L’OJAL : « C’est unie et grâce à ses forces vives que la communauté s’élévera »

Nofi vous propose de partir à la rencontre de l’Ojal une organisation pour qui l’initiative communautaire est la clé.

Nofi : Bonjour, peux-tu te présenter ?

Manzi : Bonjour, je m’appelle Manzi NDAGIJIMANA, j’ai 25 ans et je suis du Rwanda. Je suis arrivé assez tôt en France suite au génocide des Tutsi, mais je suis reparti après pour enfin revenir en France après mon BAC en 2011, à Lyon. J’ai eu un parcours assez sinueux à Lyon entre fac de sociologie et petits boulots, pour enfin devenir éducateur spécialisé (en formation de 2016 à 2019).

Nofi : Comment en es-tu arrivé à devenir militant ?

Manzi : Disons que depuis un très jeune je me rends compte du traitement injuste dont sont victimes les Afrodescendants en France, et je me suis toujours demandé pourquoi. Quand on est petit, parfois on pense que c’est de notre faute ou que l’on a bien mérité, mais en grandissant, et grâce à mon éducation je me suis replongé dans mon histoire personnelle d’abord, puis celle des Africains en général. Là, ça a été un déclic incroyable ! Je me suis rendu compte que c’était un véritable projet machiavélique de falsification historique et de destruction de nos cultures entrepris par la France entre autres.

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Mais, faut dire que le savoir ne fait pas de tous des militants. Quand je suis arrivé à Lyon, j’étais dans l’association des étudiants africains de Lyon, et j’essayais à mon échelle de faire des choses autour de moi, mais ce n’était pas assez pertinent à mon goût, toujours trop consensuel ou folklorique. Bref, c’est quand mon frère Dushime est revenu de région parisienne et en même temps notre ami, Franswa Makandal (que vous connaissez bien à Nofi) aussi est arrivé à Lyon, que vraiment j’ai commencé à militer en créant avec eux l’OJAL.

Nofi : Comment s’est déroulé la création de l’Organisation de la jeunesse afrodescendante de Lyon ?

Manzi : Comme je l’expliquais, à Lyon il n’y avait rien. Du moins, rien de trop subversif : il existait évidemment des associations africaines ou ultra-marines, mais elle étaient très éparpillées déjà, ne faisaient rien ensemble et surtout il n’y avait personne pour parler de nos problèmes en tant qu’Afrodescendants. Parce que, que nous le voulions ou pas, nous avons principalement les mêmes problèmes (pas de reconnaissance de nos qualifications, discrimination à l’embauche et au logement, perte de repères culturels, violences policières …etc). Donc, à nous trois, on s’est dit que c’était à nous de le faire : on vient tous les trois d’idéologies assez différentes, nos parcours n’étant pas les mêmes, nous avions des regards sur la communauté et sur les solutions à apporter à celle-ci différentes. On passait beaucoup de temps à débattre de toute sorte de sujet qui préoccupe la communauté, on avait des points de désaccord, mais le panafricanisme nous anime profondément tous les trois, donc on savait où se rejoindre.

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Moi, j’ai été plus influencé par le garveyisme « pur », par l’histoire de l’empire d’Ethiopie mais aussi par la vie au pays. Alors que Makandal a été formé au New Black Panther Party avec Kemi Seba, donc avec une idéologie très proche de la Nation of Islam et Dushime lui, après être passé dans des sphères afrocentriques à Lyon même, au sein du collectif Kemra dans les années 2007, s’est orienté vers l’internationalisme de mouvements comme le Uhuru Mouvement et prône désormais un Panafricanisme teinté de multiples inspirations: celui de l’OJAL!

Même si nos idéologies diffèrent quelques peu, nous arrivons à nous mettre d’accord sur l’essentiel, et c’est sur cet essentiel que cherche à s’inscrire ce qui allait devenir l’Organisation de la Jeunesse Afrodescendante de Lyon. Nous avons écrit pour ça, notre constitution, notre ligne directrice : l’Initiative Communautaire. C’est un programme en 5 points qui guide nos actions : Unité, Autodétermination, Solidarité et Responsabilité Communautaire, Coopération Economique et Rapatriement.

