David Drumeaux, « Serial entrepreneur » guadeloupéen

Par Pascal Archimède. « Dieu et la Nature ont fait de nous ce que nous sommes, mais à travers notre génie créateur nous faisons de nous-mêmes ce que nous voulons être». Marcus Garvey

David Drumeaux est un entrepreneur guadeloupéen qui a plusieurs cordes à son arc.

Il nous a accordé une entretien au cours duquel il est revenu sur son parcours, sa reconversion dans le domaine culinaire ainsi que sur l’entrepreneuriat en Guadeloupe.

Bonjour David, parle-nous de ton parcours scolaire

Je suis titulaire d’un Bac Scientifique-Biologie, Bac D comme on l’appelait à l’époque. J’ai ensuite fait une année de Biologie à Poitiers. Je dois t’avouer que ça a plus été une année sabbatique. Cette année m’a toutefois été bénéfique car elle m’a permis de déterminer ma nouvelle orientation. J’ai alors bifurqué vers un BTS communication et action publicitaire par correspondance, car à l’époque je travaillais dans une agence de pub. J’ai ensuite terminé avec une Licence-Maîtrise en Marketing direct à l’ ISCOM, une école à Paris.

J’ai donc eu un parcours scolaire court car je suis rentré très rapidement dans la vie active !

Tu as vécu en France hexagonale quelques années avant de revenir t’installer en Guadeloupe. Que faisais-tu en France?

Je suis né en Guadeloupe en 1973. Peu de temps après ma naissance, mes parents sont partis s’installer à Mortain, un patelin en Normandie. Je crois même que nous étions les seuls Noirs à y vivre !  Nous avons vécu à Mortain jusqu’à mes 6 ans. Nous sommes ensuite rentrés en Guadeloupe en 1979, juste avant le passage du cyclone David. Je suis reparti faire mes études en France hexagonale en 1991 et suis rentré définitivement au pays en 1995.

Qu’est-ce qui t’a motivé à rentrer ?

En 1995, j’étais venu passer une semaine de vacances. Travaillant à l’époque dans une agence de communication, j’étais venu avec mon CV et mon book. J’ai donc profité de cette semaine pour faire le tour des agences et en une semaine, j’ai décroché 3 offres d’emploi. C’était la grande époque des agences de communication en Guadeloupe. Il y avait du boulot dans ce secteur ! On m’a donc proposé un poste avec pas mal d’avantages sympas ! J’avais vraiment envie de rentrer en Guadeloupe, donc je ne me suis pas posé de questions !

Une fois rentré au pays, qu’as-tu entrepris?

Dans un premier temps, j’ai occupé le poste de Directeur de clientèle au sein de Cayenne Communication, une boîte de com. En un an, j’avais un peu fait le tour de la question. Comme j’avais une formation en Marketing Direct [1] et que cette technique faisait ses débuts en Guadeloupe, j’ai alors monté une boîte de consulting, DDMD CONSEIL. De 1997 à 2000, j’ai donc vendu un logiciel qui permettait à des entreprises de gérer une base de données et d’envoyer des courriels.

En plus de mes activités de consulting, j’ai été Directeur de régie publicitaire à Zouk Radio de 1997 à 2001. En charge de la communication, j’ai aidé à la création de ce média qui est rapidement devenu une des premières radios musicales en Guadeloupe. On a remis le Zouk au goût du jour avec une radio automatisée, sans animateur. C’était une révolution à l’époque !

Á  partir de 1997, j’ai également intégré le monde artistique et suis devenu le manager du guitariste et chanteur haïtien Beethova Obas. J’ai alors organisé des petits concerts dans des salles et des restaurants en Guadeloupe et en Martinique. J’ai travaillé avec des artistes tels que le pianiste martiniquais Mario Canonge ou encore le groupe mythique Malavoi.

C’est pendant que j’étais à Zouk Radio que j’ai monté le projet « LAKASA  ». Ouvert en 2001, « LAKASA » était une salle de spectacle pluridisciplinaire où l’on organisait des manifestations professionnelles, des mariages, des concerts ou encore des soirées. J’y ai été gérant et exploitant pendant 17 ans, de juin 2001 à Octobre 2018. « LAKASA  », ce fut quasiment 300 concerts, des soirées mythiques ainsi que beaucoup d’évènements qui ont fait bouger le monde de la nuit et du live en Guadeloupe !

Á cette période là, j’ai également touché à la production d’artistes via ma société LALA PROD. J’ai par exemple été, de 2004 à 2008, le manager et producteur de l’artiste Rap-Dancehall Guadeloupéen Daly avec 2 albums à la clef. J’ai également produit l’un des premiers DVD de Jazz Antillais avec « SAKESHO LIVE AT LAKASA ».

J’ai aussi beaucoup évolué dans le milieu du Jazz  en produisant des concerts d’artistes internationaux  comme Richard BONA, Roy hardgroove , Kenny Garret , Mike Stern , Ray barreto , Eddie Palmieri , Jacques Schwartz Bart, Roberto Fonseca et bien d’autres. Par ailleurs, « LAKASA » a  permis l’émergence et la mise en lumière de nombreux artistes et groupes musicaux.

