions diverses et variées :

« HBCU this week », qui met en lumière les universités noires qui ont marqué l’Histoire. Mais aussi « BNC Sports Weekly » qui traite des Noir(e)s et de l’athlétisme.
Une série de documentaires est offerte, de Nelson Mandela à Lil Wayne, tout est traité dans ces programmes. « Doctor For The People » est une émission dédiée à la santé où l’on traite essentiellement de questions médicales qui touchent les Noirs aux États-Unis et dans le monde. « All Things Men » est un talk-show où les hommes peuvent discuter de sujets qui les préoccupent. « From The Heart » est animé par une psychologue clinicienne qui discute avec des adolescents de questions importantes qui concernent les enfants noirs aujourd’hui. « Color Of STEM » est un programme conçu pour intéresser nos jeunes à l’ingénierie. L’objectif de cette émission est d’inspirer et d’encourager nos jeunes dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques.
J’ai aussi quelques émissions sportives comme « Guide to the Game » qui propose un regard sur les coulisses des Jeux olympiques ou « Compte à rebours Tokyo », qui est un autre programme sur les Jeux olympiques.

Ensuite, nous avons un show unique en son genre, intitulé « Taste To The Town » où notre présentatrice voyage de ville en ville et  répertorie les meilleurs restaurants noirs du coin. Elle fait également un inventaire des activités préférées des Noirs dans cette ville. « Star Block Workout » est un show animé par un jeune Noir résidant en Angleterre. Il fait le tour du monde et montre aux gens comment rester en bonne santé sans forcément se rendre dans une salle de sport.

Dans l’après-midi, nous avons une émission « Ladies First » qui traite des habitudes des femmes de 30 ans et plus. Ce programme est suivi du « Kelly Wright Show », une émission filmée en direct de Washington D.C. Il s’agit d’un talk-show d’après-midi avec des sujets d’actualité et des invités exceptionnels.
Nous terminons par « News Prime Live » à 19 h qui, durant 3 heures, nous livre les dernières actualités du jour. Voilà à quoi ressemble notre journée d’antenne!

Ceci dit, ces programmes, auront-ils une orientation politique? Le président de la chaîne BNC, Julius Caesar Watts Jr étant un ancien membre du Congrès républicain, cette plate-forme sera-t-elle utilisée comme un outil politique pour attirer et obtenir les votes des Noirs?

Pas du tout! Je suis journaliste, ce qui signifie que j’ai un devoir de neutralité. Je n’ai pas de motivation politique. Je ne suis sous l’influence d’aucun homme politique et me fiche de savoir à qui appartient cette plateforme. Personne ne me dit quelles informations je dois traiter. Si les gens ne croient plus en notre neutralité, alors nous avons perdu toute crédibilité! De plus, personne dans cette entreprise ne m’a jamais interrogé sur mes orientations politiques, parce que ça n’a pas d’importance ! Mon travail consiste à m’assurer que le personnel diffuse des informations factuelles, justes et sensées. Et crois-moi, je n’en démords pas!
J.C est un excellent Président. Nous abordons beaucoup de sujets, mais nous n’avons jamais évoqué d’opinions politiques en lien avec Black News Channel car ce serait malvenu!

D’accord! Combien d’abonnés pensez-vous atteindre?

Lorsque nous avons lancé la chaîne, nous espérions atteindre 33 millions de foyers. Mais, compte tenu de l’expansion rapide de BNC, nous tablons plus maintenant sur 80 à 85 millions de foyers.

Penses-tu que cette chaîne de télévision aidera à renforcer l’image positive des Noirs aux États-Unis et dans le monde ?

Absolument! Et ce n’est qu’un début! Je reçois chaque jour des centaines d’e-mails de gens qui veulent avoir des émissions, d’autres qui veulent être invités à des émissions sur la chaîne ou alors qui nous félicitent de la mise en place de cette plateforme. Il est clair qu’après un mois et demi d’existence, l’impact est important!

Les émissions peuvent-elles être visionnées à l’étranger?

Le téléspectateur disposant d’un lecteur numérique « Roku »[1] peut avoir accès à nos programmes. Nous tentons actuellement d’avoir des autorisations de diffusion en Afrique et ailleurs. Je te rappelle tout de même même que nous ne sommes opérationnels que depuis un peu plus d’un mois ! Il y a encore tellement de choses à faire !

Quels conseils donnerais-tu à une petite sœur ou à un petit frère qui souhaiterait faire carrière dans le secteur des médias?

Je lui dirais « Ne renonce jamais à ton rêve ! Va à la rencontre de personnes qui travaillent déjà dans ce secteur. Trouve quelqu’un susceptible de t’ encadrer. Apprends avec lui, sois curieux, sollicite le pour bénéficier de ses conseils sur ton travail. Persévère et n’abandonne jamais! »

[1]          Roku est une gamme de lecteurs multimédias numériques qui offrent un accès au contenu multimédia en continu à partir de services en ligne.