La révolte d’esclaves de 1835 à Bahia au Brésil
Histoire

Par Sandro CAPO CHICHI 16 février 2018
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En 1835 avait lieu une révolte d’esclaves africains, principalement musulmans et yorubas contre le pouvoir esclavagiste du gouvernement de l’état brésilien de Bahia. Bien qu’elle se soit soldée par un échec, cette insurrection fut l’une des plus importantes de l’histoire du Brésil.
Par Sandro CAPO CHICHI / Nofipedia
Contexte historique et social
Dans les années 1830, une décennie après son indépendance du Portugal, l’Empire du Brésil faisait face à une crise économique couplée à une profonde inégalité sociale et raciale. Dans l’état de Bahia et sa capitale Salvador en particulier, en haut de ces échelles se trouvaient des marchands, des riches planteurs, des hauts fonctionnaires d’état et d’église qui ne pouvaient être que blancs. En bas des bas de ces échelles se trouvaient les vagabonds, les mendiants et les esclaves, cette dernière catégorie ne pouvant rassembler que des Noirs et des Métis, ces derniers pouvant plus facilement que les premiers accéder à un statut social plus élevé dans la société. Au sein des Noirs de nombreuses divisions subsistaient. On y distinguait d’abord les Brésiliens ou crioulos, qui étaient nés au Brésil, des Africains nés au continent. Les premiers étaient distingués par leur teint alors que les seconds l’étaient par ethnie. On comptait notamment les Haoussas, les ‘Angolas’ (région de l’actuel Angola), les Jeje (Aja-Ewe-Fon) et les plus nombreux d’entre eux, les Nagos (Yorubas). Après de précédentes tentatives de révoltes d’esclaves en 1830 et 1831, le consul français avait noté le rôle important de ces derniers dans les insurrections d’esclaves.
Les esclaves musulmans à Salvador de Bahia en 1835
Traditionnellement d’origine Mandingue, les esclaves musulmans à Bahia qui arrivèrent au début du 19ème siècle provenaient davantage de l’actuel Nigéria, notamment des groupes ethniques haoussa, kanuri et yoruba. Depuis l’indépendance du Brésil en 1822, le catholicisme était considéré de droit comme la religion d’état alors que les religions des esclaves qu’elles soient ‘païennes’ ou musulmane étaient considérées comme illégales. Cette clandestinité n’allait pas empêcher les musulmans de Salvador de Bahia de se rassembler autour de leur foi. Dans cette communauté on comptait principalement des Nago, des Haoussa, des Tapa (Nupe), des Bornu, islamisés depuis l’Afrique. Dans les années 1830 toutefois, un important processus d’islamisation d’esclaves allait se produire à Bahia. La réputation de ‘magicien’ des musulmans, appelés ‘Malé’ au Brésil, notamment associé à leurs amulettes et à leur système d’écriture, allait contribuer à ce fait. Peut-être dès novembre 1834 commençait à se profiler. Les musulmans de Salvador cherchaient à sensibiliser des esclaves dans le reconcavo, la région environnant la capitale de l’état de Bahia.
Motivations
Très vite, la date du 25 janvier 1835 fut choisie par les insurgés. D’un point de vue religieux, ce jour coïncidait avec la fête du Ramadan -dont ils considéraient peut-être qu’il contribuerait à faire disparaître les mauvais esprits- et avec la fête catholique de Notre Dame de l’Orientation. Le déroulement de cette dernière, qui-plus- est un dimanche, était sensée faciliter la prise de Salvador par les insurgés pendant les festivités organisées par les Blancs de la ville. Bien que des témoignages contradictoires existent à ce sujet, il semble que les auteurs de la révolte n’aient visé, dans leur insurrection, que les Blancs et pas particulièrement les métisses ou les Noirs brésiliens. Bien que majoritairement musulmans, des esclaves non-musulmans rejoignirent leurs rangs, notamment par solidarité ethnique, puisque la plupart des non-musulmans étaient des Nagos pratiquant le culte traditionnel des Orishas. Il semble aujourd’ hui difficile de savoir quel était l’objectif des esclaves après avoir pris la ville de Salvador ; il semble toutefois, d’après le témoignage indirect d’une femme impliquée dans la révolte, qu’ils aient voulu devenir les ‘maîtres du pays’.
La révolte
Le principal chef de la révolte était Aluna ou Ahuna, un esclave nago travaillant comme vendeur d’eau. Quelques semaines avant la révolte il avait été puni par son maître et ‘exilé’ dans le Reconcavo parce qu’il était, d’après un autre esclave, ‘un Noir aimé des autres’. Peu avant le 25 janvier, Ahuna revint en ville. Les festivités de Notre Dame de l’Orientation commencèrent toutefois le 24 janvier et dès le matin, des rumeurs circulèrent à propos d’une révolte d’esclaves sans précédent. C’est par le biais d’un esclave noir affranchi et de sa femme que les premières mentions de la révolte arrivèrent aux Blancs. Vers 23 heures, le 24 janvier, le président de la province s’était déjà préparé solidement à une révolte grâce aux indications du couple et d’une autre informatrice, qui était la compagne de l’un des insurgés, un Nago nommé Vitorio Sule. Ce dernier mourra lors des premiers combats.
La révolte commença vraisemblablement chez Manoel Calafate, un esclave affranchi, où les insurgés se répandirent dans plusieurs directions. Habillés de tenues et d’amulettes propres aux musulmans, les insurgés se battirent avec quelques succès initiaux à deux engagements, entraînant avec eux de nouvelles recrues grâce notamment à l’effet de meute et jusqu’à ce que la garde loyaliste ne les mette en déroute, notamment par le nombre de leurs armes à feu et leurs chevaux, les révoltés n’étant armés qu’avec des armes blanches et bien moins d’armes à feu. Certains insurgés s’échappèrent, d’autres furent tués, d’autres capturés. La révolte n’atteint pas le reconcavo. Plus de 70 insurgés périrent, cette nuit là, certains d’entre eux préférant se suicider. Chez les forces loyalistes, on comptait 9 morts. Après la révolte, une brutale investigation eût lieu au sein de la communauté africaine de Bahia. Les autorités de la province s’appliquèrent à la désafricaniser et à l’intégrer dans le moule national qui allait devoir être d’inspiration plus européenne. Quelques Noirs ayant pris part à la révolte furent exécutés, d’autres condamnés à la prison, d’autres à du travail forcé et la majorité à des châtiments corporels. Le reste des Noirs impliqués ou soupçonnés allaient être déportés au Nigéria, au Bénin, au Togo et au Ghana par les autorités brésiliennes. Ils allaient devenir les ancêtres des Agudas modernes.
Bibliographie
João José Reis Slave rebellion in Brazil : the Muslim uprising of 1835 in Bahia
Pierre Verger Flux et reflux de la traite des nègres entre le Golfe de Bénin et Bahia de Todos Os Santos du XVIIe au XIXe siècle