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Entretien avec Serge Bilé, dénicheur d’histoires rares

Culture

Entretien avec Serge Bilé, dénicheur d’histoires rares

Par SK 16 mars 2018

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Serge Bilé: « Travailler sur les histoires méconnues est ma marque de fabrique. »

Musicien, journaliste, écrivain. Serge Bilé est un homme de lettres curieux qui nourrit une passion pour les histoires rares concernant les personnes Noires inconnues. Présentateur du journal télévisé de la chaîne Martinique première depuis plus de 20 ans, l’ivoirien est également engagé dans un travail de reconnexion des Afro descendants à tarares l’Afrique te la Caraïbe, mission pour laquelle il a oeuvré sur le terrain à travers son association Akwaba, qui signifie « Bienvenue » en langue Akan. A l’occasion de la sortie de son livre Yasuke, qui raconte l’histoire d’un esclave devenu samouraï, il nous a accordé un entretien au détour d’un voyage sur l’île d’Aimé Césaire.

Qu’est-ce qui vous décidé à raconter l’histoire de Yasuke ?

C’est vraiment le hasard. Depuis mon premier livre, « Noir dans les camps Nazis », sorti en 2005, je suis souvent sollicité par mes propres lecteurs. C’est une chance. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai découvert, il y a quatre ou cinq ans, l’histoire de ce passager, seul Noir sur le Titanic. J’avais reçu un mail et j’ai commencé à fouiller et à trouver des choses sur cet haïtien qui a péri sur ce bateau. C’est de la même façon, à peu près à la même période, que j’ai reçu la sollicitation d’un lecteur martiniquais qui me disait être passionné par l’Asie, le Japon, les Arts martiaux. Il avait entendu parler d’un Samouraï Noir. De là, j’ai mis en place un réseau pour tenter de trouver des informations et j’ai fini par retrouver la trace de Yasuke. Ce travail s’est fait grâce à de rares archives en japonais et en portugais. Il m’a donc fallu trouver des astuces pour régler ces questions de langues parce que je ne parle aucune d’elles, et trouver des informations sur ces esclaves devenus Samouraï.

« C’est très compliqué, tout ce qui concerne l’histoire des Noirs est un vrai problème. »

 

Comment parvenez-vous à trouver et à vérifier vos sources ?

Travailler sur les histoires méconnues est ma marque de fabrique, donc je suis dans mon élément. Les archives sont soit universitaires, nationales ou privées. Par exemple, quand j’ai traité l’histoire de l’apparition de la Vierge Marie en Martinique, j’ai pu avoir accès aux archives privées de békés. Pour Yasuke, il s’agit d’archives religieuses, de jésuites, pour lesquels il a travaillé et à partir desquelles j’ai pu retracer son parcours. Au départ on ne sait pas grand chose ; on trouve des points précis ensuite il faut combler les trous. Avec les archives on a les grands moments, les grandes dates, ce qui permet d’avoir une vue d’ensemble. J’ai eu l’opportunité de travailler sur la question de l’esclavage depuis des années donc je connais beaucoup de choses sur le sujet, la mise en vente, la déportation, le travail au quotidien. C’est cette base que je parviens à combler, sans bien sûr trahir la vérité.

Tous droits réservés.

Trouvez-vous qu’on donne plus de visibilité à ces histoires aujourd’hui ?

Non. C’est très compliqué, tout ce qui concerne l’histoire des Noirs est un vrai problème parce qu’on n’a pas encore non seulement la visibilité mais l’opportunité de pouvoir la véhiculer. Ce livre a été refusé par au moins une demi-douzaine d’éditeurs. Le succès de mon premier livre m’a aidé à travailler de façon particulière, sans essuyer trop de refus. Mais on sent que depuis quelques années les choses se resserrent, c’est beaucoup plus compliqué, beaucoup plus difficile. Avant, j’avais plus facilement des opportunités pour publier, y compris sur des sujets aussi rares et difficiles que ceux que je traite.

