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« L’Afrique n’a jamais eu de grandes civilisations » selon un livre pour enfants (2011)

Société

« L’Afrique n’a jamais eu de grandes civilisations » selon un livre pour enfants (2011)

Par Sandro CAPO CHICHI 9 juin 2015

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Vu au Musée du Quai Branly.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

D’après le Président français Jacques Chirac (1995-2007), son projet du Musée du Quai Branly dédié aux cultures du monde non-occidental, devait remplir les fonctions suivantes:

"Il s'agissait pour la France de rendre l'hommage qui leur est dû à des peuples auxquels, au fil des âges, l'histoire a trop souvent fait violence. Peuples brutalisés, exterminés par des conquérants avides et brutaux. Peuples humiliés et méprisés, auxquels on allait jusqu'à dénier qu'ils eussent une histoire. Peuples aujourd'hui encore souvent marginalisés, fragilisés, menacés par l'avancée inexorable de la modernité. Peuples qui veulent néanmoins voir leur dignité restaurée et reconnue. C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous élaborons, à Genève, une déclaration sur les droits des peuples autochtones, déclaration à laquelle je sais que le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi ANNAN est particulièrement attaché, de même que mon amie, Mme Rigoberta MENCHU TUM, qui participe beaucoup à l'élaboration de cette déclaration. Et c'est dans cet esprit, également que j'avais salué, chère Eliane TOLEDO, l'élection de votre mari à la présidence du Pérou, et je vous demande de lui transmettre mes cordiales amitiés. C'est la raison qui m'avait conduit, Monsieur le Premier ministre, cher Paul OKALIK, à me rendre en 1999 au Nunavut, avec notre ami Jean CHRETIEN. Au cœur de notre démarche, il y a le refus de l'ethnocentrisme, de cette prétention déraisonnable et inacceptable de l'Occident à porter, en lui seul, le destin de l'humanité. Il y a le rejet de ce faux évolutionnisme qui prétend que certains peuples seraient comme figés à un stade antérieur de l'évolution humaine, que leurs cultures dites "primitives" ne vaudraient que comme objets d'étude pour l'ethnologue ou, au mieux, sources d'inspiration pour l'artiste occidental."

« Il s’agissait pour la France de rendre l’hommage qui leur est dû à des peuples auxquels, au fil des âges, l’histoire a trop souvent fait violence. Peuples brutalisés, exterminés par des conquérants avides et brutaux. Peuples humiliés et méprisés, auxquels on allait jusqu’à dénier qu’ils eussent une histoire. Peuples aujourd’hui encore souvent marginalisés, fragilisés, menacés par l’avancée inexorable de la modernité. Peuples qui veulent néanmoins voir leur dignité restaurée et reconnue.
(…)
Au cœur de notre démarche, il y a le refus de l’ethnocentrisme, de cette prétention déraisonnable et inacceptable de l’Occident à porter, en lui seul, le destin de l’humanité. Il y a le rejet de ce faux évolutionnisme qui prétend que certains peuples seraient comme figés à un stade antérieur de l’évolution humaine, que leurs cultures dites « primitives » ne vaudraient que comme objets d’étude pour l’ethnologue ou, au mieux, sources d’inspiration pour l’artiste occidental. Ce sont là des préjugés absurdes et choquants. Ils doivent être combattus. Car il n’existe pas plus de hiérarchie entre les arts et les cultures qu’il n’existe de hiérarchie entre les peuples. C’est d’abord cette conviction, celle de l’égale dignité des cultures du monde, qui fonde le musée du quai Branly. »

 

Alors que nous passions dans la librairie du musée en question, nous remarquions un ouvrage dont on peut dire qu’il avait, au milieu des autres livres, pignon sur rue. Sobrement intitulé ‘Les Grandes Civilisations’ et manifestement dédié aux  enfants, il se décomposait en deux tomes. Alors que le premier était dédié au Moyen Orient, à l’Europe et à l’Asie, le second l’était à l’Amérique du Nord et du Sud, ainsi qu’à l’Océanie et à l’Afrique. Intéressé par l’Afrique et notamment par l’évolution du message passé par l’éducation nationale française au sujet de son histoire, nous décidâmes de le feuilleter. Alors qu’en ouvrant ce petit livre d’histoire, nous nous attendions à faire un bond dans le temps, celui-ci ne s’est ni produit à l’endroit ni au moment où nous l’attendions. Ainsi, loin de nous retrouver, en présence de justes représentations de l’Afrique antique, médiévale ou pré-coloniale, nous nous retrouvions en Europe du début du vingtième siècle et ses pires clichés négatifs à l’endroit des Noirs africains. Jugez plutôt.

En gros sous-titre: Berceau de l’humanité, l’Afrique n’a malheureusement pas vu se développer sur son sol de brillantes civilisations (hormis celle de l’Egypte).

Ca commence bien, a fortiori puisque l’Egypte, dont l’auteur rappelle qu’elle se trouve en Afrique est évoquée dans le premier volume du livre où sont évoquées les grandes civilisations d’Europe, du Moyen Orient et d’Asie, non pas d’Afrique. Pourquoi ne pas avoir parlé d’Egypte dans l’ouvrage consacré à l’Afrique si l’auteur reconnaît ici qu’elle se trouve sur ce continent? Mystère.

« Appelée aussi Afrique subsaharienne (qui veut dire « sous le Sahara »), l’Afrique Noire est l’une des régions les plus pauvres de la planète ».

