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Hommage à Herman ‘Hooks’ Wallace martyr du système carcéral américain

Société

Hommage à Herman ‘Hooks’ Wallace martyr du système carcéral américain

Par Sandro CAPO CHICHI 3 novembre 2014

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En 2013 mourrait Herman ‘Hooks’ Wallace, ancien membre des Black Panthers incarcéré dans des conditions inhumaines pendant plus de quarante ans. NOFI.FR vous offre en exclusivité la traduction de l’hommage émouvant de l’un de ses anciens co-détenus, Kenny ‘Zulu’ Whitmore, lui toujours incarcéré.

Par Sandro CAPO CHICHI / WWW.NOFI.FR

Il y a 13 mois jour pour jour décédait Herman ‘Hooks’ Wallace, à l’âge de 71 ans. Ce militant des Black Panthers avait été emprisonné et placé en isolement carcéral pendant quarante et un ans en 1974. La raison : le meurtre d’un gardien de prison blanc Brent Miller en 1972 dont aucun élément sérieux ne reliait Wallace au crime. Plus édifiant encore est que sa condamnation fut prononcée par un jury exclusivement d’hommes blancs. Avec son co-accusé, Albert Woodfox et un autre détenu, Robert King, tous deux membres des Black Panthers, il forma les 3 d’Angola, du nom de la prison de Louisiane connue pour son racisme et construite sur une ancienne plantation d’esclaves venus d’Angola. Pendant 41 ans, Wallace fut incarcéré dans des conditions inhumaines : enfermé dans une cellule de deux mètres sur trois, sept jours sur sept, et vingt-trois heures sur vingt-quatre, une heure lui étant réservée pour prendre sa douche et se retrouver seul dans une enceinte extérieure. Tout contact avec l’extérieur lui était interdit. En juin 2013, après qu’il ait perdu une vingtaine de kilos, il fut diagnostiqué un cancer du foie. Il obtint un transfert dans un dortoir de moyenne sécurité où il se vit prodiguer des soins de piètre qualité avant d’être libéré… trois jours seulement avant sa mort. Celle-ci fut accueillie avec un grand sentiment de révolte et de tristesse à la fois par le milieu militant noir américain et les différentes structures de défense des Droits de l’Homme. Elle mettait en évidence le fait que dans cette ‘démocratie par excellence’ que constituent les Etats-Unis regorgeait en réalité de prisonniers politiques dont les détenus n’avaient rien à envier aux pires dictatures qu’ils prétendaient combattre ; qu’une discrimination raciale-la vraie, pas celle, universelle, qui voit l’être humain instinctivement accorder sa confiance à son semblable-frappait encore certains de nos frères et sœurs.

Wallace laissait derrière lui deux de ses frères de lutte en prison, Albert ‘Shaka’ Woodfox et Kenny ‘Zulu’ Whitmore, dont vous pouvez lire la traduction du vibrant hommage en exclusivité sur nofi.fr.

Zulu by Bev

Hommage de Zulu à Herman ‘Hooks’ Wallace : La liberté a jamais été libre
Par Kenny Zulu Whitmore

J’imagine que quand les frères fondateurs du Black Panther Party l’ont créé en 1966 à Oakland en Californie, ils n’auraient pas pu anticiper ce que ça allait entraîner : la destruction, le meurtre, la haine et l’emprisonnement injuste, par l’Empire du Mal, de nos frères et de nos sœurs dont beaucoup d’entre eux continuent aujourd’hui encore à croupir dans les nombreuses cellules d’isolement carcéral du pays.

J’imagine aussi qu’ils n’auraient pas non plus pu prédire tout ce qui a été réalisé de positif depuis. Le Programme ‘un petit déjeuner pour chaque enfant’, le système d’assurance-santé Medicare, l’influence que l’on a eu et qu’on continue à avoir sur les groupes révolutionnaires du monde entier et un héritage si fort que seul un Panther peut en raconter l’histoire.

Maintenant essayez d’imaginer ces frères et soeurs des Panthers qui ont eu le courage de créer des branches du BPP dans certaines des pires prisons du pays. Eh bien, peu après être arrivé au Pénitencier d’Etat de Louisiane à Angola, j’ai rejoint l’une de ces branches, fondée par Herman Hooks Wallace, Robert King et Albert Shaka Woodfox. Et ce serait un euphémisme de dire que mes camarades et moi avons souffert.

J’ai été place en cellule d’isolement carcéral en février 1978 à l’étage D. Beaucoup des étages étaient des étages de Panthers – les autres étaient le Quartier disciplinaire et un étage de skinheads.
Pendant mes deux premières semaines à l’Etage-D où je vivais à côté d’ Albert Woodfox, alias Shaka, je regardais comment les choses se passaient. Le ‘Un d’approché, un d’éduqué’ marchait à plein régime. Des tuteurs aidaient des gars à améliorer leur niveau de lecture et d’écriture en anglais.

Il y avait des livres sur le BPP partout. Des photos de Huey, Bobby, Angela, George ( Huey Newton, Bobby Seale, Angela Davis, George Jackson, membres historiques du Black Panthers Party, NDLR), de n’importe quel autre, ils en avaient. Le programme en Dix Points du BPP (Programme idéologique du Black Panthers Party synthétisé en 10 points pour être mieux compris des populations, NDLR) était enseigné ; le mouvement était en pleine expansion. Shaka me donnait plein de livres et me parlait de politique.

Un des livres qu’il m’avait donné à lire , ‘Un Enfant du Pays’ de Richard Wright a changé ma vie et ma façon de penser. Je me regardais dans le miroir et je voyais Bigger Thompson (En fait Bigger Thomas, héros du roman ‘Un Enfant du Pays’ (‘Native Son’ en version originale), NDLR). Comme beaucoup d’autres autour de moi, je prenais cette décision consciente de changer ma mentalité de combattant de la rue à celle d’un révolutionnaire.

