Amos Wilson à propos de l’importance de l’Histoire
Société

Par Makandal Speaks 11 février 2019
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Nofi vous propose la retranscription d’un extrait d’une conférence du penseur panafricaniste afro-américain Amos Wilson (1941-1995).
Amos Wilson à propos de l’importance de l’Histoire
Nous parlons encore de « la raison pour laquelle étudier l’Histoire« … Ainsi, beaucoup de gens pensent que l’Histoire se résume à l’étude de dates et à la lecture d’informations sur des événements du passé. Ce n’est assurément pas le cas. L’Histoire est toujours présente dans l’esprit humain. Le passé est toujours présent. Des choses qui vous sont arrivées à l’âge d’un an, à deux ans, alors que vous aviez trois ans, opèrent en vous, en ce moment même. Et la façon dont vous réagissez aux autres, les goûts que vous avez, les désirs que vous avez, le type de relations amoureuses que vous recherchez et tout le reste, sont en grande partie déterminés par votre expérience avant que vous n’ayez trois ou quatre ans. En d’autres termes, cette expérience, ces expériences entre la naissance (une réalité dans l’utérus lui-même) et deux, trois ou quatre ans, agissent actuellement pour colorer votre perception des autres, de vous-même; déterminer dans une large mesure la nature de votre interaction avec les autres.
Le passé n’est pas une chose qui a disparu et qui a été éteint dans votre esprit, il opère ici même à ce moment précis, à la seconde près; et il opérera jusqu’au jour de votre mort. Cela signifie que la même chose se produit dans l’histoire d’une race. Si vous regardez l’histoire d’une race comme vous le faites avec un individu, ces expériences que nous avons vécu il y a deux ou trois cents ans ne sont pas mortes et n’ont pas disparu. Les relations que nous entretenons avec les autres, bon nombre de nos objectifs politiques, de nos objectifs sociaux, de nombreuses choses que nous souhaitons réaliser en tant que peuple découlent de notre expérience de l’esclavage.
Beaucoup d’entre nous sont assis ici en ce moment, désirant s’assimiler aux Blancs. Beaucoup d’entre nous luttent avec un complexe d’infériorité et toutes sortes de choses de ce genre. Où pensez-vous que cela a commencé ? Vous pensez que cela a commencé ici, aujourd’hui ? Cela a commencé dès que nous sommes arrivés sur les côtes de ce pays. Et ainsi notre expérience en tant que groupe est vivante en nous. Où l’Histoire peut-elle être vivante sinon dans l’esprit des gens ? Si les gens n’existaient pas, à quoi cela servirait-il ? Nous n’aurions même pas besoin de discuter au sujet de l’Histoire.
Une autre indication d’importance à propos de l’Histoire, c’est bien sûr le fait que ceux qui nous dirigent et ceux qui nous dominent ont travaillé très dur pour déformer, cacher et falsifier notre histoire. Donc, si l’Histoire n’était pas aussi importante dans la vie quotidienne, dans la vie réelle et dans les activités concrètes, pourquoi alors ce pays et les gens qui le dirigent travaillent-ils si durement pour détruire l’histoire africaine ? Pourquoi s’opposent-ils à l’inclusion de l’histoire et de la culture africaine dans la structure éducative, s’ils pensent que cette inclusion est purement inoffensive ?
Autrement dit, nous devons acquérir une nouvelle appréciation de l’histoire et reconnaître que celle-ci est toujours présente et que, dans une large mesure, si nous voulons changer notre comportement actuel, nous devons changer le passé et changer notre relation avec lui. Par conséquent, la falsification et la diabolisation de la conscience noire expliquent pourquoi nous devrions étudier l’Histoire. Vous pouvez la voir dans votre comportement quotidien : Si on vous a mal raconté l’histoire d’une personne, cela pourrait changer votre comportement à l’égard de cette personne. Si les gens ont une mauvaise histoire sur vous ? On leur a donné des informations erronées à votre sujet.