« Je ne suis pas là pour me dire que tout le travail que je fais doit dès le début connaître le succès. »

Il a donc fallu se battre pour pouvoir sortir l’histoire de Yasuke ; il fallait continuer d’y croire et j’ai eu raison de le faire puisque l’intérêt est effectivement réel. On n’a rien sans se battre, je le dis toujours, ceux qui nous ont précédés, que ce soit les Cheick Anta Diop, les Aimé Césaire et beaucoup d’autres bien plus illustres que nous, ont mené des combats extrêmement difficiles que ceux que jus, ont mené des combats extr Anta Diop, les Aimé Césaire et beaucoup d’dificiles que ceux que jêmement difficiles dans des contextes plus compliqués qu’aujourd’hui. Nous rencontrons nous aussi nos difficultés et il faut lutter avec ça. L’histoire des Noirs a encore du mal à trouver sa visibilité mais si on ne fait pas le travail, cela restera dans l’ombre.

L’accueil est-il différent au sein des milieux intellectuels ?

Ce n’est pas très différent. Notre problème est qu’on a tellement été habitués à voir écrire notre histoire par d’autres que nous, tellement habitués à trouver que finalement notre histoire est moins importante que celle des autres, qu’aujourd’hui c’est tout un travail contraire qu’il faut faire et qui prend du temps. On rencontre parfois un désintérêt contre un gros intérêt chez quelques uns, tout ça est très déséquilibré. On n’est pas encore dans quelque chose de constant où on peut dire qu’une histoire qui nous concerne passionne un grand nombre. Il faut travailler et ça ne me déplaît pas. Je ne suis pas là pour me dire que tout le travail que je fais doit dès le début connaître le succès. Nous sommes tous, les uns et les autres, habités par certains talents donc on doit le faire et si cela porte ses fruits de notre vivant tant mieux, si c’est après tant pis mais il faut le faire. Je dis toujours que dans la vie, si chacun fait ce qu’il a à faire c’est tout le monde qui avance donc moi je fais ma part, et cette part consiste à travailler sur des histoires méconnues et à faire en sorte que l’on puisse laisser un héritage en termes de livres sur ces questions, ces problématiques, ces personnages.

Le fait que vous soyez Noir et révéliez ces histoires vous a-t-il confronté à un problème de crédibilité auprès des lecteurs ?

Le problème a en partie été réglé. Quand j’ai sorti « Noirs dans les camps Nazis », avec l’adhésion mais aussi l’opposition massive de certains, et que j’ai choisis de trancher par la justice ça a réglé le problème, d’une certaine façon. Officiellement. Néanmoins dans la pratique, les gens qui ne sont pas habitués à lire des histoires racontées par les gens de leur communauté, il y a un cheminement qui prend plus de temps. On en est encore là. Mais je ne m’arrête pas à ça. Je me dis que j’ai un travail à faire et je le fais. Si on doit quelques fois être déçus parce que « les gens de chez nous » ne s’intéressent pas à leur histoire, c’est peut-être aussi parce qu’ils sont les héritiers d’une période qui a fait justement qu’on ne s’y intéresse pas. On ne peut donc pas les blâmer. Il faut faire tout ce travail de déconstruction et de reconstruction. Il faut persévérer, et c’est ce que je fais.

Pensez-vous que l’originalité de l’histoire de Yasuke puisse remporter l’intérêt d’un plus grand nombre ?

Je ne me pose pas la question en ces termes. Je suis musicien à l’origine. En Martinique et ailleurs, j’ai des chansons qui ont connu des succès phénoménaux et si je connaissais la formule pour faire des tubes tout le temps, ce serait super. Donc je connais ça et j’ai déjà la posture d’une personne qui se dit qu’elle fait sans savoir si sur quoi ça va aboutir. Pour les livres c’est pareil. On ne se dit pas que parce que le sujet est plus original il connaîtra un succès plus grand. Je me dis qu’il faut faire le travail et que les gens l’accueilleront. Parce que l’accueil d’un livre dépend de tellement de choses : du moment où il sort, de la promotion, de l’état d’esprit des gens. A partir de là, vous ne pouvez pas être maître. Quand on a une formation de musicien on est habitués à ça. Je fais un livre parce que je veux faire un livre, le reste ne dépend pas de moi. C’est comme un bébé que vos mettez au monde, vous ne savez pas comment il va grandir, s’il va être sympa ou non. Vous l’avez fait naître ensuite vous essayez de faire en sorte de l’élever le mieux possible.