Aujourd’hui,  tu t’es reconverti dans la restauration et tu as ouvert 2  enseignes, le « 1973 Food and Sound  » et « Bokit DELUX « . Pourquoi cette reconversion?  Parle-nous de tes 2 restaurants/concepts. As-tu l’intention de les franchiser?

En effet, je me suis aujourd’hui reconverti dans la restauration. Le point de départ fut la création en 2005 de « LAKASA FOOD », activité annexe de « LAKASA », qui proposait des services de restauration-traiteur. L’expérience m’a plu. J’ai alors créé le « 1973 » en 2013. Pour mes 40 ans, j’ai souhaité mettre mon potentiel créatif à l’épreuve en créant un nouveau lieu qui serait autant un restaurant qu’un lieu confidentiel. Un genre de Social-Club un peu branché. Je me suis beaucoup inspiré, lors de mes voyages, des bars clandestins qu’on peut trouver par exemple à Saint Domingue. Au début, on a donc ouvert le « 1973 » de manière très confidentielle. Bien qu’ouverts que 3 fois par semaine, ce lieu se veut original et accessible à tous. Un endroit où tout le monde se rencontre et échange. C’est un restaurant où il y a un bar, de la musique, du live. Un lieu qui, je pense, est unique en Guadeloupe de par son concept et sa décoration. Il s’agit d’une maison des années 1940 avec une cuisine un peu Fusion qui synthétise un peu tous mes voyages.

En 2017, j’ai franchi le pas et ai décidé de me former en art culinaire. En 4 mois, j’ai donc décroché un diplôme équivalent au CAP Cuisine à l’école de cuisine Alain Ducasse. Á mon avis, c’est bien de gérer des boîtes dans la restauration, mais c’est encore mieux d’être formé en cuisine car ça permet de mieux appréhender tous les paramètres de ce métier ! Après ma formation chez Ducasse, j’ai alors créé « BOKIT DELUX  », en 2018. Le concept ? Je souhaitais créer une enseigne basée sur la « Street food », c’est-à-dire la mise en vente de plats et boissons dans la rue et à emporter. Je me suis dit que le bokit[2] était le produit le plus à même de répondre à ce concept. Je voulais redonner ses lettres de noblesse au bokit que je trouvais un peu dévalorisé, souvent vendu dans des conditions d’hygiène un peu douteuses. Aujourd’hui en Guadeloupe, nous avons plus de pizzerias que de « Bokiteries ». Tous ces éléments m’ont donc poussé à ouvrir « BOKIT DELUX ». Depuis que nous sommes là, j’ai remarqué que le monde du Bokit a évolué. En effet, maintenant, de plus en plus de restaurants le proposent dans leurs menus. C’est un produit qui mérite d’être valorisé. Nous proposons une gamme variée et originale de Bokits. Passe me voir quand tu seras en Guadeloupe, tu comprendras mieux ce que je veux te dire !

Sinon, j’ai l’intention de franchiser « BOKIT DELUX ». Mais comme je ne veux pas mettre la charrue avant les bœufs, je tiens dans un premier temps à en ouvrir un deuxième fin 2020, histoire de stabiliser le produit !

Á ton avis, est ce que l’entrepreneuriat pourrait être une solution au chômage de masse qui touche la Guadeloupe?

L’entrepreneuriat peut être une partie de la solution, mais ce n’est pas LA recette miracle. Entreprendre n’est pas donné à tout le monde ! C’est une démarche personnelle ! Bien que la  Guadeloupe compte énormément d’entrepreneurs, le taux de mortalité des entreprises est relativement important.

Est-ce facile ou compliqué d’entreprendre en Guadeloupe?

C’est très compliqué d’entreprendre en Guadeloupe parce que nous sommes sur un micro marché. Quelque soit l’activité, le marché n’est pas extensible et le nombre de clients potentiels reste restreint. De plus, tous les secteurs porteurs sont déjà pris par les grands groupes qui cadenassent l’île. Il ne reste donc que des petites niches dans lesquelles un entrepreneur potentiel peut s’engouffrer.

En outre, il n’existe aucune politique réelle d’accompagnement à la création d’entreprises. Certes, tu trouveras quelques dispositifs ! Mais rien de concret qui puisse permettre à un jeune désireux d’entreprendre, de se lancer. C’est pour cela que très tôt j’ai compris qu’il fallait que je fasse tout, tout seul, en évitant de solliciter ou de monter des dossiers, car, pour moi, tout ça, c’est un peu le miroir aux alouettes ! Alors, s’il existe des dispositifs, bien sûr, il faut les utiliser. Mais, perso, je conseillerais de ne pas tout miser dessus !

Quels conseils donnerais-tu à un jeune qui souhaite entreprendre en Guadeloupe?

