Le « Code noir », ce fantôme juridique en voie d’abolition

Bayrou promet la fin du Code noir : quand la République soigne ses oublis

3 mai 2025, Assemblée nationale. Dans l’hémicycle tendu des Questions au gouvernement, un député soulève une anomalie troublante, presque irréelle : le « Code noir », cet édit royal du XVIIᵉ siècle qui légiférait sur l’esclavage dans les colonies françaises, n’aurait jamais été formellement abrogé.

Face à l’assemblée, François Bayrou, Premier ministre, se lève. Sa voix, habituellement posée, trahit une certaine stupeur :

« Grâce à votre question, je découvre cette réalité juridique que j’ignorais absolument. »


Dans un moment de gravité rare, il s’engage : un texte sera présenté pour enfin acter, symboliquement mais nécessairement, l’abolition du Code noir.

Ainsi, sous les ors de la République, un fragment oublié d’une histoire douloureuse remonte à la surface. Car derrière la technicité législative, c’est la mémoire de millions d’hommes et de femmes réduits en esclavage qui réclame justice et reconnaissance.

Pourquoi, en 2025, la France doit-elle encore solder les héritages juridiques du colonialisme ? Comment un texte aussi chargé de violence a-t-il pu survivre silencieusement dans l’ombre des grands récits nationaux ?

Nofi explore l’histoire, l’oubli, et l’enjeu politique autour du « Code noir » ; ce fantôme du passé que la République cherche enfin à exorciser.

Organiser l’esclavage colonial

À la fin du XVIIᵉ siècle, alors que la France étend son empire colonial aux Antilles (Saint-Domingue, Martinique, Guadeloupe), l’économie sucrière impose un besoin crucial de main-d’œuvre.
Face à cette réalité économique, Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, élabore en 1685 une ordonnance destinée à réguler juridiquement l’esclavage dans les colonies françaises1.

Le Code noir, tel qu’il sera connu, vise officiellement à :

  • Encadrer la traite et la possession d’esclaves noirs.
  • Normaliser les rapports entre colons, esclaves et administration royale.
  • Maintenir l’ordre social tout en s’assurant de la conversion catholique des captifs.

Les esclaves y sont définis explicitement comme des « biens meubles » : ils peuvent être achetés, vendus, transmis par héritage au même titre qu’un objet ou une parcelle de terre.

  • L’article 44 est sans ambiguïté :

« Déclarons les esclaves être meubles. »

La violence physique est légalisée et encadrée :

  • Les maîtres sont autorisés à infliger des punitions corporelles, des marquages au fer, des mutilations (notamment la coupe d’oreilles pour tentative de fuite).
  • Cependant, l’assassinat d’un esclave est théoriquement passible de sanction, non par humanisme, mais pour protéger la valeur économique du « bien ».

La dimension religieuse est également essentielle :

  • Les maîtres ont l’obligation de baptiser leurs esclaves et de leur imposer la foi catholique.
  • Toute pratique de religions africaines, ou tout culte autre que celui de l’Église catholique, est strictement interdit et réprimé.

Ce corpus de soixante articles constitue ainsi une institutionnalisation de l’esclavage par l’État français :

  • Il ne se contente pas de tolérer la traite ; il la légitime juridiquement,
  • Et il construit une hiérarchie raciale officiellement reconnue.

Plus qu’une simple loi coloniale, le Code noir symbolise l’organisation rationnelle d’un système d’exploitation humaine, placé au cœur du projet colonial français.

une abolition incomplète

Le "Code noir", ce fantôme juridique en voie d’abolition

La fin du XVIIIᵉ siècle bouleverse l’ordre établi en Europe et dans ses colonies. Sous l’impulsion des idées des Lumières et de la Révolution française, la question de l’esclavage, jusqu’alors considérée comme un fait naturel de l’économie coloniale, entre enfin dans le débat public.

