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Louis-Auguste Cyparis, l’homme qui a survécu à la fin du monde

Le 8 mai 1902, une nuée ardente détruit Saint-Pierre en Martinique, tuant 30 000 personnes. Seul Louis-Auguste Cyparis, prisonnier noir, survit. Voici son histoire, entre oubli colonial, exhibitionnisme américain et mémoire brûlante.

Louis-Auguste Cyparis : du cachot de Saint-Pierre à la scène du monde, récit d’un survivant oublié

Louis-Auguste Cyparis, l’homme qui a survécu à la fin du monde
Cyparis, un des seuls rescapés de l’éruption.

Il est des survivants qui ne reviennent pas. Non parce qu’ils sont morts, mais parce que le monde qu’ils connaissaient a disparu. Louis-Auguste Cyparis, prisonnier martiniquais, fut l’un des trois rescapés de la nuée ardente qui, le 8 mai 1902, anéantit Saint-Pierre et 30 000 âmes. Voici l’histoire d’un homme qui porta sur son corps les cendres d’un monde englouti.

Au tournant du XXe siècle, Saint-Pierre est le cœur battant de la Martinique. Surnommée le « Petit Paris des Antilles », la ville rayonne : cathédrale, théâtre, lycée, port international. Tout y respire la prospérité coloniale, assise sur les richesses sucrières et le travail des descendants d’esclaves affranchis. Mais en mai 1902, un grondement venu des entrailles de la montagne Pelée va rayer cette capitale de la carte.

Le volcan s’éveille lentement, presque insidieusement. Les signes se multiplient, mais les autorités refusent d’y voir autre chose qu’une énième « curiosité naturelle ». Maintenir l’ordre public, assurer le second tour des élections législatives : tel est le mot d’ordre. Une imprudence historique.

Dans l’ombre de cette ville vibrante, Louis-Auguste Cyparis vit à la marge. Né Ludger Sylbaris au Prêcheur en 1874, il est un homme du peuple, marin et cultivateur. Une rixe alcoolisée le conduit en prison. Quelques jours avant le cataclysme, il est placé au cachot pour tentative d’évasion. Une cellule exiguë, épaisse, humide. Sa tombe, pense-t-on.

Mais ce sera son cercueil de béton, scellé contre la colère des cieux.

Le 8 mai 1902, à 7h52, la montagne Pelée vomit l’enfer. Une nuée ardente (mélange brûlant de gaz, cendres et roches) dévale la pente à plus de 500 km/h. En moins de deux minutes, Saint-Pierre est calcinée. Les corps sont figés dans des postures de panique. Les navires explosent dans la rade. Il ne reste rien. Ou presque.

Trois jours plus tard, des secours entendent des gémissements sous les décombres de la prison. Ils découvrent Cyparis, gravement brûlé, agonisant mais vivant. Il est sauvé. Il est seul. Il est l’homme que la mort a oublié.

Gracié, Cyparis devient le centre de toutes les attentions. Très vite, les États-Unis s’emparent de son histoire. Il est recruté par le cirque Barnum, qui voit en lui une attraction vivante. « The man who lived through Doomsday« , clame la réclame. L’homme qui a survécu à l’Apocalypse. Son dos est zébré de cicatrices. Son corps devient vitrine, preuve que l’enfer a existé.

Cyparis traverse l’Amérique comme un spectre. On le photographie. On l’interviewe. On le scrute. Mais jamais on ne l’écoute.

L’histoire coloniale préfère les récits édifiants. Les héros. Les martyrs. Mais que faire d’un homme comme Cyparis ? Noir, pauvre, ancien prisonnier. Son salut n’est dû qu’au hasard carcéral. Il ne s’est pas battu. Il a survécu. Cela dérange.

Dans les livres d’histoire, on célèbre davantage la montagne Pelée que ceux qu’elle a laissés vivants. La mort a ses mythes, la vie a ses dettes.

En 1929, Cyparis meurt à Panama, seul, oublié, dans le dénuement. Il n’a jamais retrouvé de foyer. Ni en Martinique, où son passé de forçat le suit, ni en Amérique, où il fut une curiosité, jamais un citoyen.

Son nom ne figure que marginalement dans les récits de l’éruption. Pourtant, son corps était une archive. Sa mémoire, une bibliothèque calcinée.

Ce que Cyparis portait en lui dépassait la simple histoire d’un rescapé. C’était celle d’un peuple contraint au silence, dont les survivances s’inscrivent dans les chairs. Il était le témoin d’un effondrement : celui d’un monde colonial qui se croyait invincible.

À travers lui, c’est toute une époque qui s’effondre. Saint-Pierre ne fut pas seulement détruite par un volcan. Elle fut engloutie par une arrogance administrative, une cécité politique, une incapacité à écouter les voix du peuple.

À l’heure des commémorations officielles, les statues de Cyparis se font rares. À Saint-Pierre, son cachot est devenu un lieu de visite, mais combien de visiteurs comprennent ce qu’il représente ? Ce n’est pas un décor de film catastrophe. C’est un rappel brutal que l’histoire ne s’écrit pas toujours avec les héros que l’on choisit, mais avec ceux que l’on rejette.

Louis-Auguste Cyparis nous laisse un legs inconfortable. Pas celui du miracle, mais celui du dérangement. Il force à reconsidérer les hiérarchies mémorielles. Il n’est pas le héros que la France coloniale voulait célébrer. Mais il est celui dont l’existence fissure les récits dominants.

Il est le visage d’une survie noire dans un monde qui voulait l’effacer. Il est une leçon de dignité. Une fêlure dans le silence.

Sources

Saint-Pierre, 1902 : la colère de la montagne Pelée

Le 8 mai 1902, la montagne Pelée pulvérise Saint-Pierre en quelques secondes, emportant 30 000 vies dans un torrent de feu et de cendres. Derrière cette tragédie, il y a l’éveil brutal d’un volcan, mais aussi l’aveuglement politique, le poids des intérêts coloniaux, et l’oubli d’une population martiniquaise laissée sans recours. Nofi retrace, avec précision et profondeur, l’histoire de la plus meurtrière des catastrophes naturelles françaises, et interroge ce qu’elle révèle encore aujourd’hui de nos relations au pouvoir, au savoir, et à la mémoire.

Ou quand la montagne Pelée dévora le Petit Paris des Antilles

Au nord de la Martinique, la montagne Pelée se dresse. Veilleuse muette d’un archipel partagé entre flamboyance tropicale et mémoire coloniale. Le 8 mai 1902, à 7h52 du matin, ce volcan crache une nuée ardente qui, en quelques minutes, anéantit Saint-Pierre. Plus de 30 000 âmes fauchées. La ville rasée. Ce n’est pas une apocalypse, c’est un procès : celui d’une époque aveuglée par ses illusions de grandeur, sourde aux voix de la terre et des peuples.

Saint-Pierre, 1902 : la colère de la montagne Pelée

Mais l’histoire ne commence pas ce jour-là. Elle s’écrit en couches superposées, comme les strates géologiques d’une lave encore tiède. Et à chaque strate, son impensé : politique, social, scientifique.

Avant d’être un champ de ruines, Saint-Pierre était le joyau des Antilles françaises. On l’appelait le « Petit Paris« . Un nom qui en disait long sur l’imaginaire colonial : il fallait ramener cette île volcanique à une familiarité haussmannienne. Cathédrale, théâtre, lycée, chambre de commerce, imprimerie… tout semblait y affirmer la continuité avec la métropole. Et pourtant.

Sous le vernis des façades créoles, Saint-Pierre était une ville fracturée. L’élite blanche créole (les békés) dominait l’économie sucrière. Les descendants d’esclaves, affranchis depuis 1848, constituaient une majorité laborieuse, cantonnée à des rôles subalternes. La hiérarchie raciale n’était pas abolie : elle avait simplement changé de forme.

Cette tension sourde, cette normalité déséquilibrée, préfigure l’ironie tragique de 1902 : une société si sûre de sa supériorité qu’elle en oublia les avertissements de la montagne.

Dès février 1902, la montagne Pelée parle. Fumerolles acides, secousses, odeurs de soufre, pluie de cendres. Des signes que la terre envoie à qui sait écouter. Mais dans les salons de Saint-Pierre, on continue de danser. On prépare le second tour des élections législatives prévu le 11 mai. Le gouverneur Louis Mouttet reste campé sur une certitude : pas de panique, pas d’évacuation.

Saint-Pierre, 1902 : la colère de la montagne Pelée
Louis Mouttet, gouverneur de la Martinique de 1901 à 1902.

Le 5 mai, un premier drame se joue : un lahar (coulée de boue brûlante) engloutit l’usine sucrière Guérin. 23 morts. Des fourmis venimeuses, des serpents mortels (les terrifiants fer-de-lance) envahissent la ville. La nature crie. L’administration, elle, publie des communiqués rassurants.

Il faut maintenir l’ordre. Maintenir les élections. Maintenir l’illusion.

7h52. Le ciel se déchire. Une explosion supersonique libère un nuage pyroclastique de 1 000°C, qui dévale les flancs du volcan à plus de 500 km/h. En deux minutes, Saint-Pierre est réduite au silence. Les maisons s’embrasent. Les navires en rade fondent sous la chaleur. Des milliers d’hommes, femmes, enfants, disparaissent sans un cri.

La nuée ardente ne laisse aucune chance. Elle n’est ni feu ni fumée : elle est jugement. Elle n’est pas naturelle, elle est politique. Ce n’est pas la montagne qui tue : c’est le refus de l’évacuation, l’aveuglement administratif, l’obsession électorale.

Le gouverneur Mouttet meurt avec son épouse. Ironie terminale : il était revenu en ville pour « rassurer la population« .

Trois noms émergent de ce désastre, comme des poings levés dans la cendre.

Saint-Pierre, 1902 : la colère de la montagne Pelée

Louis-Auguste Cyparis, jeune homme noir, prisonnier dans un cachot sans lumière. Protégé des flammes par les murs épais de sa cellule, il survit, brûlé, mutilé. Il devient phénomène de cirque aux États-Unis, exhibé comme « l’homme qui a vu l’enfer« .

Léon Compère Léandre, cordonnier, survivant aux confins de la zone touchée.

Et Havivra Da Ifrile, enfant réfugiée en mer dans une barque, sauveuse de sa propre légende.

Saint-Pierre, 1902 : la colère de la montagne Pelée
Vue générale de Saint-Pierre juste après la destruction de la ville par l’éruption du volcan de la Montagne Pelée le 8 mai 1902. ©Gusman/Leemage

Leurs récits sont les contrepoids humains d’une catastrophe désincarnée. Ils rappellent que l’Histoire ne tue pas tout à fait ceux qui témoignent.

Les secours arrivent tard. Le navire « Suchet » mouille dans la rade à 15 h, gêné par la chaleur. Il sauve les rares survivants de la mer. À Fort-de-France, les réfugiés s’entassent. Le gouvernement colonial, dépassé, les renvoie chez eux en août, faute de moyens.

Le président Roosevelt envoie des vivres. L’Europe verse des dons. Un élan de solidarité… mais pas d’autocritique. Pas de procès. Le volcan reste une « tragédie naturelle ». L’erreur humaine est dissoute dans l’héroïsme posthume.

De ce cataclysme naît une science : la volcanologie moderne. Les géologues américains Jaggar, Heilprin, Perret, Lacroix… tous convergent sur la Martinique. Lacroix invente le mot « nuée ardente », et impose le terme « éruption péléenne ».

La montagne Pelée devient laboratoire de feu. Chaque cratère, chaque couche, chaque pierre calcinée devient donnée. La science avance, mais la mémoire reste cendrée.

En 1929, une nouvelle éruption frappe la montagne. Cette fois, la population est évacuée. Aucun mort. Une revanche sur l’aveuglement.

Saint-Pierre, 1902 : la colère de la montagne Pelée
Vue générale de Saint-Pierre.

Aujourd’hui, Saint-Pierre est une commune paisible, label « Ville d’Art et d’Histoire ». On y vient plonger sur les épaves englouties. On visite les ruines du théâtre, le cachot de Cyparis. Le tourisme y célèbre le passé, mais les cicatrices sont visibles.

La ville ne s’est jamais vraiment relevée. Fort-de-France a pris sa place. Saint-Pierre est devenue un lieu de mémoire, figée dans l’instant de sa propre chute.

Le volcan, lui, dort encore. En décembre 2020, une activité anormale a été détectée. Rien d’alarmant, disent les scientifiques. Mais l’île sait désormais lire les signes.

L’éruption de la montagne Pelée n’est pas qu’un fait géologique. C’est un révélateur de structures : inégalités sociales, racisme implicite, incompétence politique, surdité face au vivant. Les victimes étaient pauvres, noires, sans pouvoir. Elles n’avaient pas voix au chapitre. Littéralement.

À une époque où les catastrophes climatiques s’intensifient, cette histoire nous tend un miroir. Que faisons-nous des signaux d’alerte ? Qui protège-t-on quand la nature parle ? Et surtout : qui meurt quand on décide de ne rien faire ?

La montagne et la mémoire

Le 8 mai 1902 n’est pas terminé. Il recommence à chaque fois que l’on traite la nature comme une métaphore, et non comme une interlocutrice. À chaque fois que l’on sacrifie les plus vulnérables sur l’autel du pouvoir.

La montagne Pelée n’a pas seulement détruit une ville. Elle a exposé une société. Elle a rendu visible ce que les palais coloniaux tentaient de dissimuler : le mépris des puissants, l’arrogance administrative, et la fragilité des vies dominées.

Et aujourd’hui encore, dans le silence de ses fumerolles, elle nous invite à écouter ce que nous ne voulons pas entendre.

Bibliographie

Milli Vanilli, ou comment l’industrie a manipulé deux icônes noires

En salle le 14 mai 2025, Milli Vanilli, de la gloire au cauchemar, signé Simon Verhoeven, retrace l’histoire de Rob Pilatus et Fab Morvan, deux jeunes hommes propulsés au sommet des charts mondiaux… avant de devenir les boucs émissaires d’une machinerie musicale opaque.

Plus qu’un biopic, ce film interroge : comment le show-business transforme les corps noirs en outils marketing tout en les privant de leur voix ?

Milli Vanilli, ou comment l’industrie a manipulé deux icônes noires

Milli Vanilli, une success story construite sur une supercherie

Milli Vanilli, ou comment l’industrie a manipulé deux icônes noires

À la fin des années 1980, l’industrie musicale cherche ses nouvelles icônes. Rob Pilatus et Fab Morvan incarnent le rêve pop : silhouettes longilignes, cheveux tressés, peau noire satinée, danse fluide, magnétisme visuel. Les majors flairent l’opportunité. Milli Vanilli est né, synthèse parfaite entre la street culture européennel’esthétique MTV et le fantasme de l’exotisme contrôlé.

Dès leurs premiers titres, le succès est planétaire : Girl You Know It’s TrueBlame It On the RainBaby Don’t Forget My Number… Les charts s’enflamment, les ventes explosent, les Grammy Awards tombent.

Mais derrière cette success story calibrée, un secret inavouable : Rob et Fab ne chantent pas. Pas une note sur les disques. Leur voix a été effacée, remplacée, niée.

Le cerveau du projet, Frank Farian, producteur allemand blanc, a préféré confier les voix à d’autres chanteurs moins photogéniques. Son raisonnement ? Le public voulait des visages, pas des voix. Il fallait séduire les caméras, incarner le clip, vendre une image.

Rob et Fab ne sont pas recrutés pour leur talent vocal, mais pour mettre en scène une illusion sonore conçue en studioDes mannequins musicaux. Des doublures glamours. Un dispositif qui rappelle les pratiques coloniales où l’on exposait des visages noirs pour mieux masquer les logiques de domination.

Le plus troublant dans cette supercherie n’est pas tant le playback (pratique courante dans l’industrie pop) que l’architecture raciale et économique du système mis en place.

Car si Rob et Fab avaient été deux artistes blancs, auraient-ils été traités de la même manière ?
Auraient-ils été tenus à l’écart des cabines d’enregistrement, réduits à danser en silence pendant que d’autres chantaient dans l’ombre ?

En réalité, l’industrie musicale a utilisé leur noirceur comme une signature visuelle, mais sans jamais leur reconnaître la légitimité artistique qui l’accompagne.

Ils n’ont pas seulement été manipulés : ils ont été effacés de leur propre œuvre.

Cette dépossession n’est pas anecdotique. Elle dit quelque chose de profond sur les rapports entre la culture noire et les circuits de production culturelle occidentaux : on aime les corps noirs quand ils sont beaux, désirables, utiles. Mais on les muselle quand ils veulent créer, décider, ou exister pleinement.

Un système de domination racialisé

Milli Vanilli, ou comment l’industrie a manipulé deux icônes noires

Derrière l’éclat des paillettes et les refrains dansants, le film Milli Vanilli, de la gloire au cauchemar opère une dissection méthodique des rapports de pouvoir structurels au sein de l’industrie musicale. À travers l’histoire de Rob Pilatus et Fab Morvan, c’est tout un système de hiérarchies raciales, culturelles et économiques qui se dévoile. Un système où la créativité noire est tolérée tant qu’elle reste domestiquée, instrumentalisée, rentable.

Au cœur de ce dispositif : Frank Farian, producteur omnipotent. Il orchestre le casting, dicte l’apparence, choisit les chorégraphies, supervise les interviews ; et surtout, il décide qui aura le droit de chanter, et qui devra se taire. Dans ce huis clos musical, le playback n’est pas un choix artistique, c’est une mise au silence organisée.

Rob et Fab, malgré leur succès fulgurant, n’ont aucun levier. Ils n’écrivent pas, ne composent pas, ne produisent pas. Leur présence est scénique, leur voix est absente, leur image est exploitée ; et leur pouvoir de décision est nul.
Ils ne sont pas artistes, ils sont avatars.

Lorsque la supercherie éclate au grand jour en 1990, l’industrie se défausse. Le blâme médiatique s’abat exclusivement sur eux.

Farian, pourtant à l’origine du stratagème, sort du scandale relativement indemne.
Rob et Fab, eux, sont immédiatement désignés comme les seuls responsables. Leur Grammy Award est retiré, les concerts sont annulés, les moqueries pleuvent. Ils deviennent des parias, là où ils étaient hier encore des icônes.

Ce deux poids, deux mesures révèle un racisme systémique insidieux, qui pardonne aux structures blanches leur cynisme, mais ne tolère pas l’erreur des figures noires qu’elles ont fabriquées.

Privés de soutien, rejetés par les médias, exclus par leurs pairs, Rob et Fab sombrent dans l’oubli et l’humiliation.
Rob Pilatus, en particulier, ne s’en relèvera jamais. Addictions, dépression, dérives judiciaires : en 1998, il meurt d’une overdose à l’âge de 32 ans, dans un hôtel de Francfort.
Loin des studios, loin des flashs, seul face à un monde qui l’a utilisé, puis détruit.

Fab Morvan, survivant lucide, continue aujourd’hui à porter leur histoire comme un témoignage nécessaire. Non pas pour se victimiser, mais pour dénoncer un système qui, encore aujourd’hui, récupère les codes noirs sans jamais en respecter les auteurs.

Un film qui interroge plus qu’il ne blâme

Milli Vanilli, ou comment l’industrie a manipulé deux icônes noires

Avec Milli Vanilli, de la gloire au cauchemarSimon Verhoeven évite les pièges habituels du biopic lacrymal ou moralisateur. Il choisit une autre voie : celle de la restitution historique et émotionnelle, sans apitoiement ni diabolisation. Ce qui frappe ici, ce n’est pas le scandale en lui-même, mais la mécanique insidieuse qui l’a rendu possible ; et inévitable.

Le film interroge une industrie fascinée par les corps noirs, mais incapable de leur accorder une pleine subjectivité artistique. Rob et Fab sont filmés avec délicatesse : deux jeunes hommes, brillants, beaux, pleins de rêves ; mais sans les clés de la maison où on les a enfermés. L’œuvre ne les présente jamais comme naïfs ou complices. Elle les replace dans leur contexte : celui d’un système qui les a façonnés, puis broyés.

Tijan Njie et Elan Ben Ali incarnent avec une justesse rare la dualité de leurs personnages : entre l’euphorie du succès et l’angoisse du mensonge. Leurs regards, leurs silences, leurs hésitations nous rappellent que derrière l’image de « Milli Vanilli », il y avait des hommes réels, avec des désirs, des contradictions et une soif d’exister autrement que comme silhouettes dansantes.

Quant à Matthias Schweighöfer, il compose un Frank Farian ambivalent, loin du pur vilain. Un homme conscient de son pouvoir, habitué à l’utiliser, et qui semble à peine percevoir la violence de ses choix. C’est là l’intelligence du film : montrer que l’oppression n’a pas toujours un visage monstrueux. Elle peut aussi se camoufler sous le masque de la réussite, du contrat, de l’opportunité.

Ce que le film réussit pleinement, c’est faire de cette affaire un prisme plus large : celui d’un racisme structurel dans l’industrie du divertissement, souvent déguisé en stratégie marketing.

  • La question du consentement artistique y est centrale : peut-on vraiment parler de choix lorsque les alternatives sont la pauvreté ou le silence ?
  • Le film expose la violence symbolique de l’image, cette forme de domination où l’on décide qui a le droit de représenter quoi — et surtout, qui est autorisé à parler.
  • Il aborde la fragilité de la célébrité, quand elle est construite sur une base mensongère, imposée, et sur laquelle l’artiste n’a aucun contrôle.

Verhoeven ne signe pas un pamphlet. Il fait mieux : il crée un espace pour que le spectateur comprenne ce qui se joue derrière le rideau. Et ce faisant, il restitue à Rob et Fab ce que l’industrie leur avait arraché : leur voix.

Ce qu’il faut retenir

Milli Vanilli, de la gloire au cauchemar n’est pas une reconstitution glamour ni un simple retour sur un fait divers musical.

C’est une méditation politique sur la façon dont le capitalisme culturel s’empare de l’esthétique noire, tout en refusant la légitimité créative des artistes noirs eux-mêmes.
C’est un récit sur le pouvoir de l’image, sur les voix qu’on efface, sur la brutalité d’une gloire conditionnelle : acceptée tant qu’elle est rentable, détruite dès qu’elle dérange.

Ce n’est pas l’histoire d’un scandale de playback.
C’est l’histoire d’un système qui fabrique des stars noires, sans jamais leur accorder le droit d’être auteurs de leur propre succès.

Une tragédie contemporaine qui pose une question simple mais brûlante :
peut-on être vu sans être entendu, célébré sans être respecté, exposé sans être libre ?

Louis Guizot, premier maire noir de France

Né dans la brûlure de Saint-Domingue et mort guillotiné en pleine Terreur, Louis Guizot fut en 1790 le premier maire noir de France. Dans une République en construction, il incarne l’idéal d’une citoyenneté ouverte, bien avant que l’histoire officielle ne l’oublie. Voici le destin exemplaire d’un homme libre, à redécouvrir absolument.

De Saint-Domingue à Saint-Geniès : le destin brisé de Louis Guizot

Louis Guizot, premier maire noir de France

Né en 1740 dans la chaleur moite de Saint-Domingue, Louis Guizot (baptisé à la naissance Louis Ferrier) incarne dès l’origine une fracture : celle d’un monde colonial qui engendre des enfants métis sans toujours les reconnaître. Son père, Paul Guizot, colon huguenot établi sur l’île depuis 1726, s’éprend d’une esclave afro-antillaise, Catherine Rideau. Lorsque Catherine accouche, Paul est déjà reparti pour la France. Deux ans plus tard, il fait venir mère et enfant en métropole. Catherine, trop éprouvée par le climat, retourne à Saint-Domingue. Louis reste, élevé seul par son père. Ce déracinement initial marque le début d’un parcours hors norme.

Installé dans le Languedoc, Louis Ferrier apprend d’abord la confection de bas de soie à Lédignan, puis embrasse des études de droit. Il devient viguier pour le duc d’Uzès, fonction judiciaire mineure mais prestigieuse. En 1760, dans une France encore marquée par la rigueur du Code noir, il épouse Marie Boisson, issue d’une famille bourgeoise locale. Ensemble, ils auront six enfants.

Sa reconnaissance légale comme fils de Paul Guizot en 1763 constitue une révolution silencieuse. Après des atermoiements familiaux et judiciaires, il obtient le droit de porter le nom « Guizot », scellant ainsi son intégration dans le paysage social local. Trois ans plus tard, il reçoit le baptême catholique, tournant décisif dans son parcours d’assimilation.

Louis Guizot, premier maire noir de France

À la veille de la Révolution française, Louis Guizot est devenu un notable respecté. En 1789, il joue un rôle clé dans la rédaction du cahier de doléances de Saint-Geniès-de-Malgoirès, où il milite pour des causes d’une modernité saisissante : liberté de la presse, tolérance religieuse, justice fiscale.

Son engagement va au-delà de la plume : il participe à l’assemblée générale des trois ordres à Nîmes, s’affirme comme capitaine général de la garde républicaine locale, puis prend la tête de la Fédération de la Gardonnenque, regroupant 50 compagnies et 12 000 hommes.

Louis Guizot, premier maire noir de France

Le 7 février 1790, Louis Guizot est élu maire de sa commune avec 167 voix sur 176, éclipsant le consul sortant. Il devient ainsi le premier maire noir de France. Cette victoire n’est pas anecdotique : elle est le signe que la Révolution, à ses débuts, a pu être le creuset d’une citoyenneté réellement inclusive.

Fidèle à l’idéal girondin, Louis Guizot défend un modèle de République fédérale. En 1793, il est nommé juge de paix pour le canton de Saint-Geniès. Mais ces positions, dans une France désormais gouvernée par la peur et la suspicion, deviennent des marques de vulnérabilité.

Louis Guizot, premier maire noir de France

La Terreur s’abat sur le pays. Jean Borie, représentant en mission des Montagnards, traque les modérés. Selon une tradition orale, Louis Guizot se cache dans un grenier. Mais il est bientôt arrêté, incarcéré à la citadelle de Nîmes. Pendant trois jours de procès, des citoyens de Saint-Geniès ; rebaptisée « Montesquielle » par la Révolution ; témoignent pour sa défense. Rien n’y fait. Il est condamné à mort.

Le 3 juillet 1794, Louis Guizot est guillotiné, victime d’une Révolution qu’il avait servie avec loyauté et intelligence. Il meurt debout, comme il a vécu : en homme libre.

