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Le « Massacre de Soweto » ou la sanglante répression policière contre la jeunesse noire d’Afrique du Sud

Histoire

Le « Massacre de Soweto » ou la sanglante répression policière contre la jeunesse noire d’Afrique du Sud

Par Mathieu N'DIAYE 2 février 2018

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Le 16 juin 1976, à Soweto, des étudiants noirs proches du mouvement « Conscience noire », ont trouvé la mort sous les balles de la police sud-africaine, alors qu’ils manifestaient contre l’utilisation de l’afrikaans comme langue d’enseignement dans les écoles locales. En mémoire à ce massacre, et en solidarité avec ces enfants, l’Unesco crée la Journée mondiale de l’enfant Africain en 1991. Retour sur ce sombre épisode.

En 1974, le ministre sud-africain de l’éducation et du développement Bantou  [1], publiait l’Afrikaans Medium Decree, rendant ainsi obligatoire   l’utilisation de l’Afrikaans [2] (en plus de l’anglais), comme moyen d’enseignement dans les écoles noires. Le décret s’applique entre la dernière année d’école primaire à la dernière année d’école secondaire. Il disposait clairement que :

« Il a été décidé que, dans un souci d’uniformité, l’anglais et l’afrikaans seraient utilisés comme supports d’enseignement dans nos écoles sur une base de 50/50 (…) »

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Bien que l’African Teachers Association [3] eût mené une campagne dénonçant cette politique, le gouvernement d’Apartheid la mettra tout de même en place. Afin de donner un minimum de légitimité à son décret, Punt Janson, alors vice-ministre de l’éducation bantoue déclarait de manière peu convaincante que :

« Un homme noir peut avoir à travailler dans une ferme ou dans une usine. Il peut avoir à travailler pour un employeur anglophone ou de langue afrikaans et il doit pouvoir comprendre ses instructions. Pourquoi devrions-nous commencer maintenant à se quereller à propos de la langue d’enseignement pour les personnes de race noire ? … Non, je ne les ai pas consultés et je ne vais pas les consulter. J’ai consulté la Constitution de la République d’Afrique du Sud ». [4]

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Teboho Macdonald Mashinini, dit Tsietsi Mashininin était un combattant de l’Apartheid.

La répression sanglante

Pour les masses estudiantines noires, ce décret était inadmissible. Nombre d’entre eux partageaient l’avis de Desmond Tutu, évêque de Lesotho, au sujet de l’Afrikaans, à savoir, qu’il s’agissait de « la langue de l’oppresseur » [5]. La tension monta d’un cran lorsque le 30 avril 1976, les élèves de l’Orlando West Junior School se mirent en grève. La révolte écolière se répandit dans d’autres écoles de SowetoDe nombreux étudiants noirs d’Afrique du Sud protestaient contre l’Afrikaans Medium Decree car ils exigeaient d’être traités à égalité avec les étudiants blancs. Teboho « Tsietsi » Mashinini, étudiant à la Morris Isaacson High School, proposa une réunion, le 13 juin 1976, afin  de discuter de ce qui devrait être fait. Presque immédiatement, les manifestants de rassemblèrent  sous la bannière du Conseil des représentants des étudiants de Soweto . Conseil qui serait à l’initiative du rassemblement du 16 juin 1976.

Il y a 41 ans, jour pour jour, entre 10 000 et 20 000 étudiants noirs ont déferlé à l’Orlando Stadium. Notamment avec l’appui du Black Consciousness Movement [6]. Tsietsi Mashinini, en tête, mena les étudiants de la Morris Isaacson High School vers la Naledi High School. Pourtant, la police, majoritairement composée de sud-africains blancs, les attendait en chemin. Les leaders des étudiants noirs demandèrent à la foule de ne pas provoquer ni entrer dans la confrontation avec les forces de l’ordre.Déterminés, ils poursuivirent donc leur marche. Ils représentaient un important cortège entre 3 000 et 10 000 jeunes noirs, chantant et agitant des pancartes  flanquées de slogans tels que « Viva Azania » [7] ou encore « Si nous devons apprendre l’afrikaans, Vorster doit apprendre le Zulu« . Dans une brutalité rare, la police lâcha les chiens sur ces enfants avec la volonté de les disperser. Ces derniers tuèrent les canidés. Les forces de l’ordre, folles de rage, firent alors feu, à balles réelles et à bout portant. 

