Portrait de Djibril Bodian, as de la baguette

NOFI a rencontré Djibril Bodian. Retenez bien son nom car il n’a pas fini de faire parler de lui. Ce français d’origine sénégalaise a remporté jeudi dernier  « le Grand Prix de la meilleure baguette », et pour la deuxième fois !  A 38 ans, Djibril Bodian devient le fournisseur officiel de l’Elysée pour toute l’année. Entretien avec un artisan de premier choix.

 Comment participe-t-on au  «Grand Prix de la meilleure baguette» ?

Toutes les boulangeries de la Région Parisienne sont invitées à concourir et chaque boulanger qui le désire peut se présenter. Nous, ça fait  un moment qu’on a envie de se confronter aux autres pour voir à quel niveau on est vraiment. C’est très constructif. A partir du moment où on est en course, quelle que soit notre place dans le classement, on sait le chemin qu’il nous reste à parcourir pour atteindre le premier rang.

 Y’a-t-il un ingrédient secret dans votre baguette ?

L’ingrédient secret c’est la passion. Quand on est passionné, qu’on aime ce qu’on fait, on n’a qu’une envie c’est de le faire le mieux possible. De plus, quand on voit que les gens sont réceptifs et apprécient notre travail, on a davantage envie de se surpasser. Je suis méticuleux, j’aime les petits détails et je suis travailleur. Pour réaliser ce genre de choses il ne faut pas avoir peur de donner des heures. Moi, mes heures ici je ne les compte pas. Je suis aussi curieux parce que j’aime chercher ce qui ne va pas et trouver le petit détail. Enfin, mon sens de l’autocritique fait que je me remets toujours en question.

 Je savais aussi que la barre était très élevée parce que je connais le niveau de la concurrence.

C’est donc la deuxième fois que vous remportez la première place, est-ce qu’on est heureux à chaque fois ?

La deuxième fois plus que la première, parce que ça confirme. La première fois on y va, on se présente mais on n’est personne donc on n’a aucune pression.* Alors que la deuxième fois, les gens vous connaissent et l’attente est beaucoup plus importante. Si on est arrivé premier une fois, les exigences sont plus élevées la deuxième fois. Je savais aussi que la barre était très élevée parce que je connais le niveau de la concurrence.C’est une grosse pression, mais je la gère parce que je suis perfectionniste toute l’année.

*Djibril Bodian avait déjà remporté la première place du concours en 2010.

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En tant que fournisseur officiel de l’Elysée, allez-vous devoir ralentir vos activités ici ?

Non. Les baguettes sont fabriquées ici et elles seront livrées à l’Elysée à hauteur d’une quinzaine par jour, à peu près. J’étais déjà fier d’offrir de la qualité à mes clients, mais effectivement, je suis encore plus fier de savoir que le président, les ministres ainsi que tous les diplomates étrangers vont pouvoir apprécier ces baguettes.

Depuis combien de temps officiez-vous comme boulanger ?

Cela fait vingt-deux ans que j’exerce comme boulanger, ici même, au Grenier à Pain. J’ai commencé par un apprentissage de deux ans en pâtisserie jusqu’à l’obtention de mon CAP. Je me suis ensuite formé un an en boulangerie. Une place de boulanger s’est libérée à ce moment-là et on me l’a proposée.

 On se doit de mettre la barre plus haut et on demandera aux générations suivantes d’en faire autant.

Le pain, c’était une passion ?

Au départ, pas forcément. Durant ma scolarité, j’étais un élève normal, un peu fainéant mais qui avait des capacités. Mon frère faisait de la pâtisserie et mon père était boulanger. J’ai vu que mon frère avait l’air de s’épanouir dans ce qu’il faisait et depuis que je suis tout petit, je n’ai jamais vu mon père se plaindre de ce qu’il faisait. Donc, arrivé en troisième, j’ai fait mon stage en entreprise dans la boulangerie où travaillait mon père à Pantin. Après ça, j’étais vraiment content de ce que j’avais appris. Donc j’ai décidé de continuer dans cette voie.

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 A l’origine vous êtes pâtissier, pourquoi vous être dirigé vers la boulangerie ?

J’ai fait pâtisserie pour faire comme mon frère, ensuite, je ne sais pas si à l’époque c’était un manque de maturité mais je ne me sentais pas prêt à devenir directement ouvrier. Alors, je me suis dit que tant qu’à faire, j’allais continuer et me perfectionner en boulangerie, parce que ça pouvait toujours servir dans le métier.

 Vous n’avez jamais eu envie d’ouvrir votre propre établissement ?

Si bien sûr. Dès le premier jour mon objectif était d’être mon propre patron. Je sais que je ne peux pas rester ouvrier dans ce métier parce que j’en connais les difficultés. C’est très dur, il faut se lever très tôt le matin pour se coucher très tard le soir et la meilleure manière de le faire c’est de le faire pour son propre compte. De plus, mon père a toujours mis la barre haut. Il est arrivé du Sénégal en France en n’ayant rien du tout et a très bien réussi dans ce qu’il a fait. Nous qui sommes nés ici, on ne peut pas rester au même niveau, on se doit de mettre la barre plus haut et on demandera aux générations suivantes d’en faire autant.

 On est là pour faire évoluer les entreprises et donner le maximum.

Un établissement en vue ?

Celui-ci. J’ai fait toute ma formation ici, puis, les propriétaires m’ont proposé une place de responsable que j’ai acceptée. J’ai fait mes preuves et je leur ai expliqué mon besoin d’évoluer encore. Ils m’ont donc proposé la gérance, il y a quatre ans. L’une des conditions est l’option d’achat par la suite. Pendant que je suis à ce poste, je capitalise pour pouvoir acheter la boulangerie dans quelques mois, sinon l’année prochaine.

Est-ce que votre couleur de peau a déjà été un obstacle dans votre parcours ?

Non du tout. Je ne me suis jamais mis dans la peau d’une victime, ni posé la question de savoir si je pouvais ou ne pouvais pas. Mes origines sénégalaises, françaises, j’ai mis ça de côté. Je pense que c’est à partir du moment où on commence à se poser toutes ces questions qu’on se met des barrières. Ce dont les gens ont besoin, c’est qu’on leur montre qu’on est capables. A partir du moment où j’ai pu montrer que j’avais des qualités en plus que les autres, on m’a fait confiance et ça m’a donné encore plus envie d’aller loin. Après, c’est vrai que j’ai eu beaucoup de chance, parce que je suis tombé sur des gens extraordinaires que ma couleur de peau n’intéressait pas. Tout ce qu’ils voulaient savoir c’est ce que je pouvais leur apporter dans le monde du travail. Avant de regarder à la couleur, je pense que les gens doivent d’abord regarder à ce qu’on peut leur apporter. On est là pour faire évoluer les entreprises et donner le maximum.

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 En dehors de votre domaine d’activités, avez-vous des projets ?

Cette boutique fonctionne beaucoup, ça a toujours été le cas. ça me bouffe énormément de mon énergie parce que j’ai beaucoup de mal à déléguer. Pour pouvoir avoir d’autres projets, il faudrait que je sois capable de laisser un peu la boulangerie. Pour l’instant, je préfère faire moi-même, mais je ne compte pas m’arrêter à cette boulangerie. J’ai encore pas mal de projets mais je veux d’abord terminer celui-ci correctement, racheter l’établissement pour avoir quelque chose de vraiment stable.

Retrouvez Djibril Bodian au Grenier à Pain, 38 rue des Abesses 75018 et dans le reportage « Appellation d’origine immigrée ».

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