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Michel N. Christophe, l’auteur clairvoyant qui raconte la société antillaise

Société

Michel N. Christophe, l’auteur clairvoyant qui raconte la société antillaise

Par SK 2 novembre 2017

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« On devrait se mettre sérieusement à imaginer et à œuvrer pour une société au sein de laquelle, ensemble, hommes et femmes s’évertuent à devenir de vrais potomitan ; des êtres qui s’auto-réalisent ; des êtres qui poursuivent avec acharnement et de façon logique leurs intérêts réels. »

Michel N. Christophe est né à Basse-Terre, en Guadeloupe en 1966. Fruit de l’union entre un camerounais et une guadeloupéenne, il comprend assez tôt la problématique posée par le fait d’être Noir dans une société aux références caucasiennes. Lassé comme il le dit lui-même par « des récits de bouffons, de ya bon banania et de vies riquiqui circonscrites par les phobies des autres. »; Michel N. Christophe a pris la plume pour raconter des histoires pour rehausser le ton de la vie. Il voulait retrouver un monde qui se relève, rempli de personnages colorés, dynamiques, imbus de cette conscience qui s’affirme, tels qu’il en connaît. Enfin respirer, se mettre debout et se reconnaître, avant de rugir et faire frissonner les peureux. Depuis 1992, l’auteur vit aux Etats-Unis.

Michel N. Christophe

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire à l’origine ?

J’avais mal. Écrire était au départ cathartique. Une façon de prendre de la distance, un peu de perspective par rapport à ce qui me faisait mal.

Quel est votre parcours ?  

Je travaille dans le domaine de la gestion du changement et du développement personnel. Grâce à l’amour des livres, le jeune à la dérive que j’étais a pu faire des études, et puis se retrouver comme prof de fac aux États Unis, et aujourd’hui est chargé de former des leaders et des managers. Je les accompagne aussi comme coach exécutif.

La problématique de l’identité antillaise masculine revient régulièrement dans vos récits. Quel rapport la population antillaise a à ces questions ?

Il existe aux Antilles un mythe très répandu et très utile, celui de la femme potomitan, la femme-pilier, : la mère ou la grand-mère au centre du foyer, autour de laquelle tout s’organise, et dont la force garantit l’équilibre familial. Ces dernières sont censées être solides physiquement et moralement. Des superwoman, quoi. Il y en aurait dans ma famille aussi, de ces femmes potomitan. Si ce concept s’est développé c’est à cause de l’absence, ou plutôt de la démission des hommes qui n’assurent pas.

Dans toutes les sociétés, la famille demeure le fondement même de l’idée que l’on se fait de la nation. Dans l’univers des Plantations esclavagistes, l’économie reposait sur la femme-esclave procréatrice et sur le géniteur, l’homme-esclave, étalon-reproducteur ; jamais comme père de sa progéniture. L’infantilisation historique du mâle, dorénavant entretenu, arrange plus d’un. Aujourd’hui elle sert d’excuse facile et impose une taxe exorbitante à nos sociétés.  Tout cela contribue à nos difficultés et à notre grande vulnérabilité.

Vous êtes-vous personnellement retrouvé dans cette situation d’antillais émigrant en métropole ? Quel est votre expérience ?

Mes parents se sont rencontrés et mariés en France, alors qu’ils étaient tous les deux étudiants. Mon père est camerounais et ma mère guadeloupéenne. Bien que conçu en France, je suis né en Guadeloupe. J’ai grandi entre les deux pays. J ‘ai quitté la France pour l’Angleterre à 21 ans. Puis l’Angleterre pour les États Unis à 24 ans. J’ai juste eu le temps d’entrevoir ce qu’est être un homme noir en France. Une expérience bien moins idyllique que quand j’étais enfant. J’ai eu le temps de prendre une mesure de la fracture sociale.

Dans « J’aurais été un Dieu », vous abordez la complexité des rapports avec les blancs à travers le personnage de Catherine. Les couples mixtes sont-ils une question délicate parmi les descendants d’esclaves ?

Il y a du désir et de la crainte ; du rejet et de la fascination. Le racisme, comme l’amour, est une obsession de l’autre. Personne ne veut et ne peut être libre dans ce carcan. La mixité est un phénomène naturel, une conséquence de notre proximité. Elle ne pose problème que si le grand amour n’est pas au rendez-vous. Alors s’installe une hiérarchie, un rapport bancal. Les identités sont remaniées au détriment de l’un ou de l’autre. Il n’y a plus de respect. Je ne m’insurgerai jamais contre une couleur, contre un peu plus, ou moins, de mélanine. Je m’insurgerai plutôt, toujours, contre cet esprit maléfique qui dévalorise l’humanité de l’autre. Cette arrogance qui déguise la peur est notre ennemi à tous. Elle nous mine tous, au final.

Je ne peux pas parler pour tous les descendants d’hommes mis en esclavage. Ce qui me semble vraiment problématique, c’est d’être fermé à ceux-là mêmes qui nous ressemblent au point de leur interdire notre cœur. Ne pas concevoir d’aimer quelqu’un qui nous ressemble indique un problème grave. Et ça arrive plus souvent qu’on ne le croit. Si l’on ne s’aime pas soi-même, peut-on vraiment aimer l’autre ?

Que signifie « échapper à l’insignifiance » selon vous ?

L’insignifiance c’est l’absence de prise sur le réel ; c’est une souffrance insondable ; des velléités qui ne font rien bouger.  C’est ne pas réussir à se faire entendre et respecter. Ne jamais pouvoir s’imposer, marquer son espace, et trouver le repos, et la sérénité. Il faut absolument échapper à l’insignifiance, dire oui à la vie, oser, sans permission, aller dans le sens de sa volonté ultime, et commencer par se voir comme ce que l’on est vraiment, du pur potentiel créatif. Des géants. Or die trying. Il nous faut prendre notre place à l’avant de la lutte pour notre évolution et ne plus tolérer la fourberie des pilleurs arrogants ou des usurpateurs ‘bienveillants’.

D’où vous est venu ce besoin de questionner la société qui nous entoure ?

Quand une société ne marche pas pour nous et ne nous offre aucune perspective, elle mérite d’être questionnée. Et quand on la questionne, il est important de se questionner aussi soi-même.

Comment vos lecteurs afro-descendants réagissent-ils à vos écrits ?

Les retours sont très bons. J’écris avec mes tripes !

Les autres vivent dans la peur obsessionnelle du réveil de sa [Dieudonné] conscience. » (Chronique d’un Noir à la dérive), est-ce un sentiment que vous ressentez toujours dans vos rapports à la société française ?

Je vis aux États Unis. C’est un sentiment universel. Il résonne partout. À qui profite votre malheur ? Je remarque que partout chez ceux qui ne veulent rien concéder, l’ascension progressive des damnés de la terre cause effroi et panique, que dis-je leur simple présence croissante suffit. Mais nous représentons déjà une majorité au niveau global. Le phénomène est irréversible. Des voix viriles s’élèvent pour la rédemption des peuples jugulés encore sous le joug du néo-colonialisme. Le développement est la seule issue viable pour tous.

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