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« PASSING » : FILM EN NOIRES ET BLANCS

Cinéma

« PASSING » : FILM EN NOIRES ET BLANCS

Par Dozilet Kpolo 31 janvier 2022

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Passing, c’est exactement le genre de film que tu as négligé avant de te rendre compte qu’il valait le coup.

[Assure-toi d’avoir vu le film avant de lire l’article, s’il te plaît !]

« Y a un film sur Netflix-là… » démarrent très souvent de multiples soirées en tête-à-tête, avec la lumière d’une pièce éloignée, en guise de chandelles. Chacun économise l’énergie pour sauver la planète comme il peut.

La plupart du temps, après des heures et des heures de recherche infructueuse pour savoir quel long-métrage récémment sorti finalement regarder, le choix se porte sur un plus ancien mais toujours d’actualité : Passing.

Filmé en black and white, ce drame met côte-à-côte : Irene et Clare, deux jeunes femmes métisses qui pour se fondre dans l’Amérique blanche et raciste des années 1920, pré-Krach boursier, se font passer pour des…blanches. D’où le terme…Passing. On s’y croirait presque dans ce « pays des droits de l’homme » où par exemple selon une enquête réalisée par SOS Racisme, il y a quelques années, une personne originaire d’Afrique subsaharienne aurait 38% de chances en moins d’obtenir un logement et doit donc utiliser des subterfuges.

Lumière/caméra/action sur Passing, film en noires et blancs.

UNE AMIE QUI VOUS UN PEU TROP DE BIEN !

« PASSING » : FILM EN NOIRES ET BLANCS
La tête que tu fais quand tu vois les problèmes venir. ©️Tous droits réservés

Mère au foyer de deux garçons, Irene (Tessa Thompson, aux côtés de Michael B. Jordan dans Creed), fait très souvent des courses des quartiers blancs et ces boutiques très bien achalandées. Puis, il lui arrive de prolonger l’expérience solitaire dans un de ces cafés-restaurants où des couples heureux se mangent littéralement la bouche plutôt que les délicieux mets chers qu’ils ont commandés. C’est dans l’un d’entre eux que la jeune femme rencontre une vielle connaissance du Lycée, une amie qui lui veut tout de suite un peu trop de bien : Clare (Ruth Negga, Loving).

Sophistiquée et extravertie, Clare semble être heureuse dans sa vie mais voilà, la jeune métisse cache un lourd et terrible secret y compris à son raciste de mari riche John (Alexander Skarsgård, Tarzan) : c’est une noire qui se fait passer pour une blanche. Ce terrible et lourd secret que la femme menue porte à même sa peau claire l’empoisonne depuis des années. Alors, à la faveur de sa rencontre avec Irene, ou encore cet espèce de flirt avec Brian, le mari de sa vieille copine, (joué par le très bon André Holland vu Moonlight), elle diffuse le poison emmagasiné dans son cœur et son esprit au point de bouleverser la vie de sa camarade, puis de sa famille, etc. Avant que sa mort tragique et suspicieuse ne soit pas élucidée.

TESSA, NEGGA, AMIES À FLEUR DE PEAU

« PASSING » : FILM EN NOIRES ET BLANCS
Amitié prise en charge façon façon. ©️Tous droits réservés

Plus Housewive que Desperate, Irene est l’archétype de la parfaite petite épouse qui prend soin d’elle-même et de sa famille ; le genre qui plairait par exemple à ceux qui pensent que « La place de la femme est à la cuisine ! » et non la Quizzine. Dommage !

Campé par Tessa Thompson vu aussi dans Dear White People ou Thor : Ragnarok, Irene est à la fois gentille et désagréable, sûre d’elle et tourmentée ; c’est Clare, sa boule d’énergie de copine, qui dévoile ces faces de la même personne.

Portée à l’écran par la sublime Ruth Negga que tu as aussi aperçue dans l’adaptation gênante du jeu vidéo World of Warcraft, Warcraft : le commencement, ou encore dans le malaisant Le Samaritain, avec Samuel L. Jackson, Clare, c’est ce petit bout de femme à priori inoffensif mais qui au final chamboule tout sur son passage.

Longtemps en guerre contre elle-même et sa peau claire qui fait automatiquement d’elle une super minorité dans cette very White America des twenties, la rencontre avec sa partenaire des pistes de danse, sur lesquels des gens endimanchés cassent carreau, dansent énergiquement, la fait revivre un peu/beaucoup/intensément.

Tel François, cette dépensière mène la Vie de Lougah, la brûle par les deux bouts, avant de mourir sur le froid et enneigé sol new-yorkais.

La vision de ce petit corps sans vie dans la neige blanche et surtout le fait que son mari fortuné, furieux d’avoir découvert le pot-aux-roses, ait voulu ensuite se jeter sur elle mais ne sera finalement que très peu interrogé, fait penser au cas tragique de Lauren Smith Fields.