Louis Guizot, premier maire noir de France

Louis Guizot laisse derrière lui une descendance. Son fils, également nommé Louis, deviendra juge de paix à Saint-Chaptes. Mais l’histoire oublie trop vite le destin du père. Son nom est effacé des manuels, des monuments, des récits officiels de la République.

Ce n’est qu’en 1929 qu’un autre homme noir, Raphaël Élizé, devient maire d’une commune française, à Sablé-sur-Sarthe. Près de 140 ans plus tard.

Louis Guizot, premier maire noir de France
Jean-Marie Joseph Raphaël Elizé est né 4 février 1891 au Lamentin en Martinique.

Aujourd’hui, seule une école maternelle à Saint-Geniès-de-Malgoirès porte le nom de Louis Guizot. Insuffisant, face à l’importance symbolique de son parcours. Il ne fut pas seulement un pionnier afro-descendant dans une France blanche : il fut aussi l’incarnation d’un idéal républicain exigeant, où la couleur de peau n’annulait ni la compétence ni le mérite.

Dans une France qui cherche à recomposer sa mémoire, la redécouverte de Louis Guizot est une urgence. Elle est un appel à revisiter les marges de l’histoire nationale, à reconnaître celles et ceux qui ont bâti la République, parfois au prix de leur vie, dans l’ombre des grands noms.

Louis Guizot fut un homme de droit, un homme de paix, un homme d’action. Il fut noir, et cela, dans la France du XVIIIe siècle, était une singularité absolue. Mais il fut surtout, et avant tout, un citoyen exemplaire, une figure d’engagement et de loyauté à la chose publique.

L’histoire de Louis Guizot mérite d’être transmise, racontée, enseignée. Car à travers lui, c’est toute une autre histoire de France qui se dessine, faite de résistance, d’intelligence et de dignité. Une histoire que Nofi s’engage à ne plus laisser dans l’ombre.

Sources

Carlota Lucumí, la femme qui fit trembler l’ordre colonial

Carlota Lucumí, esclave d’origine yoruba, mena en 1843 l’une des plus puissantes révoltes anti-esclavagistes de Cuba. De Matanzas à Luanda, son héritage résonne comme un symbole de résistance afro. Découvrez l’histoire oubliée de cette héroïne noire, femme, rebelle et figure de mémoire transatlantique.

Carlota Lucumí : la mémoire insurgée d’une reine oubliée

Carlota Lucumí. Un nom, deux exils. L’un géographique, l’autre historique. Née en Afrique de l’Ouest, sans doute dans une région yoruba, Carlota fut arrachée à ses terres natales par la traite transatlantique pour être déportée à Cuba, dans l’enfer sucrier de Matanzas. De son prénom originel, il ne reste rien. De sa langue, de ses chants, de ses ancêtres, seule subsiste la marque ethnique que lui ont attribuée les colons : Lucumí. Une généralisation, un mot valise, pour désigner les captifs d’ascendance yoruba.

Carlota n’a laissé aucune lettre. Aucun portrait. Elle est de ces figures dont l’histoire officielle n’a voulu ni garder le regard, ni transmettre la voix. Et pourtant, elle a crié. Elle a dirigé. Elle a frappé. Et dans l’effacement même, elle est devenue lumière.

Carlota Lucumí : la mémoire insurgée d’une reine oubliée

Le 5 novembre 1843, le feu prend à la plantation de Triunvirato, au cœur de la province de Matanzas. Pas un feu de canne, mais un embrasement humain. Carlota, accompagnée de Ferminia Lucumí, se lève contre l’ordre colonial. Esclaves, tous et toutes. Enchaînés, mais déterminés. Armés de machettes, de haches, de flammes, les insurgés attaquent l’intendance, détruisent les symboles de leur asservissement. Carlota est à la tête.

Elle ne se contente pas de résister. Elle organise. Elle élargit. La révolte s’étend aux plantations voisines : Acaná, San Rafael… Cinq domaines en tout. Chaque nouveau foyer est un défi lancé à l’empire. Les maîtres blancs paniquent. Le pouvoir espagnol comprend que ce soulèvement n’est pas une explosion isolée, mais une coordination. Derrière cette stratégie, il y a l’intelligence d’une femme africaine.

Carlota aurait attaqué personnellement la fille de l’intendant. Non pas par vengeance, mais pour marquer la rupture, pour signifier que plus rien ne serait comme avant. Son geste se grave dans les mémoires orales. Le pouvoir patriarcal, colonial et esclavagiste vacille sous le choc de cette action féminine.

Carlota Lucumí : la mémoire insurgée d’une reine oubliée

L’insurrection s’étend, mais la répression est féroce. Ce moment terrible portera un nom : La Escalera. L’échelle. Celle sur laquelle on attache les esclaves pour les fouetter, les brûler, les mutiler. Le châtiment devient institution. En réponse aux soulèvements, l’État colonial lance une purge sans précédent.

Des milliers de personnes (esclaves, affranchis, métis libres) sont arrêtés, interrogés, torturés. Des centaines seront exécutés sans procès. Parmi les tués : Carlota. Elle meurt dans les premiers jours de la répression, sans procès ni sépulture. Mais son souvenir, lui, ne sera jamais complètement effacé.

La Escalera marque la fin d’un cycle de révoltes, mais aussi l’ouverture d’une nouvelle ère de surveillance. L’État espagnol comprend que les esclaves ne sont pas seulement des corps à exploiter, mais des esprits capables de s’organiser. Carlota, en mourant, devient une menace éternelle.

Carlota Lucumí : la mémoire insurgée d’une reine oubliée

Il y a des silences plus assourdissants que les cris. Celui qui entoure la vie de Carlota est de ceux-là. Peu de documents, et ceux qui existent, biaisés, écrits par des bourreaux, par des scribes de l’Empire. Les témoignages sur les rébellions viennent souvent de procès où les esclaves sont torturés, contraints à parler sous la menace.

L’historienne Aisha Finch souligne l’ambiguïté méthodologique : comment reconstruire une mémoire noire à partir d’archives blanches, coloniales, punitives ? Comment distinguer la vérité de la stratégie de survie ? Carlota apparaît entre les lignes, entre les omissions, entre les mots d’autres. Même dans les œuvres des historiens cubains comme José Luciano Franco ou Ricardo Vázquez, elle est reléguée à l’arrière-plan des chefs masculins.

Et pourtant, sans elle, rien n’aurait été déclenché.

Carlota Lucumí : la mémoire insurgée d’une reine oubliée

Un siècle plus tard, un autre Carlota surgit. Mais cette fois, ce n’est plus une femme : c’est une opération militaire. En 1975, Cuba intervient en Angola pour soutenir le MPLA contre les forces sud-africaines soutenues par l’Occident. Le nom de code de cette intervention ? Operación Carlota.

Fidel Castro, fin stratège de la mémoire, invoque l’esprit de l’esclave rebelle pour justifier une politique étrangère. Carlota devient l’icône d’un socialisme afrocubain transatlantique. L’Afrique est perçue comme la mère blessée, Cuba comme l’enfant affranchi qui revient défendre la matrice.

Dans ce récit révolutionnaire, Carlota n’est plus seulement la résistante de 1843. Elle est l’ancêtre spirituelle du soldat cubain de 1975. Une boucle se ferme. Une autre s’ouvre.

La mémoire de Carlota n’a pas été spontanée. Elle a été construite, instrumentalisée. À partir des années 1970, le pouvoir cubain mobilise son histoire esclavagiste pour asseoir sa légitimité révolutionnaire. Carlota devient la preuve que la Révolution de 1959 est le prolongement naturel de toutes les luttes noires d’avant.

Un mémorial lui est dédié en 1991 sur le site de Triunvirato. Intégré au programme La Route de l’Esclave de l’UNESCO, il sert à rappeler le rôle des esclaves dans la construction de Cuba. Mais cette mémoire officielle évacue souvent les contradictions : elle universalise Carlota, la rend presque abstraite, oublie qu’elle était femme, africaine, enracinée dans une culture, une cosmogonie, une langue.

Dans l’imaginaire occidental, la rébellion est une affaire d’hommes. Des muscles, des armes, de la rage. Carlota déconstruit ce stéréotype. Elle incarne une autre manière de faire l’histoire. Elle brise les codes de genre imposés à la résistance. Elle n’est ni muse, ni concubine, ni traîtresse ; figures typiques associées aux esclaves féminines dans les narrations coloniales. Elle est stratège, actrice, déclencheuse.

Cette position dérange. Elle explique peut-être pourquoi son nom n’a pas été immédiatement célébré. Trop femme pour être chef, trop africaine pour être cubaine, trop libre pour être récupérable sans la remodeler.

Carlota appartient à une constellation de femmes noires qui ont fait l’histoire sans entrer dans les manuels. Elle est sœur de Sanité Bélair en Haïti, de la reine Nanny en Jamaïque, de la Ndongo Nzinga en Angola. Toutes ont lutté contre l’ordre esclavagiste, toutes ont été marginalisées après leur mort.

Son héritage dépasse Cuba. Il nous oblige à repenser l’Atlantique noir non pas comme une mer de larmes, mais comme un espace de résistance. Là où les navires passaient, les idées circulaient. L’insurrection n’était pas locale, elle était diasporique.

Nommer Carlota aujourd’hui, c’est résister à l’oubli. C’est inscrire dans la langue ce que l’histoire a effacé. C’est faire un pas de côté, interroger nos archives, nos récits, nos hiérarchies. Carlota est une praxis. Un acte. Une invitation à raconter autrement.

Elle nous rappelle que l’histoire des peuples noirs ne commence pas avec la douleur, mais avec la dignité. Qu’il n’y a pas de petites résistances. Que même sans papier, sans statue, sans chant, une femme noire peut ébranler un empire.

Carlota Lucumí ne demande pas qu’on la célèbre. Elle exige qu’on la continue.

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

À travers gestes tendres et savoirs transmis, le soin des cheveux afro des enfants devient un véritable rituel d’amour, de mémoire et d’identité. Plus qu’une routine capillaire, cet article vous livre des conseils essentiels pour nourrir, coiffer et célébrer la beauté naturelle de nos petits, dans le respect de leur texture, de leur histoire… et de leur couronne.

Hériter de la couronne

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Les cheveux afro de nos enfants sont bien plus qu’une texture ou qu’un héritage génétique. Ils sont le prolongement d’une histoire, d’un continent, d’une dignité. Et pourtant, combien d’enfants grandissent en pensant que leurs boucles sont à dompter plutôt qu’à célébrer ? Ce guide est un acte d’amour. Un hommage aux mamans, papas, tatas et grands-mères qui tressent chaque mèche comme on façonne un avenir. À celles et ceux qui refusent de transmettre la douleur du peigne et choisissent, à la place, la tendresse des doigts.

Comprendre les cheveux de nos enfants

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

La structure unique du cheveu afro

Dès les premiers mois, les cheveux de nos petits racontent déjà une histoire. Celle d’un cheveu en spirale, souvent mal compris, parfois maltraité, mais porteur d’une mémoire ancestrale. Contrairement aux autres types capillaires, les cheveux afrotexturés présentent une forme hélicoïdale, voire en Z, qui crée naturellement des points de fragilité à chaque angle du cheveu.

Chez les bébés et les jeunes enfants, cette fragilité est exacerbée : la fibre capillaire est plus fine, plus poreuse, et se casse plus facilement. Elle a soif ; littéralement. Elle réclame une hydratation régulière et des gestes empreints de douceur. Si l’on frotte trop fort, si l’on tire trop vite, le cheveu rompt. Et parfois, avec lui, un début de confiance.

Dans la société actuelle, où les boucles sont encore trop souvent perçues comme des anomalies à discipliner, comprendre la spécificité du cheveu afro dès le plus jeune âge, c’est offrir à l’enfant un socle de reconnaissance de soi. C’est refuser d’imposer une norme étrangère à son cuir chevelu et embrasser la beauté de ce qu’il est, naturellement.

D’où la nécessité de bannir les gestes mécaniques appris sur d’autres textures. Les cheveux afro ne s’apprivoisent pas : ils s’écoutent, se ressentent, se respectent. On ne les traite pas, on les honore.

Un cuir chevelu apaisé, une fibre bien hydratée, des gestes doux : c’est là que commence la santé capillaire. Et c’est là aussi que commence l’estime de soi.

L’importance du cuir chevelu

On parle souvent des boucles, rarement du sol d’où elles émergent. Et pourtant, c’est dans le cuir chevelu que tout commence. Chez l’enfant, cette peau située sous les cheveux est encore plus sensible que chez l’adulte. Fine, fragile, en pleine maturation, elle réagit rapidement aux agressions : produits chimiques, tresses serrées, frictions sur des oreillers en coton.

Négliger le cuir chevelu, c’est planter une graine dans un sol sec. Nourrir uniquement les longueurs sans hydrater la base, c’est comme arroser les feuilles d’un arbre sans jamais toucher ses racines.

C’est pourquoi chaque soin capillaire devrait commencer par lui. Un massage doux du cuir chevelu avec une huile végétale tiède (amande douce, jojoba, ou pépins de raisin), quelques minutes par semaine, favorise non seulement la circulation sanguine mais aussi la pousse du cheveu. Et plus que tout, il crée un lien sensoriel et affectif avec l’enfant : une routine d’amour et de soin, loin des cris, des douleurs et des souvenirs douloureux.

Enfin, le cuir chevelu est un indicateur de bien-être. Des pellicules ? Il est peut-être trop sec. Des rougeurs ou démangeaisons ? Le produit est inadapté. Une zone clairsemée ? Il est temps de relâcher la tension des coiffures. Être à l’écoute du cuir chevelu, c’est devenir gardien d’un patrimoine vivant.

La vérité sur les shampoings (ce que personne ne vous dit)

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Moins, c’est mieux

Le marketing nous a appris à croire que propreté rimait avec mousse, que soin signifiait parfum chimique. Mais lorsqu’il s’agit des cheveux afro de nos enfants, cette logique s’effondre. Trop laver, c’est abîmer. Trop décaper, c’est priver le cheveu de sa protection naturelle : le sébum. Or, les cheveux crépus sont déjà pauvres en sébum, car leur forme en spirale empêche cette huile de se répartir uniformément le long de la fibre.

Chez le jeune enfant, un cuir chevelu nettoyé trop souvent devient vulnérable : sécheresse, démangeaisons, cassure. Voilà pourquoi il faut repenser nos gestes. Deux shampoings par semaine, c’est souvent déjà trop. Un seul suffit, surtout si l’enfant ne transpire pas excessivement ou ne vit pas dans un environnement particulièrement poussiéreux.

Mais tout réside dans le choix du shampoing. Évitez ceux qui contiennent des sulfates (comme le sodium laureth sulfate), des parabènes ou encore des parfums synthétiques irritants. Privilégiez des bases lavantes douces comme celles à base de coco ou de sucre, ou, mieux encore, explorez les recettes naturelles que nos aïeules utilisaient sans les nommer.

💡 Suggestion maison simple :

Un mélange d’eau tiède, de savon noir africain naturel râpé, et de quelques gouttes d’huile de lavande douce. Appliquez, massez délicatement, rincez.

La magie des après-shampoings doux

Si le shampoing nettoie, c’est l’après-shampoing qui protège. Trop souvent ignoré dans les routines des tout-petits, il est pourtant un véritable soin réparateur. Il referme les cuticules ouvertes par le lavage, facilite le démêlage, et permet de nourrir sans alourdir. C’est un bouclier invisible.

Pour les cheveux afrotexturés, l’après-shampoing n’est pas un luxe. Il est un geste d’amour, un baume contre les agressions du monde. Et comme toujours, la simplicité est reine : plus l’enfant est jeune, plus la formule doit être pure.

Évitez les produits aux longues listes d’ingrédients incompréhensibles. Tournez-vous vers des soins enrichis en aloe vera, glycérine végétale, lait d’avoine ou huile d’amande douce. Vous pouvez même créer vos propres mélanges hydratants à base de yaourt nature, de miel et d’un filet d’huile d’olive.

🥣 Astuce maison à partir de 2 ans :

  • ½ avocat mûr
  • 1 cuillère à soupe d’huile d’olive
  • 1 cuillère à café de miel
    Mixez jusqu’à obtenir une texture lisse. Appliquez après le shampoing, laissez poser 10 minutes sous un bonnet, puis rincez à l’eau tiède.

Ce masque est une bénédiction pour les cheveux secs ou rêches. Il apporte douceur, brillance, et surtout : il apprend à votre enfant que sa chevelure est précieuse, qu’elle mérite des soins aussi délicats qu’un rituel sacré.

L’art du séchage

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Laisser l’air faire son œuvre

Il y a dans l’air une sagesse que nos gestes oublient parfois. Dans un monde où tout va vite (où le sèche-cheveux vrombit dès la sortie de la douche, où les serviettes frottent comme des regrets) sécher les cheveux de nos enfants à l’air libre devient un acte de rébellion douce. Une déclaration de tendresse.

Le cheveu afro, dans son architecture spiralée, déteste la chaleur brutale. Il se rétracte, il se fragilise, il se brise. Utiliser un sèche-cheveux sur des boucles fragiles, c’est comme brûler une lettre qu’on n’a pas encore lue : on efface un message que la nature nous a confié.

Sécher à l’air libre, c’est au contraire offrir au cheveu le temps de respirer, de s’étirer, de se définir selon son propre rythme. C’est aussi préserver l’hydratation que les soins précédents ont apportée, éviter l’évaporation soudaine, et maintenir la douceur.

Mais cela va au-delà du soin. Laisser l’enfant vivre ce moment sans précipitation, c’est lui enseigner que sa texture naturelle n’est pas un problème à résoudre, mais un processus à accompagner. C’est l’autoriser à occuper de l’espace, à ne pas se cacher, à exister sans compromis.

✨ Astuce :

Après avoir rincé l’après-shampoing ou le masque, pressez doucement l’excès d’eau avec les mains, puis entourez délicatement la tête de votre enfant d’un tissu doux pendant quelques minutes. Ensuite, laissez les cheveux sécher à l’air libre, à l’ombre, loin du vent froid ou direct.

Éviter la serviette classique

L’erreur la plus répandue (et la plus silencieuse) c’est la serviette. Celle, épaisse et rugueuse, que l’on enroule machinalement autour de la tête, pensant bien faire. Mais les fibres de coton traditionnel accrochent les boucles, soulèvent les cuticules, et provoquent ce qu’on appelle la casse mécanique. Chaque frottement est une micro-agression.

C’est encore plus vrai chez les enfants, dont les cheveux sont plus fins, plus vulnérables.

Alors, on change les règles du jeu. On abandonne la serviette classique et on choisit la microfibre, douce, lisse, absorbante sans agression. Mieux encore : un simple t-shirt en coton (usé, souple, propre) peut faire des merveilles. Il respecte la forme naturelle des boucles, absorbe l’eau sans les froisser, et ne crée pas de frisottis inutiles.

🧺 Astuce maison :

Réservez un vieux t-shirt à manches longues, roulez-le pour en faire une “turban serviette” que vous utiliserez exclusivement pour les cheveux de votre enfant. Non seulement il protège, mais il devient un objet familier, associé à un moment de soin et de calme.

Le démêlage (entre science, amour et patience)

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Démêler les cheveux d’un enfant afro, c’est bien plus qu’un geste de soin : c’est un moment fondateur. Il peut renforcer un lien ou, au contraire, créer une distance. Il peut transmettre une culture de l’amour-propre ou raviver des blessures enfouies. Chaque coup de peigne est porteur d’un message. Alors mieux vaut qu’il dise : « Je t’aime, et je te respecte. »

Les erreurs à bannir

Trop de parents, pressés ou mal informés, reproduisent les gestes subis dans leur propre enfance. Le peigne qui arrache, les cris, les larmes, la hâte. Mais les cheveux de nos petits méritent mieux que la douleur héritée.

Voici ce qu’il faut impérativement éviter :

  • Démêler sur cheveux secs : les cheveux afrotexturés ont besoin d’être humidifiés pour devenir malléables. À sec, chaque nœud devient une bataille.
  • Commencer par la racine : cela tire inutilement sur le cuir chevelu, provoque douleur, casse et rejet de la routine.
  • Oublier les sections : sans division claire, les cheveux s’emmêlent davantage, et l’enfant s’impatiente.
  • Utiliser des peignes fins : conçus pour d’autres textures, ils ne respectent ni la densité, ni la forme du cheveu crépu.
  • Aller trop vite : la précipitation fait mal. Et l’enfant apprend à craindre ce moment, plutôt qu’à le vivre comme un soin.

Chaque erreur est une occasion manquée de construire un rapport positif au cheveu.

Le rituel à adopter

Transformer le démêlage en rituel, c’est redonner au soin capillaire sa juste place : un acte de transmission, de confiance, de paix.

Voici le protocole à privilégier :

  • Humidifiez d’abord : utilisez un vaporisateur contenant de l’eau de source, une huile végétale légère (jojoba, amande douce) et, si besoin, quelques gouttes d’aloe vera liquide. Cela facilite le glissement des doigts ou du peigne.
  • Divisez en sections : quatre, six, huit… selon la densité et l’âge de l’enfant. Cela donne une structure au geste et rassure.
  • Démêlez avec les doigts en premier. Les nœuds les plus coriaces se défassent souvent mieux à la main, sans douleur.
  • Utilisez un peigne à dents larges pour compléter, en allant toujours des pointes vers la racine, petit à petit.
  • Complétez par une brosse douce, si besoin, pour lisser légèrement sans casser.

Ce n’est pas seulement une question d’efficacité. C’est une question de respect. Le cheveu afro, surtout chez l’enfant, mérite qu’on le touche avec intention, et non avec urgence.

Le bon moment

Le soin du cheveu doit être un moment de complicité, pas de confrontation. Choisissez une heure calme : après le bain, avant la sieste, pendant une histoire. Mettez une musique douce, ou créez une routine parlée : racontez une légende, une anecdote de famille, une fable africaine pendant que vous peignez.

Car au fond, ce que l’enfant retiendra, ce n’est pas uniquement comment ses cheveux étaient coiffés. Il se souviendra surtout de comment il s’est senti pendant qu’on s’en occupait. Respecté ou bousculé. Écouté ou contraint. Ce moment est un miroir de la relation que nous bâtissons avec lui.

✨ Astuce :

Donnez un nom au vaporisateur (« la potion magique »), inventez des personnages autour des nœuds (« les lutins emmêlés »), faites de ce moment un jeu… pour que le soin capillaire devienne une fierté, pas une corvée.

Coiffer sans briser (la créativité en héritage)

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Coiffer un enfant noir, c’est inscrire une mémoire sur son crâne. C’est tracer une carte invisible de ce qu’on lui transmet : fierté ou douleur, beauté ou gêne, liberté ou contrainte. Et trop souvent, les coiffures dites “protectrices” ont, dans les faits, été des sources de tension ; au sens propre comme au figuré.

Mais il est temps de changer cela. De faire de chaque mèche tressée un acte d’amour. De chaque coiffure, une célébration, pas une résignation.

Bannir les coiffures traumatiques

Il faut oser le dire : les rajouts n’ont rien à faire sur la tête d’un enfant en bas âge. Leur poids, leur tension, leur entretien sont inadaptés à la fragilité des cheveux enfantins. Et au-delà du cuir chevelu, c’est l’estime de soi qui vacille quand, dès 3 ou 4 ans, une petite fille apprend que ses cheveux “ne suffisent pas”.

Les coiffures trop serrées abîment les tempes (alopécie de traction), irritent le cuir chevelu, et peuvent provoquer des maux de tête chroniques. Elles installent l’idée qu’il faut souffrir pour être belle ; un mensonge hérité, dont nous avons la responsabilité de nous libérer.

L’enfant a besoin d’espace. D’oxygène. De savoir que ses cheveux, tels qu’ils sont, sont magnifiques, même sans artifices. Surtout sans artifices.

Oser la simplicité

Et si la beauté résidait justement dans la simplicité ? Deux vanilles. Quelques nattes collées. Un afro puff aérien. Ce sont souvent les coiffures les plus légères qui laissent le plus de place à l’enfant d’être… un enfant. Bouger, courir, danser, rêver sans être entravé·e par une coiffure rigide.

La simplicité ne signifie pas négligence ; elle peut être une forme de sophistication invisible. Il suffit d’ajouter une touche de soin : une barrette bien choisie, un ruban en satin, un foulard noué avec grâce. L’enfant apprend alors que son cheveu n’a pas besoin d’être déguisé pour être sublimé.

⛔ À éviter :

  • Les élastiques fins trop serrés
  • Les barrettes en métal ou à bords tranchants
  • Les tissus rugueux comme le coton brut

✅ À privilégier :

  • Les chouchous en satin ou en soie
  • Les pinces en plastique doux ou en bois
  • Les bandeaux larges doublés de soie

Car chaque accessoire est un message : “je te protège”, ou “je te contrains”.

Stimuler la créativité

Le cheveu afro est une toile vierge. Et chaque enfant est un·e artiste en puissance. Lui laisser choisir ses barrettes, ses couleurs, ses perles, c’est lui offrir une première occasion de dire : « voilà qui je suis ».

Ce geste apparemment anodin est en réalité fondateur. L’enfant qui participe à sa coiffure apprend à s’approprier son apparence, à expérimenter, à aimer son reflet. Il ou elle devient acteur·rice de son image, et non simple récepteur·rice de normes imposées.

Inventez ensemble des thèmes : “journée papillons”, “arc-en-ciel”, “perles des ancêtres”. Tressez une histoire autant qu’une coiffure. Donnez-lui les outils de sa liberté, mèche par mèche.

🎨 Astuce :

Proposez une “boîte magique” avec des accessoires sans métal, des chouchous doux, des petites pinces colorées. Laissez votre enfant piocher et composer sa propre coiffure du jour.

Les produits à privilégier

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Trouver les bons produits pour les cheveux de nos enfants afrodescendants, c’est comme chercher les ingrédients d’une potion d’amour. Il ne s’agit pas seulement d’hydrater ou de lisser : il s’agit de protéger, de nourrir, d’honorer une texture que l’histoire a trop souvent tenté d’effacer.

Dans un marché saturé de promesses creuses et de parfums artificiels, il faut revenir à l’essentiel. À la terre. À la tradition. À ce que les grands-mères connaissaient sans l’étiqueter “clean beauty”. Ce retour aux sources est la meilleure façon d’offrir à nos enfants des soins sains, durables, adaptés à leur cuir chevelu fragile.

