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Alain Anselin, l’égyptologue antillais qui a démontré l’africanité des hiéroglyphes égyptiens

Histoire

Alain Anselin, l’égyptologue antillais qui a démontré l’africanité des hiéroglyphes égyptiens

Par Sandro CAPO CHICHI 2 septembre 2017

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Aujourd’hui, on vous parle d’Alain Anselin, un égyptologue afro-descendant des Antilles françaises. Grâce à un remarquable raisonnement intellectuel, il est parvenu à montrer de manière rigoureuse et convaincante l’origine négro-africaine de la langue de ceux qui ont inventé les hiéroglyphes égyptiens.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

L’existence d’une histoire a longtemps été niée aux Noirs Africains. De ce fait, en tant qu’afro-descendant, lorsqu’on s’intéresse de nos jours à l’histoire, on le fait souvent pour apprendre des faits nous glorifiant nous et notre passé. De même, l’historien afro-descendant, pour se rassurer et contribuer au bien-être des personnes partageant ses origines, peut se sentir forcé de raconter de belles histoires à son public. Mais la réalité de la recherche en histoire n’est pas aussi belle. Il est en effet très difficile de trouver des preuves solides d’une histoire nous plaisant. L’historien doit-il tomber dans la facilité et se mentir à lui et à son public pour une question de bien-être?

Le cas de l’Egypte ancienne est à ce sujet est particulièrement édifiant. Cette civilisation, notamment depuis les travaux de Cheikh Anta Diop, est extrêmement populaire chez les Afro-descendants.

Alain Anselin, un égyptologue originaire de la Guadeloupe et Martinique, est l’un de ceux qui s’est refusé de tomber dans le piège de la facilité. Son oeuvre sur l’Egypte ancienne est aussi abondante que pertinente. Dans cet article, on ne va s’intéresser à un seul des aspects de cette oeuvre : la démonstration de l’ origine sub-saharienne de la langue des inventeurs des hiéroglyphes égyptiens.

Les origines de la langue des inventeurs des hiéroglyphes

Dans l’écriture hiéroglyphique égyptienne, les signes représentent des réalités du monde. Certains se prononcent comme les réalités qu’ils représentent se disent dans la langue. Par exemple, ‘canard’ se disait z3 en égyptien ancien. Le hiéroglyphe utilisé pour l’écrire représentait un canard et se prononçait z3.

Alain Anselin

Le hiéroglyphe du canard se lisant z3

C’est aussi le cas du hiéroglyphe représentant l’oeil. Ce symbole était lu jr par les Egyptiens anciens. jr(t) était aussi le mot utilisé pour signifier l’oeil en égyptien.

Il existait toutefois un autre hiéroglyphe égyptien représentant un oeil maquillé. Celui-ci se lisait ʿn. Toutefois, dans la langue égyptienne même, aucun mot connu signifiant ‘oeil’ ne se disait  ʿn.

Un certain nombre d’autres hiéroglyphes sont dans le même cas de figure que celui pour ‘oeil’.

C’est le cas du hiéroglyphe pour ‘oreille’ qui se lisait jdn alors que les mots dans la langue égyptienne parlée pour ‘oreille’ se prononçaient ʿnḫ.wy ou msḏr.

Ce cas de figure concerne aussi, par exemple, le hiéroglyphe pour ‘main’ qui se lisait d. Le mot utilisé dans la langue pour dire ‘main’ était toutefois différent : il s’agissait de ḏr.t.

Une origine proche-orientale de la langue égyptienne ancienne?

Cette situation a conduit les spécialistes à se poser des questions. Pourquoi certains hiéroglyphes représentant des réalités du monde se prononcent différemment des mots de la langue utilisés pour les exprimer? D’où viennent ces mots pour ‘oeil’, ‘main’, ‘oreille’ qui n’existent pas dans la langue égyptienne?

Des linguistes et égyptologues ont supposé à juste titre que la prononciation des hiéroglyphes pour ‘oeil’, ‘bras’, ou ‘oreille’ correspondait à d’ancien mots de la langue égyptienne qui auraient progressivement arrêté d’être utilisés dans celle-ci. Ils ne se seraient maintenus que dans la prononciation des hiéroglyphes. Ces chercheurs ont aussi remarqué que dans ces cas, alors que la prononciation des hiéroglyphes correspond à des mots sémitiques, les mots égyptiens correspondent à des mots dans des langues parlées par des Noirs Africains.

Parce que les mots de type sémitique auraient disparu et laissé place à des mots d’Afrique sub-saharienne, des chercheurs en ont conclu que l’écriture égyptienne avait été inventée par des populations de langue sémitique originaires du Proche Orient. Cette hypothèse faisait écho à une explication similaire des origines de la civilisation égyptienne, celle de la ‘race dynastique’.