En 17942, dans un contexte d’agitation révolutionnaire en métropole et de révoltes massives d’esclaves à Saint-Domingue (notamment la célèbre insurrection menée par Toussaint Louverture), la Convention nationale adopte le décret du 4 février 1794, proclamant :

« L’esclavage est aboli dans toutes les colonies françaises. »

Pour la première fois, une nation occidentale abolit juridiquement l’esclavage sur l’ensemble de son empire colonial. Cependant, cette abolition est aussi fragile que l’équilibre politique révolutionnaire lui-même :

  • La mise en œuvre est inégale : certaines colonies tardent à appliquer la loi.
  • L’abolition est perçue davantage comme une mesure stratégique pour conserver les colonies que comme une véritable reconnaissance des droits des esclaves.

À peine quelques années plus tard, Napoléon Bonaparte, devenu Premier Consul, rétablit l’esclavage par la loi du 20 mai 18023.

  • Cette décision cynique vise à restaurer la prospérité économique des colonies sucrières des Antilles, alors en crise.
  • Napoléon affirme que l’égalité raciale est incompatible avec les intérêts économiques de l’Empire colonial.

Le Code noir reprend alors vigueur, renforçant l’ordre esclavagiste et provoquant des soulèvements dramatiques, notamment en Guadeloupe et en Guyane.

Il faut attendre la Deuxième République, en avril 18484, pour que l’esclavage soit aboli de manière irrévocable dans les colonies françaises.

  • Le décret est impulsé par Victor Schœlcher, fervent abolitionniste et sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies.

Le texte proclame :

« Nulle terre française ne peut porter d’esclaves. »

Cependant, un paradoxe demeure :

  • Si l’esclavage est bien interdit,
  • Le « Code noir », comme texte juridiquen’est jamais expressément abrogé.

Cette lacune législative, laissée dans l’ombre, va traverser les siècles jusqu’à ressurgir de manière spectaculaire en 2025.

Pourquoi l’absence d’abrogation dérange ?

Au lendemain de l’abolition de 1848, l’urgence est à la reconstruction des colonies et à la redéfinition du travail libre.

  • La France abolit l’esclavage, mais elle ne prend pas soin de nettoyer ses textes fondateurs.
  • Résultat : le Code noir, bien que rendu inapplicable par la suppression légale de l’esclavage, n’est jamais explicitement abrogé.

Ce silence administratif, probablement perçu à l’époque comme anecdotique, prend aujourd’hui une signification symbolique majeure :

  • Le fait qu’un texte asservissant des millions d’êtres humains reste inscrit dans l’arsenal juridique national constitue une forme d’oubli, voire de déni.
  • Il témoigne d’une hésitation historique à pleinement assumer le passé colonial et esclavagiste.

La persistance du Code noir dans les archives juridiques françaises alimente, au XXIᵉ siècle, des revendications mémorielles de plus en plus fortes :

  • Descendants d’esclaves,
  • Intellectuels,
  • Associations antiracistes,
  • Historiens engagés dans un travail de reconnaissance des traumatismes collectifs.

Pour eux, l’absence d’abrogation formelle n’est pas une simple bizarrerie juridique :

  • C’est un symptôme profond d’un retard dans le travail de mémoire.
  • C’est le reflet d’une République qui a célébré ses idéaux sans toujours réparer ses propres blessures historiques.

Aujourd’hui, abolir officiellement le Code noir, même purement symbolique d’un point de vue juridique, a une portée immense :

  • Cela revient à affirmer hautement que la France ne tolère plus dans ses textes fondamentaux aucun vestige d’un système inhumain.
  • C’est réconcilier les principes de liberté, d’égalité et de fraternité avec la réalité historique.

Car au-delà du droit, il s’agit d’une question de dignité, de mémoire réparatrice, et d’un geste politique pour bâtir une histoire commune plus lucide.

La promesse de François Bayrou

Le "Code noir", ce fantôme juridique en voie d’abolition
Le Premier ministre, Francois Bayrou, sera auditionné mercredi 14 mai à 17 heures par la commission d’enquête parlementaire sur le contrôle de l’état sur les violences scolaires. • © JULIEN MATTIA / LE PICTORIUM / MAXPPP

Le 13 mai 2025, à l’Assemblée nationale, le député Laurent Panifous5 (groupe LIOT) interpelle solennellement le Premier ministre François Bayrou.