Beurre de karité pur : le protecteur ancestral

On ne le présente plus. Le beurre de karité brut et non raffiné est l’un des joyaux les plus précieux du continent africain. Il nourrit en profondeur, scelle l’hydratation, apaise les irritations et protège les pointes des cheveux crépus contre la casse.

Utilisé en petite quantité, il peut être fondu au creux de la main, puis appliqué section par section sur cheveux humides ou légèrement vaporisés. Sur les pointes, il agit comme un bouclier naturel. Sur le cuir chevelu, il répare et calme.

🌿 Astuce :

Choisissez un karité jaune ou ivoire, à l’odeur naturelle de noix. Méfiez-vous des versions désodorisées ou trop blanches, souvent raffinées à l’excès.

Les huiles végétales : les gardiennes de la douceur

Chaque huile végétale est un trésor, à condition de bien la choisir selon les besoins :

  • Huile de jojoba : la plus proche du sébum naturel, parfaite pour équilibrer le cuir chevelu.
  • Huile de coco : légère, pénétrante, elle protège sans alourdir, idéale en été.
  • Huile d’amande douce : adoucissante, nourrissante, parfaite pour les massages doux.
  • Huile de ricin : très nourrissante, à utiliser avec parcimonie, mélangée à une huile plus fluide (jojoba ou coco), surtout en cas de zones clairsemées.

Ces huiles peuvent être utilisées en bain d’huile avant shampoing, ou incorporées dans un vaporisateur pour l’hydratation quotidienne.

Le vaporisateur magique : eau + huile + amour

Un vaporisateur bien préparé est le meilleur allié du cheveu crépu enfantin. Il permet d’humidifier sans mouiller à outrance, de rafraîchir les boucles, et de faciliter le démêlage sans douleur.

🌸 Recette simple :

  • 2/3 d’eau de source ou d’hydrolat de camomille
  • 1/3 d’huile végétale légère (jojoba ou amande douce)
  • Quelques gouttes d’aloe vera liquide (facultatif)

Utilisez-le matin et soir, ou avant toute manipulation.

Les shampoings doux : nettoyants, pas décapants

Le cuir chevelu de l’enfant ne tolère pas les lavages agressifs. Il faut donc privilégier des bases lavantes très douces, comme le savon noir africain naturel dilué, le rhassoul (argile marocaine nettoyante) ou des shampoings sans sulfates, sans silicones, sans alcool.

L’objectif : nettoyer sans priver le cheveu de sa protection naturelle. Si le shampoing mousse beaucoup, c’est souvent mauvais signe.

🧴 Astuce :

Diluez le shampoing dans un peu d’eau tiède avant de l’appliquer, pour éviter les concentrations trop fortes sur le cuir chevelu.

Les bons outils : respecter la boucle

Oubliez les brosses dures et les peignes trop fins. Pour préserver les cheveux de nos petits :

  • Peigne à dents larges : idéal pour démêler sans casser.
  • Brosse ronde douce (type brosse en poils de sanglier végétalien) : parfaite pour lisser sans agresser.
  • Fingers first : rien ne vaut les doigts pour démêler les nœuds les plus résistants en douceur.

Les bons accessoires : zéro métal, zéro douleur

Un simple accessoire peut faire beaucoup de dégâts s’il est mal choisi. Le métal accroche, le coton assèche, les élastiques trop serrés cassent.

À privilégier :

  • Élastiques recouverts de satin
  • Chouchous en soie ou microfibre
  • Barrettes sans parties métalliques
  • Pinces plates en plastique doux

N’oublions pas que les cheveux d’un enfant sont aussi des antennes sensibles. Les accessoires doivent donc être aussi doux que les gestes qui les accompagnent.

Transmettre plus qu’une routine : une culture, une confiance

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Coiffer son enfant, ce n’est pas juste une tâche à cocher dans un quotidien chargé. C’est un acte d’ancrage. Une manière silencieuse, mais profonde, de dire : « Tu es à ta place, exactement comme tu es. » Car derrière chaque boucle, chaque nœud défait avec patience, chaque tresse déposée avec soin, il y a un monde de symboles. Une mémoire vivante. Et un avenir à réécrire.

Le pouvoir du miroir

Tout commence avec le regard. Pas celui que la société porte sur nos enfants, mais celui qu’ils apprennent à poser sur eux-mêmes.

Un enfant qui voit sa mère aimer ses propres cheveux crépus, ses propres traits, son reflet nu, apprend à aimer le sien. Il absorbe cette douceur comme un élixir invisible. Il comprend que ce qu’on lui a parfois présenté comme un « problème » (ses cheveux, sa texture, sa densité) est en réalité une richesse à célébrer.

Le miroir devient alors plus qu’un objet : il devient un témoin. Le témoin d’un amour de soi transmis par l’exemple. Par la gestuelle. Par le silence complice entre deux vanilles, ou le chant discret pendant un démêlage.

Ce n’est pas juste une routine capillaire. C’est une éducation à l’estime. Un héritage à rebours, qui guérit les générations passées tout en élevant les prochaines.

Le cheveu comme affirmation

Pendant des siècles, nos cheveux ont été disciplinés, niés, dissimulés. Dans la douleur, dans le silence, dans la honte. Aujourd’hui, en prenant soin de ceux de nos enfants avec patience, tendresse et fierté, nous brisons cette chaîne. Nous faisons du soin capillaire une affirmation politique, affective et esthétique.

Refuser les standards de beauté eurocentrés ne passe pas toujours par de grands discours. Parfois, cela commence simplement par un geste doux. Une coiffure sans tension. Une absence de larmes. Un compliment chuchoté devant la glace :

« Tu es magnifique. Juste comme ça. »

Et cela suffit. Parce que cet enfant, nourri par ce regard, s’en souviendra toute sa vie. Il grandira avec la certitude qu’il n’a rien à lisser, rien à cacher, rien à effacer pour mériter l’amour, la dignité ou la beauté.

✊🏾 Le soin des cheveux de nos petits est une réconciliation lente et intime avec notre propre passé. C’est refuser de transmettre la douleur. C’est préférer la caresse à la contrainte. C’est cultiver, dans chaque mèche, la liberté d’être soi.

De la racine à la couronne

Conseils et astuces pour les cheveux de nos petits

Prendre soin des cheveux de nos petits, ce n’est pas un acte banal. C’est réparer les silences, guérir les gestes brusques d’hier, et transmettre à nos enfants l’idée qu’ils n’ont rien à changer pour être beaux. Ils n’ont rien à lisser pour être acceptés. Ils n’ont rien à cacher pour exister.

À celles et ceux qui chaque matin tressent l’amour dans les cheveux de leurs enfants : vous êtes les gardiens d’un royaume. Continuez.

Jean-Jacques Alain, un Martiniquais maire de la ville de Saint-Louis au Sénégal (1829-1848)

Jean-Jacques Alain, ou Alin, est né en 1777 au Lamentin en Martinique. Après la Révolution Française, il migra vers le Sénégal, où il deviendra une figure majeure de Saint-Louis, occupant le poste de maire de la ville de 1829 à 1848.

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé

À l’occasion de la sortie du film Milli Vanilli, de la gloire au cauchemar de Simon Verhoeven (le 14 mai), retour sur l’ascension fulgurante et la chute tragique du duo pop le plus controversé des années 90. Une histoire vraie, entre imposture musicale, dérives de l’industrie et enjeux raciaux toujours brûlants.

En 1990, le duo pop Milli Vanilli atteint le sommet de la gloire ; avant de s’effondrer dans ce qui restera comme l’une des plus grandes impostures musicales des années 90. Rob Pilatus et Fab Morvan, deux jeunes hommes flamboyants à la silhouette longiligne et aux longues tresses, étaient devenus en un éclair les coqueluches de la pop internationale. Leur ascension fulgurante semblait tout droit sortie d’un conte de fées moderne : des tubes planétaires, des clips en rotation constante sur MTV, et même un Grammy Award du meilleur nouvel artiste.

Mais derrière les sourires ultra-bright et les vestes à épaulettes se cachait un secret explosif. Quelques mois à peine après avoir brandi fièrement leur trophée, ces idoles des hit-parades allaient connaître une chute vertigineuse. Leur Grammy retiré dans la honte, ils passeraient à la postérité non plus comme des stars, mais comme les protagonistes du plus gros scandale de la pop. Voici l’histoire de Milli Vanilli, une histoire de rêve et de cauchemar, de gloire éphémère et de désillusion, récemment revisitée par un docu événement, et dont l’écho résonne encore dans l’industrie musicale contemporaine.

Ascension express de deux stars fabriquées

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Fabrice Morvan et Robert Pilatus, les visages d’un groupe fabriqué de toutes pièces par le producteur Frank Farian.  Photo Ingrid Segeith/Paramount+

En 1988, Rob Pilatus et Fab Morvan n’imaginaient sans doute pas devenir les visages emblématiques d’une décennie. Rob, germano-américain élevé en Bavière, et Fab, français originaire de Guadeloupe, se rencontrent à Munich dans les années 80. Tous deux galèrent alors dans la scène locale : petits boulots, danse, chant, ils cherchent la lumière.

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Frank Farian et les deux membres du groupe Milli Vanilli. Crédit : X @MilliVanilli

Lorsqu’ils font la connaissance du producteur allemand Frank Farian, leur destin bascule. Farian, déjà célèbre pour avoir créé le groupe disco Boney M., voit en ces deux beaux jeunes hommes un potentiel incroyable. Grand stratège de l’image, il est fasciné par leur look “tailor-made for the MTV era”, tout en dreadlocks et en muscles athlétiques, parfait pour séduire une génération bercée par le culte du clip et de l’apparence.

Sans trop poser de questions, affamés de succès, Rob et Fab signent un contrat en bonne et due forme. Ils ne le savent pas encore, mais ils viennent de sceller un « pacte avec le diable ». Le producteur ne compte pas les faire chanter sur le disque : il a déjà en main Girl You Know It’s True, un futur tube enregistré par des chanteurs de studio expérimentés. Ce qu’il attend d’eux, ce n’est pas leur voix mais leur plastique irréprochable et leur énergie sur scène. Autrement dit, Milli Vanilli sera son invention, un groupe de synthèse où l’image prime entièrement sur la musique.

Dès 1989, le plan de Farian dépasse toutes ses espérances. Le single Girl You Know It’s True explose en Europe puis aux États-Unis, atteignant le Top 5 dans 23 pays. L’album qui suit, truffé d’autres hits accrocheurs comme Baby Don’t Forget My Number ou Blame It on the Rain, se vend par millions. En quelques mois, Milli Vanilli devient un phénomène pop mondial : Rob Pilatus et Fab Morvan enchaînent plateaux télés, séances photo et concerts à guichets fermés. Sur scène, ils enflamment le public avec leurs chorégraphies millimétrées, leurs vestes à paillettes et leurs sourires complices.

Personne ne se doute que, derrière les enceintes, leurs voix sont pré-enregistrées. Le succès est si fulgurant que le duo lui-même semble dépassé par les événements. « C’était une aventure folle, nous surfions sur la vague, constamment terrorisés à l’idée d’être démasqués », racontera plus tard Fab Morvan, évoquant cette période où ils vivaient un rêve éveillé. Le rêve justement, va tourner cauchemar plus vite qu’ils ne le pensent.

Le scandale de l’imposture musicale éclate

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Rob Pilatus (à gauche) et Fab Morvan du duo Milli Vanilli, après avoir reçu le prix Grammy du meilleur nouvel artiste, prix qu’ils ont dû remettre. PHOTO : ASSOCIATED PRESS / DOUGLAS C. PIZAC

À mesure que Milli Vanilli enchaîne les n°1 des charts, quelques voix commencent à murmurer que “quelque chose sonne faux”. Rob et Fab, bien que francophones et germanophones, chantent sur disque avec un accent américain parfait, ce qui intrigue certains journalistes. Lors d’un concert à Connecticut à l’été 1989, la rumeur prend de l’ampleur : en pleine performance sur “Girl You Know It’s True”, la bande-son déraille et se met à buguer, répétant en boucle un extrait du refrain. Pris de panique, Rob quitte brièvement la scène tandis que Fab tente de faire bonne figure. Le public reste interloqué.

Cet incident de playback (rapidement étouffé par la maison de disques) est le premier signe public de la supercherie. En coulisses pourtant, Rob Pilatus et Fab Morvan réalisent qu’ils jouent avec le feu. Lassés de mentir et redoutant d’être découverts, ils font pression sur Frank Farian : ils veulent chanter sur le prochain album de Milli Vanilli, prouver leur véritable talent. Mais le producteur refuse net. Convaincu que leurs voix n’ont pas le niveau requis, Farian préfère maintenir l’illusion. Le duo insiste, au point de menacer de tout révéler et de faire appel à un avocat. C’en est trop pour le mentor qui décide alors de sacrifier ses créatures pour sauver sa propre peau.

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Fabrice “Fab” Morvan (au centre) et Rob Pilatus (à droite) tiennent les Grammy Awards des meilleurs nouveaux artistes qu’ils rendront après avoir admis qu’ils n’étaient pas les vrais chanteurs du groupe Milli Vanilli, Hollywood, Californie, 20 novembre 1990. (Photo par Vinnie Zuffante/Getty Images)

En novembre 1990, Frank Farian convoque la presse et lâche une bombe : Milli Vanilli n’a jamais chanté une seule note en studio. Le scandale éclate comme une traînée de poudre dans le monde entier. En quelques heures, Rob et Fab passent du statut de superstars à celui de fraudeurs honnis. Eux qui, quelques mois plus tôt, brandissaient fièrement leur Grammy sur scène, se retrouvent contraints de le rendre publiquement. Devant les caméras du monde entier, les deux jeunes hommes avouent la tromperie la tête basse et présentent leur fameux trophée doré en guise d’excuse.

C’est du jamais-vu dans l’histoire de la musique : pour la première fois, un Grammy Award est retiré à des artistes. « Nous savons chanter, mais ce maniaque de Frank Farian n’a jamais voulu nous laisser nous exprimer », se défend Rob Pilatus dans un entretien de l’époque, incriminant le producteur. Les révélations attisent la colère générale. Fans, médias, industrie ; tous se sentent trahis.

Une avalanche de moqueries s’abat sur Milli Vanilli, désormais symbole absolu de l’imposture musicale. Des blagues cruelles circulent dans les late shows, on les surnomme “Milli Vanilli les tricheurs”, et même un sketch télévisé affligeant met en scène des personnages grimés en noir (blackface) pour se moquer d’eux. La chute médiatique est féroce : comme le dira Fab Morvan, « le label nous a jetés en pâture aux loups ».

Frank Farian, le marionnettiste de l’ombre

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Frank Farian. © PHOTO: Karlheinz Schindler/dpa-Zentralb

Dans l’ombre de ce scandale retentissant se tient l’architecte de toute l’opération : Frank Farian. Producteur rusé et habitué des coups tordus, Farian n’en était pas à son coup d’essai. Dès les années 70, il avait expérimenté la recette avec Boney M., groupe disco à succès dont le chanteur à l’écran, Bobby Farrell, ne posait en réalité presque aucune note en studio (c’est Farian lui-même qui assurait les voix masculines sur les enregistrements). Avec Milli Vanilli, Farian répète son schéma, poussé par sa conviction que le public se soucie davantage de l’apparence que de l’authenticité. Pourquoi s’en priver ?

En recrutant Rob et Fab, deux danseurs charismatiques, pour incarner la musique d’autres, il exploite cyniquement la culture de l’image triomphante à la fin des années 80. En privateur avisé, il verrouille ses jeunes protégés par un contrat léonin : s’ils rompent l’accord, ils devront rembourser des avances colossales, une somme impossible à réunir pour ces artistes fauchés. Acculés, Morvan et Pilatus se retrouvent pris au piège. « Nous sommes tombés dans un piège, nous avons signé sans avocat, sans manager, sans aucune protection », confiera Fab plus tard, lucide sur leur naïveté de l’époque.

Le docu musical Milli Vanilli : de la gloire au cauchemar, sorti en 2023, met en lumière ces mécanismes de manipulation au cœur de l’affaire. Il révèle par exemple que la maison de disques américaine Arista Records (dirigée par le légendaire Clive Davis) n’était pas aussi innocente qu’elle l’a prétendu. Six mois avant la chute, certains exécutifs auraient eu vent des voix cachées derrière Milli Vanilli. Mieux, Arista a autorisé le duo à faire du playback lors des Grammy Awards eux-mêmes, cautionnant tacitement la mascarade tant que les dollars continuaient d’affluer.

« Étonnamment, Clive Davis a eu droit à un pass gratuit dans toute cette histoire », remarque le réalisateur du documentaire, Luke Korem, soulignant que “tout un tas de blancs ont empoché l’argent, pendant que Rob, Fab et les autres artistes noirs étaient jetés comme de vieilles chaussettes”. Car au-delà de l’anecdote pop, l’affaire Milli Vanilli est surtout l’histoire d’une exploitation éhontée : celle de cinq artistes noirs (les deux performers et les trois chanteurs de l’ombre) manipulés par un producteur blanc avide de succès.

De la gloire au cauchemar : destins brisés et renaissance avortée

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé
Milli Vanilli, portraits, London, 27 September 1988, L-R Rob Pilatus, Fab Morvan. (Photo by Michael Putland/Getty Images)

Après le scandale, le rêve vire au cauchemar pour Rob et Fab. Les deux comparses, jadis inséparables dans la lumière, affrontent différemment la tempête. Tous deux sombrent d’abord dans une profonde dépression en voyant leur univers s’écrouler. Pilatus encaisse particulièrement mal la disgrâce. Humilié, raillé de toutes parts, il se sent persona non grata partout où il passe. Dès 1991, il tente de mettre fin à ses jours lors d’un séjour à Los Angeles, barricadé dans une chambre d’hôtel, avant que la police ne l’en empêche in extremis.

Loin d’émouvoir, son geste désespéré est tourné en dérision par certains médias, qui y voient une énième mise en scène cynique. Pilatus plonge alors dans une spirale autodestructrice : drogue, délits mineurs, cures de désintoxication à répétition. Fab Morvan, de son côté, garde la tête hors de l’eau tant bien que mal. « Nous étions différents sur le plan émotionnel, confiera-t-il plus tard. Rob ne l’a pas vu venir, moi si. » Déterminé à ne pas sombrer, Fab s’accroche à la musique envers et contre tout.

En 1993, les deux compères essaient un comeback sous le nom Rob & Fab avec un album cette fois chanté de leurs propres voix. Hélas, le public les boude totalement (l’album ne se vendra qu’à 2000 exemplaires environ, un flop retentissant). L’industrie musicale, qui les avait hissés au sommet, leur tourne à présent le dos. Ils font alors la paix avec Frank Farian dans l’espoir d’une rédemption. Ironie du sort, le producteur, sans rancune, décide en 1997 de relancer Milli Vanilli “version authentique” : il planifie l’enregistrement d’un nouvel album où Rob et Fab chanteraient enfin pour de vrai, intitulé Back and In Attack. Mais le destin en décide autrement.

Le 2 avril 1998, à la veille du lancement de la tournée de retour, Rob Pilatus est retrouvé mort dans une chambre d’hôtel près de Francfort. Overdose de médicaments et d’alcool. Il avait 32 ans. « Je suis convaincu à 100% que la controverse et la haine qu’on a subies ont contribué à la mort de Rob », affirme aujourd’hui le réalisateur Luke Korem, un avis que partage Fab Morvan. Ce dernier dira de son ami qu’il est “mort le cœur brisé”. La tragédie de Rob Pilatus scelle définitivement le destin fracassé de Milli Vanilli.

Fab Morvan, lui, a survécu à l’ouragan médiatique, mais à quel prix ? Pendant un temps, il a dû donner des cours de français pour payer son loyer. Peu à peu, il a refait surface, reconstruisant sa vie loin des paillettes américaines. Installé en Europe (il vit entre Amsterdam, Paris et désormais l’Espagne), Fab est aujourd’hui père de famille et continue de se produire sur scène à l’occasion, n’hésitant pas à reprendre les chansons de Milli Vanilli avec sa véritable voix. Son visage affiche toujours le même sourire juvénile qu’à l’époque des clips, mais son regard en dit long sur le chemin parcouru.

S’il a pardonné bien des choses, Fab conserve une amertume : plus de trente ans après, l’image des deux silhouettes tressées de Milli Vanilli continue d’être exploitée commercialement, sans qu’il n’en tire le moindre revenu. « Après 30 ans, on utilise encore mon image et je ne touche pas un centime. Ils exploitent toujours notre image », s’indigne-t-il. Il sait qu’il ne reverra probablement jamais le Grammy qu’on lui a retiré, mais il s’est juré de prouver au monde qu’il n’était pas qu’un pantin.

Un documentaire choc et des révélations inédites

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé

Des décennies plus tard, l’affaire Milli Vanilli fascine toujours autant, au point d’inspirer non seulement un film de fiction (un biopic à grand spectacle prévu au cinéma), mais aussi un documentaire musical révélateur. Ce docu intitulé Milli Vanilli : de la gloire au cauchemar propose un regard neuf et émouvant sur cette saga. Diffusé en 2023, il mêle interviews exclusives (Fab Morvan s’y livre à cœur ouvert, tout comme les chanteurs de l’ombre Brad Howell et Charles Shaw) et images d’archives inédites tournées à l’époque du succès. On y découvre l’envers du décor de la supercherie, les doutes intimes des deux héros pris au piège de leur propre mensonge, mais aussi les manigances en coulisses.

L’une des séquences marquantes du documentaire montre ainsi Frank Farian, en véritable Svengali des studios, orchestrant chaque détail de son projet et traitant les artistes comme de simples pions interchangeables. Une autre revient sur le rôle ambigu d’Arista Records et de Clive Davis, soucieux de se dédouaner une fois le scandale révélé. Surtout, le film remet en perspective l’emballement médiatique de 1990 : il inclut par exemple un extrait édifiant d’une conférence de presse où des journalistes accablent Rob et Fab de questions agressives, l’un d’eux allant jusqu’à se faire rabrouer pour son arrogance.

Le ton du documentaire est à la fois complice et compatissant. Trente ans après, l’heure est à la réhabilitation pour ces idoles déchues. « Vous connaissiez les gros titres, mais vous ne connaissiez pas l’histoire », souffle Fab Morvan face caméra, soulagé de pouvoir enfin raconter sa vérité. La sienne, celle de Rob, et même celle des chanteurs oubliés, tous victimes collatérales d’un système qui les a dépassés. Le résultat à l’écran est poignant : on redécouvre deux garçons en quête d’amour et de validation, manipulés puis lynchés sur la place publique.

L’arnaque Milli Vanilli se mue en cautionary tale (conte moral) sur les dangers d’une gloire bâtie sur le mensonge. « En rétrospective, ces gars-là ont peut-être été les premières victimes de la cancel culture, bien avant qu’on invente le terme », note un observateur dans le film. De fait, les réalisateurs choisissent de ne pas accabler Rob et Fab, mais de montrer les êtres humains fragiles derrière la façade.

L’héritage d’un scandale : image, racisme et pression médiatique

Milli Vanilli, les idoles au destin fracassé

Au-delà du strass et du scandale, l’affaire Milli Vanilli soulève des questions de fond toujours brûlantes dans l’industrie musicale. D’abord, la course à l’image : à l’ère MTV des années 90, l’apparence des artistes est devenue aussi importante, sinon plus, que leur talent brut. Milli Vanilli en est le cas d’école, poussé à l’extrême. Cette culture de l’image, toujours actuelle à l’ère d’Instagram et de la mise en scène permanente, interroge notre rapport à l’authenticité. Jusqu’où est-on prêt à accepter l’illusion tant que le produit final divertit ?

À l’époque, le public a crié à la trahison. Pourtant, quelques décennies plus tard, on consomme sans sourciller des stars construites en studio, arrangées à l’autotune, ou on acclame des performances scéniques où le playback est monnaie courante. La supercherie de Milli Vanilli a indéniablement changé le regard du public : l’intolérance absolue du faux en 1990 a laissé place, chez certains, à plus de compréhension envers les pressions qui pèsent sur les artistes.

Ensuite, et surtout, il y a la question du racisme systémique dans l’industrie du disque. Le documentaire insiste sur ce point : qui a payé le prix fort dans cette histoire ? Deux jeunes hommes noirs en première ligne, exposés à la vindicte planétaire, tandis que les dirigeants blancs qui ont tiré profit de la situation s’en sont sortis sans encombre. Frank Farian, maître d’œuvre de la fraude, a rapidement rebondi dans sa carrière de producteur.

Clive Davis et Arista ont continué à engranger les succès. Mais Rob Pilatus et Fab Morvan ont vu leur rêve brisé et leur réputation anéantie du jour au lendemain. On peut y voir une illustration criante d’un schéma ancien : des décideurs blancs profitent du talent (ou de l’image) d’artistes noirs, puis les laissent tomber lorsque les choses tournent mal.

Charles Shaw, l’un des chanteurs studio de Milli Vanilli, affirme avoir été blacklisté par Farian après avoir osé révéler la vérité en 1989 (il avait dénoncé l’imposture avant de se rétracter contre un chèque de silence). « Vous pensez qu’ils vont écouter le petit gars noir venant du Texas ? » témoigne-t-il, amer, expliquant qu’aucun label n’a voulu de lui après l’affaire. L’exploitation dont il a souffert, tout comme celle de Rob et Fab, met en lumière un déséquilibre de pouvoir tristement banal à l’époque. Milli Vanilli, par la démesure de leur scandale, ont révélé les coulisses moins reluisantes d’une industrie prête à tout pour fabriquer des stars et contrôler leur narration.

Enfin, l’histoire de Milli Vanilli illustre la pression médiatique extrême qui entoure les célébrités. En un claquement de doigts, la presse et le public peuvent vous porter aux nues puis vous jeter aux oubliettes. Rob et Fab ont été propulsés du jour au lendemain “idoles pour ados” puis voués aux gémonies avec la même fulgurance. Cette mécanique de construction/déconstruction des stars, déjà féroce dans les années 90, s’est encore accélérée aujourd’hui avec les réseaux sociaux.