Alain Anselin

Flinders Petrie, promoteur de la théorie de la race dynastique

Formulée par l’égyptologue britannique Flinders Petrie au début du vingtième siècle, elle suggérait qu’une ‘race’ d’hommes originaires du Proche Orient s’était introduite en Egypte pour y former le gros de la civilisation pharaonique au détriment de la population africaine autochtone.

Alain Anselin et la démonstration de l’africanité du système hiéroglyphique égyptien

En tant qu’afro-descendants attachés à l’idée d’une Egypte ancienne appartenant au monde négro-africain, on peut être tentés de nier, voire de dissimuler toute influence proche-orientale sur la civilisation pharaonique. Il s’agit selon moi d’une erreur qui nous écarte de la vérité scientifique. Que la culture de l’Egypte ait émergé à partir du sud du pays ne doit pas selon moi obscurcir le fait que l’Egypte a été très tôt en contact avec ses voisins. Ces contacts ont naturellement laissé des traces comme n’importe quel contact entre des voisins aurait laissé des traces culturelles comme humaines.

Alain Anselin l’a bien compris. Il n’a pas nié ou ignoré l’existence d’un apport sémitique à la civilisation pharaonique. Il n’a pas eu peur de prendre cet apport en compte. Grâce à un raisonnement intellectuel d’une grande valeur, il a simplement montré que l’apport africain, en se focalisant sur le domaine donné qu’était l’élaboration du système hiéroglyphique égyptien était plus important que celui du monde sémitique. Comment s’y est-il pris?

Comme on l’a vu, les signes égyptiens, comme celui représentant le canard, l’oeil, l’oreille ou la main se lisent d’une manière donnée. Pour économiser le nombre de signes dans leur systèmes d’écriture, les créateurs du système hiéroglyphique ont eu recours à une astuce proche de ce que l’on appellerait un rébus. Ils ont écrit les mots différents mais se prononçant de la même manière avec un seul signe. Par exemple, en égyptien, le mot z3 ‘canard’ est homonyme du mot z3 ‘fils’. Pour écrire les deux mots, les premiers Egyptiens ont utilisé le même signe, celui du canard.
Même chose pour les mots pour ‘oeil’ et ‘faire’ qui se prononcent de la même manière jr(j) /jr.(t) en égyptien : ils sont tous deux écrits avec le signe représentant l’oeil. Alain Anselin a réalisé que pour pouvoir élaborer cette sorte de rébus, les inventeurs de l’écriture égyptienne devaient parler une langue proche d’autres langues où ces paires de mots étaient aussi homonymes.

Alain Anselin a montré que ces paires de mots fondamentales à l’élaboration du système hiéroglyphique ne se trouvaient que  très peu souvent en Sémitique ou encore en Berbère. Cependant, il a découvert que ces nombreuses paires d’homonymes se trouvaient régulièrement dans des langues parlées par des populations d’Afrique sub-saharienne. On peut le voir avec l’exemple des mots pour ‘oeil’ et pour ‘faire’. Ces deux mots se retrouvent, avec une forme quasi identique dans plusieurs langues d’Afrique sub-saharienne comme le somali parlé en Somalie et à Djibouti où yeel signifie ‘faire’ et où il signifie ‘oeil’. Le somali fait partie de la famille couchitique localisée en Afrique de l’est géographiquement proche de l’Egypte ancienne. Toutefois, alors qu’il ne se trouve ni en sémitique ni en berbère, le nom pour ‘oeil’ se retrouve dans des langues sub-sahariennes parlées jusqu’à l’extrême ouest du continent comme le gbaya (Centrafrique) yere ‘voir’ l’igbo (Nigéria) ile ‘regarder’.

La récurrence de ce genre d’exemples montre, à la suite du travail d’Alain Anselin, que si les concepteurs du système hiéroglyphique égyptien ont pu emprunter des mots au Sémitique comme ceux qui sont conservés dans les signes de l’oeil, de l’oreille et de la main, il eût été très peu probable qu’ils aient emprunté de manière simultanée deux mots se ressemblant mais au sens si différent comme ‘oeil’ et ‘faire’ ou d’autres. Par conséquent il est plus probable que les Egyptiens ayant élaboré leur système d’écriture hiéroglyphique aient parlé une langue essentiellement plus proche des langues d’Afrique sub-saharienne que du Proche-Orient.

Grâce à ce raisonnement brillant et rigoureux dont je ne propose ici qu’un résumé, Alain Anselin est parvenu à reconstruire la réflexion scientifique qu’avaient eu les brillants esprits des Egyptiens de l’Antiquité. Parallèlement, il est parvenu à nous rendre fiers de notre parenté avec les créateurs de la civilisation égyptienne. Par la qualité de sa réflexion, il nous a aussi rappelé qu’en tant qu’Afro-descendants, il nous était tout aussi possible, d’égaler, voire de surpasser les réalisations des anciens Africains dans le cadre d’une Renaissance africaine.

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