Compère Lapin, ou l’histoire d’un héros de conte, des Antilles françaises à Walt Disney
Culture

Par Sandro CAPO CHICHI 27 décembre 2014
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Nos lecteurs connaissent probablement Compère Lapin, ce personnage rusé des contes populaires des Antilles françaises. Ce que certains d’entre nous ignorent, c’est qu’avec l’histoire, ce personnage, peut-être originaire du Sénégal, a atteint la culture du sud des Etats-Unis pour entrer dans la culture américaine, devenant ainsi un personnage de Walt Disney. De nombreux spécialistes ont aussi postulé qu’il aurait inspiré le célèbre Bugs Bunny.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Origines
Entre le début et la fin du 18ème siècle, la colonie de la Louisiane (sud des actuels Etats-Unis) se ‘procure’ ses premiers esclaves à partir des Antilles Françaises, comprenant à l’époque la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Domingue (actuelle Haïti). Si ce premier peuplement de la Louisiane sera bouleversé par une migration d’autres esclaves et de leurs maîtres venant de Cuba via Haiti après l’indépendance de cette dernière au 19ème siècle, la Louisiane allait conserver un fond culturel commun avec la Martinique et la Guadeloupe.
Un exemple de cette proximité culturelle est le personnage bien connu de Compère Lapin. Compère Lapin est un personnage symbole de l’esclave rusé, ‘fripon’, qui grâce à sa malice, son ingéniosité voire son cynisme parvient à sortir gagnant de toutes les situations, au détriment de personnages de personnages puissants mais naïfs comme Compère Zamba, associé à l’esclave des champs, parfois représenté comme une chèvre ou un éléphant.
Si le personnage de Zamba semble en partie avoir été hérité de cultures bantoues d’Afrique Centrale où l’éléphant peut se dire nzamba ou avec des mots ressemblants, Compère Lapin pourrait venir de la région du Sénégal, où l’on trouve des contes avec les personnages ‘Leuk’ (le lièvre) et ‘Bouki’ (la hyène) qui correspondent dans leurs incarnations de la débrouillardise et de la naïveté, aux Compères Lapin et Zamba.

La Belle Histoire de Leuk-Le-Lièvre, manuel de cours élémentaire pensé par Léopold S. Senghor et Abdoulaye Sadji pour connecter les écoliers africains de l’Empire colonial français à leurs racines culturelles
En Louisiane et en Haïti, le personnage de Bouki représentant la hyène naïve et pataude se retrouve face aux personnages rusés de Compère Lapin et de Malice. Ce Bouki viendrait très probablement du folklore du Sénégal, notamment wolof. Dans un grand nombre de cultures africaine, on retrouve une telle opposition entre le lapin malin et la hyène ou l’éléphant naïf et pataud.
C’est le cas des Mossis du Burkina Faso, ou m be soaambe (mon compère lièvre) est opposé à m ba katre (mon compère hyène). Le personnage du Compère Lapin aurait donc des origines africaines, et peut-être aussi des origines amérindiennes, puisque certaines divinités ‘friponnes’ de ces populations ancêtres des Noirs des Amériques sont aussi associées au lièvre.
Diffusion
Le personnage de Compère Lapin se serait ensuite étendu au reste du sud des Etats-Unis où il devient connu sous le nom de Br’er Rabbit (abréviation de Brother Rabbit ‘Frère Lapin’). A la fin du 19ème siècle, les contes de Compère Lapin sont retranscrits dans des livres par Joel Chandler Harris et se répandent très vite dans la société américaine. Le président américain Theodore Roosevelt a ainsi déclaré dans son autobiographie avoir grandi au son des histoires de ce Br’er Rabbit. Connues sous le nom de contes d’Oncle Rémus, elles voient l’Oncle Rémus, un ancien esclave de fiction afro-américain raconter des histoires à des enfants mettant notamment en scène Br’er Rabbit.
En 1946, le film d’animation de Walt Disney ‘Song of the South’ dédié aux contes de l’Oncle Rémus est un succès financier, même si il attire la critique d’associations noires dénonçant le portrait raciste et idyllique de la société esclavagiste. Entre temps, la Warner Bros cartoons avait créé Bugs Bunny, un lapin fripon, qui selon un très grand nombre de spécialistes serait aussi une adaptation du Br’er Rabbit des contes afro-américains. Bien que réédité à trois reprises, la dernière fois en 1986, South of
the Song ne le sera plus en raison des préjugés parfois offensants relatifs à la période de l’esclavage qu’il pouvait véhiculer.
Toutefois, de nouvelles versions plus ‘conscientes’ vont tenter de rendre hommage au personnage de Compère Lapin / Brer Rabbit, comme héros de la culture afro-américaine.
C’est le cas du très respectable acteur Danny Glover (aussi connu pour avoir cherché à faire financer une super-production sur la vie de Toussaint Louverture) , qui dans les années 90, avait servi de narrateur à une série de livres audios traitant des aventures de Brer Rabbit.
https://www.youtube.com/watch?v=ew6OqAWytao
C’est encore le même Danny Glover qui en 2006, participa au doublage d’un nouveau film d’animation intitulé « The Adventures of Brer Rabbit », aux accents davantage hip-hop et où le personnage titre sera doublé par le célèbre acteur et producteur Nick Cannon.
https://www.youtube.com/watch?v=j7ZqS_E-UoA&list=PLUQzq7ToPO3Nf_UGk5bYdNelNAT4-_Rin
Aux Antilles françaises où il a émergé dans toute sa spécificité, le personnage de Compère Lapin fait désormais partie intégrante de la culture populaire et du divertissement éducatif pour enfants. La ressemblance de ce personnage avec son équivalent en Afrique rurale, où il est peut-être né et où il continue à être raconté doit nous rendre admiratifs de comment, nos ancêtres, en s’inspirant de la malice de ce lièvre, ont su tourner à leur avantage les situations les plus difficiles de l’esclavage, pour conduire leurs descendants à regagner leur liberté et à en jouir.
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