Difficile, en repensant à leur sort, de ne pas tracer un parallèle (toutes proportions gardées) avec le parcours d’autres pop stars ayant perdu le contrôle de leur image. Britney Spears, par exemple, bien que dans un registre différent, a elle aussi vécu la sensation d’être traitée comme un objet par l’industrie et les médias, sa vie privée et son image lui échappant complètement. Dans les deux cas, on trouve de jeunes artistes broyés par un système qui les dépasse, transformés en produits dont on dispose à volonté. Milli Vanilli était un mensonge marketing, mais la cruauté avec laquelle ils ont été démolis en dit long sur la soif de scandale et le manque d’indulgence du grand public.

L’ultime note d’une histoire inoubliable

Aujourd’hui, l’évocation de Milli Vanilli suscite un mélange de fascination et de mélancolie. Fascination pour cette histoire invraisemblable (“de la gloire au cauchemar” en un battement de cils) que même Hollywood n’aurait osé imaginer. Mélancolie en pensant au sort de Rob Pilatus, talentueux danseur et chanteur aspirant, qui n’aura jamais pu redorer son blason et dont la vie s’est consumée sous les quolibets. Fab Morvan, lui, continue de porter le flambeau, rappelant à qui veut l’entendre qu’il sait chanter et qu’il aime la musique plus que tout. Sa ténacité force le respect : à plus de 50 ans, il se bat encore pour la reconnaissance de son art, sans rien renier de son passé.

L’imposture musicale de Milli Vanilli reste gravée dans l’histoire, mais à la lumière du temps et des révélations du documentaire, le récit s’est enrichi d’une dimension humaine profonde. Ce duo artificiel est redevenu humain, tout simplement. Leur épopée nous rappelle que dans le show-business, la frontière est ténue entre le rêve et le cauchemar, et que les idoles aux destins brisés ont beaucoup à nous apprendre sur nos propres illusions.

En refermant le chapitre Milli Vanilli, on ne retient finalement plus seulement la moquerie, mais une leçon amère sur la gloire éphémère et la vérité du cœur. La prochaine fois que l’on fera du playback sous la douche sur “Girl You Know It’s True”, on repensera à Rob et Fab ; et à l’incroyable destin qui se cache derrière ce refrain entêtant.

Sources

  1. Milli Vanilli: From Fame to Shame – Documentary by Simon Verhoeven, 2023.
  2. Los Angeles Times (archive du 14 novembre 1990).
  3. Rolling Stone Magazine – « The Rise and Fall of Milli Vanilli », archives.
  4. BBC Culture – « How Milli Vanilli Changed Pop Forever », 2020.
  5. The Guardian – « Milli Vanilli: the pop scandal that changed the music industry », 2023.
  6. NPR Music – Interview de Fab Morvan, 2010.
  7. The New York Times – article du 20 novembre 1990 sur la révocation du Grammy Award.
  8. Vulture – « The Secret Singers Behind the Hits », 2021.
  9. Documentary: Girl You Know It’s True (à paraître en 2024).
  10. Archives MTV – Interviews et concerts de Milli Vanilli (1988-1990).

Camille Mortenol, l’homme qui protégea Paris

Premier Guadeloupéen à Polytechnique, héros méconnu de 14-18, Camille Mortenol incarne le paradoxe colonial : loyauté sans reconnaissance, excellence sans héritage.

Une silhouette dans l’ombre de l’Histoire

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris

Il y a des noms qu’on grave en lettres d’or sur les frontons des académies. Et puis il y a ceux, tout aussi méritants, qui dorment dans les marges. Camille Mortenol appartient à cette deuxième catégorie : un officier de marine né libre d’un père esclave affranchi, formé à Polytechnique, stratège de la défense antiaérienne de Paris pendant la Grande Guerre. L’histoire française l’a longtemps relégué au rang de note de bas de page. Pourtant, dans les tempêtes coloniales, les déflagrations du racisme et les silences complices de la République, il a tenu bon.

Son nom est une balise. Une mémoire. Une revanche tranquille.

I. De l’Afrique arrachée à la mer conquise

À Pointe-à-Pitre, un matin du 29 novembre 1859, naît un enfant que l’histoire officielle a longtemps ignoré, mais dont la vie défie l’effacement. Sosthène Héliodore Camille Mortenol, fils de deux anciens esclaves, voit le jour dans une Guadeloupe encore imprégnée des cendres de la servitude. L’abolition de l’esclavage n’a que douze ans. L’île panse encore les blessures laissées par des siècles de chaînes et de cannes à sucre.

Son père, né en Afrique vers 1809, fut capturé, déporté et réduit à l’état de marchandise humaine. Mais en 1847, à l’âge de 38 ans, il obtient son affranchissement en rachetant sa propre liberté pour la somme de 2 400 francs. Un acte aussi douloureux que symbolique. À l’administration coloniale, il aurait lancé ces mots : 

« Vous m’avez pris sur la terre d’Afrique pour faire de moi un esclave. Rendez-moi aujourd’hui ma liberté. » 

Il adopte alors un nom neuf, forgé dans la dignité retrouvée : Mortenol.

Sa mère, Julienne Toussaint, née en 1834, couturière, fut elle aussi esclave. Ensemble, ils donnent naissance à trois enfants : EugèneMarie-Adèle, et Camille, le benjamin. Dans cette maison modeste où la pauvreté ne fait jamais taire la dignité, l’instruction devient l’arme de l’émancipation, et la mémoire de l’oppression un levier d’ascension.

Très tôt, le jeune Camille se distingue. Élève brillantsilencieux, il manifeste un talent précoce pour les mathématiques et la discipline. Il étudie à l’externat des frères de Ploërmel, puis au séminaire de Basse-Terre, avant de croiser le regard de Victor Schœlcher. L’ancien artisan de l’abolition repère son potentiel et le soutient. Grâce à une bourse, Camille traverse l’océan, direction la métropole, ce pays qui parle de Liberté, Égalité, Fraternité, mais peine à les incarner pour ses enfants d’outre-mer.

À Bordeaux, il entre au lycée Montaigne, y prépare les concours des grandes écoles. En 1880, il réussit l’exploit : il est classé 19e sur 209 candidats au concours de l’École polytechnique. Il devient alors le premier Guadeloupéen, et le troisième homme noir à intégrer cette institution, après Auguste-François Perrinon (X 1832) et Charles Wilkinson (X 1849). Ce jour-là, dans l’histoire de France, un fils d’esclave franchit les portes d’une des écoles les plus sélectives du pays.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Camille Mortenol, élève officier guadeloupéen à l’École polytechnique de Paris, 1880.

Mais cette réussite ne l’exempte pas du mépris latent. À Polytechnique, on le remarque ; par son talent, mais aussi par sa couleur. Lors de la « séance des cotes », un rituel de bizutage, il reçoit la « cote nègre ». L’humour est militaire, raciste, mais derrière le vernis de condescendance, ses camarades reconnaissent son mérite. L’un d’eux lance même : 

« Si tu es nègre, nous sommes blancs ; à chacun sa couleur et qui pourrait dire quelle est la meilleure ? »

Camille Mortenol ne se venge pas. Il dépasse. Il apprend à marcher dans les couloirs de l’élite républicaine sans se courber, à porter son passé comme un étendard invisible. Il comprend que chaque succès n’est pas qu’un accomplissement individuel : il est le fruit d’une mémoire, d’un peuple, d’une histoire.

Diplômé en 188218e de sa promotion, il choisit la Marine nationale. Un choix stratégique. L’armée de terre reste fermée aux officiers de couleur, mais la “Royale”, avec sa hiérarchie plus technique, laisse une porte entrouverte. Il y entre comme aspirant, sur la frégate L’Alceste. Un siècle après que son père fut arraché à l’Afrique par la mer, le fils navigue désormais sur les flots de l’Empire, non plus comme cargaison humaine, mais comme officier de la République française.

II. Franchir les lignes de couleur

À sa sortie de l’École polytechnique en 1882Camille Mortenol fait un choix à la fois stratégique et symbolique : il entre dans la Marine nationale ; que l’on appelle alors « la Royale », bastion d’aristocratie républicaine, où le port de l’uniforme se confond avec une couleur de peau, blanche par défaut. Sur les ponts des navires, la République flotte au vent, mais la Fraternité reste ancrée à quai.

Il embarque d’abord à bord de L’Alceste, une frégate à voile, puis rapidement, sa carrière prend le large. Madagascar, Indochine, Afrique de l’Ouest, Méditerranée, Levant : Mortenol navigue là où l’Empire projette ses ambitions coloniales. Il n’est pas seulement officier, il est l’un des visages du pouvoir françaiscommandant des unités, opérant dans des zones de conflit, souvent en première ligne. Paradoxe absolu : l’enfant d’un esclave africain devient agent de l’expansion impériale sur le continent d’où fut arraché son père.

Son ascension est régulière, méritée, mais jamais simple. Il est nommé successivement enseigne de vaisseau en 1884, puis lieutenant de vaisseau en 1889capitaine de frégate en 1904. Chaque promotion est le fruit d’un travail irréprochable, de campagnes éprouvantes, de missions réussies. Et pourtant, derrière les décorations, les rapports internes des supérieurs hiérarchiques évoquent « des ennuis possibles en raison de sa race ». Sur les quais de Toulon, de Brest ou de Saïgon, les badauds se retournent. Certains marins, parfois même des officiers, chuchotent : « Un nègre, capitaine ? »

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Camille Mortenol, élève officier guadeloupéen à l’École polytechnique de Paris.

Il encaisse. Il avance. Il commande.

En 1895, il participe à la campagne de Madagascar, aux côtés du général Gallieni. Il mène des opérations militaires décisives, notamment à Marovoay et Maevatanana, dans un contexte de résistance malgache à la domination française. Ses faits d’armes lui valent la Légion d’honneur, remise en main propre par le président Félix Faure. Une photo immortalise l’instant : un officier noir décoré pour avoir conquis une terre noire au nom de la France. La boucle est vertigineuse.

Mais l’honneur ne protège pas du racisme. Un de ses commandants note dans un rapport :

« Mortenol est un excellent officier. La seule chose qui lui soit préjudiciable est sa race, et je crains qu’elle soit incompatible avec les positions élevées de la Marine. »

Dans l’encre administrative, la couleur prend le pas sur le mérite. Ses états de service ne suffisent pas. Il doit exceller pour exister, être irréprochable pour simplement être admis.

En 1902, il épouse Marie-Louise Vitalo, une veuve originaire de Cayenne, rencontrée à Paris. Ils ne peuvent avoir d’enfant, mais forment un foyer discret. Elle meurt dix ans plus tard, à Brest, où Mortenol est alors affecté. Il ne se remariera jamais. Sa vie est celle d’un solitaire, vouée au service.

Pendant deux décennies, Mortenol dirige des torpilleurscommande des bâtiments de guerreparticipe à la répression de révoltes en Afrique centrale. Dans chaque port où il pose pied, il incarne l’exception noire dans un monde d’uniformité blanche. Il représente la République, mais reste un corps étranger à l’intérieur de son système.

Et pourtant, il tient. Par rigueur. Par honneur. Par cette intuition profonde que sa réussite ne lui appartient pas qu’à lui : elle est une brèche ouverte dans le mur de l’exclusion. Une brèche que d’autres, plus tard, pourront élargir.

III. Un colonisé aux commandes d’une capitale en guerre

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914Camille Mortenol a 55 ans. Dans l’esprit de l’état-major, il est trop âgé pour espérer le commandement d’un grand cuirassé. Trop expérimenté pour rester inactif. Mais peut-être surtout (sans qu’on ose l’écrire) trop noir pour l’élite navale en temps de guerre.

L’homme n’est pas du genre à se résigner à l’arrière-plan. Il demande à servir, encore. Appuyé par le général Gallieni, qu’il a connu à Madagascar, il obtient un poste stratégique : diriger la Défense Contre Aéronefs (DCA) du camp retranché de Paris. Ce rôle, essentiel mais encore balbutiant, consiste à protéger la capitale des bombardements aériens, une menace nouvelle à l’époque, incarnée par les Zeppelins et les premiers avions allemands.

La tâche est colossale. À son arrivée, le dispositif de défense aérienne est rudimentaire, quasi inexistant. Les canons antiaériens sont rares, obsolètes, incapables de se redresser à la verticaleLes projecteurs sont faibles, les transmissions hasardeusesLa ville lumière s’apprête à affronter la nuit noire des raids ennemis, avec des bougies pour lanternes.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Camille MORTENOL à Paris

Mais Mortenol n’est pas un homme d’effets de manche. Il est un stratège. Un bâtisseur de silence. Il inspecte, calcule, réforme.

En quelques mois, il transforme la DCA de Paris en une forteresse aérienneLes canons sont modernisésles projecteurs démultipliésles lignes de communication doublées, sécuriséesIl met en place un réseau de veille, organise des rotations, optimise la logistique. Tout cela sans clamer, sans plastronner. Il construit une barrière invisible entre les bombes et les vivants.

Le 21 mars 1915, les Zeppelins survolent Paris. Mortenol est déjà en poste. Les batteries qu’il a fait installer ouvrent le feuCe jour-là, les balles traversent le ciel avec la détermination d’un homme qu’on disait illégitime.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Camille Mortenol, officier supérieur guadeloupéen, défenseur de Paris et capitaine de vaisseau, 1917.

En 1918, lorsque sonne l’armistice, Camille Mortenol commande 10 000 hommes, près de 200 canons adaptés au combat aérien et 65 projecteurs de grande puissanceEn quatre ans, il a transformé une mission secondaire en axe central de la défense nationaleIl a tenu Paris, littéralement, sous une voûte protectrice qu’il a lui-même pensée, dessinée, installée.

Mais il n’est pas sur les affiches. Son visage ne figure sur aucun bas-relief. Pas de statue à l’entrée des Invalides, pas de rue dans les beaux quartiers. À peine une ligne dans les manuels militaires.

Il est remercié, puis effacé.

On le nomme colonel dans la réserve de l’armée de Terre, on lui remet la Légion d’honneur au grade de commandeur en 1920 ; sans discours, sans cérémonie publique. Les honneurs sont discrets, presque murmurés. L’histoire officielle, elle, garde le silence.

Et pourtant, dans les journaux de l’époque, dans les mémoires de soldats, dans les lettres de ses hommes, le nom de Mortenol revient. Toujours avec les mêmes adjectifs : méthodique, efficace, digne, inflexible.

Camille Mortenol a tenu Paris. Mais Paris ne l’a pas retenu.

IV. Une France ingrate face à ses propres héros

En 1920Camille Mortenol est fait Commandeur de la Légion d’honneurUne reconnaissance tardive, comme si la République avait attendu la fin de la guerre pour saluer à demi-mot celui qui, dans l’ombre, avait tenu Paris. Il n’est pas promu amiral. Pas même général. Il aura tout donné à la France, mais la République ne lui rendra jamais sa pleine part.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris

Pas de rue à son nom dans Paris de son vivant, aucune plaque dans les lieux où il a veillé, planifié, protégé. Ni manuel scolaire ne mentionne son rôle déterminant dans la défense aérienne de la capitale, ni commémoration nationale ne le hisse parmi les héros de la Grande Guerre. Camille Mortenol est l’oublié d’un récit qu’il a pourtant écrit à l’encre vive.

Et pourtant, dans l’intimité de ses lettres, dans la pudeur de ses silences, se devine une fierté meurtrie, une dignité blessée, mais jamais soumiseIl n’a pas milité. Il n’a pas hurlé. Il a agi. Il aurait pu dénoncer, réclamer, pointer l’hypocrisie d’un système qui l’utilisait sans jamais l’assumer. Il n’en fit rien. Peut-être par loyauté. Peut-être par stratégie. Peut-être parce que, pour lui, la vérité se trouvait dans les actes, pas dans les cris.

Camille Mortenol appartient à cette génération sacrifiée de l’Empire, ces hommes noirs, métis, indiens, malgaches, indochinois qui ont porté l’uniforme français avec honneur, sans jamais pouvoir en revêtir l’égalité pleine et entière. Ils ont défendu un pays qui ne les a jamais vraiment reconnus comme siens. Ils sont la colonne vertébrale oubliée de la France coloniale.

Camille Mortenol, l'homme qui protégea Paris
Timbre : 2018 Sosthène Mortenol 1859-1930

En 1930Mortenol s’éteint dans le 15e arrondissement de Paris, à l’âge de 71 ans. Il repose au cimetière de Vaugirard, loin des Invalides, loin du Panthéon, dans un silence qui ressemble à un effacement.

Sa femme, Marie-Louise Vitalo, née à Cayenne, l’a précédé en 1912Ils n’ont pas eu d’enfants. Aucun héritier pour porter son nom. Mais son œuvre, elle, subsiste. Elle réside dans les archives militaires, dans les courbes de défense qu’il a dressées autour de Paris, dans la mémoire trop discrète des Antilles, dans les hommages tardifs, parfois gênés, d’une République qui ne sait toujours pas honorer tous ses fils à égalité.

Camille Mortenol est mort deux fois. Une fois en 1930. Une autre dans les oublis de la mémoire nationale.

Ce que Mortenol dit de la France

Mortenol, c’est une leçon d’Histoire. Une fracture. Un miroir. C’est l’histoire d’un homme noir dans un pays qui prône l’universalisme, mais peine à reconnaître ses propres enfants lorsqu’ils sortent du cadre attendu.

C’est aussi la preuve que l’excellence noire a toujours existé, même quand elle était niée. Il ne s’agit pas d’essentialiser Mortenol, de le figer en “exemple”. Il s’agit de comprendre ce qu’il révèle de l’ordre social français, de ses hypocrisies, de ses oublis volontaires.

Le faire entrer au Panthéon ? Peut-être. Mais avant cela, il faut surtout faire entrer son nom dans les salles de classe, les récits officiels, les bibliothèques de la République.

Mortenol, c’est nous !

Camille Mortenol n’est pas seulement un officier noir de la Troisième République. Il est une page de France que l’on a tenté de corner. Une preuve que l’Histoire, celle que l’on raconte aux enfants, doit s’écrire à plusieurs voix.

Dans chaque enfant antillais, chaque élève africain ou afrodescendant qui doute de sa place, il y a un écho de Mortenol. Une invitation à tenir bon. À ne pas se contenter d’être toléré. Mais à imposer sa place, par le savoir, la discipline, et le courage.

Car oui, la France a été défendue par un fils d’esclave.

Et il est temps que la France s’en souvienne.

Source

NollywoodWeek 2025, le grand rendez-vous du cinéma africain à Paris

Du 7 au 11 mai 2025, Paris accueille la NollywoodWeek : 5 jours de cinéma africain engagé, audacieux et sans filtre. Une révolution visuelle et culturelle.

Et si le cinéma noir s’écrivait enfin en lettres capitales ?

Par-delà les projecteurs et les tapis rouges, une révolution douce mais implacable est en marche. Du 7 au 11 mai 2025, Paris deviendra, l’espace de cinq jours, la capitale de l’Afrique cinématographique. Pas l’Afrique fantasmée des cartographies coloniales, mais celle qui filme, raconte, défie et s’impose. NollywoodWeek revient. Plus que jamais, elle affirme une chose simple et redoutable : les imaginaires noirs ne demandent plus à être invités. Ils prennent la scène.

Une ambassadrice comme un manifeste : Aïssa Maïga

Il y a dans la présence d’Aïssa Maïga à la tête de cette 12e édition une forme d’évidence. Elle n’est pas seulement actrice, réalisatrice ou militante. Elle est mémoire vivante, témoin debout de cette France qui peine encore à se voir dans le miroir de sa diversité. Loin des discours creux, elle incarne une « parole-réparation » : celle qui dérange les puissants, et qui console les invisibles.

Son rôle d’ambassadrice n’est pas honorifique. Il est politique. Il dit ceci : que les luttes pour la représentation ne sont pas finies ; mais qu’elles ont désormais un festival, une voix, une tribune.

« Nollywood est une industrie incroyablement dynamique qui inspire le monde entier », confie-t-elle. Et elle a raison : il ne s’agit plus d’un cinéma périphérique. Il est désormais central. Non pas par faveur, mais par force.

Nollywood : de Lagos à Paris, une géopolitique de l’image

Née de l’urgence, des marges et de la débrouille, l’industrie cinématographique nigériane (deuxième au monde en volume de production) a su transformer les contraintes en puissance. Ce que les grandes capitales du cinéma global n’avaient pas anticipé, c’est que l’Afrique raconterait sa propre histoire sans attendre leur feu vert.

Depuis 2013, NollywoodWeek agit comme un pont entre continents, un corridor où se croisent langues, accents, récits et ambitions. +24 000 billets vendus, 170 films sous-titrés en français, plus de 3600 articles publiés : les chiffres sont éloquents, mais c’est le souffle politique qui impressionne.

En donnant à voir 30 films venus de 8 pays, cette édition 2025 ne se contente pas de célébrer le cinéma africain : elle le repositionne au centre d’un débat esthétique, culturel et identitaire.

Des fictions qui cognent, des récits qui guérissent

La sélection de cette année est un manifeste en soi.

  • « Out in the Darkness« , réalisé par Sarah Kwaji, déploie avec une sobriété poignante la descente d’une mère nigériane dans les abîmes de la dépression post-partum. Ce n’est pas qu’un film : c’est un cri. Une main tendue dans une société où la santé mentale est encore un tabou.
  • « The Legend of the Vagabond Queen of Lagos«  projette sur l’écran la figure d’une femme noire en résistance, entre conte urbain et épopée politique. Un Bronx de Lagos, sur fond de lutte des classes et d’héritages volés.
  • « Olùmòtàn« , enfin, est une œuvre-monstre. 170 minutes d’un théâtre du vertige, où une accusée mystérieuse nous entraîne dans des récits interdits. À la manière des “indigènes” du Code colonial, les personnages d’Adejuyigbe se battent pour le droit de raconter — et d’exister.

Des panels pour penser le cinéma autrement

La NollywoodWeek ne se contente pas de projeter. Elle éduque, elle provoque, elle fédère.

Des masterclasses sur la musique dans le film, des tables rondes sur la distribution au-delà de Netflix, des ateliers sur les adaptations littéraires… tout y est conçu pour que les professionnels afrodescendants puissent non seulement créer, mais aussi maîtriser les circuits de diffusion, les modèles économiques, et les codes de narration globaux.

Paris, capitale d’une Afrique qui filme sa propre renaissance

Ce festival ne parle pas que du Nigeria. Il parle du pouvoir des diasporas, de l’universalité des douleurs post-coloniales, des amours contrariées, des mères trop fières, des enfants trop sages. Il parle de vous, de nous, de ce que l’on pourrait nommer « la longue mémoire du sang nié et du rêve réinventé« .

NollywoodWeek, c’est l’anti-cliché. C’est l’Afrique comme protagoniste, comme conteuse, comme productrice.

Voir, c’est déjà lutter

À l’heure où les écrans du monde hésitent encore à refléter la noirceur dans sa plénitude, la NollywoodWeek 2025 n’attend plus qu’on l’acclame. Elle s’impose.

Et si vous cherchez la révolution, elle aura lieu à Paris. En VO, sous-titrée en vérité.

Infos pratiques

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanité

Redessiner nos racines

Au cœur de l’histoire humaine, bien avant que les civilisations ne s’érigent et que les continents ne portent des frontières, vécut une femme : Ève mitochondriale. Non pas la première femme au sens biblique, mais celle dont le patrimoine génétique matrilinéaire nous relie tous, sans exception. Découverte dans les tréfonds du génome, elle rappelle que notre berceau à tous est africain ; et que la lumière de l’humanité s’est d’abord levée sur cette terre mère.

Qui est l’Ève mitochondriale ?

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanité

Il est des découvertes scientifiques qui, silencieusement, bouleversent nos certitudes les plus anciennes. Dans les années 1980, au croisement de la génétique moléculaire et de l’anthropologie, un trio de chercheurs (Allan Wilson, Rebecca Cann et Mark Stoneking1) met en lumière une révélation troublante : en scrutant l’ADN des mitochondries2, ces minuscules organites présents dans chacune de nos cellules, transmis exclusivement par la mère, il est possible de remonter le fil du temps jusqu’à une ancêtre commune à toute l’humanité actuelle.

Cette femme, que la science baptisera avec une poésie involontaire Ève mitochondriale3, n’est ni une figure religieuse ni une entité mythologique. Elle est une réalité statistique, un point de convergence génétique. Selon les dernières estimations, elle aurait vécu quelque part en Afrique de l’Est, il y a environ 150 000 à 200 000 ans. Toutes les lignées maternelles humaines vivantes aujourd’hui (des Andes à l’Himalaya, du Delta du Nil aux fjords de Norvège) dérivent d’elle, et d’elle seule, à travers un réseau de mères, de filles, de grand-mères, de générations tissées les unes aux autres dans la durée.

Mais il faut clarifier ce que cette maternité originelle signifie et ce qu’elle ne signifie pas. Ève mitochondriale n’était pas la première femme. Elle n’était pas davantage l’unique femme de son époque. Elle ne vivait pas dans un monde vide d’autres humanités, ni même dans une solitude généalogique. Elle fut simplement la seule dont la lignée féminine n’a jamais été interrompue. Tandis que d’autres lignées, portées par des femmes ayant également existé, se sont éteintes au fil des siècles (par l’absence de filles, par des événements tragiques ou aléatoires), la sienne a subsisté, transmise de mère en fille sans discontinuité jusqu’à nous.

C’est là l’un des paradoxes féconds de cette figure scientifique : son universalité naît de la contingence. Elle n’est pas la plus forte, ni la plus sage, ni la plus belle, mais la plus persistante. Sa lignée a survécu. C’est cette survivance, cette continuité de l’invisible, qui l’élève à un rang symbolique. Elle est, en quelque sorte, la matrice oubliée de notre humanité partagée.

De cette femme sans nom, dont les traits, la langue, la foi ou le destin nous sont irrémédiablement perdus, il ne reste aucune sépulture, aucune mémoire rituelle. Et pourtant, elle est en chacun de nous. Dans le souffle d’une jeune fille créole, dans les yeux d’un vieillard inuit, dans le sourire d’un enfant masaï, il reste quelque chose d’elle : un fragment d’héritage moléculaire, une note lointaine dans la grande partition biologique humaine.

Comprendre qui est Ève mitochondriale, c’est donc retrouver la trace de notre commune origine. C’est accepter que, malgré la dispersion géographique, les différences culturelles et les fractures historiques, nous appartenons à une même histoire, enracinée dans la profondeur africaine du monde.

