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Causerie avec Patrick Chamoiseau, autour de son dernier ouvrage « Frères Migrants »

Culture

Causerie avec Patrick Chamoiseau, autour de son dernier ouvrage « Frères Migrants »

Par Atouma NKeussi 27 février 2018

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L’Institut Gaston Monnerville a invité Patrick Chamoiseau le 31 janvier 2018, à l’occasion de la sortie de son essai « Frères Migrants ». La question des migrations a été le point de départ des échanges sur la politique en « Outre-mer », un terme contesté par l’invité.

Patrick Chamoiseau est né le 3 décembre 1953 à Fort-de-France, en Martinique. Après des études de droit et d’économie sociale en France, il devient un travailleur social, d’abord dans l’Hexagone, puis en Martinique. Inspiré par les travaux d’Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau s’intéresse de près à la culture créole. Il publie son premier roman en 1986. Il obtient la consécration en 1992 en gagnant le prix Goncourt pour son roman Texaco, une œuvre vaste présentant la vie de Martiniquais sur trois générations.

Patrick Chamoiseau, lors de la causerie autour des migrants, le 31 janvier 2018 / © Institut Gaston Monnerville

Le 31 janvier 2018 s’est tenue à Paris, une rencontre avec l’auteur, organisée par l’Institut Gaston Monnerville et orchestrée par le journaliste d’Outre-Mer 360, Luc Laventure. Plusieurs fois lors du débat, feu Édouard Glissant, un des confrères de l’invité, fut cité par rapport à sa définition de l’unité humaine qu’il nommait le Tout Monde. Patrick Chamoiseau a pour l’occasion, donné sa vision des conséquences inhumaines des migrants qui font le choix de tout quitter pour espérer bénéficier d’une vie meilleure. Il a également abordé sa notion du terme « Outre-mer » et son parti pris pour l’indépendance des Antilles. En quittant la salle de débat, on pourrait penser que Chamoiseau est un utopiste doublé d’un doux-rêveur, lorsqu’on prend acte de sa vision idéale de l’humanité, sans y réfléchir. Mais il n’en est rien. Ce que l’auteur cherche à nous faire comprendre, c’est que les situations idéales ne sont pas faites pour être atteintes, mais pour réveiller l’imagination et les désirs, afin de mettre en place une autre politique. Une projection d’un monde idéaliste qui selon lui, servirait de boussole pour trouver l’énergie nécessaire pour avancer, même si l’idéal reste en réalité inatteignable. Cette vision utopiste n’est pas sans rappeler la métaphore des lucioles, utilisée par l’auteur pour retranscrire la même idée.

Dans son dernier ouvrage, « Frères Migrants », Patrick Chamoiseau compare ces derniers à des lucioles. Lorsqu’on lui demande pourquoi, il explique que les lucioles sont les lumières apportées par les traversées des migrants. Elles sont nécessaires, car si l’horizon reste noir, on est moins entrain à avancer.  « Si l’idéal se met à clignoter à l’horizon, on aura envie d’aller voir. Même si on ne l’atteint pas, on aura quand même cheminé ».

Patrick Chamoiseau / © Institut Gaston Monnerville

Mondialisation VS Mondialité

Patrick Chamoiseau déprécie fortement la notion de Mondialisation par rapport à celle de Mondialité. En effet, la première serait liée à la démence capitaliste et financière, au néolibéralisme ou à l’exploitation de l’homme par l’homme ; tandis que la seconde renverrait à des échanges basés sur des relations saines entre les communautés du globe. L’écrivain perçoit dans la notion de Mondialité, des sociétés et des cultures qui cheminent de manière naturelle à la rencontre des autres. En somme, une globalisation certes inévitable, mais parfaitement respectueuse de l’humain. La culture et l’identité posséderaient une double face: l’une de fermeture absolue et l’autre d’ouverture sur le monde. Chamoiseau voit en cela, un monde d’échanges et de partages sans que subsiste la domination d’un peuple sur un autre. Et cette non-domination passerait par l’acquisition de l’indépendance.

Être indépendantiste, c’est une capacité individuelle à réinventer le monde

Bien que partisan du courant de la créolité, durant les échanges, l’auteur a signalé à plusieurs reprises qu’il n’aimait pas le mot « Outre-mer », car cela renverrait à une notion péjorative. « Outre-mer », un terme flou qui sonnerait comme un lopin de terre situé sur les eaux, une province qui n’aurait pas grande importance. Alors que les composants des « Outre-mer » sont des personnes évoluant dans la zone Amérique, imprégnées de réalités culturels et biologiques qui ne sont pas (ou très peu) en rapport avec l’identité française. Il est très difficile d’échanger d’égal à égal dès lors qu’il y a domination culturelle, intellectuelle, économique, d’un peuple sur un autre peuple.

Patrick Chamoiseau / © lavie.fr

À l’issu de la rencontre, Chamoiseau confiait: « Je suis très soucieux que nous puissions récupérer une autonomie de conception, une autonomie de pensée, une autonomie d’élaboration. Et moi, j’aimerais rencontrer de plus en plus ceux qui vivent ici, partager avec eux, essayer d’explorer des notions comme celle de la relation, comme celle de l’errance, comme celle de la mondialité, parce que c’est à partir de cette base-là qui ne paraît pas être directement liée à nos problèmes les plus cruciaux mais qui nous permettra de construire une autre politique beaucoup plus fondamentale et beaucoup plus émancipatrice. »

Une rencontre enrichissante basée sur le partage et l’échange comme l’apprécie si bien Patrick Chamoiseau. Nous remercions l’Institut Gaston Monnerville pour cette invitation à leur premier Café/Débat de l’année 2018, qui ouvre de nouvelles perspectives pour sur des discussions toutes aussi fructueuses avec d’autres auteurs à l’avenir.