Si vous agissez avec d’autres personnes en fonction de leur histoire et que celles-ci veulent changer la nature de leurs relations, elles falsifieront souvent leur histoire, sachant qu’une ou deux de ces personnes vont interagir différemment selon leur histoire ou leur sens de l’histoire de l’individu. C’est pourquoi les personnes au pouvoir réécrivent l’Histoire. Parce qu’en la réécrivant, ils réécrivent la perception que les gens ont d’eux-même. Ils modifient également le comportement de cette personne et ses relations avec d’autres personnes, compte tenu de l’Histoire qu’elle en vient à croire; et ils modifient également la façon dont les autres personnes interagissent avec ces personnes, vous voyez, en fonction de l’Histoire qu’ils ont apprise au sujet de ces personnes. Vous voyez, c’est la raison pour laquelle tout groupe doit prendre le contrôle de son histoire pour s’assurer qu’il projette le type d’histoire qui fonctionne dans son intérêt; il ne peut pas laisser un autre peuple écrire son histoire et laisser un autre peuple déterminer la nature de son histoire. Et nous devons également connaître l’histoire d’autres peuple si nous voulons maintenir la maîtrise de soi et l’autodétermination.
Mais l’Histoire n’est pas un simple souvenir de notre expérience. Tout ce que nous avons appris nous l’avons appris grâce au passé. Vous avez appris à parler, vous avez appris à marcher. Vous l’avez appris quand ? Pas aujourd’hui. Vous l’avez appris il y a des années. Donc, si, dans un sens purement théorique, vous oubliez toute votre histoire, toute votre expérience, vous retourneriez à l’état d’existence fœtal; à un état d’immaturité; votre capacité à faire face aux réalités actuelles serait réduite. Bon nombre de techniques d’adaptation et de choses que vous avez apprises dans le passé ne vous seraient pas utiles car vous ne les auriez pas sous la main. La même chose est vraie dans la vie d’un peuple; nous avons appris beaucoup de choses en tant que peuple africain; nous avons appris à faire face à beaucoup de choses; nous avons appris beaucoup de méthodes et de techniques pour résoudre des problèmes. L’oubli de l’histoire africaine, le fait de ne pas connaître l’histoire africaine, engendre en nous un certain degré d’immaturité et d’incapacité à faire face aux problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.
Vous voyez donc que l’Histoire n’est pas simplement une affaire de souvenir. L’Histoire est un instrument de pouvoir. Et si vous laissez un autre peuple (comme je l’ai dit plus tôt) la falsifier, il détruira votre pouvoir et votre potentiel en tant que peuple et votre capacité à résoudre vos problèmes en tant que peuple. Nous allons donc en parler. Nous allons parler de la façon dont la mythologie de l’histoire européenne a organisé notre mentalité aujourd’hui en tant que peuple africain. Et de la manière dont nous devons voir l’histoire européenne comme une mythologie et avoir une connaissance plus correcte et réaliste de l’histoire européenne comme moyen d’obtenir une connaissance plus correcte et réaliste de nous-mêmes et comme moyen de nous contrôler. Nous allons également parler dans ce livre d’une psychologie. Pourquoi sommes-nous étiquetés comme inadaptés et ainsi de suite ? et pourquoi permettons-nous à d’autres personnes de nous apposer des étiquettes ? Pourquoi permettons-nous à d’autres personnes de prétendre que nos enfants ont des problèmes d’apprentissage ? Pourquoi n’avons-nous pas examiné ces définitions ?
Dans une très grande mesure, la destruction de nos enfants a lieu parce que nous avons accepté sans opposition ni analyse critique la définition du comportement d’autres personnes. Un peuple qui a falsifié notre histoire ne connaît pas la psychologie de nos enfants ni la nôtre, mais qui est suffisamment arrogant pour avoir l’impression de pouvoir définir notre comportement et de lui imposer des programmes. Vous devez comprendre que la diabolisation du comportement n’est pas une simple désignation de certaines formes de comportements, mais une forme de domination. Ainsi, lorsque vous êtes autorisé à définir d’autres personnes, vous vous autorisez également certains types de comportement envers ces personnes; vous vous autorisez le retrait de certains droits; vous vous autorisez des restrictions et des contraintes sur leur comportement; vous vous autorisez la suppression de privilèges et pouvez imposer toutes sortes de mesures punitives et autres. Par conséquent, définir les enfants et définir le comportement des gens n’est pas une chose à prendre à la légère; quelque chose qui devrait être considéré comme étant véritablement le travail des experts. En tant que peuple, nous devons donc retrouver la capacité de définir notre propre comportement et de le gérer dans notre propre contexte.
Notes et références
Transcrit de la conférence «L’histoire comme instrument du pouvoir».