La première chose serait d’aimer ce qu’il fait. On ne peut pas entreprendre sans Amour. Il faut une certaine passion dans ce qu’on fait et bien sûr avoir l’Amour du travail ! J’ai l’impression que certains jeunes aujourd’hui ne se rendent pas forcément compte de ce qu’entreprendre coûte en terme d’engagement personnel.

Le deuxième conseil serait de s’engager totalement. Quand on entreprend, on s’engage corps et âme pour la réussite de son projet.

L’Amour et la passion ont toujours été mon moteur dans la création des concepts de mes sociétés. Il faut y croire et surtout, ne rien faire à moitié !

Depuis peu, tu organises des « Blocks Party » à Pointe à Pitre pour redynamiser la ville. Peux tu nous parler de ce concept? Ne serait ce pas plutôt aux élus locaux d’organiser ce type d’événements?

Depuis moins d’un an, j’ai en effet repris un concept de Block Party . Il s’agit d’une espèce de fête de voisinage au cours de laquelle on bloque la rue, on met de la musique, on organise des animations et des artistes chantent en live. La rue est le premier lieu de vie. J’habite à Pointe-à-Pitre, une ville qui est très décriée et mon quartier, comme beaucoup d’autres, a été laissé à l’abandon. Avec ce concept de Block Party, je matérialise ma philosophie «  si tu veux changer ton pays, commence par changer ta rue, ton quartier et ta ville ». Pour moi, c’est une façon de dire au gens « reprenons à zéro. On peut faire par nous-mêmes ». La grande réussite de ces Block Party réside dans la mixité. Voir des gens de toutes origines sociales et ethniques se rencontrer et  échanger dans une ville comme Pointe-à-Pitre, c’est juste énorme ! Recréer la vie est  le leitmotiv de tous les concepts que j’ai créés. Mais là, le fait qu’on le concrétise dans la rue est encore plus parlant et plus fort ! Cela montre aux gens qu’avec peu, on peut faire beaucoup.

La ville de Pointe-à-Pitre et Cap Excellence m’ont aidé à mettre en place la dernière manifestation et j’en profite pour les remercier au passage. Mais pour moi, ce n’est pas aux élus locaux d’organiser ce type d’évènements. C’est aux privés de le faire et les politiques se doivent de suivre et d’accompagner ceux qui veulent dynamiser la ville. Même si la ville doit avoir une vision globale de son développement, il faut laisser la place aux initiatives privées pour amener ce dynamisme. La municipalité doit ensuite emboîter le pas !

En parlant de politique, serais tu en faveur d’une évolution statutaire de la Guadeloupe?  Si oui, sous quelle forme?

Avant tout, je tiens à préciser que je ne fais pas de politique. Je fais simplement ce que j’ai à faire. Après, quand tu fais correctement les choses, tes actions ont des répercussions politiques, sans même que tu ne le réalises.

Maintenant, pour répondre à ta question, oui, je suis en faveur d’une évolution statutaire avec plus d’autonomie et plus de pouvoir. Maintenant, Sommes-nous prêts à recevoir plus de pouvoir ? Ça laisse quand même dubitatif de voir ce que font nos élus du peu de pouvoir dont ils disposent. Pour moi, ce n’est pas vraiment le bon exemple !

Perso, je désire cette autonomie. Mais sommes nous prêts ? Avons nous la classe politique adéquate pour un tel changement ? Pour l’instant, j’en doute !

As-tu des projets à venir?

J’ai des tas de projets ! J’en ai tous les jours quand je me réveille. Après, la question c’est « Lesquels vais-je finaliser » ? Mes objectifs sont encore en lien avec la restauration. D’un point de vue personnel, je vais continuer à me former pour progresser en cuisine. Aujourd’hui, c’est compliqué pour moi de dire que je suis un Chef, car je me considère encore comme un débutant. Je suis peut être créatif, mais j’ai encore tellement de choses à apprendre dans la cuisine. Tellement de choses à apprendre de nos Chefs, de notre culture culinaire ! Donc oui, à court terme, j’ai comme projet d’apprendre et de progresser pour devenir un Chef reconnu.

D’ici 2021, je pense également lancer un nouveau concept dans la restauration, toujours à Pointe-à pitre. Mais, cela fera l’objet d’un autre entretien !

 

[1]           Le marketing direct est une technique de communication et de vente qui consiste à diffuser un message personnalisé et incitatif vers une cible d’individus ou d’entreprises, dans le but d’obtenir une réaction immédiate et mesurable. Autrement dit, le marketing direct est celui qui touche directement la cible.
[2]              Le bokit est un sandwich guadeloupéen qui a pour particularité d’être frit. Cette spécialité typiquement guadeloupéenne s’est développée vers mi-1800, après l’abolition de l’esclavage. À cette époque, les travailleurs les plus pauvres ne pouvaient même pas se payer certains produits de première nécessité comme le pain. Mais, observateurs et débrouillards, ils eurent l’idée d’adapter et de fabriquer eux-mêmes un pain, sans levure à l’époque et cuit dans une casserole d’huile chaude, appelé « pain chaudière », dû à la vapeur s’en échappant.

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