Kemi Seba, l’intellectuel organique au service du panafricanisme radical

De la rue aux bancs de la faculté de droit, du militantisme politique à la recherche en philosophie, le parcours de Kemi Seba dessine les contours d’un intellectuel organique enraciné dans son temps. À la fois autodidacte et formé dans les cadres académiques africains, il incarne une trajectoire singulière au service du panafricanisme contemporain.

Kemi Seba, entre autodidaxie et rigueur académique

Kemi Seba est connu pour son parcours scolaire atypique. Élève en section scientifique au lycée, il présente dès ses premières années une réelle capacité d’analyse et une curiosité marquée pour les disciplines abstraites. Pourtant, à l’adolescence, un tournant s’opère : autour de ses 17 ans, il commence à sécher les cours, au grand dam de ses parents, et se rapproche progressivement des quartiers afros de la banlieue parisienne.

Ce basculement ne signifie pas un désintérêt pour le savoir, mais marque l’entrée dans une autre forme d’apprentissage, informelle et urbaine. C’est à cette époque qu’il se passionne pour le hip-hop, qui devient le premier vecteur par lequel il commence à aborder les questions liées au racisme. Cette musique, au carrefour de l’expérience noire américaine et des réalités sociales locales, entre en résonance directe avec la négrophobie qu’il subit depuis l’enfance.

Le rap agit comme une prise de conscience. Ce n’est pas encore un éveil politique au sens classique, mais un déclencheur émotionnel et intellectuel, un miroir sonore de son vécu. À travers les textes, les flows et les discours d’artistes engagés, il découvre une manière de nommer ce qu’il ressent, de penser la condition noire, et de se projeter dans une identité affirmée.

Quelques années plus tard, entre 2000 et 2002, Kemi Seba effectue un retour structuré aux études, en s’inscrivant aux cours du soir à la Faculté de droit de l’Université Paris X – Nanterre. C’est un choix délibéré, mû par une volonté d’ancrer ses réflexions dans une compréhension rigoureuse des systèmes juridiques.

Pendant deux ans, il suit avec assiduité une formation exigeante, alliant lectures théoriques, exercices pratiques et examens. À l’issue de la première année, il se classe major de sa promotionpremier sur 200 étudiants. Il obtient son diplôme de capacité en droit avec mention à l’issue du cycle.

Cette étape universitaire, bien qu’interrompue par la suite, marque profondément son rapport au savoir. Le droit lui fournit une structure intellectuelle : logique, argumentation, articulation du langage juridique et politique. C’est aussi une manière d’entrer dans la pensée stratégique, de décrypter les rouages du pouvoir.

Après l’obtention de son diplôme, Kemi Seba choisit de quitter l’université afin de se consacrer pleinement à ce qu’il considère comme une priorité : sa formation idéologique par le biais du militantisme politique. Il investit alors d’autres espaces d’apprentissage : ceux du terrain, des mouvements panafricanistes, des conférences, des débats publics, des lectures autonomes et des cercles d’étude.

Loin d’abandonner la rigueur, il la transpose dans un cadre plus organique, au sein de structures militantes où l’étude des textes classiques du panafricanisme, les discussions idéologiques et les stratégies de mobilisation deviennent le cœur d’une nouvelle pédagogie. Le militantisme, pour lui, est une école de discipline, un laboratoire intellectuel autant qu’un espace de combat.

Durant cette période, il approfondit ses lectures sur la pensée noire, les traditions africaines, les courants nationalistes et décoloniaux. Il forge sa propre vision politique en lien avec les luttes diasporiques et les réalités du continent africain.

Ce n’est qu’en 2011 que Kemi Seba reprend des études universitaires, cette fois dans le champ de la philosophie politique et de la méthodologie de la recherche. Il s’engage alors dans une formation accélérée en philosophie, qu’il suit de 2011 à 2015 au sein de l’ICAD (Institut Cheikh Anta Diop), un centre de recherche rattaché à l’Université Omar Bongo de Libreville, au Gabon.

La formation se déroule sous la direction du philosophe gabonais Grégoire Biyogo, auteur prolifique et théoricien reconnu de l’herméneutique négro-africaine. Cette période constitue un approfondissement majeur dans son parcours. L’enseignement qui lui est transmis mêle rigueur scientifique, engagement épistémologique et exploration critique des fondements de la pensée africaine.

Les contenus abordent les grandes figures de la pensée postcoloniale, la philosophie politique africaine contemporaine, les traditions orales en tant que vecteurs de connaissance, et les approches méthodologiques nécessaires à une recherche située.

À l’issue de ce processus, conclu une fois de plus avec distinctionKemi Seba est fait chercheur en philosophie au sein du même institut. Ce statut marque une reconnaissance de sa capacité à produire de la pensée à partir d’une base méthodologique et conceptuelle solide.

En avril 2025, l’Université congolaise Bel Campus, située à Kinshasa, lui décerne un doctorat honorifique en sciences politiques, en reconnaissance de son impact idéologique sur le panafricanisme au XXIe siècle, à la fois sur le continent africain et dans les diasporas caribéennes.

Cette distinction universitaire vient saluer un engagement intellectuel de long terme, et une capacité à articuler théorie et action, savoir et mobilisation, rigueur académique et enracinement populaire.

Elle consacre également une influence croissante sur les jeunesses africaines et diasporiques, nombreuses à s’inspirer de son discours, de son itinéraire et de sa pédagogie militante. Le choix de Bel Campus souligne l’importance prise par sa pensée dans les débats géopolitiques, culturels et idéologiques de l’Afrique contemporaine.

Le parcours de Kemi Seba est marqué par une tension féconde entre autodidaxie et formation universitaire formelle. D’un côté, il y a l’homme du terrain, du texte lu hors cadre, du débat improvisé, de l’engagement forgé dans l’action. De l’autre, il y a l’étudiant assidu, le diplômé en droit, le chercheur en philosophie.

Loin d’être contradictoires, ces deux dimensions se renforcent mutuellement. L’autodidaxie lui offre la liberté, la curiosité et l’ancrage. Le cursus académique lui confère la méthode, la précision et la reconnaissance. Ensemble, elles forment une figure d’intellectuel organique, dans le sens le plus fort du terme : un penseur issu du peuple, connecté à ses aspirations, mais porteur d’un outillage théorique forgé dans l’exigence.

Du lycée scientifique aux bancs de la faculté de droit, du militantisme aux recherches philosophiques, Kemi Seba trace une trajectoire singulière, entre ancrage communautaire et élévation intellectuelle. En conciliant autodidaxie et excellence académique, il incarne une forme de souveraineté intellectuelle propre au panafricanisme du XXIe siècle : celle d’un savoir enraciné, exigeant, utile et libre.

Fait chercheur en philosophie après une formation de quatre années à l’ICAD, honoré par une université africaine majeure, Kemi Seba inscrit son parcours dans une dynamique plus large : celle des penseurs africains qui refusent l’assignation, redéfinissent les formes du savoir, et bâtissent des ponts entre les mémoires, les luttes et l’avenir.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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