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Nofi : Votre logo et original, peut tu nous en dire plus à on sujet ?

Manzi : On est le genre de gars à l’ancienne, fascinés par les anciens royaumes africains et sociétés secrètes, donc a choisi de faire de notre logo, une armorie. Les armoiries de l’OJAL ont la même forme que celles utilisées habituellement par les guerriers et s’inspire des armoiries de la Tanzanie : une des premières unions panafricaines réussies, celle de deux états le Tanganyika et Zanzibar. Le bouclier arbore les couleurs du drapeau panafricain :

La partie supérieure est rouge, pour signifier le sang qui unit tous les peuples ayant des ancêtres africains et celui de la lutte pour la libération. La partie centrale est noire pour signifier les populations africaines a travers le monde, le sigle OJAL y est inscrit en lettres d’or. La partie inférieure est verte, pour signifier l’abondance de la nature africaine.

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Le blason est soutenu par deux Afrodescendants, un homme et une femme, portant chacun une défense d’éléphant représentant la sagesse vers laquelle souhaite tendre l’OJAL. Aux pieds de l’homme, on peut voir une plante de Giroflier et aux pieds de la femme une plante de coton, marquant l’attachement de l’organisation à la nature. La femme porte une coiffure naturelle pour notifier la revalorisation de soi.

Sous le blason on peut voir une représentation du Ol Doinyo Oibor ou Mont Uhuru, plus connu sous le nom de Kilimanjaro (la plus haute montagne d’Afrique), pour signifier la volonté d’élévation communautaire qui anime l’OJAL.

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Nofi : Pourrais-tu nous parler des action entrepris par l’OJAL ?

Manzi : On a commencé par faire des événements pour mobiliser la jeunesse à Lyon, il fallait marquer notre territoire de la marque du panafricanisme et de la revalorisation de soi : le premier événement fut une conférence sur le cheveu crépu et l’entretien de celui-ci avec l’illustre Naturi Ebène, spécialiste du cheveu crépu au naturel. Ce fut un succès retentissant ! On ressentait ce besoin de la jeunesse afro de Lyon d’avoir des personnes qui osent parler de communautarisme et de revalorisation de soi au naturel. Puis, nous avons enchaîné : rencontre entre entrepreneurs afro et public, commémorations de l’abolition de l’esclavage, barbecue sauvage avec  projection du film « Panther »,etc. on a vraiment beaucoup mobilisé grâce a ce genre d’événements pendant plus de deux ans. Cependant, le plus gros travail que nous effectuions, au même moment, c’était un travail de sensibilisation, à la fois sur l’internet (Facebook, blog d’information), mais aussi auprès des responsables d’associations et entrepreneurs.

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Ça nous a valu d’être connus par tous les acteurs de la communauté comme étant les « radicaux », les « Black Panthers », ça nous allait bien. Donc de 2014 à 2016, on a vraiment charbonné que ce soit sur le terrain (micro-trottoirs, distribution de flyers, affiches dans la ville, mobilisation des étudiants …etc) et dans le virtuel (le nombre de nos abonnés parle de lui-même je pense). On avait organisé la venue de Kemi Seba à Lyon, malheureusement c’est tombé au moment de son incarcération en septembre 2014. On a invité Amzat Boukari-Yabara en 2015. On initié toutes ces choses à Lyon ! Cheveux naturels, parler de panafricanisme, les rencontres entrepreneuriales …etc ; mais au bout d’un certains temps, on a voulu changer de méthode.

Nofi : C’est à dire, peux-tu développer ?