Un récit africain de l’origine

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanité

La découverte de l’Ève mitochondriale n’est pas qu’un jalon scientifique : elle est une rupture narrative. Car elle ne dit pas seulement où commence l’histoire de l’humanité ; elle déplace le centre du monde. Ce que révèle la génétique, c’est que tous les humains actuels, des bergers touaregs aux berges du Nil, des steppes mongoles aux bidonvilles de Lima, des temples d’Asie aux tours de Manhattan, partagent une origine commune : l’Afrique.

Cette affirmation ne relève pas du mythe, ni du roman des origines. Elle est fondée sur la rigueur de la biologie moléculaire, sur l’analyse minutieuse de l’ADN mitochondrial, sur les datations croisées du paléoenvironnement et de la paléogénétique. Ces outils, nés dans les laboratoires des grandes universités, n’ont fait que confirmer ce que les griots chuchotaient déjà : l’humanité entière a un berceau africain.

Il ne s’agit pas d’une suggestion poétique, mais d’un fait brut, dérangeant pour les récits dominants. Le premier visage humain était noir, et le premier souffle que l’espèce humaine a donné s’est élevé depuis les plaines d’Afrique de l’Est. Dans un monde encore vierge de frontières, de nations, d’exclusions, nos ancêtres (à la peau sombre, aux traits africains) ont levé les yeux vers le ciel et entamé le grand périple du peuplement planétaire.

Cette vérité, longtemps niée ou marginalisée dans les chronologies occidentales, est désormais incontestable. Et pourtant, elle peine encore à être pleinement intégrée dans les consciences. Il est plus confortable, pour l’Europe et ses héritiers, de penser l’histoire comme une ascension depuis la Grèce vers la modernité, oubliant que la sagesse grecque elle-même fut nourrie par l’Égypte pharaonique, par le commerce transsaharien, par les savoirs de Kemet.

Or ce que nous dit Ève mitochondriale, c’est que la mémoire de l’humanité est noire. Non pas symboliquement noire, mais littéralement, biologiquement africaine. Et dans une époque où les crispations identitaires dressent des murs et des frontières, où l’on se méfie de l’Autre parce qu’il viendrait d’ailleurs, ce rappel est salutaire : l’Ailleurs, c’est notre commencement à tous.

Chaque être humain, quelle que soit sa couleur de peau ou son lieu de naissance, porte en lui une lueur d’Afrique. C’est une mémoire silencieuse, nichée dans les mitochondries de nos cellules, qui murmure que nos différences sont superficielles, que nos filiations sont entremêlées, et que notre humanité est indivisible.

Redonner à l’Afrique sa place dans le récit de l’origine, ce n’est pas une réparation morale. C’est une nécessité historique. C’est regarder la science en face et comprendre que le centre de gravité de l’humanité se situe bien plus au sud qu’on ne l’a longtemps enseigné.

L’Afrique, matrice de l’humanité

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanité

Il faut imaginer l’Afrique, il y a quelque 150 000 à 200 000 ans, non comme une terre figée dans l’archaïsme, mais comme un continent vibrant d’innovations biologiques, culturelles et sociales. C’est là, au cœur des savanes nourricières, dans l’ombre des forêts équatoriales, et sur les flancs arides du Rift, que l’humanité a appris à être humaine.

C’est en Afrique que nos ancêtres, porteurs de l’empreinte d’Ève mitochondriale, ont maîtrisé le feu, ont façonné les premiers outils bifaciaux, ont commencé à parler, à transmettre, à rêver. Le feu domestiqué n’était pas qu’un instrument de survie : il était le premier foyer, le début du cercle humain. Les galets taillés n’étaient pas que des armes ou des ustensiles : ils étaient l’amorce d’une pensée technique, l’embryon de nos civilisations futures.

À travers les âges glaciaires et les périodes de réchauffement, l’Afrique fut le laboratoire de notre espèce, un immense théâtre d’apprentissage évolutif. C’est là que les premiers groupes ont dû s’adapter aux cycles du climat, aux migrations animales, aux changements de végétation. Chaque défi rencontré fut un moteur d’adaptation, chaque mutation favorable, une promesse de survie.

Puis, vers 60 000 ans avant notre ère, dans un mouvement aussi discret que décisif, un petit groupe d’Homo sapiens franchit les frontières naturelles du continent. Ils empruntent sans doute deux routes principales : le corridor du Sinaï4, mince bande de terre reliant l’Afrique au Proche-Orient, et la voie côtière de la mer Rouge, longeant l’océan Indien jusqu’au sud de l’Asie.

Ces migrants ne sont pas des conquérants, mais des chercheurs d’équilibre : ils suivent les cours d’eau, traquent le gibier, explorent les rivages, poussés par la quête de ressources, par la pression démographique ou par l’instinct d’aller voir ailleurs. Ce sont des familles, des clans, des survivants. Ils emportent avec eux le feu, le langage, les outils ; et surtout, l’héritage génétique d’Ève mitochondriale.

Cette sortie d’Afrique, que les généticiens appellent Out of Africa II, est l’un des moments fondateurs de notre histoire globale. De cette poignée de femmes et d’hommes, à peine quelques centaines selon certaines estimations, descend l’ensemble des populations non africaines contemporaines. Chinois, Scandinaves, Brésiliens, Aborigènes, Arabes ou Inuits : tous sont, en un sens, des Africains en exil.

Cette dispersion humaine ne s’est pas faite en un jour. Elle s’est étalée sur des millénaires, rythmée par les périodes glaciaires, les fluctuations maritimes et les périls du monde inconnu. Mais partout où ils sont allés, ces enfants de l’Afrique ont emporté la mémoire de leur terre mère, imprimée dans leur ADN, dans leurs gestes, dans leur organisation sociale.

Et aujourd’hui encore, malgré les dérives racistes, malgré les hiérarchies construites sur des couleurs de peau ou des origines supposées, la science nous ramène inlassablement à cette vérité première : nous sommes une famille humaine issue d’une seule matrice ; celle de l’Afrique.

Redire cela, ce n’est pas faire œuvre de romantisme. C’est rétablir une vérité historique, biologique, philosophique. C’est rappeler que l’Afrique n’est pas le « continent oublié », mais le continent fondateur. Elle ne vient pas « après », elle est le commencement.

Savoir d’où l’on vient

Ève mitochondriale : aux origines africaines de l’humanité

À première vue, Ève mitochondriale n’est qu’un point sur une carte génétique. Une figure abstraite, enfouie dans les couches profondes du temps. Mais à y regarder de plus près, elle est bien davantage qu’un artefact scientifique. Elle est un acte de rupture. Une résistance. Une mise à nu du mythe moderne de la division des races humaines.

Sa redécouverte dans les années 1980 (dans un monde encore profondément marqué par les idéologies raciales) a fait l’effet d’un séisme discret mais décisif. Elle dit non aux frontières biologiques que les empires ont tenté d’imposer. Elle dit non à l’idée que certains seraient plus proches du « progrès » que d’autres, parce que plus éloignés de l’Afrique.

Et elle le dit avec une arme redoutable : la preuve génétique. Pas une théorie, pas un slogan, mais des traces infalsifiables, inscrites dans les cellules de tous les humains vivants. Des marques laissées par une seule lignée féminine, qui nous relie sans exception.

Dans le vacarme contemporain des replis identitaires, alors que surgissent à nouveau les vieilles rengaines sur le « sang », le « sol », les « origines », l’Ève mitochondriale impose un contre-récit puissant. Un récit de réconciliation. De retour au réel. Elle murmure, obstinée, que l’humanité n’a jamais été plurielle par essence, mais une – dans ses formes, dans ses failles, dans ses fusions.

Elle nous rappelle que les frontières de la couleur sont des constructions tardives, et que les différences visibles entre nous sont des déclinaisons adaptatives, sculptées par les climats, les altitudes, les rayons UV. Ce sont les habits de l’évolution, pas les marques d’une essence supérieure ou inférieure.

L’histoire d’Ève mitochondriale nous exhorte à redéfinir la notion de « proche ». Car si nous portons tous son empreinte dans nos cellules, alors le migrant que l’on rejette, l’étranger que l’on craint, le voisin que l’on ignore, ne sont que des cousins à quelques millénaires d’intervalle. C’est cela, peut-être, le plus grand scandale de cette vérité : elle nous oblige à considérer comme frère celui que l’histoire nous a appris à écarter.

Notes

  1. Allan Wilson, Rebecca Cann, Mark Stoneking : chercheurs en biologie moléculaire ayant conduit dans les années 1980 les travaux pionniers qui ont permis de formuler l’hypothèse de l’Ève mitochondriale. ↩︎
  2. ADN mitochondrial (mtDNA) : petite portion d’ADN située dans les mitochondries des cellules (et non dans le noyau), transmise exclusivement par la mère à ses enfants, ce qui permet de tracer la lignée maternelle sur des dizaines de milliers d’années. ↩︎
  3. Ève mitochondriale : nom donné à la femme qui est la plus récente ancêtre maternelle commune à tous les humains vivant aujourd’hui, identifiée grâce à l’étude de l’ADN mitochondrial. Elle aurait vécu en Afrique il y a environ 150 000 à 200 000 ans. ↩︎
  4. Corridor du Sinaï : étroit passage de terre reliant l’Afrique au Moyen-Orient (actuelle Égypte/Israël), par lequel les premiers humains auraient quitté l’Afrique pour coloniser l’Eurasie. ↩︎

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes à ceux qui rêvent d’un nouveau départ au Sénégal

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes à celles et ceux qui rêvent d’un nouveau départ au Sénégal

Le 17 mai 2025, Paris ne sera pas seulement la capitale des Lumières : elle deviendra, le temps d’une journée, le carrefour des bâtisseurs, des rêveurs, et des porteurs de projets. Avec Teranga Meet, la diaspora africaine dispose enfin d’un événement à sa mesure : un pont concret entre l’ambition d’ailleurs et l’ancrage au Sénégal. Un moment décisif pour transformer un rêve personnel en plan d’action collectif.

Un rendez-vous pour transformer l’envie d’installation en projet de vie

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes à ceux qui rêvent d’un nouveau départ au Sénégal

Teranga Meet n’est pas une simple conférence. C’est un accélérateur de trajectoires. Destiné à toutes celles et ceux qui envisagent de s’installer au Sénégal (que ce soit pour entreprendre, investir, travailler ou retrouver leurs racines) cet événement inédit offre des solutions concrètesdes outils pratiques, et surtout des réseaux solides.

Le temps d’une journée immersive à Paris, le Sénégal viendra à la rencontre de ses futurs bâtisseurs. Ceux pour qui « rentrer » ne sera plus seulement un rêve, mais un projet concret, méthodique, mûri.

Pourquoi participer à Teranga Meet ?

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes à ceux qui rêvent d’un nouveau départ au Sénégal

Clarifier son projet : repartir avec une méthodologie claire, adaptée et personnalisée.
Accéder à des solutions pratiques : immobilier, entrepreneuriat, emploi, finance, tech, accompagnement juridique.
Tisser un réseau stratégique : rencontrer experts, entrepreneurs, décideurs économiques et institutionnels majeurs du Sénégal.
S’inspirer des pionniers : écouter les témoignages sans filtre de celles et ceux qui ont franchi le pas et bâti leur succès.

Teranga Meet est pensé comme un accélérateur : moins de discours, plus d’action. Chaque participant repartira avec des contacts concretsdes pistes de développementdes erreurs à éviter et surtout la certitude que son projet est possible.

Un programme pensé pour passer de l’inspiration à l’action

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes à ceux qui rêvent d’un nouveau départ au Sénégal

De 9h à 18h, la journée sera rythmée par quatre grandes tables rondesun village d’experts, et des sessions de networking intensif.

Thématiques phares :

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes à ceux qui rêvent d’un nouveau départ au Sénégal
  • Structurer son projet d’installation : de l’envie à la préparation.
  • Entreprendre ou travailler au Sénégal : opportunités économiques et secteurs porteurs.
  • Réussir sur le terrain : défis, réussites, stratégies gagnantes.
  • Construire son réseau local : la clé d’une intégration durable et prospère.

En parallèle, des consultations personnalisées seront proposées pour aborder tous les aspects pratiques liés à l’immobilier, à la finance, à l’accompagnement entrepreneurial, à l’expatriation ou au recrutement.

Un événement premium au service de votre avenir

Le positionnement de Teranga Meet est clair : excellence, ambition, élégance.
Dress code : Afro Chic. Parce qu’au-delà des projets, Teranga Meet est aussi une célébration de la fierté africaine contemporaine.

Deux formules sont disponibles :

  • Formule Standard : accès complet aux conférences, au village d’experts, aux ateliers.
  • Formule VIP : accès privilégié aux intervenants, session privée de conseil personnalisé, cocktail dînatoire exclusif dans un lieu parisien haut de gamme.

Une initiative portée par Autour de Mary

Teranga Meet 2025 ouvre ses portes à ceux qui rêvent d’un nouveau départ au Sénégal

À l’origine de Teranga Meet, il y a une femme au parcours inspirant : Marie-Yvonne D’Almeida, fondatrice d’Autour de Mary.

En 2007, Marie-Yvonne quitte Paris pour s’installer au Sénégal, où elle vit pendant dix ans. Tour à tour salariée dans le tourisme d’affaires, puis entrepreneure avec une société de nettoyage industriel, elle construit sur place un solide réseau professionnel et une connaissance fine des réalités du terrain.

Autour de Mary est aujourd’hui le premier incubateur immersif pour la diaspora africaine, avec un objectif : transformer les rêves d’ailleurs en entreprises florissantes en Afrique.

Avec Teranga Meet, Marie-Yvonne propose bien plus qu’une conférence : elle offre une méthode éprouvée pour réussir son retour au pays, fondée sur sa propre expérience et sur les besoins réels du terrain.

Informations pratiques

  • Date : Samedi 17 mai 2025
  • Lieu : Paris (adresse communiquée après inscription)
  • Tarifs :
    • Formule Standard : 149 €
    • Formule VIP : 299 €
  • Réservation obligatoire – Places limitées.

Teranga Meet : Reprendre racine, bâtir l’avenir

Teranga Meet n’est pas un rêve : c’est une invitation à écrire une nouvelle page de son histoire.
Un moment pour penser grandagir concrètement, et s’inscrire dans un futur collectif. Le Sénégal de demain se construit dès aujourd’hui. À Paris. Avec vous.

Marie-Yvonne D’Almeida, l’afro-optimiste qui bâtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

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Portrait de Marie-Yvonne D’Almeida, fondatrice d’Autour de Mary et créatrice de Teranga Meet. Inspirée par ses racines africaines, elle construit des ponts puissants entre la diaspora et l’Afrique, incarnant une nouvelle génération d’entrepreneurs afro-optimistes déterminés à transformer le rêve africain en réalité.

Marie-Yvonne D’Almeida : quand la diaspora bâtit l’Afrique de demain

Des racines africaines et une enfance entre deux cultures

Née en France d’une mère sénégalaise et d’un père cap-verdien, Marie-Yvonne D’Almeida a grandi au carrefour de deux cultures africaines. Très tôt, elle est bercée par les récits chaleureux du pays de la Teranga (ce Sénégal hospitalier dont sa mère lui transmet la langue et les valeurs) et par la riche histoire cap-verdienne de son père. « J’ai compris dès l’enfance que mes racines étaient ma force », confie-t-elle volontiers.

Cette double ascendance fait naître en elle une fierté africaine inébranlable et un désir ardent de contribuer au continent, même en grandissant loin de lui. En France, la petite Marie-Yvonne développe un esprit afro-optimiste, cette conviction profonde que l’Afrique a un potentiel immense qui ne demande qu’à s’épanouir. Plus tard, elle transformera cette conviction en mission de vie.

Le retour aux sources : de la France au Sénégal

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bâtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

À la vingtaine révolue, le “royaume d’enfance” transmis par sa famille ne lui suffit plus : Marie-Yvonne ressent l’appel du continent. Elle décide alors de tout quitter en France pour s’installer au Sénégal, renouant ainsi avec la terre de sa mère. Ce retour aux sources marque le début d’une aventure professionnelle et personnelle hors du commun. Installée à Dakar, elle s’immerge pendant plus de dix ans dans la vie locale, apprenant les codes, nouant des amitiés et bâtissant son réseau​.

Ces années passées sur le terrain sénégalais lui apportent une expérience solide dans le tourisme d’affaires et l’événementiel, et même l’occasion de lancer sa première entreprise : elle fonde une société de services de nettoyage à Dakar​. Il fallait oser, dans un pays qu’elle apprivoise encore, se lancer dans l’entrepreneuriat ; d’autant plus en tant que femme. Mais l’audace ne manque pas à Marie-Yvonne. Cette première expérience entrepreneuriale en Afrique, menée à force de courage et d’adaptation, lui enseigne une leçon-clé : la résilience. « Chaque défi surmonté m’a rapprochée un peu plus de la vision que j’ai pour l’Afrique », dira-t-elle plus tard.

En parallèle, la jeune femme travaille main dans la main avec divers acteurs économiques et incubateurs locaux​. Forte de sa double culture, elle se positionne vite comme un pont vivant entre la France et le Sénégal. Sa facilité à naviguer entre ces deux mondes (celui de la diaspora et celui du terrain africain) la rend précieuse pour de nombreux projets. Elle accompagne des investisseurs étrangers en visite, conseille des porteurs de projet de la diaspora souhaitant s’implanter et tisse des synergies puissantes entre talents locaux et expertise internationale​. Ces allers-retours entre les cultures nourrissent sa vision : l’avenir de l’Afrique se construira avec sa diaspora, et inversement, la réussite de la diaspora passe par un retour aux racines.

L’ascension d’une femme d’affaires inspirante

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bâtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

Rien n’a été facile dans le parcours de Marie-Yvonne D’Almeida. À Dakar, elle doit faire ses preuves dans un environnement qu’elle adore mais qu’elle doit dompter. Elle affronte les écueils administratifs, les incompréhensions culturelles parfois, le scepticisme aussi ; « on me voyait comme la Toubab (blanche) du coin, il a fallu montrer que j’étais surtout une sœur africaine venue bâtir quelque chose de durable », raconte-t-elle avec le sourire.

Cette période forge son caractère. La résilience, l’une de ses valeurs cardinales, n’est plus un concept pour elle mais une seconde nature. Chaque obstacle la renforce : problèmes logistiques, démarches interminables, imprévus financiers… elle apprend à « tomber sept fois et se relever huit fois » comme dit le proverbe. Sa détermination force le respect de ses collaborateurs sénégalais. Elle s’impose dans le milieu du business au féminin, devenant un modèle d’entrepreneuriat féminin en Afrique de l’Ouest.

Son premier succès entrepreneurial (son entreprise de nettoyage florissante) lui donne la crédibilité et la confiance nécessaires pour voir plus grand. Forte de cette réussite africaine, Marie-Yvonne se prend à rêver d’essaimer son expérience. Elle se dit qu’elle n’est pas la seule à pouvoir réussir ce pari : d’autres talents de la diaspora peuvent, eux aussi, se lancer au pays s’ils sont bien accompagnés.

Cette idée germe alors en elle : et si elle créait un réseau d’entraide et d’incubation pour faciliter le chemin aux autres ? Peu à peu, la vision prend forme, alimentée par son propre parcours. Transmettre devient son nouveau mot d’ordre. Transmettre les connaissances accumulées, transmettre les contacts, transmettre l’élan et l’optimisme à toute une génération de diasporas tentés par l’aventure africaine. C’est ainsi que va naître Autour de Mary.

Autour de Mary : transmettre pour créer les champions de demain

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bâtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

En 2021, Marie-Yvonne D’Almeida concrétise son grand projet en fondant Autour de Mary, un incubateur d’un genre nouveau​. Le concept est visionnaire : il s’agit du premier incubateur immersif de la diaspora africaine, conçu comme un pont entre les deux rives de l’Atlantique. À travers Autour de Mary, Marie-Yvonne crée de véritables passerelles entre l’Afrique et ses fils et filles dispersés à travers le monde.

« Je me vois comme une facilitatrice dont la mission est de connecter l’Afrique et sa diaspora », explique-t-elle. Son incubateur 360° accompagne des entrepreneurs en herbe, principalement issus de la diaspora, et les aide à transformer une simple idée en un projet solide prêt à prendre racine sur le continent. L’originalité de la démarche réside dans l’immersion : au lieu de rester derrière un écran, les candidats sélectionnés partent en business trip sur le terrain africain.

Là, au cœur de villes comme Dakar, Abidjan ou Cotonou, ils confrontent leurs projets à la réalité locale, rencontrent des experts, des chefs d’entreprise, des incubateurs partenaires, et découvrent in situ les opportunités comme les défis du marché. Cette approche unique fait d’Autour de Mary le N°1 des business trips immersifs et du réseautage en Afrique une place de pionnier dont Marie-Yvonne tire une humble fierté.

Les programmes d’Autour de Mary misent sur l’alliance des talents de la diaspora et des talents locaux africains. Pour Marie-Yvonne, il est clair que c’est de cette synergie que naîtront les champions africains de demain ; ces entreprises à fort impact local, fondées par des Africains et qui deviendront des leaders nationaux voire continentaux.

« Nous avons en nous, diaspora et locaux, un potentiel extraordinaire. Il suffit de réunir nos forces pour créer des étincelles », affirme-t-elle avec passion. Grâce à son carnet d’adresses riche d’experts locaux et sa collaboration étroite avec les incubateurs sénégalais, elle offre à chaque participant un accompagnement personnalisé. L’idée est de transformer chaque idée en projet concre, en fournissant méthodologie, mentorat et connexions. Les valeurs fondatrices d’Autour de Mary (résilience, fierté africaine, transmission) infusent dans chaque atelier et chaque voyage apprenant. Marie-Yvonne insiste pour que ses “incubés” repartent non seulement avec un business plan, mais aussi avec une confiance nouvelle en eux-mêmes, conscients d’incarner une success story africaine en devenir.

Les valeurs au cœur de son leadership

  • Résilience : C’est le fil rouge de la vie de Marie-Yvonne. Elle enseigne à ses entrepreneurs que chaque échec apparent est une leçon pour rebondir plus haut. Son propre parcours, jalonné d’obstacles, illustre que la persévérance finit toujours par payer. « En Afrique, la route du succès n’est pas un long fleuve tranquille, mais à force de persévérance on finit par arriver à bon port », aime-t-elle rappeler.
  • Fierté africaine : Marie-Yvonne porte haut les couleurs de l’Afrique. Afro-optimiste assumée, elle célèbre les cultures africaines et encourage la diaspora à puiser de la fierté dans ses origines. Elle est convaincue que renouer avec son identité africaine donne une force unique pour entreprendre. Cette fierté transparaît dans tout ce qu’elle fait, que ce soit en drapant ses événements d’une touche afro-chic ou en citant les proverbes de ses aïeux.
  • Transmission : La réussite n’a de sens que si elle est partagée. Cette phrase pourrait résumer la philosophie de Marie-Yvonne. Ayant bénéficié de mentors et de soutiens tout au long de sa carrière, elle estime essentiel de redonner au suivant. Par Autour de Mary, elle transmet son savoir-faire et ouvre son réseau pour propulser la nouvelle génération. « Chaque fois qu’un membre de la diaspora réussit son retour au pays, c’est une victoire collective », dit-elle. Sa vision de la transmission dépasse le cadre entrepreneurial : c’est aussi transmettre un état d’esprit, des valeurs, et une foi en l’Afrique.

Une vision pour la diaspora : bâtir des ponts vers l’avenir

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bâtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

La mission que s’est donnée Marie-Yvonne D’Almeida dépasse sa propre personne. À travers son action, c’est toute une vision pour la diaspora africaine qu’elle déploie. Elle rêve de voir les fils et filles d’Afrique, où qu’ils soient nés, contribuer à l’essor du continent. Selon elle, la diaspora regorge de compétences, d’idées et de capital qui ne demandent qu’à être investis « au bled ». Encore faut-il créer les conditions pour un retour réussi. C’est là qu’intervient sa notion de passerelle. Marie-Yvonne œuvre à lever les barrières qui freinent tant de candidats au retour. Elle le sait, pour l’avoir vécu : le chemin de la diaspora vers l’Afrique est souvent semé d’embûches ; manque d’informations fiables, peur de l’échec, lourdeurs administratives, etc.

« Beaucoup rêvent de rentrer, mais ne savent pas par où commencer ni à qui s’adresser. J’ai voulu être cette main tendue qui les guide pas à pas », explique-t-elle. Son approche pragmatique et empathique vise à accompagner ces rêveurs pour transformer leur African Dream en réalité concrète.

Dans cette optique, Marie-Yvonne considère chaque projet diasporique comme une graine à faire germer sur la terre africaine. Et pour elle, le succès individuel de ces “repats” (rapatriés) a un impact collectif : chaque talent de la diaspora qui s’épanouit en Afrique contribue à construire l’Afrique de demain. Son action s’inscrit donc dans un mouvement plus large de renaissance africaine pilotée par ses propres enfants dispersés à travers le monde.

Il y a chez elle autant de patriotisme sénégalais (ce sentiment d’œuvrer pour son pays d’origine) que de pan-africanisme ; la volonté de voir toute l’Afrique gagner. Sa fierté africaine, elle la communique, elle la contagionne presque, auprès de ceux qu’elle accompagne. On la sent, à chaque parole, déterminée à prouver que l’avenir appartient à ceux qui croient en l’Afrique et qui agissent pour elle.

Teranga Meet : une passerelle vers le Sénégal pour la diaspora

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bâtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

C’est donc tout naturellement que Marie-Yvonne D’Almeida a lancé Teranga Meet, un événement inédit qui incarne parfaitement sa vision. Organisé à Paris le 17 mai 2025, Teranga Meet est présenté comme « le rendez-vous de la diaspora pour une installation réussie au Sénégal ».

Cet événement ; dont le nom rend hommage à la fameuse teranga sénégalaise, symbolisant l’hospitalité ; se veut une passerelle concrète vers le Sénégal pour tous ceux qui envisagent de s’y installer. « On t’amène le pays de la Teranga à Paris ! », proclament les affiches, promettant d’aider chacun à préparer son projet d’expatriation ou de retour aux sources. Pour Marie-Yvonne, Teranga Meet est bien plus qu’une conférence : c’est un accélérateur de projets diaspora. Durant une journée vibrante, les participants bénéficient de conseils d’experts, de retours d’expérience de repats qui ont sauté le pas, et d’ateliers pratiques pour repartir avec un plan d’action structuré.