 

Parmi les premiers étudiants qui perdirent la vie sous les balles de la police, se trouvait, Hast Hets Ndlovu et Hector Pieterson à peine âgé de 15 et 13 ans. La mort d’Hectore Pieterson fut immortalisée par le photographe Sam Nzima. n verra le cadavre sanglant du garçon, transporté dans les bras de son camarade  Mbuyisa Makhubo et accompagné de sa sœur, Antoinette Sithole. La photo symbolise depuis lors le « Massacre de Soweto« . Les attaques meurtrières de la police contre les manifestants ont continué et 23 personnes furent tuées à Soweto. Le Dr Melville Edelstein, un médecin blanc, que l’on présente comme un amis des Noirs,  sera lapidé à mort par la foule. On affublera alors son cadavre encore chaud d’une pancarte indiquant :  « Attention aux Afrikaners« .

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Hector Pieterson porté par Mbuyisa Makhubo. Sa sœur, Antoinette Sithole, court à côté d’eux.

L’escalade de violence se poursuivit. Les cliniques d’urgence furent emplies d’enfants blessés. La police quant à elle,  dans sa volonté de répression féroce, exigera que l’hôpital lui fournisse la liste des victimes de blessures par balles, dans le but cynique de les poursuivre en justice. Les 1 500 policiers lourdement armés se déployèrent à Soweto le 17 juin. Ils étaient munis, entre autres armes, de fusils automatiques et circulaient dans le township à bord de véhicules blindés, appuyés par des hélicoptères. L’armée sud-africaine fut également mise en alerte. La scénario se dessinait comme celui d’une guerre civile. 

Bilan : 

On estime que 20 000 étudiants ont participé aux manifestations. Ils ont été confrontés à une brutalité policière féroce. Le nombre de manifestants tués par la police est officiellement de 176 personnes, mais certains parlent de près de 700 personnes [9].

Suites à ces événements tragiques, L’ANC a établi son leadership dans la lutte contre l’Apartheid. Le parti fondé en 1912 afin de défendre les intérêts de la majorité noire contre la minorité blanche, déclaré hors-la-loi par le gouvernement raciste était, en effet, la structure la plus efficace pour canaliser et organiser les étudiants qui voulaient en finir radicalement avec l’Apartheid.

Pour l’état négrophobe sud-africain, l’insurrection de Soweto a été un puissant affront au régime d’Apartheid. Elle créera de l’instabilité économique et politique, ce qui entraînera le renforcement du boycott international de l’Afrique du Sud, 14 ans avant que Nelson Mandela ne soit libéré.

Après le « Massacre de Soweto« , l’État ségrégationniste ne parviendra jamais à rétablir la paix relative et la stabilité sociale du début des années 1970. La résistance noire à l’oppression blanche, ne ferait, dès lors que s’intensifier.

Image associée

Notes et références :

[1] Le Département de l’éducation bantoue était une structure créé par le gouvernement raciste du National Parti d’Afrique du Sud en 1953. L’éducation que cette officine gouvernementale fournissait aux étudiants noirs négligeait la réflexion abstraite et les sujets considérés comme inutiles pour les travailleurs manuels. L’enseignement d’une version mensongère d’un christianisme compatible avec l’Apartheid était aussi dispensé. De plus, la culture africaine était décrite comme primitive, rurale et arriérée.

[2] L’Afrikaans, littéralement le « Néerlandais africain » est une langue germanique parlée en Afrique du Sud, en Namibie et, dans une moindre mesure, au Botswana et au Zimbabwe. cette langue a évoluée à partir de la langue vernaculaire néerlandaise du Sud parlée par les colons principalement néerlandais de ce qui est depuis l’Afrique du Sud.

[3] « Youth and the National Liberation Struggle« , South African History Online, publié le 20 mars 2011

[4] Sifiso Mxolisi Ndlovu ~ « The Soweto Uprising« .

[5] The Youth Struggle,« The 1976 Students’ Revolt ». South African History Online.

[6] Le Black Consciousness Movement est une idéologie sud -africaine, sœur du nationalisme noire et du panafricanisme. Son but , était de mettre un terme au régime inique d’Apartheid. C’est Steve Biko qui fonde le mouvement dans les 60’s.

[7] F.I.J. van Rensburg ~ « Soweto, 1976: ‘n Inklusiewe herbegin 30 jaar later? »

[8] « Policemen involved in June 16 Shootings have to Explain: Morobe« , justice.gov.za, publié le 23 juillet 1996

[9] April Francis et Vanessa Marchese. « Apartheid South Africa and the Soweto Rebellion« , hofstra.edu.