La Colline-c’était le nom donné au centre de réception, aux cellules d’isolement carcéral et au bâtiment du couloir de la mort- était le « Cœur du Mouvement de la Conscience Noire ». Si un arrêt ou un ralentissement du travail était annoncé, c’est que l’ordre venait de la Colline, des cellules d’isolement carcéral.
Pour améliorer nos conditions de vie déplorables, avec l’accord de tous les étages, on envoyait une liste de demandes au superviseur. Si elles étaient refusées, on se mettait d’accord pour faire une grève de la faim jusqu’à ce que nos demandes soient acceptées.

King était un vrai meneur. Il inspirait des gars et les faisait avoir confiance en eux. Il réglait les disputes entre beaucoup de gars et était surnommé ‘Croix-Rouge’.
Chairman Hooks – C’était à sa demande que j’avais rejoint la branche Angola du BPP en mars 1978. Hooks est quelqu’un de sociable ; il peut parler avec tout le monde. Il est très aimé et respecté de toute la population de la prison. Noire ou blanche.
Hooks m’avait confié une tâche. J’étais chargé de transmettre l’information aux autres Panthers hors de la prison à chaque fois que j’étais convoqué à l’hôpital de la prison qui était la plaque tournante de ce qui se disait dans la prison. N’importe qui qui était convoqué n’importe quel jour apparaissait sur cette feuille de convocation.
Tous les messages qui arrivaient devaient être mémorisés, parce que les notes allaient être trouvées pendant les fouilles et qu’on ne pouvait pas se permettre de faire tomber ces informations dans les mains de l’ennemi. Mon contact venait et citait un des 10 points comme : « Nous voulons la fin définitive de la brutalité policière et du meurtre des Noirs ». A mon tour, je devais réciter le nombre du point qu’il avait récité, N°7. On se saluait, faisait ce qu’on avait à faire et il s’en allait.
L’Angola 3 avant que King n’ait gagné sa liberté : Herman Wallace, Robert King et Albert Woodfox

Mon autre mission était de m’occuper au quotidien du Camarade Shaka. En 1983, pendant une audience de la commission de reclassification qui bizarrement avait lieu dans le hall d’entrée, Shaka et moi avons été menottés avant de sortir. Sa porte était ouverte, la mienne non. Shaka a été poignardé et quasiment paralysé.

En 2008, Zulu avec le livre de Robert King “Au bas du tas”. King est le seul des Angola 3 –Ou Angola 4- en comptant Zulu –qui est parvenu à se libérer. Il démarche constamment pour libérer ses camarades.

Shaka est resté à l’hôpital de la prison pendant une semaine. La lame avait manqué sa moelle épinière de moins de 3 centimètres. Son agresseur a été immédiatement transféré hors du bâtiment. King était dans l’Unité Disciplinaire du Camp J. J’ai du aller trouver Hooks pour régler ce bordel. Shaka a été complètement guéri – sans problèmes majeurs. Que ça ait été un piège ou non, je me sentais vraiment mal, parce que si on ne m’avait pas empêché d’être là, j’aurais pu faire quelque chose.

Notre dernière grosse grève de la faim a eu lieu en mai 1999 à cause des conditions dans l’unité de transition des cellules d’isolement carcéral. Tout le monde y participa. On avait demandé à voir le gardien Burl Cain. Il demanda une période de grâce de trois jours avant de nous rencontrer. Après le deuxième jour, la grève était suspendue.

Le lendemain matin, Herman Hooks Wallace, Robert King, Albert Shaka Woodfox, moi Zulu et Barbette Williams avons tous été transférés à l’Unité Disciplinaire du Camp J. Toutefois, le gardien rencontra les autres et la plupart de nos demandes furent acceptées. Hooks, King, Shaka et moi restèrent dans l’Unité Disciplinaire entre 11 et 13 mois.
Nos cheveux à tous deviennent gris, on devient vieux, malades, on meurt en prison. Est-ce que j’ai des regrets ? Non, parce que j’ai fait le choix délibéré de rejoindre le Black Panther Party. Être un révolutionnaire. Je sais qu’à ceux qui ont beaucoup reçu, il sera beaucoup demandé. J’en ai rien à foutre de la loi, mais je veux la justice.
Il y a toujours des frères des Panthers ici à Angola qui sont resté dans l’ombre. Ils ont différents emplois ou sont administrateurs et voient tous comment une administration après l’autre nous ont laissés moi, Shaka et Président Hooks en isolement carcéral. Moi pendant 27 ans de suite et 35 ans en tout ; Shaka et Hooks ont été en cellule d’isolement carcéral pendant 41 ans.

Il reste Zulu et Albert pour se battre – et on doit les aider à gagner leur liberté!
Herman, Robert King, Shaka Woodfox, on a participé à plusieurs guerres comme frères d’armes, on en a gagné certaines, perdu quelques unes, mais survécu à toutes. Mais de cette dernière bataille à laquelle on a pris part, un d’entre nous ne reviendra pas.
Les Ancêtres ont decidé de faire rentrer notre vieux camarade bien-aimé à la maison. Que faire à part écouter leur décision ? Même si tu es en retard, le Black Panther Party te rencontrera à cette destination et quand tu arriveras à la maison, tu rugiras, vieille panthère, tu rugiras.
Tout le pouvoir au people. La liberté n’a jamais été libre.
Zulu Whitmore
Envoyons à notre frère un peu d’amour et de lumière :
Kenny Zulu Whitmore, 86468, D-Hawk 4L, Louisiana State Prison, Angola, LA 70712, United States of America. Visitez son site, créé et maintenu par des gens qui le soutiennent.  Freezulu.org