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Léonard Sénécal, héros antillais de la résistance au pouvoir colonial

Histoire

Léonard Sénécal, héros antillais de la résistance au pouvoir colonial

Par Sandro CAPO CHICHI 20 mai 2015

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Léonard Marie Sénécal est un homme libre guadeloupéen qui lutta contre l’administration coloniale et esclavagiste dans la Guadeloupe du 19ème siècle.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

Origines et jeunesse
Léonard naît le 6 novembre 1807 à Basse-Terre en Guadeloupe. Si des noms de familles de Noirs des Antilles ont pu être rattachés à des racines africaines comme Dahomais, qui est une possible référence à la région du royaume de Dahomey, Sénécal n’a rien à voir avec le nom du Sénégal. Il s’agit en fait d’un patronyme d’origine normande, région française où est né son père Charles Louis Sénécal. Celui-ci est arrivé en Guadeloupe entre 1804 et 1804. Avec l’une de ses esclaves noires appelée Marie Christine, il aura un autre enfant en 1805, Chéry, avant la naissance de Léonard deux ans plus tard. En octobre 1808, Marie Christine est affranchie avec ses deux fils moyennant la patente de la liberté, une importante taxe payée à l’état avant, un mois plus tard, de donner naissance à un troisième fils appelé Jean Brice qui en précèdera un quatrième Jean Luc ROUSSEAU en 1810, de père différent de ses aînés. En 1822, à l’âge de 14 ou 15 ans, Léonard devient apprenti d’un maître maçon pendant deux ans. En 1824, grâce au travail fourni et aux économies accumulées, il décide d’abandonner sa formation de maçon pour se lancer dans le colportage.

Débuts de la vie d’homme
En août 1829, Léonard épouse à Base-Terre Héloïse, une métisse de son âge avec qui il aura un fils, Alcibiade, en juillet 1830. Héloïse meurt toutefois en 1832, à l’âge de 25 ans seulement. Léonard se remariera en février 1836 avec Marie Emora, une jeune femme de 23 ans avec qui il aura neuf enfants, dont deux mourront en bas-âge. Entre temps, Léonard, désormais officiellement connu sous le nom de Léonard Sénécal avait rejoint une loge maçonnique, celle des disciples d’Hiram, mais avait aussi contracté des problèmes financiers qui l’avaient mené à la faillite en novembre 1835. Entre 1840 et 1844, Sénécal possède une boutique à Basse-Terre, mais sa situation financière se déclarera une nouvelle fois en février 1843 avec un incendie dont il sortira ruiné, avant, le mois suivant de perdre sa mère Marie Christine de mort naturelle à l’âge de 71 ans. Peut-être à cause de cette situation devenue précaire, il est nommé sous-lieutenant des Milices, dans la première compagnie des chasseurs en 1844, alors que son frère Chéry Sénécal est nommé sergeant major dans ces mêmes milices.

En 1846, alors que son fils Alcibiade se voit octroyer une bourse pour étudier à l’école vétérinaire d’Alfort en métropole, Léonard Sénécal se voit expulser de son logement par sa propriétaire pour loyers impayés. Il est accusé d’avoir mis le feu à son bâtiment par deux témoins avant d’en être innocenté. L’année suivante, c’est son autre fils Alexandre qui obtient une bourse pour étudier en métropole, cette fois-ci à Nantes. Peu après, Léonard devient dans les milices de Basse-Terre lieutenant de chasseurs à pieds.Le 1er 1848, il ouvre avec ses frères un nouveau commerce : un bureau d’affaires dans la commune de Basse-Terre.

L’engagement politique

Le jour de l’abolition de l’esclavage, le 27 avril 1848, Sénécal se serait exclamé « Vive la liberté! Vivent nos frères de la Martinique! » traduisant sa sympathie à la cause de l’abolition et de la fraternité entre descendants d’esclaves noirs.
Peu après, Sénécal fréquente le Club de la Fraternité, un espace de discussion politique comprenant de nombreux hommes de couleur et dont Sénécal est l’un des membres les plus influents. Cinq mois plus tard seulement, le club, considéré par la colonie comme nocif à leur autorité et très influent auprès des cultivateurs. Très vite, de par cette influence sur les masses, Sénécal est la cible des autorités coloniales par le biais de son pouvoir judiciaire. Fiéron, le gouverneur de Basse-Terre parle de Sénécal dans un courrier adressé au Ministre de la Marine et des Colonies en tant « appelé général parmi les nouveaux libres, exerçant une grande influence dans les campagnes, se vantant publiquement de disposer à sa volonté d’un grand nombre d’ateliers » à une époque où une rumeur d’insurrection règne sur la Guadeloupe. Il sera plus tard décrit à cette époque comme ‘plus puissant que le gouverneur’. Après de nouveaux problèmes financiers, Sénécal est nommé par Fiéron régisseur du domaine du Grand Marigot. Mais le 2 décembre 1849, Léonard Sénécal est arrêté suite à une plainte de plusieurs cultuivateurs qui lui reprochaient d’avoir voulu les expulser. Il s’agit en fait très probablement d’un acte de la longue série des tentatives d’intimidations de la justice de la colonie contre les agitateurs du peuple face au pouvoir dans les années 1850. Sorti de prison, il est démis de ses fonctions de maître régisseur par une suspension suite à un arrêté extraordinaire.Puis, il est à nouveau mis en cause par le procureur général Rabou à la suite du témoignage d’un certain Cabou, d’avoir voulu incendier la commune de Basse-Terre et de mener une guerre civile.

Emprisonné entre décembre 1850 et Octobre 1851 dans la Prison de Basse-Terre, puis de Fort-de-France en Martinique, le pouvoir colonial craignant son influence sur les autres prisonniers et que certains de ses partisans, nombreux l’aident à s’évader. Il cherche une nouvelle fois à s’en échapper avec un autre prisonnier, Aristide Thom et y parvient début mars 1852 mais les deux fugitifs sont rattrapés dix jours plus tard. D’abord destiné au bagne militaire en France, il parvient à y échapper grâce à la mobilisation de ses proches, notamment de ses fils étudiant en France et qui parviennent à le rediriger vers la Guyane, le 5 septembre 1852. et y arrivera le 31 octobre de la même année, passant dix ans dans un grand nombre de pénitenciers guyanais où il était condamné à effectuer les travaux forcés. Une nouvelle fois, ses soutiens parisiens, au premier rang duquel figuraient ses deux fils tenteront de le gracier, ce qu’il parviendront à accomplir, tout en l’empêchant de revivre en France. Il allait y retrouver sa famille, sa femme et ses quatre enfants avant de s’établir en Haïti où il mourra entre 1873 et 1877, y laissant peut-être des descendants en Haïti où deux familles Sénécal existent respectivement à Jacmel et à Port-au-Prince.   Ce héros guadeloupéen qui aura lutté dans l’ombre de l’histoire officielle pour la mise à mort du système colonial aura donc payé son engagement par un emprisonnement dans quatre des îles afro-américaines francophones, comme pour montrer aux habitants modernes de ces îles et par extension du monde afro-descendant la cruciale importance de son combat.

Pour en savoir plus :

Léonard Sénécal : le rebelle écartelé : la Guadeloupe au XIXe siècle / Oruno D. Lara

Chronologie approfondie de l’affaire Sénécal  / Oruno D. Lara