Tout est conçu pour répondre aux doutes et aux questions : est-ce le bon moment pour partir ? comment lancer mon entreprise sur place ? quelles erreurs éviter ?

Marie-Yvonne a mobilisé son réseau de Dakar à Paris pour cette occasion. Pas moins de dix intervenants viendront spécialement du Sénégal partager leur savoir-faire, sans compter les surprises qu’elle réserve aux participants​.

Le réseautage est au cœur de l’événement : elle sait par expérience que les bonnes rencontres font les belles réussites. Teranga Meet offre ainsi une opportunité unique de créer des liens avec des professionnels établis au pays et d’autres porteurs de projet animés du même rêve. Dans une ambiance chaleureuse et afro-chic (dress code oblige !), la diaspora se réunit comme en famille, pour oser ensemble le grand saut vers l’Afrique. Teranga Meet incarne en somme la philosophie de Marie-Yvonne : partage, préparation et passion au service du retour au pays. « Le Sénégal m’a tant donné, c’est à mon tour de vous le donner un peu, ici même à Paris, pour que vous puissiez vous envoler », dit-elle avec émotion en présentant l’événement.

Rejoindre le mouvement et construire l’Afrique de demain

Marie-Yvonne D'Almeida, l’afro-optimiste qui bâtit des ponts entre la diaspora et l’Afrique

Le parcours de Marie-Yvonne D’Almeida inspire profondément. C’est l’histoire d’une success story africaine née de la diaspora et tournée vers l’avenir du continent. De son enfance en France à son accomplissement au Sénégal, elle a su rester fidèle à elle-même et à ses valeurs de résilience, de fierté et de transmission. Son exemple montre qu’avec de la détermination et du cœur, il est possible de réaliser son African Dream et d’avoir un impact concret. À l’heure où de plus en plus de membres de la diaspora africaine cherchent à revenir aux sources, Marie-Yvonne trace la voie.

Son appel résonne comme une invitation : et si vous rejoigniez, vous aussi, le mouvement ? Que vous soyez un entrepreneur en herbe, un professionnel en quête de sens ou simplement un amoureux de l’Afrique, il est temps d’oser. Rejoignez Teranga Meet le 17 mai prochain et faites le premier pas vers votre avenir au Sénégal. Venez puiser des conseils, de l’inspiration et de l’énergie auprès de ceux qui, comme Marie-Yvonne, ont transformé un rêve en réalité.

Ensemble, épaulés par des leaders visionnaires comme elle, bâtissons les ponts vers une Afrique brillante et prospère. L’Afrique de demain se construit aujourd’hui ; et elle a besoin de chacun de nous. La balle est dans votre camp : saisissez la Teranga, et écrivez à votre tour une page de cette belle histoire commune.

Le Code Noir : anatomie juridique d’une déshumanisation coloniale

Rédigé par Colbert et promulgué par Louis XIV en 1685, le Code Noir codifie l’esclavage dans les colonies françaises. Derrière ses 60 articles, une hypocrisie glaçante : celle d’un empire qui prétend civiliser en marchandisant les vies noires. NOFI vous propose une plongée intégrale dans ce texte fondamental pour comprendre les racines juridiques de l’oppression coloniale.

Qu’est-ce que le Code Noir ? Une législation au service de l’esclavage

Ils ont voulu codifier l’inhumain. Mettre en décret la déshumanisation. Le Code Noir, c’est le moment où l’État monarchique français a pris une plume trempée dans le sang de millions d’âmes africaines pour écrire l’architecture juridique de l’esclavage colonial. Ce n’est pas une loi : c’est une gifle institutionnalisée. Un acte de guerre. Un texte froid, clinique, minutieux – qui dit aux corps noirs ce qu’ils sont censés valoir : moins qu’un meuble, plus qu’une bête, juste assez pour enrichir une économie sucrée.

Il existe en réalité deux versions de ce texte. La première, rédigée à l’initiative de Jean-Baptiste Colbert (1616–1683), ministre du roi et tout-puissant contrôleur général, est promulguée en mars 1685 par Louis XIV, Roi de France du 14 mai 1643 au 1er septembre 1715. La seconde, une révision partielle, est imposée par son successeur Louis XV en 1724. À cette occasion, certains articles – les 5, 7, 8, 18 et 25 – sont purement et simplement écartés. Ce que vous vous apprêtez à lire ici, c’est le texte fondateur : la version de Colbert, celle de 1685.

Le Code Noir, qui prétendait encadrer les excès des maîtres, n’a fait que légitimer l’intolérable. Il a codifié l’esclavage des Noirs et la traite, sanctifiés par l’Église et justifiés, à l’époque, par des philosophes en quête d’ordre plus que de justice. À travers ses soixante articles suinte l’hypocrisie d’un législateur qui, feignant de reconnaître l’humanité de l’esclave, l’enferme en vérité dans un statut juridique de marchandise. Un bien meuble, soumis aux lois du marché, intégré au patrimoine d’un domaine comme une charrue ou une charrette.

Le Code Noir : anatomie juridique d’une déshumanisation coloniale
Manuscrit de l’Ordonnance royale, Edit du Roy ou Code noir de mars 1685 sur les esclaves des îles de l’Amérique française.

Ce document, que nous publions ici dans sa version intégrale et annotée, n’est pas seulement une archive. C’est une pièce à conviction. Une cicatrice à vif. Une mémoire de plomb qu’il nous faut affronter. Non pour se noyer dans la douleur, mais pour en faire jaillir, enfin, une vérité décoloniale. Parce que le passé ne passe jamais tant qu’on ne l’a pas lu, compris, exposé.

Voici le texte intégral du Code Noir de 1685, tel que rédigé sous l’autorité de Colbert et promulgué par Louis XIV : un document fondamental, à lire sans détour.

Art. 1
Voulons que l’Edit du feu roi de glorieuse mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles ; se faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.

Art. 2
Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d’en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneurs et intendant desdites îles, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.

Art. 3
Interdisons tout exercice public d’autre religion que la Catholique, Apostolique et Romaine. Voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses, sujettes à la même peine qui aura lieu même contre les maîtres qui lui permettront et souffriront à l’égard de leurs esclaves.

Art. 4
Ne seront préposés aucuns commandeurs à la direction des nègres, qui ne fassent profession de la religion Catholique, Apostolique et Romaine, à peine de confiscation desdits nègres contre les maîtres qui les auront préposés et de punition arbitraire contre les commandeurs qui auront accepté ladite direction.

Art. 5
Défendons à nos sujets de la religion [protestante] d’apporter aucun trouble ni empêchement à nos autres sujets, même à leurs esclaves, dans le libre exercice de la religion Catholique, Apostolique et Romaine, à peine de punition exemplaire.

Art. 6
Enjoignons à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, d’observer les jours de dimanches et de fêtes, qui sont gardés par nos sujets de la religion Catholique, Apostolique et Romaine. Leur défendons de travailler ni de faire travailler leurs esclaves auxdits jours depuis l’heure de minuit jusqu’à l’autre minuit à la culture de la terre, à la manufacture des sucres et à tous autres ouvrages, à peine d’amende et de punition arbitraire contre les maîtres et confiscation tant des sucres que des esclaves qui seront surpris par nos officiers dans le travail.

Art. 7 
Leur défendons pareillement de tenir le marché des nègres et de toute autre marchandise auxdits jours, sur pareille peine de confiscation des marchandises qui se trouveront alors au marché et d’amende arbitraire contre les marchands.

Art. 8
Déclarons nos sujets qui ne sont pas de la religion Catholique, Apostolique et Romaine incapables de contracter à l’avenir aucuns mariages valables, déclarons bâtards les enfants qui naîtront de telles conjonctions, que nous voulons être tenues et réputées, tenons et réputons pour vrais concubinages.

Art. 9
Les hommes libres qui auront eu un ou plusieurs enfants de leur concubinage avec des esclaves, ensemble les maîtres qui les auront soufferts, seront chacun condamnés en une amende de 2000 livres de sucre, et, s’ils sont les maîtres de l’esclave de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons, outre l’amende, qu’ils soient privés de l’esclave et des enfants et qu’elle et eux soient adjugés à l’hôpital, sans jamais pouvoir être affranchis. N’entendons toutefois le présent article avoir lieu lorsque l’homme libre qui n’était point marié à une autre personne durant son concubinage avec son esclave, épousera dans les formes observées par l’Eglise ladite esclave, qui sera affranchie par ce moyen et les enfants rendus libres et légitimes.

Art. 10
Les solennités prescrites par l’Ordonnance de Blois et par la Déclaration de 1639 pour les mariages seront observées tant à l’égard des personnes libres que des esclaves, sans néanmoins que le consentement du père et de la mère de l’esclave y soit nécessaire, mais celui du maître seulement.

Art. 11
Défendons très expressément aux curés de procéder aux mariages des esclaves, s’ils ne font apparoir du consentement de leurs maîtres. Défendons aussi aux maîtres d’user d’aucunes contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.

Art. 12
Les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents.

Art. 13
Voulons que, si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants, tant mâles que filles, suivent la condition de leur mère et soient libres comme elle, nonobstant la servitude de leur père, et que, si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement.

Art. 14
Les maîtres seront tenus de faire enterrer en terre sainte, dans les cimetières destinés à cet effet, leurs esclaves baptisés. Et, à l’égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême, ils seront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés.

Art. 15
Défendons aux esclaves de porter aucunes armes offensives ni de gros bâtons, à peine de fouet et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis, à l’exception seulement de ceux qui sont envoyés à la chasse par leurs maîtres et qui seront porteurs de leurs billets ou marques connus.

Art. 16
Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s’attrouper le jour ou la nuit sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l’un de leurs maîtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de lys ; et, en cas de fréquentes récidives et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laissons à l’arbitrage des juges. Enjoignons à tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, et de les arrêter et de les conduire en prison, bien qu’ils ne soient officiers et qu’il n’y ait contre eux encore aucun décret.

Art. 17
Les maîtres qui seront convaincus d’avoir permis ou toléré telles assemblées composées d’autres esclaves que de ceux qui leur appartiennent seront condamnés en leurs propres et privés noms de réparer tout le dommage qui aura été fait à leurs voisins à l’occasion desdites assemblées et en 10 écus d’amende pour la première fois et au double en cas de récidive.

Art. 18
Défendons aux esclaves de vendre des cannes de sucre pour quelque cause et occasion que ce soit, même avec la permission de leurs maîtres, à peine du fouet contre les esclave, de 10 livres tournois contre le maître qui l’aura permis et de pareille amende contre l’acheteur.

Art. 19
Leur défendons aussi d’exposer en vente au marché ni de porter dans des maisons particulières pour vendre aucune sorte de denrées, même des fruits, légumes, bois à brûler, herbes pour la nourriture des bestiaux et leurs manufactures, sans permission expresse de leurs maîtres par un billet ou par des marques connues ; à peine de revendication des choses ainsi vendues, sans restitution de prix, pour les maîtres et de 6 livres tournois d’amende à leur profit contre les acheteurs.

Art. 20
Voulons à cet effet que deux personnes soient préposées par nos officiers dans chaque marché pour examiner les denrées et marchandises qui y seront apportées par les esclaves, ensemble les billets et marques de leurs maîtres dont ils seront porteurs.

Art. 21
Permettons à tous nos sujets habitants des îles de se saisir de toutes les choses dont ils trouveront les esclaves chargés, lorsqu’ils n’auront point de billets de leurs maîtres, ni de marques connues, pour être rendues incessamment à leurs maîtres, si leur habitation est voisine du lieu où leurs esclaves auront été surpris en délit : sinon elles seront incessamment envoyées à l’hôpital pour y être en dépôt jusqu’à ce que les maîtres en aient été avertis.

Art. 22
Seront tenus les maîtres de faire fournir, par chacune semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans et au-dessus, pour leur nourriture, deux pots et demi, mesure de Paris, de farine de manioc, ou trois cassaves pesant chacune 2 livres et demie au moins, ou choses équivalentes, avec 2 livres de boeuf salé, ou 3 livres de poisson, ou autres choses à proportion : et aux enfants, depuis qu’ils sont sevrés jusqu’à l’âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus.

Art. 23
Leur défendons de donner aux esclaves de l’eau-de-vie de canne ou guildive, pour tenir lieu de subsistance mentionnée en l’article précédent.

Art. 24
Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture et subsistance de leurs esclaves en leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compte particulier.

Art. 25 
Seront tenus les maîtres de fournir à chaque esclave, par chacun an, deux habits de toile ou quatre aunes de toile, au gré des maîtres.

Art. 26
Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par leurs maîtres, selon que nous l’avons ordonné par ces présentes, pourront en donner avis à notre procureur général et mettre leurs mémoires entre ses mains, sur lesquels et même d’office, si les avis viennent d’ailleurs, les maîtres seront poursuivis à sa requête et sans frais ; ce que nous voulons être observé pour les crimes et traitements barbares et inhumains des maîtres envers leurs esclaves.

Art. 27
Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, seront nourris et entretenus par leurs maîtres, et, en cas qu’ils eussent abandonnés, lesdits esclaves seront adjugés à l’hôpital, auquel les maîtres seront condamnés de payer 6 sols par chacun jour, pour la nourriture et l’entretien de chacun esclave.

Art. 28
Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres ; et tout ce qui leur vient par industrie, ou par la libéralité d’autres personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à leurs maîtres, sans que les enfants des esclaves, leurs pères et mères, leurs parents et tous autres y puissent rien prétendre par successions, dispositions entre vifs ou à cause de mort ; lesquelles dispositions nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu’ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef.

Art. 29
Voulons néanmoins que les maîtres soient tenus de ce que leurs esclaves auront fait par leur commandement, ensemble de ce qu’ils auront géré et négocié dans les boutiques, et pour l’espèce particulière de commerce à laquelle leurs maîtres les auront préposés, et au cas que leurs maîtres ne leur aient donné aucun ordre et ne les aient point préposés, ils seront tenus seulement jusqu’à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit, et, si rien n’a tourné au profit des maîtres, le pécule desdits esclaves que les maîtres leur auront permis d’avoir en sera tenu, après que les maîtres en auront déduit par préférence ce qui pourra leur être dû ; sinon que le pécule consistât en tout ou partie en marchandises, dont les esclaves auraient permission de faire trafic à part, sur lesquelles leurs maîtres viendront seulement par contribution au sol la livre avec les autres créanciers.

Art. 30
Ne pourront les esclaves être pourvus d’office ni de commission ayant quelque fonction publique, ni être constitués agents par autres que leurs maîtres pour gérér et administrer aucun négoce, ni être arbitres, experts ou témoins, tant en matière civile que criminelle : et en cas qu’ils soient ouïs en témoignage, leur déposition ne servira que de mémoire pour aider les juges à s’éclairer d’ailleurs, sans qu’on en puisse tire aucune présomption, ni conjoncture, ni adminicule de preuve.

Art. 31
Ne pourront aussi les esclaves être parties ni être en jugement en matière civile, tant en demandant qu’en défendant, ni être parties civiles en matière criminelle, sauf à leurs maîtres d’agir et défendre en matière civile et de poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages et excès qui auront été commis contre leurs esclaves.

Art. 32
Pourront les esclaves être poursuivis criminellement, sans qu’il soit besoin de rendre leurs maîtres partie, (sinon) en cas de complicité : et seront, les esclaves accusés, jugés en première instance par les juges ordinaires et par appel au Conseil souverain, sur la même instruction et avec les même formalités que les personnes libres.

Art. 33
L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.

Art. 34
Et quant aux excès et voies de fait qui seront commis par les esclaves contre les personnes libres, voulons qu’ils soient sévèrement punis, même de mort, s’il y échet.

Art. 35
Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavales, mulets, boeufs ou vaches, qui auront été faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, même de mort, si le cas le requiert.

Art. 36
Les vols de moutons, chèvres, cochons, volailles, cannes à sucre, pois, mils, manioc, ou autres légumes, faits par les esclaves, seront punis selon la qualité du vol, par les juges qui pourront, s’il y échet, les condamner d’être battus de verges par l’exécuteur de la haute justice et marqués d’une fleur de lys.

Art. 37
Seront tenus les maîtres, en cas de vol ou d’autre dommage causé par leurs esclaves, outre la peine corporelle des esclaves, de réparer le tort en leur nom, s’ils n’aiment mieux abandonner l’esclave à celui auquel le tort a été fait ; ce qu’ils seront tenus d’opter dans trois jours, à compter de celui de la condamnation, autrement ils en seront déchus.

Art. 38
L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive un autre mois à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’un fleur de lys sur l’autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort.

Art. 39
Les affranchis qui auront donné retraite dans leurs maisons aux esclaves fugitifs, seront condamnés par corps envers les maîtres en l’amende de 300 livres de sucre par chacun jour de rétention, et les autres personnes libres qui leur auront donné pareille retraite, en 10 livres tournois d’amende par chacun jour de rétention.

Art. 40
L’esclave puni de mort sur la dénonciation de son maître non complice du crime dont il aura été condamné sera estimé avant l’exécution par deux des principaux habitants de l’île, qui seront nommés d’office par le juge, et le prix de l’estimation en sera payé au maître ; et, pour à quoi satisfaire, il sera imposé par l’intendant sur chacune tête des nègres payants droits la somme portée par l’estimation, laquelle sera régalée sur chacun desdits nègres et levée par le fermier du domaine royal pour évité à frais.

Art. 41
Défendons aux juges, à nos procureurs et aux greffiers de prendre aucune taxe dans les procès criminels contre les esclaves, à peine de concussion.

Art. 42
Pourront seulement les maîtres, lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’auront mérité, les faire enchaîner et les faire battre de verges ou cordes. Leur défendons de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation des esclaves et d’être procédé contre les maîtres extraordinairement.

Art. 43
Enjoignons à nos officiers de poursuivre criminellement les maîtres ou les commandeurs qui auront tué un esclave étant sous leur puissance ou sous leur direction et de punir le meurtre selon l’atrocité des circonstances ; et, en cas qu’il y ait lieu à l’absolution, permettons à nos officiers de renvoyer tant les maîtres que les commandeurs absous, sans qu’ils aient besoin d’obtenir de nous des lettres de grâce.

Art. 44
Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d’aînesse, n’être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire.

Art. 45
N’entendons toutefois priver nos sujets de la faculté de les stipuler propres à leurs personnes et aux leurs de leur côté et ligne, ainsi qu’il se pratique pour les sommes de deniers et autres choses mobiliaires.

Art. 46
Seront dans les saisies des esclaves observées les formes prescrites par nos ordonnances et les coutumes pour les saisies des choses mobiliaires. Voulons que les deniers en provenant soient distribués par ordre de saisies ; ou, en cas de déconfiture, au sol la livre, après que les dettes privilégiées auront été payées, et généralement que la condition des esclaves soit réglée en toutes affaires comme celle des autres choses mobiliaires, aux exceptions suivantes.

Art. 47
Ne pourront être saisis et vendus séparément le mari, la femme et leurs enfants impubères, s’ils sont tous sous la puissance d’un même maître ; déclarons nulles les saisies et ventes séparées qui en sont faites , ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sur peine, contre ceux qui feront les aliénations, d’être privés de celui ou de ceux qu’ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquéreurs, sans qu’ils soient tenus de faire aucun supplément de prix.

Art. 48
Ne pourront aussi les esclaves travaillant actuellement dans les sucreries, indigoteries et habitations, âgés de quatorze ans et au-dessus jusqu’à soixante ans, être saisis pour dettes, sinon pour ce que sera dû du prix de leur achat, ou que la sucrerie, indigoterie, habitation, dans laquelle ils travaillent soit saisie réellement ; défendons, à peine de nullité, de procéder par saisie réelle et adjudication par décret sur les sucreries, indigoteries et habitations, sans y comprendre les nègres de l’âge susdit y travaillant actuellement.

Art. 49
Le fermier judiciaire des sucreries, indigoteries, ou habitations saisies réellement conjointement avec les esclaves, sera tenu de payer le prix entier de son bail, sans qu’il puisse compter parmi les fruits qu’il perçoit les enfants qui seront nés des esclaves pendant son bail.

Art. 50
Voulons, nonobstant toutes conventions contraires, que nous déclarons nulles, que lesdits enfants appartiennent à la partie saisie, si les créanciers, sont satisfaits d’ailleurs, ou à l’adjudicataire, s’il intervient un décret ; et, à cet effet, il sera fait mention dans la dernière affiche, avant l’interposition du décret, desdits enfants nés des esclaves depuis la saisie réelle. Il sera fait mention, dans la même affiche, des esclaves décédés depuis la saisie réelle dans laquelle ils étaient compris.

Art. 51
Voulons, pour éviter aux frais et aux longueurs des procédures, que la distribution du prix entier de l’adjudication conjointe des fonds et des esclaves, et de ce qui proviendra du prix des baux judiciaires, soit faite entre les créanciers selon l’ordre de leurs privilèges et hypothèques, sans distinguer ce qui est pour le prix des fonds d’avec ce qui est pour le prix des esclaves.

Art. 52
Et néanmoins les droits féodaux et seigneuriaux ne seront payés qu’à proportion du prix des fonds.

Art. 53
Ne seront reçus les lignagers et seigneurs féodaux à retirer les fonds décrétés, s’ils ne retirent les esclaves vendus conjointement avec fonds ni l’adjudicataire à retenir les esclaves sans les fonds.

Art. 54
Enjoignons aux gardiens nobles et bourgeois usufruitiers, amodiateurs et autres jouissants des fonds auxquels sont attachés des esclaves qui y travaillent, de gouverner lesdits esclaves comme bons pères de famille, sans qu’ils soient tenus, après leur administration finie, de rendre le prix de ceux qui seront décédés ou diminués par maladie, vieillesse ou autrement, sans leur faute, et sans qu’ils puissent aussi retenir comme fruits à leur profit les enfants nés desdits esclaves durant leur administration, lesquels nous voulons être conservés et rendus à ceux qui en sont maîtres et les propriétaires.

Art. 55
Les maîtres agés de vingt ans pourront affranchir leurs esclaves par tous actes vifs ou à cause de mort, sans qu’ils soient tenus de rendre raison de l’affranchissement, ni qu’ils aient besoin d’avis de parents, encore qu’ils soeint mineurs de vingt-cinq ans.

Art. 56
Les esclaves qui auront été fait légataires universels par leurs maîtres ou nommés exécuteurs de leurs testaments ou tuteurs de leurs enfants, seront tenus et réputés, les tenons et réputons pour affranchis.

Art. 57
Déclarons leurs affranchissements faits dans nos îles, leur tenir lieu de naissance dans nosdites îles et les esclaves affranchis n’avoir besoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos sujets naturels de notre royauté, terres et pays de notre obéissance, encore qu’ils soient nés dans les pays étrangers.

Art. 58
Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves et à leurs enfants, en sorte que l’injure qu’ils leur auront faite soit punie plus grièvement que si elle était faite à une autre personne : les déclarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres charges, services et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient prétendre tant sur leurs personnes que sur leurs biens et successions en qualité de patrons.

Art. 59
Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres ; voulons que le mérite d’une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres sujets.

Art. 60
Déclarons les confiscations et les amendes qui n’ont point de destination particulière, par ces présentes nous appartenir, pour être payées à ceux qui sont préposés à la recette de nos droits et de nos revenus ; voulons néanmoins que distraction soit faite du tiers desdites confiscations et amendes au profit de l’hôpital établi dans l’île où elles auront été adjugées.

Notes et références

  • Code noir : Ordonnance royale de mars 1685 sur la condition des esclaves dans les colonies françaises, dite « Code noir », promulguée par Louis XIV. Elle comporte 60 articles. Texte accessible via Gallica : https://gallica.bnf.fr
  • Louis Sala-MolinsLe Code noir ou le calvaire de Canaan, Paris, PUF, 1987 (4e éd.). L’auteur y qualifie ce texte de « plus monstrueux document législatif des Temps modernes ».
  • Jean-François NiortLe Code noir : idées reçues sur un texte symbolique, Paris, Le Cavalier Bleu, 2015. L’historien y défend une approche contextualisée, rejetant une lecture purement morale du texte.
  • Sur l’élaboration du Code noir : Vernon Valentine Palmer, « Essai sur les origines et les auteurs du Code noir », Revue internationale de droit comparé, vol. 50, n°1, 1998, p. 111-140.
  • Robert ChesnaisLe Code noir, Paris, L’esprit frappeur, 1998. Introduction et notes critiques sur la version de 1685.
  • Le Code noir fut également promulgué sous Louis XV, dans une version modifiée, en 1724, pour la Louisiane.
  • Les articles 5, 7, 8, 18 et 25 du texte de 1685 ne sont pas repris dans la version de 1724.
  • Pour une analyse comparée des deux versions : Niort J.-F. et Richard J., « L’Édit royal de mars 1685 dit Code noir : versions choisies, comparées et commentées », Droits, n°50, 2010, p. 143-161.
  • La dimension religieuse du texte (baptême, instruction catholique, interdiction des cultes non chrétiens) est étudiée dans : Jean-Frédéric Schaub, « 1683 : un 1492 français ? », in Histoire mondiale de la France, dir. P. Boucheron, Seuil, 2017.
  • Pour un éclairage sur la réception du Code noir dans les Lumières : DiderotHistoire des deux Indes, éd. numérique sur Wikisource.

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

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Avec Timpi Tampa, la réalisatrice sénégalaise Adama Bineta Sow signe un premier long-métrage audacieux, sensible et furieusement nécessaire. Porté par une distribution 100 % locale et tourné en wolof, ce conte social sur fond de concours de beauté universitaire démonte les normes coloniales de la beauté noire tout en célébrant la sororité, l’identité et la résilience. Un film coup de poing, doux comme un baume, qui réinvente le cinéma africain au féminin pluriel.

Il y a dans Timpi Tampa quelque chose d’une révolution douce. Une bombe artisanale tressée de wax et de tendresse, une claque qui caresse avant de cogner. Sous ses airs de comédie dramatique colorée, le premier long-métrage d’Adama Bineta Sow pose une question qui ronge l’épiderme de tout un continent : qu’a-t-on fait de notre beauté ?