Dans une atmosphère tendue, il rappelle une évidence dérangeante : malgré l’abolition de l’esclavage en 1848, le « Code noir » n’a jamais été abrogé par un acte formel.

Dans un geste rare, Bayrou reconnaît publiquement cet oubli :

« Si le Code noir n’a pas été aboli en 1848, il faut qu’il le soit. 6»

À cet instant, l’émotion dépasse le simple débat juridique.
Il est question de réconciliation morale entre la République et son histoire coloniale.

Face à l’Assemblée, François Bayrou s’engage :

  • Un texte législatif sera présenté dans les semaines suivantes,
  • Afin d’acter officiellement l’abolition du Code noir,
  • Et de réaffirmer les valeurs fondamentales de dignité humaine.

Le Premier ministre espère un vote unanime, dépassant les clivages politiques habituels.
Il ne s’agit plus simplement d’amender un vieux texte : il s’agit de purger le droit français d’une souillure historique, pour aligner définitivement mémoire et législation.

En choisissant de traiter ce dossier avec urgence et solennité, le gouvernement français adresse :

  • Un hommage tardif aux millions de victimes de l’esclavage colonial,
  • Un geste de justice mémorielle envers leurs descendants,
  • Et une affirmation claire que la République ne peut tolérer aucune trace, même symbolique, d’oppression codifiée.

Ainsi, l’abolition formelle du Code noir deviendra un acte politique fondateur pour une France contemporaine pleinement consciente de ses héritages ; et prête à les assumer.

Abolir un texte, ce n’est pas abolir un passé.

En décidant enfin d’abroger formellement le « Code noir », la France ne corrige pas seulement une lacune administrative ; elle accomplit un geste symbolique essentiel : reconnaître que le droit aussi peut porter les cicatrices de l’histoire.

Ce long oubli, devenu visible en 2025, rappelle que la mémoire n’est jamais définitivement acquise.

Elle exige vigilance, engagement, et parfois des actes tardifs mais nécessaires pour réconcilier les principes fondateurs de la République avec les réalités complexes de son passé colonial.

Le « Code noir » n’est plus appliqué depuis longtemps, certes.

Mais son ombre persistante illustre combien le droit et la mémoire sont intimement liés : ce que l’on n’efface pas juridiquement continue d’exister dans l’imaginaire collectif.

Effacer un texte infâme, c’est proclamer que la dignité humaine ne tolère aucun compromis, ni dans les faits, ni dans les mots.

Car l’histoire ne s’efface pas, mais elle peut être réparée, pas à pas, mot après mot.

Sources

Notes

  1. Ordonnance de mars 1685, dite Code noir, promulguée sous Louis XIV pour réglementer l’esclavage dans les colonies françaises. Source : Archives nationales, section Colonies, dossier Code noir. ↩︎
  2. Décret du 4 février 1794, Convention nationale : « La Convention nationale déclare l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies. » Débats et décrets révolutionnaires, tome XVII. ↩︎
  3. Loi du 20 mai 1802, sous Napoléon Bonaparte : restauration officielle de l’esclavage dans les colonies françaises. Texte consultable sur Gallica (BnF). ↩︎
  4. Décret du 27 avril 1848, signé par Victor Schœlcher : abolition définitive de l’esclavage dans les territoires coloniaux français. Archives nationales, fonds Colonies XIXᵉ siècle. ↩︎
  5. Intervention de Laurent Panifous, Assemblée nationale, séance du 13 mai 2025 : « La France n’a jamais formellement abrogé le Code noir. » Journal Officiel de l’Assemblée nationale, QAG. ↩︎
  6. Déclaration de François Bayrou, Premier ministre, séance du 13 mai 2025 : « Si le Code noir n’a pas été aboli, il doit l’être, pour réconcilier la République avec son histoire. » Journal Officiel de l’Assemblée nationale, QAG. ↩︎
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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