Serge Bile.
Tous droits réservés.

On aime mettre en avant l’inimitié entre Africains et Antillais. En tant que panafricain et Africain vivant aux Antilles, l’avez-vous expérimentée ?

Il faut être très franc. On ne peut pas effacer d’un trait de plume des choses qui existent depuis très longtemps, qui sont sans doute aussi nées de rancoeurs par rapport à l’esclavage, par rapport à beaucoup de choses. Cette inimitié on la rencontre en Martinique, aux Antilles de manière générale, mais de la part d‘une minorité et la minorité est toujours la plus bruyante, la plus agissante donc parfois on a l’impression que c’est quelque chose d’énorme. Moi, j’ai une chance inouïe, je présente le journal sur Martinique 1ère depuis 1994, si j’ai été souvent et jusqu’aujourd’hui plébiscité comme le présentateur que les Martiniquais préfèrent, ça veut bien dire que justement cette inimitié n’est pas partagée par tous. C’est ça qu’il faut retenir. De la même façon, vous avez en Afrique des gens qui n’aiment pas les Antillais, qui les trouvent trop Blancs.

« J’ai construit des ponts et organisé des voyages culturels pour permettre à des avions de partir en direct de la Côte d’Ivoire pour arriver en Martinique. »

Il y a des choses à faire de part et d’autre. Au regard du nombre de siècles où les gens ont vécu dos à dos les uns aux autres et par rapport au moment où ils se regardent face à face, on ne peut pas comparer. Moi je suis là pour construire des ponts entre les Antillais et les Africains, entre les gens d’ici et les gens de là-bas. J’ai eu à organiser, dès 1995, à mon arrivée en Guyane, le voyage du retour des Boni de Guyane, les faire revenir en Afrique, singulièrement en Côte d’ivoire mais qui n’est pas la seule terre d’où ils venaient parce qu’ils étaient aussi du Congo, du Dahomey, du Togo et d’ailleurs. Pour moi c’était important de faire ce travail. De la même façon, j’ai construit des ponts et organisé des voyages culturels pour permettre à des avions de partir en direct de la Côte d’Ivoire pour arriver en Martinique, grâce à un vol de 5 heures. C’était quelque chose de très rare alors que les gens étaient habitués à passer par Paris. On l’a fait trois fois. On a permis à des artistes ivoiriens de se produire ici en Martinique et vice-versa. Donc soit on s’arrête à ce qui est négatif et on reste dans le « on ne s’aime pas », « on ne s’aimera jamais » ; soit on avance. On ne pourra pas se débarrasser de ces questions. Einsten a dit qu’il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé, et il avait raison. C’est vrai que ça existe, mais qu’est-ce qu’on fait ? C’est ça qui m’intéresse.

Y a t-til de la part de ces populations, un désir de reconnexion au continent ?

Il y a des envies. Je le vois depuis le vol direct que mon association a pu organiser en 1997. Chacun est lui, l’Antillais est Antillais, il n’est pas Africain. Il faut arrêter de dire ça. Ils sont Antillais, avec leurs particularités. Nous avons la même racine, les mêmes soubassements en termes de formation de population mais chacun est différent. Parmi eux, il faut prendre en compte ceux qui manifestent un désir de rapprochement. Je pense que ce qui manque aujourd’hui c’est l’opportunité. Pour ceux qui sont habitués à voyager dans la Caraïbe, à aller aux Etats-Unis et à Paris, il manque ce vol direct entre la Caraïbe et l’Afrique et ça c’est une question de volonté politique.