Bienvenue à Dakar, où Khalilou, un jeune homme de 20 ans, vit seul avec sa mère. Elle est malade. Elle a voulu ressembler aux femmes des panneaux publicitaires. À force de crèmes éclaircissantes, elle s’est empoisonnée. Pour lui rendre justice, Khalilou décide de se travestir en femme, « Leila », et de participer à un concours de beauté universitaire pour dénoncer, de l’intérieur, l’absurdité d’un système qui valorise la peau claire comme une médaille coloniale.

Mais ici, pas de pathos. Adama Bineta Sow préfère la satire tendre à la colère froide. Elle peint une fresque de femmes, vibrantes, entières, puissantes, et met en scène un Sénégal jeune, libre et lucide, qui n’a pas besoin qu’on lui fasse la leçon pour comprendre que la révolution commence par le miroir.

Un film qui se tient droit dans sa langue

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Projeté pour la première fois au FESPACO 2025 dans la section Perspectives, Timpi Tampa a reçu une mention spéciale du jury. Et pour cause : tout y est local, ancré, assumé. Le film est tourné à Dakar, en wolof, avec un casting 100 % sénégalais. Il s’inscrit dans une démarche esthétique de réappropriation : celle de raconter l’Afrique depuis elle-même, sans filtre ni exotisme.

Ce n’est pas seulement un choix artistique, c’est un acte politique. En refusant l’universalité au rabais d’un regard occidental, Adama Bineta Sow offre un espace de parole à cette jeunesse qui parle sa langue, ses doutes, ses rêves, ses contradictions.

Une comédie dramatique qui dit tout haut ce que beaucoup taisent tout bas

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

La réussite de Timpi Tampa tient à cet équilibre rare : faire rire pour mieux déranger. Le film met en scène deux clans opposés dans l’univers du concours de beauté : les « Belles et Éclatantes », adeptes du teint clair et des standards occidentaux, et les « Belles, Naturelles et Rebelles », qui célèbrent leur peau noire, leur afro, leurs formes, leurs cicatrices aussi.

La force du film réside dans la complexité de ses personnages. Il n’y a pas de manichéisme. Fatima (Yacine Sow Dumon), l’une des « éclatantes », est autant victime que complice du système. Maty (Fatoumata Aidara Sarr), quant à elle, se révèle mentor bienveillante et stratège avisée. Aminata (Sanou Samb) lutte contre ses insécurités, son poids, son absence de confiance. Maimouna (Diaratou Mbow), rebelle solaire, devient catalyseur de prises de conscience.

Et Khalilou ? Il est bouleversant. Pape Aly Diop livre une performance d’une sincérité désarmante. Son corps devient un lieu d’enquête : sur l’identité, le genre, la beauté, l’amour filial. Il apprend à être une femme et, ce faisant, devient un homme.

Une esthétique de la subversion par le glamour

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Derrière la caméra, tout respire la rigueur et la passion. Trois ans d’écriture, deux mois de préparation, sept semaines de tournage, 94 séquences, 40 décors, 70 techniciens, plus de 860 figurants… Timpi Tampa est une œuvre de feu, portée par une équipe qui croit à la puissance du cinéma africain.

La direction artistique flirte avec le clip, la publicité, le théâtre de rue. Les scènes de défilé sont chorégraphiées comme des révolutions pop. La musique pulse comme un cœur qui bat trop vite. Les couleurs hurlent : regarde-moi. Et dans les regards, on lit autre chose qu’un scénario : une urgence, une blessure, une fierté retrouvée.

Un mot sur Adama Bineta Sow : jeunesse, feu et sororité

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Adama Bineta Sow n’a que 23 ans, mais déjà la stature d’une grande. Lauréate de plusieurs prix pour ses courts-métrages (Aveugle par une aveugle, À nous la Tabaski), elle signe ici un premier long-métrage ambitieux, généreux, maîtrisé. Son regard est celui d’une sœur, pas d’une juge. Elle filme les femmes avec une tendresse radicale, une écoute profonde. Et elle construit une œuvre qui, loin des injonctions, laisse chaque corps exister.

À l’instar de Dee Rees ou Mati Diop, elle s’inscrit dans une lignée de cinéastes afro-féministes qui posent une question fondamentale : qui a le droit de raconter nos histoires ?

Un combat universel, mais enraciné

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Ce que dit Timpi Tampa, c’est que le blanchiment de la peau est un symptôme. Derrière la dépigmentation, il y a l’infériorisation. Derrière les crèmes, les réseaux sociaux, les concours, il y a une machine à produire des complexes, à vendre du rêve eurocentré en flacons de 50 ml.

Mais le film ne se contente pas de dénoncer. Il propose un imaginaire alternatif. Une autre façon de se regarder. Une autre façon de dire je suis belle, je suis noire, je suis moi.

Et maintenant ?

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Le film sortira le 9 mai 2025, simultanément dans six pays africains et en France, distribué par CANAL+ AFRIQUE, EUROPACORP et NIGHT ED FILM. C’est une première pour un film sénégalais de cette ampleur. Et un signal fort.

Car oui, le cinéma africain est prêt. Prêt à rayonner sans se travestir. Prêt à parler haut, fort, vrai.

Une empreinte qui reste sur la rétine et dans le cœur

TIMPI TAMPA : Le film coup de poing qui fait danser les vérités et vaciller les masques

Le mot Timpi Tampa signifie littéralement « ni noir, ni clair ». Il renvoie à cette couleur bâtarde que produit le mélange des produits éclaircissants et du soleil. Mais en wolof, on pourrait aussi entendre empreinte. Et c’est exactement ce que laisse le film : une empreinte. Pas une trace furtive, mais un sillon, un sésame.

Timpi Tampa n’est pas seulement un film à voir. C’est un film à vivre, à débattre, à transmettre. Une œuvre-miroir qui rappelle à chacun : ta couleur n’est pas une honte à corriger, c’est un drapeau à lever.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire

Avec “Paris Noir”, le Centre Pompidou célèbre un demi-siècle de création afrodescendante. Une exposition magistrale qui retrace les circulations artistiques et les luttes anticoloniales dans le Paris du XXe siècle.

Une effervescence artistique au cœur de Paris

Dès que l’on franchit les portes du Centre Pompidou, un frisson d’histoire et de modernité nous saisit. L’exposition « Paris Noir : Circulations artistiques et luttes anticoloniales (1950-2000)«  est un moment rare, un hommage nécessaire à des générations d’artistes afro-descendants dont les œuvres, souvent invisibilisées, ont pourtant marqué de leur empreinte indélébile l’histoire de l’art en France et bien au-delà.

Pensée comme une cartographie vivante des dialogues artistiques transatlantiques, Paris Noir dévoile plus de 150 artistes, des pionniers du modernisme panafricain aux avant-gardes noires américaines et caribéennes, en passant par les figures postcoloniales des années 90. Une plongée saisissante dans un Paris où l’art noir n’a jamais cessé d’être un acte de résistance, de mémoire et de réinvention.

Quand Paris était la capitale de l’Art Noir

Dans l’imaginaire collectif, Paris est cette ville-lumière, berceau des avant-gardes et des révolutions artistiques. Mais derrière la Tour Eiffel et les galeries du Marais, il existe une autre histoire, celle d’une ville qui fut aussi un refuge intellectuel et artistique pour des générations d’artistes noirs venus d’Afrique, des Caraïbes et des États-Unis.

L’après-guerre marque l’arrivée d’intellectuels et créateurs comme James Baldwin, Beauford Delaney, Wifredo Lam ou encore le peintre sud-africain Gérard Sekoto. Paris devient le centre névralgique d’un art noir en quête d’émancipation, où se croisent influences surréalistes, expressionnistes et avant-gardistes.

L’exposition Paris Noir met en lumière cette effervescence, en réhabilitant des trajectoires méconnues mais essentielles. Comment ne pas être saisi par les portraits vibrants de Delaney, immortalisant Baldwin avec une intensité quasi mystique ? Ou par les sculptures de Harold Cousins, qui transforment l’acier en une ode au mouvement et à la musique jazz ?

L’art comme arme de lutte anticoloniale

Paris Noir ne se contente pas d’être une rétrospective artistique : c’est un manifeste visuel, un rappel que l’art a toujours été un vecteur de luttes et de revendications.

Dans les années 50 et 60, les artistes noirs présents à Paris sont les témoins directs des luttes anticoloniales qui secouent l’Afrique et les Caraïbes. L’exposition revient sur ces liens entre art et engagement, en présentant des œuvres qui dialoguent avec les luttes politiques et sociales de leur époque.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire
José Castillo, (1955, République dominicaine – 2018, République française), Los Cimarrones, 1994

José Castillo, avec son tableau « Los Cimarrones », rend hommage aux esclaves marrons qui ont fui les plantations pour bâtir des communautés libres. Elodie Barthélémy, dans « Hommage aux ancêtres marrons », matérialise la mémoire résistante par des sculptures-textiles poignantes.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire
Elodie Barthélémy, (1965, Colombie), Hommage aux ancêtres marrons, 1994

Le parcours explore également le rôle du jazz et de la littérature comme prolongements de ces combats, avec des figures comme Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Frantz Fanon, dont les pensées ont irrigué ces expressions artistiques.

Paris, vecteur de rencontres et de transmissions

L’une des grandes forces de cette exposition est sa capacité à cartographier les circulations culturelles et esthétiques entre l’Afrique, les Amériques et l’Europe.

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire
Chanel Diagne, (1953, République française), Le Garçon de Venise, 1976

Dès les années 70, une nouvelle génération d’artistes caribéens et africains arrive à Paris, cherchant à repenser leur identité dans un monde postcolonial. On retrouve cet héritage dans les œuvres de Diagne Chanel, qui fusionne influences européennes et esthétiques sénégalaises dans « Le Garçon de Venise », ou encore dans la démarche de Skunder Boghossian, pionnier de l’abstraction éthiopienne.

L’exposition met également en lumière les espaces qui ont permis ces échanges, comme les galeries engagées, les festivals panafricains et les cercles littéraires, où se sont écrites certaines des pages les plus audacieuses de l’histoire de l’art noir.

Pourquoi cette exposition est essentielle aujourd’hui

Dans un contexte où les débats sur la reconnaissance de l’art africain et afro-descendant sont plus vifs que jamais, Paris Noir arrive à point nommé. Cette exposition interroge la place des artistes noirs dans les musées, les institutions et le marché de l’art.

Elle pose aussi une question essentielle : comment intégrer ces récits dans une histoire de l’art qui a trop longtemps été écrite sans eux ?

Avec cette rétrospective, le Centre Pompidou offre enfin une visibilité méritée à ces créateurs qui, à travers les époques, ont bâti des ponts entre les continents et redéfini les canons artistiques.

Un rendez-vous incontournable

Paris Noir ou quand l’art réécrit l’Histoire

Ouverte du 19 mars au 30 juin 2025, Paris Noir est plus qu’une exposition : c’est un événement historique, une invitation à redécouvrir une scène artistique trop souvent occultée.

Si vous êtes passionné d’histoire, d’art et de luttes, si vous voulez voir Paris sous un prisme panafricain et engagé, ne manquez pas cette immersion dans un demi-siècle de création, de résistance et de beauté.

L’art noir a toujours été là. Il était juste temps de le voir.

Retour sur le cas Dominique Malonga : deuxième choix de draft historique de la WNBA

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Dominique Malonga. Retenez bien ce nom. Vous ne l’avez peut-être entendue qu’à moitié pendant les Jeux de Paris, glissée entre deux coups de projecteur sur les handballeurs, ou dans les résumés de la finale perdue face aux États-Unis. Mais dans le silence feutré de la draft WNBA 2025, alors que les caméras cherchaient des visages connus, c’est celui d’une jeune femme d’aujourd’hui 19 ans, le regard levé, qui a fait l’histoire. Deuxième choix de la Draft, derrière l’attendue Paige Bueckers. Première Française à atteindre ce rang. Et surtout : symbole d’une génération qu’on n’attendait pas si haut, si tôt.

Les drafts dans le basketball américain sont actuellement dominée par la formation française. Si de manière globale, c’est l’Europe, c’est du territoire français que les pépites sont délivrée. Killian Hayes, Wembanyama, Coulibaly, Risacher, Sarr. Ce sont les derniers noms qui nous viennent en tête et l’on peut y ajouter Malonga.

De Yaoundé à Seattle : l’ascension silencieuse d’un phénomène

Dominique Malonga n’est pas née dans le brouhaha des projecteurs. Elle est née à Yaoundé, au Cameroun et partageant des racines au Congo, avant de grandir en France, loin de l’attention des médias, mais avec un héritage, celui de sa mère, Agathe N’Nindjem-Yolemp, ancienne internationale pour les indomptables. Elle n’a pas demandé. Elle a simplement dunké. À 18 ans, sur un parquet européen, sous un maillot de l’ASVEL, elle claque le premier dunk de l’histoire du basket féminin français en compétition officielle. Un geste aussi brutal que précis. Et dans les jours qui suivent, on commence à l’appeler la “Wembanyama du basket féminin”.

Comparaison flatteuse, mais peut-être injuste. Car si Dominique partage avec Victor une taille déconcertante (1m98), une envergure surnaturelle (2m16), et un talent générationnel, elle ne veut pas être la version féminine d’un autre. Elle veut être la première Dominique Malonga.

Une jeunesse dorée ? Pas tout à fait.

Oui, elle a signé à l’ASVEL. Oui, Tony Parker l’a prise sous son aile. Mais avant ça, il y a eu les sacrifices familiaux, les trajets d’entraînement interminables, et cette réalité crue : être une grande fille noire dans un sport où la visibilité féminine reste minime, ça n’ouvre pas de portes.

Mais elle s’est accrochée. Elle a grandi, en tant que joueuse, dans un système qui n’était pas habitué à build inédit, pour créer sa propre trajectoire.

Retour sur le cas Dominique Malonga : deuxième choix historique de la WNBA

JO 2024 : la scène mondiale à ses pieds

L’été 2024 aurait pu être celui de l’ombre. Les Jeux Olympiques à Paris, c’était l’occasion de briller pour les vétéranes. Et pourtant, c’est la benjamine de l’équipe de France qui a capté l’attention des USA. Sur le parquet, Dominique a imposé sa présence comme une évidence. Défense féroce, mains sûres, lecture du jeu rare pour son âge. Elle n’a pas cherché à dominer. Elle a imposé le respect.

Et puis il y a eu la finale. Une médaille d’argent historique face à l’ogre américain. On l’a vue lever les bras, puis baisser la tête. Elle aurait pu savourer. Elle a préféré ruminer la défaite, réconfortée par sa coéquipière en Équipe de France, mais aussi prochainement à Seattle, Gabbie Williams. À 19 ans.

Dominique et A'ja Wilson
Dominique qui défend sur la UNANIMOUS MVP A’ja Wilson

78 000 dollars par an : le plafond de verre WNBA

Draftée en 2e position par le Seattle Storm, Dominique a intégré la grande ligue nord-américaine. Sur le papier, c’est un tremblement de terre. Mais dans les faits ? Son contrat rookie plafonne à 78 000 dollars annuels. Moins que le salaire moyen d’un joueur de deuxième division en France. Une claque pour ceux qui pensaient que la reconnaissance allait de pair avec le talent.

Car oui, la WNBA reste sous-financée, sous-médiatisée, sous-payée. Et Dominique, malgré son statut de pépite mondiale, en fait déjà les frais. Elle ne s’en plaint pas. Elle sait qu’elle représente plus qu’elle-même. Elle est consciente que son existence dans la ligue est un acte politique à part entière.

Icône d’un mouvement, pas d’un mirage

Ce que représente Dominique dépasse largement les lignes de stats. C’est une génération qui s’impose, malgré les silences, les plafonds, les clichés. Elle incarne une jeunesse noire, féminine, ambitieuse, qu’on ne peut plus ignorer.

Elle pourrait capitaliser sur son image, vendre des produits, faire la tournée des médias. Elle a choisi Seattle, la pluie, le travail. Elle poste peu, parle peu, mais marque beaucoup. Sur le terrain comme dans les esprits.

Pas une exception. Une annonce.

Dominique Malonga n’est pas une anomalie. Elle est le début d’une ère. Celle où les talents afrodescendants ne sont plus cantonnés à la périphérie du sport mondial. Celle où les basketteuses ne se contentent plus de “faire leur place” — elles prennent le trône.

Dans dix ans, on citera peut-être Malonga comme celle qui a ouvert la voie à une nouvelle économie du basket féminin. Une WNBA plus juste, plus visible, plus ambitieuse. En attendant, elle joue. Elle apprend. Elle construit. Et elle inspire.

Et maintenant ?

Le Storm compte sur elle pour redéfinir sa raquette. La France attend son retour pour porter le drapeau en 2028. Les petites filles la regarderont comme une héroïne, sans cape, mais avec des baskets bien lacées. Et le monde du sport, lui, réalise lentement : Dominique Malonga est là. Et la ligue devrait la garder à l’oeil ! Tout le monde est prévenu !

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmée, le chant d’un peuple debout

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Dans « Soudan, souviens-toi », la réalisatrice Hind Meddeb immortalise la révolution soudanaise de 2019 avec une caméra-poème. Un film puissant, nécessaire, et bouleversant, ode à la jeunesse africaine debout face aux dictatures.

Soudan, souviens-toi : une caméra face à la révolte

« Nous sommes les enfants de la révolution. Et nous rêvons d’un avenir que personne ne veut nous donner. Alors, on le filme. »

Avec Soudan, souviens-toi, la réalisatrice Hind Meddeb ne signe pas un documentaire classique. Elle offre un manifeste. Une plongée frontale, sensorielle, poétique et politique dans la révolution soudanaise de 2019. Celle qu’on a trop vite oubliée, effacée des timelines, marginalisée par le chaos des autres conflits. Pourtant, pendant des mois, le peuple soudanais, et surtout sa jeunesse, est descendu dans la rue, défiant l’appareil répressif du régime d’Omar el-Béchir. Le tout, sans armes, mais avec des chants, des poèmes, des slogans et des smartphones.

Meddeb, caméras ouvertes et cœur battant, capture cette effervescence à hauteur d’homme. Ce n’est pas un film sur la révolution. C’est la révolution elle-même, racontée de l’intérieur. Par les chants de protestation, les visages en feu, les silences étouffants. Le documentaire ne commente pas les événements : il les incarne. Il refuse le surplomb, il épouse la fragilité de la lutte.

La cinéaste, connue pour son travail sur les révolutions arabes (Electro ChaabiTunisia Clash), poursuit ici son obsession : documenter les marges, les luttes populaires, les zones d’ombre médiatique où surgissent pourtant les plus vives espérances. Tourné dans des conditions périlleuses, Soudan, souviens-toi est autant un acte de création qu’un acte de résistance. Il fallait être là, avec eux, à Khartoum, quand tout vacillait. Il fallait tendre le micro à ceux qu’on ne voulait pas entendre.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmée, le chant d’un peuple debout

Le film évite tous les pièges du sensationnalisme. Il ne montre pas la révolution comme un chaos, mais comme un espace de construction collective. La rue y devient studio de création, la protestation un théâtre de dignité. Ce ne sont pas des victimes que filme Hind Meddeb, mais des architectes d’un autre possible. Des poètes en colère, des infirmières rebelles, des jeunes rappeurs armés de mots, des mères debout dans la nuit.

Présenté aux Giornate degli Autori de la Mostra de Venise, au TIFF de Toronto et au FIPADOC, le film fait l’unanimité. La critique salue sa puissance formelle, sa sincérité politique, sa capacité à faire sentir la pulsation d’un peuple. Mais au-delà des festivals, c’est un devoir de mémoire que remplit ce documentaire. Il refuse l’oubli. Il refuse que le Soudan soit réduit à une ligne dans les bulletins d’information.

« Soudan, souviens-toi » est une incantation, une prière adressée au monde. Un rappel que les révolutions ne meurent jamais vraiment : elles changent de forme, elles habitent les chants, les images, les récits. Et grâce au regard de Hind Meddeb, elles continuent de nous parler.

Si Soudan, souviens-toi frappe si fort, c’est parce qu’il porte la signature d’une réalisatrice dont chaque film est une déclaration. Hind Meddeb n’est pas une observatrice neutre : elle est une passeuse de mémoire, une militante de l’intime, une conteuse de l’insoumis. Issue d’un double héritage (celui de son père, Abdelwahab Meddeb, poète et penseur de la modernité arabe, et celui de sa propre trajectoire de journaliste et documentariste) elle a fait du cinéma un espace de résistance.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmée, le chant d’un peuple debout

Depuis ses débuts, Meddeb donne la parole aux marginalisés, aux opprimés, à ceux qui hurlent dans le vacarme de l’indifférence. Avec « Electro Chaâbi » (2013), elle révélait la scène musicale underground du Caire, celle née dans les quartiers populaires et ignorée des élites. Dans « Tunisia Clash » (2015), elle suivait des rappeurs tunisiens confrontés à la censure post-révolution, montrant une jeunesse en lutte pour sa liberté d’expression dans un pays officiellement « libre ».

Son cinéma est toujours à hauteur d’homme, jamais voyeur, jamais didactique. Il épouse les corps, les voix, les rythmes, les émotions. Il documente la lutte, mais surtout, il en partage la vibration. Chez Meddeb, filmer, c’est résister. C’est créer une mémoire vivante, indélébile, pour ceux que l’histoire officielle préfère taire.

Avec Soudan, souviens-toi, elle pousse encore plus loin ce geste politique. Elle ne fait pas un film sur les Soudanais : elle filme avec eux. Elle vit avec eux. Elle partage les nuits de veille, les risques de répression, les larmes contenues. Son regard est radicalement humain, solidaire, ancré dans le réel mais tendu vers l’utopie.

Ce positionnement éthique et esthétique donne au film une puissance rare. Chaque plan est imprégné d’affection, de colère, de dignité. Elle capte les regards perdus, les slogans rageurs, les corps debout malgré la peur. Elle donne à voir ce que l’on ne montre jamais : la tendresse d’un peuple en lutte, la beauté d’une résistance sans armure, la force tranquille d’une révolution portée par des jeunes femmes, des étudiants, des artistes.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmée, le chant d’un peuple debout

Le cinéma de Hind Meddeb est une arme. Mais une arme douce. Une arme qui n’explose pas, mais qui s’imprime. Qui ne crie pas plus fort que les autres, mais qui rend audible ce qui était étouffé. Elle n’a pas besoin de voix off ni d’effets dramatiques : son cinéma parle depuis la rue, depuis la peau, depuis la mémoire.

Et c’est là toute sa force : rappeler que l’histoire ne se fait pas seulement dans les palais et les parlements, mais aussi dans les chants de la foule, les vidéos amateurs, les poings levés à la nuit tombée. Et que pour que ces histoires-là ne meurent pas, il faut des artistes comme Hind Meddeb pour les recueillir, les élever, et les faire voyager.

Dans Soudan, souviens-toi, la révolution ne se filme pas comme un événement historique figé. Elle se vit, elle s’incarne, elle palpite. Et c’est là que le film de Hind Meddeb se distingue radicalement : il n’explique pas la révolution soudanaise ; il la fait ressentir.

Pas de voix off autoritaire. Pas de cartes, pas de dates balancées à l’écran comme des rappels scolaires. Juste la matière brute de l’émotion. La parole des Soudanais. Leurs chants, leurs poèmes, leurs danses. Une grammaire sensorielle de la lutte, où chaque cri, chaque souffle devient déclaration politique.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmée, le chant d’un peuple debout

Les manifestations, captées par la caméra, ne sont pas de simples attroupements populaires : ce sont des scènes chorégraphiées par la ferveur. Les slogans deviennent des refrains, les pas des manifestants dessinent des ballets collectifs, les mains levées composent des tableaux éphémères de dignité.

Et puis il y a la poésie. Omniprésente. Viscérale. Électrique. Elle est scandée, chantée, murmurée. Elle sert de bouclier aux balles, de baume aux blessures, de boussole à ceux qui avancent dans l’obscurité. Dans les rues de Khartoum, des poètes anonymes deviennent généraux de l’âme, guidant la foule par les mots, érigeant le verbe en étendard.

Parmi eux, Ayman Mao, figure centrale du film, fait vibrer la mémoire collective. Son rap, à la fois rageur et profondément enraciné dans la tradition soudanaise, devient l’hymne d’une jeunesse debout. Son visage, son regard, sa voix composent un portrait bouleversant d’un artiste en lutte, d’un homme en veille constante. Il ne performe pas. Il témoigne. Il incarne.

Mais le film donne aussi la parole à celles qu’on n’attend pas toujours à l’écran : les jeunes femmes. Étudiantes, artistes, activistes, elles investissent la rue comme une scène. Le pavé devient planche de théâtre. La révolution, un acte performatif. Elles sont là, au premier plan. Visages découverts. Poings levés. Corps dignes. Elles parlent fort, elles crient, elles dansent. Parce qu’elles savent que leur voix compte, que leur image est politique, que leur présence est déjà un acte de résistance.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmée, le chant d’un peuple debout

La caméra de Hind Meddeb épouse cette poésie collective. Elle ne capte pas. Elle accompagne. Elle ne domine pas. Elle suit. Par ses choix de mise en scène (cadrages serrés, montage fluide, absence de commentaire) elle laisse le réel imposer sa propre dramaturgie. Elle fait confiance à l’intelligence du spectateur pour comprendre, ressentir, s’indigner.

C’est un documentaire, oui. Mais c’est surtout une œuvre de cinéma. Un film habité, incandescent, qui transforme le réel en matière poétique. Une tentative de saisir ce moment suspendu où un peuple se lève, non pas par les armes, mais par les mots, par la danse, par la lumière.

Soudan, souviens-toi n’est pas un conte héroïque. Ce n’est pas un récit de victoire. C’est une blessure ouverte. Une révolte confisquée. Un rêve piétiné.

Hind Meddeb ne maquille pas la fin. Elle ne romantise rien. Le film ne se termine pas sur des applaudissements ou des réformes votées. Il se referme sur le silence des balles. Après les chants, les cris. Après les danses, les détonations. Le massacre du 3 juin 2019, sur les manifestants pacifiques de Khartoum, hante chaque plan du dernier tiers du film. Des dizaines, peut-être des centaines de morts. Des corps jetés dans le Nil. Des vies réduites au silence.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmée, le chant d’un peuple debout

La jeunesse soudanaise, si vibrante, si ardente, si digne, est trahie par l’histoire. Les militaires, brièvement mis à l’écart, reprennent le contrôle. La transition démocratique est interrompue. Les leaders civils sont arrêtés, contraints à l’exil ou réduits au silence. Le rêve d’une révolution soudanaise pacifique s’effondre dans la violence.