Cette jeune afro-américaine de 23 ans retrouvée morte sur le sol de son appartement après un date avec un homme blanc dont « le côté sympathique aurait empêché la police d’enquêter sur lui ». CQFD.

DRÔLES D’HOMMES EN SECOND PLAN

« PASSING » : FILM EN NOIRES ET BLANCS
Eh, je suis dans quoi ? ©️Tous droits réservés

Autour ce duo tragique d’amies, tournent le mari Brian, interprété par un André Holland au jeu toujours aussi délicat et extrêmement beau à voir, mais aussi John, le mari blanc et raciste, ou encore Bill, l’ami gênant joué par Bill Camp, brillantissime dans la très bonne mini-série The Night Of.

« PASSING » : FILM EN NOIRES ET BLANCS
Le mari qui pense que sa femme est Blanche-Neige. ©️Tous droits réservés

Mais si ce film d’abord diffusé au Sundance Film Festival, début 2021 puis sur Netflix, quelques mois plus tard, est beau esthétiquement, il l’est aussi dans sa fine manière de raconter à la fois une supercherie qui a longtemps existé aux États-Unis : le Passing. Ou l’art de se faire passer pour un Blanc. Mais aussi un thème toujours d’actualité : la dépigmentation.

MAIS AU FOND, QUI VEUT LA PEAU NOIRE ?

Du film Le Majordome, et l’histoire cet afro-américain qui a servi plus d’une demi-douzaine de présidents des États-Unis, à Concrete Cowboy, coup de projecteur sur des cowboys noirs, en passant par BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan, comédie noire sur l’histoire vraie de ce policier noir qui a infiltré la blanche organisation suprémaciste, plusieurs pans de l’histoire afro-américaine sortent lentement mais sûrement.

La plupart du temps, ce sont des réalisateurs noirs qui portent ses projets à l’écran.

HARLEM RENAISSANCE

Avec Passing, les choses sont différents puisque c’est l’actrice Rebecca Hall, petite amie naïve de Ben Affleck dans The Town, qui l’a réalisé ; il s’agit de son premier film par ailleurs basé sur l’ouvrage du même de Nella Larsen. Sorti en 1929, son roman s’inscrit dans la Harlem Renaissance ; période de l’entre-deux-guerres où l’arrivée de Noirs, autrefois confinés dans les états sudistes et racistes, crée un bouillonnement culturel, festif et musical dans de grandes villes comme New-York.

UNE RÉALISATRICE AFRO-AMÉRICAINE

« PASSING » : FILM EN NOIRES ET BLANCS
C’est Rebecca qui a fait le son ! ©️Tous droits réservés

Bien que blanche de peau, l’actrice – bientôt quadragénaire – née à Londres a un côté afro-américain par le biais de son grand-père maternel.

Et la réalisation de ce film qui dure 1 heure et 38 minutes est assurément un moyen de plonger dans sa propre histoire.

NE RESTE PAS À TA PLACE !

Mais pendant sa plongée dans les eaux troubles de cette Amérique du début du 20ème siècle, où pour échapper aux lois ségrégationnistes de Jim Crow, des Noirs se faisaient donc passer pour des Blancs, en mentant sur leurs origines par exemple, Rebecca Hall ramène à des réalités malheureusement bien contemporaines. Tels que ces combats menés par la brillante et bouillonnante journaliste Rokhaya. Bien qu’elle soit énormément critiquée à chaque prise de parole quasiment, l’auteure de Ne reste pas à ta place – Comment arriver là où personne ne vous attendait pousse au dépassement de soi pas au blanchiment de la peau comme très bien expliqué dans un article de France Culture.

C’est tout le contraire que Clare fait dans ce film dont le titre français, Clair-obscur, efface la dimension historique du comportement déviant de l’autre héroïne, ce refus d’acceptation de soi.

LA CÔTE D’IVOIRE, CHAMPIONNE DANS LE DOMAINE

Bien qu’interdits par le législateur ivoirien en 2015, les produits de dépigmentation connaissent toujours autant de succès. Déjà en 2019, Le Monde Afrique mettait en évidence le fait qu’à Abidjan, une femme sur deux s’éclaircissait la peau. Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux et celles qui achètent des produits sur des réseaux sociaux tels qu’Instagram pour ensuite le faire. L’idée est d’avoir un teint « plus clair, plus propre », synonyme de réussite social depuis la nuit des temps grâce à un imaginaire mal construit mais populaire. Le colorisme, ou le fait de privilégier des personnes plus claires de peau au détriment d’autres plus noires, n’étant lui qu’une version moins extrême, moins flagrant que la dépigmentation.

C’est dans cette même bulle qu’Irene qui se fait de temps en temps passer pour une blanche, elle aussi, mais surtout Clare évoluent. La qualité de film Passing provient du fait que des faits survenus cent auparavant font écho à ceux commis par des personnes noires, si insecure, qu’elles-mêmes se faire la peau. Passing n’est pas un vieux film mais plutôt d’actualité qui commence parfois par : « Y a un film sur Netflix-là… »