« On attend qu’un jour un Blanc se dise tiens, c’est mois qui vais connecter les Africains et les Antillais et je vais gagner beaucoup d’argent. »

Moi j’ai essayé, tant bien que mal, à l’époque où j’étais très engagé dans ce genre de choses, d’alerter des gens ici aux Antilles et là-bas en Afrique, pour leur dire « attention », pour leur dire de ne pas attendre que ce soit les Blancs qui fassent à notre place, que ce soit les Européens qui nous connectent les uns aux autres. Connectez-vous vous-mêmes. Vous avez l’opportunité de pouvoir créer des vols. Vous avez les moyens intellectuels, financiers, matériels. On attend qu’un jour un Blanc se dise tiens, c’est mois qui vais connecter les Africains et les Antillais et je vais gagner beaucoup d’argent. Je ne suis pas un homme d’affaires, je veux juste vous montrer que c’est possible, maintenant prenez le relais. Et ça c’est compliqué. C’est compliqué parce que nous devons changer nos mentalités et arriver à se dire qu’on le fait nous-mêmes, parce qu’on a pris l’habitude de regarder d’autres le faire à notre place. On s’en plaint et en même temps c’est ça qu’on attend. C’est un vrai problème.

Serge Bilé et Aimé Césaire. Tous droits réservés.

Beaucoup d’Antillais souhaitent se rendre en Afrique sans savoir comment y retourner. Comment régler cette question ?

Il y a beaucoup de choses à faire. Quand je dis qu’il faut refaire ces connexions c’est peut-être aussi trouver en Afrique des gens capables d’aider cette diaspora à retrouver ses racines, à revenir. Je sais que des choses se font à travers la Route des esclaves, mais ça ne suffit pas. Tout ça, qu’on le veuille ou non, ça passe d’abord par une connexion aérienne. Par les temps qui courent, personne, ni même moi qui vais souvent en Côte d’Ivoire pour voir ma famille, n’a envie de faire 15 ou 20 heures de vol pour aller en Afrique depuis les Caraïbes. On a des moyens qui sont extrêmement faciles pour communiquer les uns avec les autres, et ce sont les avions.

« Plus on se connaît, plus on devient universel. »

A l’époque, Air Afrique existait encore et je le leur avait dit «  vous avez des vols qui font chaque semaine Abidjan-Dakar-New-York, si vous décidez que l’un de ces vols fait Abidjan-Fort-de-France-New-York ? C’est la même durée, c’est juste l’escale qui change. Et ça habituera les gens à venir dans la Caraïbe tout en créant du lien. Même avec ça, je n’ai pas réussi à les convaincre. C’est pourtant une évidence. Mais je ne comprends pas, on est bloqués, on n’arrive pas. J’espère qu’un jour quelqu’un va se réveiller. Je ne veux pas la paternité de ça ; j’ai travaillé, j’ai collaboré à ça mais si quelqu’un le fait je serai le premier à applaudir. Je ne désespère pas. Je me dis qu’il faut peut-être encore du temps pour que ça bouge.

Que pourriez-vous dire à cette jeunesse qui ressent cet élan de faire les choses mais reste bloquée ?

Je ne sais pas si j’ai un message particulier à adresser aux gens mais j’ai juste envie de dire que plus on connaît son histoire et plus on a envie d’aller à la fois vers les siens et vers les autres. J’ai été très touché par le parcours d’Aimé Césaire, que j’ai eu la chance de côtoyer pendant 13 ans et sur lequel j’ai écrit un livre. Il disait qu’il fallait savoir regarder le siècle en face, donc, à la fois regarder son passé et son futur et que chaque fois qu’on apprenait à se connaître, ça nous rendait universel. Plus on se connaît, plus on devient universel et je pense que c’est peut-être ça d’abord, c’est comment arriver à faire en sorte de connaître son histoire pour s’accepter et pouvoir se connecter aux autres. Parce que tant qu’on considère que l’autre a une histoire plus importante que la nôtre, on finit par nourrir un complexe et en nourrissant ce complexe, on peut aussi nourrir une agressivité.

 

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