Et pourtant.

Ce que le film a capté ne disparaît pas. Il reste le souvenir incandescent de cette insurrection intérieure. Cette flamme qui brûle dans les regards des manifestants, même quand les caméras s’éteignent, même quand les micros se taisent. Ce feu qui ne se laisse pas éteindre par la répression. La révolution n’a peut-être pas triomphé, mais elle a existé. Elle a été vécue. Elle a transformé celles et ceux qui y ont cru.

C’est là que le titre du film prend une dimension presque sacrée. Soudan, souviens-toi n’est pas une injonction. C’est une prière. Une supplique lancée au futur. Une promesse faite aux morts, aux disparus, aux rescapés : que rien ne sera oublié. Que les visages vus dans ce film ne disparaîtront pas dans l’oubli. Que leurs chants, leurs marches, leurs poèmes, continueront à vibrer dans d’autres rues, d’autres pays, d’autres luttes.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmée, le chant d’un peuple debout

Le film devient un monument funéraire et une archive vivante. Il documente l’utopie trahie mais aussi l’espérance indestructible. Il parle de douleur, mais il n’est jamais cynique. Il est tragique, mais pas résigné. Il regarde la violence en face, sans détour, mais il laisse entrouverte une porte : celle d’une mémoire active, insoumise, contagieuse.

Car si les corps sont brisés, les images, elles, restent. Les images deviennent des armes. Les souvenirs deviennent des graines. Et les graines, parfois, renaissent là où on les croyait mortes.

Soudan, souviens-toi n’est pas seulement un film sur une révolution avortée. C’est un testament pour celles et ceux qui n’ont pas renoncé à espérer. Un outil pour éduquer, pour éveiller, pour inspirer. Une œuvre rare, essentielle, qui fait le pari que le cinéma peut encore changer le monde ; ou, à défaut, ne pas le laisser se refermer sur lui-même.

Soudan, souviens-toi : l’insurrection filmée, le chant d’un peuple debout

Au fond, ce film parle du Soudan, oui. Mais aussi de toutes les jeunesses qui, du Caire à Kinshasa, d’Alger à Bamako, rêvent d’un ailleurs possible. Il parle de dignité, de mémoire, de révolte. Il nous oblige à regarder ce que le monde occidental préfère oublier : que l’Afrique ne se résume pas à ses tragédies, mais qu’elle est aussi le théâtre d’une modernité politique profonde.

Et si Hind Meddeb nous invitait à faire plus que regarder ? Et si elle nous obligeait à écouter, à porter, à continuer le combat, caméra ou pancarte à la main ?

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique

Esclave devenu icône de la haute société britannique, Julius Soubise incarne la complexité des trajectoires noires dans l’Europe du XVIIIe siècle. Entre élégance, satire et scandale, retour sur une figure oubliée, flamboyante et dérangeante.

Julius Soubise : des chaînes aux salons dorés

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique

Vers 1754, dans les plantations sucrières de Saint-Christophe (St. Kitts), dans les Caraïbes britanniques, naît Othello. Fils d’une femme esclave jamaïcaine, il n’a ni droits, ni avenir tracé. À l’âge de dix ans, il est « acquis » par le capitaine de la Royal Navy Stair Douglas et expédié en Angleterre. Son prénom résonne alors comme un présage shakespearien.

Mais à Londres, un tournant inespéré : Othello devient Julius Soubise, protégé extravagant de la très influente Duchesse de Queensberry, Catherine Douglas. Cette dernière le manumit, le rebaptise d’un nom français noble, et l’introduit dans les cercles les plus fermés de l’aristocratie britannique.

Dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, un homme noir libre, fin bretteur, cavalier émérite, habillé de soie et de perruques poudrées, ne passe pas inaperçu. Formé par Domenico Angelo, maître d’armes des têtes couronnées d’Europe, Soubise devient professeur d’équitation et d’escrime… à une duchesse. Et, dans les cercles aristocratiques, il se fait appeler : « le Prince noir« , ou parfois, « Prince Ana-Ana-maboe« .

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique
Gravure de William Austin, « La duchesse de Queensberry et Soubise ».

Admis dans les clubs de l’élite londonienne, il incarne l’image dérangeante d’un homme noir trop visible, trop libre, trop raffiné. Il devient aussi acteur, musicien, orateur, formé par le célèbre David Garrick. Soubise fascine, dérange, amuse, inspire. Les caricaturistes s’en emparent. L’image du « Mungo Macaroni« , satire mordante mêlant racisme et classisme, naît.

En 1772, un dessin satirique publié par Matthew et Mary Darly le représente sous les traits de « Mungo« , valet noir grotesque issu d’une pièce d’opéra comique. Ce « Mungo Macaroni« , mélange de dandy et de domestique, fait rire Londres… mais cache la peur sociale qu’incarne Soubise.

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique
Représentation de Julius Soubise

Dans une société rigide, où la hiérarchie raciale est encore le socle invisible de l’ordre établi, Soubise dérange car il transcende sa condition d’origine. Il n’est plus l’esclave obéissant. Il est celui qui parle, rit, parade, débat, danse et enseigne.

En 1777, l’ascension de Soubise s’interrompt brutalement. Il quitte Londres pour l’Inde. Officiellement pour fuir ses excès. Officieusement, une rumeur enfle : une accusation d’agression sexuelle aurait provoqué son exil. Deux jours après son départ, la duchesse meurt.

À Calcutta, il fonde une école d’escrime et d’équitation ouverte… aux femmes comme aux hommes. Jusqu’à sa mort, survenue en 1798 à la suite d’une chute de cheval, il tente de recréer un espace de noblesse noire, loin de l’Occident.

Julius Soubise n’a pas laissé de livres, de manifeste, ni d’héritiers politiques. Mais son image survit dans les gravures, les mémoires et les récits des abolitionnistes. Ignatius Sancho, esclave affranchi devenu écrivain, lui adresse une lettre dans laquelle il l’exhorte à ne pas gaspiller sa chance.

Julius Soubise, le prince noir de la haute société britannique

Ce que Soubise incarne est rare et précieux : le droit d’être autre chose qu’un survivant. Il fut fêtard, provocateur, dandy, sportif, artiste… autant de rôles refusés à ses semblables. Sa vie n’est pas un conte. C’est une faille dans l’histoire : celle d’un homme noir qui, dans un monde d’hommes blancs, osa jouer avec leurs codes ; et parfois les surpasser.

Notes et références

  1. Miller, Monica L. Slaves to Fashion: Black Dandyism and the Styling of Black Diasporic Identity, Duke University Press, 2009.
  2. Carretta, Vincent. Unchained Voices: An Anthology of Black Authors in the English-Speaking World of the 18th Century, University Press of Kentucky, 2004.
  3. Gerzina, Gretchen Holbrook. Black London: Life Before Emancipation, Rutgers University Press, 1995.
  4. Rosenthal, Laura J. Infamous Commerce: Prostitution in Eighteenth-Century British Literature and Culture, Cornell University Press, 2006.
  5. Angelo, Henry. The Reminiscences of Henry Angelo, Ayer Publishing, 1972.
  6. Sancho, Ignatius. The Letters of the Late Ignatius Sancho, an African, Penguin Classics, édition annotée par Vincent Carretta, 1998.
  7. Innes, Catherine Lynette. A History of Black and Asian Writing in Britain, 1700–2000, Cambridge University Press, 2002.
  8. Ogborn, Miles. Spaces of Modernity: London’s Geographies 1680–1780, Guilford Press, 1998.
  9. British MuseumA Mungo Macaroni, caricature par Matthew et Mary Darly (1772), consultée via BritishMuseum.org.
  10. Oxford Dictionary of National Biography, notice « Soubise, Julius », par Vincent Carretta (édition en ligne, 2004).
  11. Yale Center for British ArtThe Duchess of Queensberry fencing with her protégé, 1773, William Austin, interactive.britishart.yale.edu.
  12. National Archives UK, « Black Presence: Asian and Black History in Britain », consulté le 17 janvier 2007.

Harriet Tubman, pionnière des droits civiques avant les droits civiques

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Née esclave vers 1820 dans le Maryland, Harriet Tubman devient l’un des visages les plus puissants de la lutte pour la liberté. Stratège de l’Underground Railroad, libératrice de plus de 300 esclaves, espionne pendant la guerre de Sécession, militante infatigable pour la justice sociale, elle traverse le XIXe siècle comme une flamme vivante. Sans discours, sans titres, mais avec la foi, le courage et la rage de ne jamais laisser les siens derrière.

Naissance d’une fille de la terre et du feu

Elle ne naît pas dans la clarté d’une date précise. Elle ne naît pas dans un lit, ni sous un toit. Araminta Ross, surnommée Minty, voit le jour dans l’anonymat du vent, quelque part vers 1820, dans les marécages étouffés du comté de Dorchester, dans le Maryland. Pas de certificat, pas de registres. Juste une naissance sous silence. Un souffle de plus dans une plantation qui en contenait trop.

Harriet Tubman, pionnière des droits civiques avant les droits civiques
Photographie d’Harriet Tubman, prise à Auburn, dans l’État de New York, vers 1868-1869.

Ses parents, Benjamin Ross et Harriet Green, sont esclaves. Leurs bras nourrissent la richesse d’autres. Leurs enfants ne leur appartiennent pas. Le ventre d’Harriet ne portait pas la promesse d’un avenir, mais la menace d’un inventaire humain. Dans ce monde inversé, chaque cri de nourrisson sonnait comme un futur à enchaîner.

Minty est l’une des plus jeunes de cette fratrie broyée par la loi du coton et du fouet. Dès l’âge de sept ans, on la loue comme on louerait un outil. Elle est envoyée chez des maîtres plus durs encore, où elle nettoie, récure, endure. Elle n’a pas encore de mots pour la douleur, mais déjà elle en connaît les chemins.

Harriet Tubman, pionnière des droits civiques avant les droits civiques
Harriet Tubman, leader abolitionniste américaine Harriet Tubman (à l’extrême gauche) debout avec sa famille et d’anciens esclaves qu’elle a aidés à s’échapper, vers 1887. Le deuxième mari de Tubman, Nelson Davis, est assis à sa gauche ; leur fille, Gertie, se tient entre eux. Tubman a épousé Davis, un vétéran de l’armée de l’Union, en 1869, et le couple a adopté Gertie en 1874. 

À douze ans, elle connaît sa première révolte. Elle tente d’intervenir quand un surveillant poursuit un autre esclave. Il lui jette un poids de fonte à la tête. Le projectile n’était pas pour elle. La blessure, si. Le crâne fracturé. Le sang. Les jours de délire. Le corps tremblant qui ne guérit jamais vraiment. À partir de ce jour, Minty n’est plus tout à fait de ce monde : elle entre et sort de la conscience. Elle tombe, se relève. Elle voit des choses que les autres ne voient pas.

Mais cette fracture ouvre autre chose : une voix intérieure. Des visions. Des songes. Des appels. Minty dit que Dieu commence à lui parler. Pas le Dieu des maîtres blancs, mais un Dieu du feu et de la délivrance. Un Dieu noir. Un Dieu libre.

Les autres la croient atteinte. Elle, elle se croit élue.

Elle ne sait pas encore que cette douleur, cette lumière étrange dans la tête, ce sera son étoile. Sa blessure devient oracle. Et dans le silence des nuits du Sud, alors que les autres dorment d’épuisement, elle commence à rêver de chemins cachés, de bois humides, de mains qu’on saisit et qu’on tire vers la fuite.

Elle n’a encore rien accompli. Mais déjà, elle a tout compris : sa vie ne sera pas vécue pour elle seule. Elle ne naît pas seulement esclave. Elle naît porteuse d’une autre vie. D’un peuple en marche.

Et dans l’ombre du Maryland, une étoile noire commence à se lever.

L’évasion comme naissance

Harriet Tubman, pionnière des droits civiques avant les droits civiques
The Underground Railroad, tableau de Charles T. Webber.

À vingt-cinq ans, elle change de nom comme on choisit un destin. Elle devient Harriet, en hommage à sa mère, celle qui l’a portée dans la douleur et la soumission, et Tubman, nom de son mari, John, un homme libre qui pourtant refusera de la suivre. Ce n’est pas un mariage qui la lie à lui, mais le vent de l’appel, l’évidence d’un départ.

Elle apprend qu’on veut la vendre, comme on vend un cheval ou une charrue. Le corps mis aux enchères, les liens tranchés par le bruit d’un marteau. Harriet refuse ce sort. Elle ne demande pas la liberté. Elle la prend. Une nuit, sans adieux, sans bagages, elle s’enfonce dans l’obscurité du Sud, guidée seulement par les étoiles et les psaumes qu’elle chante en silence.

Elle ne sait pas lire une carte, mais elle lit le ciel. Elle n’a pas d’armes, mais elle porte en elle un feu ancien, plus tranchant qu’une lame. Elle suit les chemins invisibles de l’Underground Railroad, cette toile clandestine tissée par des mains noires et blanches, par la peur, l’espoir et la solidarité. Des quakers, des abolitionnistes, des anonymes la guident d’une cache à l’autre. Parfois elle est cachée dans une charrette, parfois sous une couverture, parfois à genoux dans les bois glacés.

Harriet Tubman, pionnière des droits civiques avant les droits civiques
Les routes empruntées par le chemin de fer clandestin.

La Pennsylvanie, où elle arrive enfin, est une respiration. Le sol n’y juge pas, le vent n’y insulte pas. Elle est libre. Légalement. Spirituellement. Mais la liberté solitaire n’a pas de goût. Elle regarde autour d’elle et ne voit pas ses frères, ses sœurs, sa mère, son peuple.

Alors elle décide de revenir.

Et là commence sa vraie naissance : non pas comme esclave échappée, mais comme libératrice.

Elle traverse les frontières dix-neuf fois, comme on brave la mort à mains nues. Chaque retour est une gifle à l’ordre établi. Chaque départ est une promesse tenue. Elle revient chercher les autres. Pas par devoir. Par amour. Un amour qui n’a rien de doux ni de docile. Un amour rude, courageux, incandescent. L’amour d’une femme qui refuse de vivre libre dans un monde où les siens restent enchaînés.

Elle ramène des enfants dans ses bras, des vieillards sur son dos, des familles entières qui tremblent, qui espèrent, qui n’osent pas encore croire. Elle devient une rumeur, une ombre insaisissable. Les chasseurs d’esclaves la cherchent. Les esclaves prient pour qu’elle vienne.

Elle ne laisse pas de traces. Elle laisse des silences brisés. Elle laisse des cris qui respirent. Elle laisse des existences arrachées à la nuit.

Et chaque voyage, chaque pas dans la boue, chaque main tendue, ajoute une étoile à son nom. Harriet Tubman ne se contente plus d’être libre. Elle est devenue le passage lui-même. Une arche. Un souffle. Un mythe vivant.

« Vous serez libres, ou morts« 

Harriet Tubman, pionnière des droits civiques avant les droits civiques

On l’imagine souvent avec un châle sur les épaules et une Bible en main. Mais Harriet Tubman est plus proche d’une commandante de guerre que d’une sainte. Elle n’attend pas que le ciel tombe. Elle agit. Elle anticipe. Elle frappe vite. Silencieusement. Et toujours avec une précision implacable.

Chaque expédition est une opération militaire. Elle ne part jamais sans plan. Elle connaît les sentiers, les cachettes, les saisons. Elle sait que les journaux des planteurs ne publient pas d’avis de recherche le dimanche. Alors elle commence toujours le samedi, comme une première note dans une fugue vers le Nord. Elle prend de l’avance. Elle joue avec le temps, elle tord le calendrier à son avantage.

Quand des bébés pleurent, elle sort des herbes écrasées, des racines réduites en poudre, des préparations rudimentaires pour les faire dormir. Pas pour les calmer. Pour les sauver. Un cri d’enfant peut briser toute une caravane d’espoir.

Et quand un adulte doute, quand les jambes tremblent, quand la peur veut rebrousser chemin, Harriet lève son revolver. Sans trembler. Elle regarde dans les yeux celui qui hésite, celui qui pense pouvoir revenir en arrière, dénoncer les autres pour sauver sa peau.

Elle ne discute pas. Elle annonce :

« Tu avanceras. Ou tu mourras. Mais tu ne les entraîneras pas dans ta chute. »

C’est cette détermination qui la rend invincible. Cette clarté. Pas de demi-liberté. Pas de retour. Pas d’arrangement avec la peur. On franchit le fleuve ou on y laisse sa vie. Et avec elle, on choisit. Une fois pour toutes.

Harriet n’échoue pas. Jamais. Pas un seul de ses passagers ne sera repris. Elle sauve plus de 300 vies. Des enfants, des vieillards, des couples, des femmes enceintes. Chacun d’eux une étoile qu’elle ravit à la nuit.

Les maîtres blancs, humiliés, offrent 40 000 dollars pour sa capture. Une somme colossale. Mais Harriet est introuvable. Elle est un souffle entre les branches, un bruissement dans le maïs, une lueur dans l’obscurité. Elle disparaît. Elle surgit. On croit l’avoir cernée, elle est déjà ailleurs.

Pour les chasseurs d’esclaves, elle devient une rumeur, une obsession, une énigme. Pour les esclaves, elle est plus qu’une femme. Elle est la preuve vivante que l’impossible peut être traversé. Qu’une femme noire, sans éducation, sans armée, sans chevaux ni épées, peut faire plier un empire. Non pas en frappant. En libérant.

Et derrière elle, les chaînes tombent comme la pluie.

Moïse en robe de coton

Harriet Tubman, pionnière des droits civiques avant les droits civiques
Harriet Tubman, vers 1900. © Photos.com/Getty Images

Les esclaves l’appellent Moïse, non parce qu’elle réclame un titre, mais parce qu’elle fait traverser la mer d’ombre et de fouet. Elle ne divise pas les eaux d’un bâton. Elle fend les marais, les forêts, les silences. Elle n’a ni tables de la loi, ni couronne de feu : seulement une robe de coton râpé, des bras fatigués, une volonté que rien ne plie.

Elle n’écrit pas. Elle ne signe ni tracts, ni manifestes. Son nom ne s’imprime pas dans les journaux abolitionnistes. Elle n’a pas la parole des hommes instruits, mais elle a le pas du prophète. Celui qui avance, qui conduit, qui ne se retourne jamais.

Les figures les plus éminentes de l’Amérique noire la reconnaissent. Frederick Douglass, lui-même évadé, écrivain, orateur redoutable, l’admire en silence :

« Toi, Harriet, tu ne parles pas dans les salons. Tu sauves les tiens. »

John Brown, le révolutionnaire blanc qui mourra pendu pour avoir armé des esclaves, dira d’elle :

« Elle est l’un des êtres les plus courageux que l’Amérique ait portés. »

Et pourtant, elle ne réclame ni statue, ni salaire. Elle dort là où on l’accueille. Elle mange ce qu’on lui donne. Quand elle ne marche pas, elle soigne. Elle chante. Elle prie. Et quand les plaies sont trop grandes, elle pose la main.

Dans les réunions abolitionnistes, elle ne parle pas comme une intellectuelle, mais comme celle qui a vu les chaînes de près, qui les a brisées, qui en porte encore les traces sur la peau. Son autorité n’est pas théorique. Elle est charnelle. Spirituelle. Incarnée.

Elle ne dit pas « je crois », elle dit « je sais ».

Elle sait ce que coûte la liberté. Elle sait ce que vaut une vie arrachée à l’enfer. Elle sait qu’on ne mène pas les siens par des idées, mais par des actes. Des pieds nus dans la boue. Une main tendue dans le noir. Un souffle qui dit : suis-moi.

Et ils la suivent.

Parce qu’elle ne promet pas. Elle délivre.

Parce qu’elle n’imagine pas. Elle agit.

Parce qu’elle n’est pas née pour être un symbole, mais une route. Une arche vivante.

Et si l’Histoire ne l’avait pas surnommée Moïse, elle aurait fini par lui voler son nom.

Une femme de guerre, une femme d’avenir

Harriet Tubman, pionnière des droits civiques avant les droits civiques

Quand la guerre civile éclate, Harriet Tubman ne reste pas à l’arrière. Elle ne regarde pas les batailles à travers les rideaux d’une maison du Nord, mains jointes dans la prière, cœur au repos. Elle enfile un uniforme de fortune, sans grade ni solde, et entre dans l’Histoire comme elle a toujours vécu : en avançant.

Elle est infirmière, lavant les plaies gangrenées des soldats noirs que d’autres refusaient de soigner. Elle est cuisinière, nourrissant les affamés, rassemblant les corps et les esprits. Elle est surtout espionne, glissant à travers les lignes confédérées comme un vent qu’on ne sent que trop tard. Elle déchiffre les silences, interroge les esclaves, recense les fortifications. Elle transmet des informations précieuses à l’armée de l’Union.

Et puis, il y a le raid de Combahee River, en Caroline du Sud. 1863. Tubman le planifie avec les officiers. Elle guide les troupes le long du fleuve comme elle l’a fait tant de fois pour les siens. Résultat : trois bateaux nordistes, des plantations incendiées, et plus de 700 esclaves libérés en une nuit. Un exploit. Une première. La première femme noire à diriger une opération militaire dans l’histoire des États-Unis.

Mais la guerre n’est qu’un chapitre. Elle sait que la paix, elle aussi, demande des combattants.

Elle retourne à Auburn, dans l’État de New York. Elle épouse Nelson Davis, un ancien soldat, bien plus jeune qu’elle. Pas un mariage de contes, mais un pacte de vie. Ensemble, ils ouvrent un refuge pour les pauvres, les anciens, les oubliés. Elle y travaille jusqu’à l’épuisement. Elle console, elle écoute, elle lave les corps, elle apaise les derniers jours.

Elle milite aussi. Pour les femmes. Pour le droit de vote. Elle prend la parole dans les réunions suffragistes, se tenant droite, modeste, mais inébranlable. Quand elle parle, ce ne sont pas des mots qu’on entend : ce sont des siècles d’effacement qu’on voit se redresser.

Elle aurait pu écrire ses mémoires, collecter les récompenses, vivre dans l’hommage. Elle ne le fera jamais. Elle ne réclame pas la lumière. Elle réclame la justice. Pas pour elle, mais pour tous ceux qui viendront après.

Elle n’a jamais demandé à être une héroïne. Elle a choisi d’être utile. De son vivant, on l’a souvent oubliée. On a payé d’autres, décoré d’autres. Mais elle, elle a bâti l’avenir.

Non pas en or. En courage, en labeur, en amour.

Et cet avenir porte encore son empreinte ; dans chaque femme noire debout, dans chaque combat pour la dignité, dans chaque rêve d’égalité qu’on ose encore croire possible.

La traversée finale

Harriet Tubman, pionnière des droits civiques avant les droits civiques
Harriet Tubman, vers 1913. © Photos.com/Getty Images

Elle s’éteint en mars 1913, dans un modeste foyer qu’elle avait elle-même bâti, non pour y mourir, mais pour y accueillir les âmes brisées par l’histoire. À Auburn, dans l’État de New York, Harriet Tubman quitte le monde comme elle l’a traversé : discrètement, debout dans sa foi, entourée de ceux que la société avait jetés aux marges.

Elle est vieille. Elle est malade. Elle est pauvre. Mais elle est riche de chaque vie qu’elle a touchée. Riche d’avoir libéré sans compter, d’avoir soigné sans relâche, d’avoir aimé sans peur. Elle meurt sans titre officiel, sans cérémonie d’État. L’Amérique ne sait pas encore qu’elle vient de perdre une souveraine.

Ses derniers mots sont une promesse :

« Je pars préparer une place pour vous. »

Pas une phrase d’adieu. Une phrase de passeur. Encore. Toujours. Car même dans la mort, elle n’envisage pas le repos sans penser aux autres.

Elle ne laisse ni fortune, ni fondation. Pas de grands discours, pas de statue en bronze érigée de son vivant. Mais elle laisse une trace. Une empreinte plus profonde que le marbre.

Elle laisse un nom qui brûle encore. Harriet Tubman. Un nom qui fend le silence. Un nom que les enfants apprennent à l’école, que les militants brandissent dans les rues, que les artistes inscrivent dans leurs chansons, leurs toiles, leurs vers.

Son visage, jadis effacé des registres, commence à réapparaître partout : sur les murs des écoles, dans les livres d’histoire, et bientôt (comme un symbole éclatant) sur les billets de vingt dollars, là où trônait jadis le portrait d’un président esclavagiste.

Mais au-delà des images, c’est son souffle qui demeure. Un souffle de marche, de feu, de dignité. Il traverse les luttes contre le racisme systémique, le patriarcat, l’exploitation, l’amnésie. Il habite les pas de celles et ceux qui refusent l’injustice. Il murmure dans les cortèges, dans les prières, dans les rêves encore inachevés.

Harriet Tubman est morte. Mais elle est là, dans chaque main tendue vers l’autre rive.
Elle est là, à chaque fois qu’une voix se lève pour dire non.
Elle est là, à chaque fois qu’un peuple marche sans se retourner.

Elle n’a pas été une femme du passé.
Elle est une femme de la traversée.
Et nous vivons, encore aujourd’hui, dans son sillage.

Notes et références

  1. Larson, Kate Clifford. Bound for the Promised Land: Harriet Tubman, Portrait of an American Hero, Ballantine Books, 2004.
  2. Clinton, Catherine. Harriet Tubman: The Road to Freedom, Back Bay Books, 2005.
  3. Still, William. The Underground Railroad, 1872.
  4. National Park Service – U.S. Department of the Interior. Harriet Tubman Underground Railroad National Historical Park.
  5. Library of Congress. Harriet Tubman Papers.
  6. Dunbar, Erica Armstrong. She Came to Slay: The Life and Times of Harriet Tubman, 37 Ink, 2019.
  7. New York Times – Overlooked No More: Harriet Tubman.
  8. Documentaire : Harriet Tubman: Visions of Freedom, PBS / American Experience, réalisé par Stanley Nelson, 2022.
  9. BlackPast.org – Tubman, Harriet (c. 1820-1913)
  10. National Women’s History Museum. Harriet Tubman Biography.