Manzi : Au début, on voulait créer un vrai mouvement populaire afro à Lyon, l’OJAL comptait à un moment plusieurs dizaines de membres, et on était vraiment présent dans les rues (particulièrement sur les quais, pour ceux qui connaissent). Mais ça fatigue, et surtout ça ralentit parce que parmi ces trentaines de membres, tous n’étaient pas aussi motivés que nous, certains devaient partir pour des raisons professionnelles …etc c’est vraiment beaucoup de travail pour peu de gratifications. Certes, notre réputation grimpait en flèche, mais à côté, faut gérer sa vie personnelle, trouver des trucs à faire à tous ces membres qui attendent de toi de l’inspiration et du travail. On était pas assez de militants formés pour pouvoir durer très longtemps. Donc notre président a changer de stratégie : nous sommes devenus une sorte d’agence de propagande panafricaine dans notre environnement.

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Aujourd’hui nos actions se font beaucoup plus en partenariat, car nous trouvons aujourd’hui des interlocuteurs panafricains ! Nous avons un programme d’accompagnement éducatif communautaire avec l’AECAL (association des étudiants de cultures africaines de Lyon). Nous continuons à publier quotidiennement des contenus historiques et d’actualité inédits concernant les Afrodescendants.  Nous faisons du soutient aux entreprises et la promotion de la consommation afro. On est impliqué dans beaucoup de projets communautaires dans la ville.

Du fait de notre réseau à Lyon ou à Paris, on est devenu une référence dans notre domaine, beaucoup de gens viennent nous demander conseils sur telle personnalité politique, sur telle action, mais à chaque fois ce qu’on répond, c’est qu’avant tout, c’est l’engagement personnel qui va faire changer les choses. N’attendre de personne de faire les choses pour soi, si on est pas d’accord sur ce qui se fait dans la communauté, alors il faut faire les choses soi-même, proposer.

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Nofi : Certains pourraient être étonnés de voir qu’en dehors de Paris, des organisations panafricaines existent et que les Afrodescendants se bougent. Qu’as-tu à leur répondre ?

Manzi : Déjà, je dois dire que, quand je viens en région parisienne, je suis à chaque fois étonné de voir le nombre de gens qui suivent l’OJAL, donc Paris ou pas, on arrive à parler avec les jeunes qui se posent des questions sur leur communauté. Même si c’est à Paris qu’il y a le plus de Noirs en France, c’est pas forcément là qu’ils sont le plus « conscients », intéressés par leur communauté … On a beaucoup de contacts en région parisienne, mais ce qui en ressort c’est que c’est pas forcément l’endroit idéal pour s’organiser : c’est trop grand, il y a trop de monde (donc trop d’éléments perturbateurs) pour l’organisation c’est compliqué. Il y a plusieurs personnes qui sont venus nous demander s’il peuvent créer l’Organisation de la Jeunesse Afrodescendante du 94 par exemple ou du 91, pourquoi pas, on attend de voir. En tout cas , à Lyon, il y a l’OJAL, mais aussi beaucoup d’autres acteurs tout à fait conscients de ce que nous avons à faire en tant que communauté, et je suis sûr qu’à Bordeaux, Marseille, Toulouse ou Lille c’est pareil, faut sortir de Paname un peu !

Enfin, les principes que nous avons sont totalement applicables n’importe où sur Terre ! Ce sont des principes qui sont issues de mouvements américains, caribéens, sud-américains et africains, donc le lieu importe peu, à partir du moment où il y a quelques Afrodescendant(e)s déterminé(e)s, c’est possible !

Nofi : Où peut-on retrouver l’Ojal ?

Sur notre site internet, mais aussi sur Facebook, Youtube ou Twitter

Nofi : Merci Manzi, pour avoir bien voulu répondre à nos questions !

Manzi : Merci à Nofi pour nous avoir donné l’opportunité de promouvoir l’OJAL et « l’initiative communautaire » et de rappeler que c’est unie et grâce à ses forces vives que la communauté Noire s’élèvera.

VOUS AIMEREZ AUSSI :

https://nofi.fr/2018/05/ligue-de-defense-noire-africaine/53499

 

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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