L’Afrique noire est ‘l’une des régions les plus pauvres de la planète’? On se demande quel est l’intérêt de mentionner cela dans un livre d’histoire, à part pour rabaisser les Noirs Africains. A fortiori puisque l’Afrique Noire (ou plutôt sa population) n’a pas toujours été ‘pauvre’ et qu’elle possède toujours un réservoir considérable de ressources naturelles dans lesquelles les pays occidentaux ne cessent de s’approvisionner. Deux exemples : Ghana, que l’on appelait ‘pays de l’Or’ et dont on disait de son empereur jusqu’en Espagne  qu’il était « le roi le plus riche de la surface de la terre » (10ème siècle de notre ère); l’empereur Moussa de Mali (14ème siècle), l’homme le plus riche de l’histoire toutes régions confondues.

« C’est pourtant là qu’est apparue l’espèce humaine il y a 200000 ans. Une espèce qui on l’a vu, a créé de brillantes civilisations en Europe, en Asie ou en Amérique. »

On pourrait comprendre que dans son ignorance, l’auteur veuille expliquer la supposée ‘absence de civilisations en Afrique noire’ par la supposée ‘pauvreté du continent’, mais cela n’est même pas fait. Aucune clé n’est donnée à l’enfant lisant le livre pour qu’il croie à une quelconque égalité entre les Noirs Africains et les autres êtres humains, malgré les données mensongères qui le laissent penser.

Malheureusement, non seulement l’Afrique noire n’a pas vu se développer sur son sol ces civilisations prestigieuses, mais elle a servi parfois à les construire, notamment en fournissant des millions d’esclaves (…) aux nations expansionnistes.

Hm…Si l’auteur avait, dans le souci de mettre sur un pied d’égalité le Noir africain et le reste de l’humanité, impliqué que les fondateurs des ‘grandes civilisations’ du reste du monde faisaient partie d’une même espèce d’origine africaine, pourquoi avoir déclaré que l’Afrique noire n’aurait contribué à bâtir ces ‘grandes civilisations’ qu’en leur fournissant des esclaves?

L’histoire des civilisations subsahariennes, c’est avant tout des dizaines de royaumes médiévaux qui se faisaient la guerre et s’éclipsaient les uns les autres. La place nous manque pour en faire l’inventaire.

Nous ne savons pas si l’auteur peut se mettre à la place d’un jeune Noir de France à la recherche de son histoire qui achète un ouvrage sur les grandes civilisations d’Amérique, d’Océanie et d’Afrique; qui l’ouvre, plein d’espoir et qui découvre qu’il n’en aurait jamais existé; que les seules civilisations africaines, ‘ces fameux royaumes qui se faisaient la guerre et s’éclipsaient les uns les autres’ ayant existé ne sont même pas dignes d’être mentionnées. Nous nous demandons si des Français non-descendants d’Africains peuvent réaliser la violence de ce genre de propos pour un jeune Français descendant d’Africains intéressé à ses origines. Des propos d’autant plus mensongers qu’ils passent sous silence toutes ces brillantes civilisations africaines (même selon les critères européens hypocrites de la civilisation : constructions monumentales, vastes états centralisés, langue écrite, etc) comme les civilisations multi-millénaires de Kouch ou d’Abyssinie qui ont duré bien plus longtemps que la France, mais qui sont ici présentées comme « des royaumes médiévaux se faisant la guerre et s’éclipsa(n)t les uns les autres ». On voit là tout le double discours occidental sur l’histoire de l’Afrique.Dans le premier volume consacré aux grandes civilisations, on s’efforce de démontrer que contrairement à ce que la différence entre leurs civilisations et celles de l’antiquité gréco-latine laisse suggérer, les Vikings seraient loin d’être des ‘barbares incultes’. Aucune justification de ce type n’est apportée pour les Africains.

En revanche, lorsque des populations différentes soumises à l’autorité d’un empereur prennent tour à tour la tête d’une même zone géographique comme les Soninké (Ghâna), les Susu, les Mandingues (Mali) et les Songhaï qui se succédèrent à la tête d’un même territoire, on parle de royaumes se faisant la guerre, s’éclipsant les uns les autres et indignes d’être mentionnés. Manque de bol, n’est pas Viking qui veut.

Le Musée du Quai Branly, selon Jacques Chirac, avait été créé pour montrer qu’il n’existe pas plus de hiérarchie entre les arts et les cultures qu’il n’existe de hiérarchie entre les peuples. C’est pourtant le contraire qu’il accomplit en mettant en évidence et en vente dans sa librairie un ouvrage destiné aux enfants et affirmant grossièrement le contraire. Que faire? Aller manifester pour mendier le retrait de cet ouvrage de l’espace du Quai Branly et se faire traiter de pleurnicheurs  se lamentant sur leur sort et refusant de se retrousser les manches? Nous espérons que ceux qui passent leur temps à accuser NOFI du ‘crime’ de communautarisme comprennent désormais l’intérêt d’une telle plateforme qui ne cherche qu’à équilibrer les consciences et les débats face au caractère mensonger et dégradant des informations sur l’Afrique-et notamment son histoire-véhiculées dans les institutions françaises et occidentales.

Nous avons créé une encyclopédie en ligne dédiée au monde noir, Nofipedia. Si vous avez compris, à la lecture de cet article, l’importance de fournir à la jeunesse d’origine africaine une information dénuée de préjugés racistes, lisez là, soutenez-là et parlez-en autour de vous.