Amilcar Cabral, père de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert

Amilcar Cabral (1924-1973) est un homme politique qui a dirigé la rébellion victorieuse de la Guinée Bissau et du Cap-Vert contre l’Empire colonial portugais. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands héros et martyrs de la lutte pour l’indépendance des pays africains au vingtième siècle.

Par Sandro CAPO CHICHI / Nofipédia

Jeunesse entre Guinée et Cap-Vert

Amilcar Lopes Cabral est né le 12 septembre 1924 à Bafata, dans l’actuelle Guinée-Bissau, à l’époque Guinée portugaise. Il est l’un des quatre enfants d’un couple originaire de la colonie portugaise du Cap-Vert, plus précisément de l’île de São Tiago.

Le jeune Amilcar Cabral
Le jeune Amilcar Cabral

Son père, Juvenal Cabral était enseignant dans une école primaire alors que sa mère, Iva Evora était propriétaire d’un petit hôtel et d’une boutique. A l’âge de cinq ans, il quitte la Guinée avec sa famille pour le Cap-Vert. La séparation de ses parents entraînera de nombreux allers-retours entre les deux colonies, jusqu’à ses dix ans. A cette époque, il est installé au Cap-Vert avec sa mère et vit dans des conditions très modestes. A l’époque, le Cap-Vert est durement frappé par la famine. Et si le dur labeur de sa mère a empêché le jeune Cabral d’en souffrir, environ 135000 Cap-Verdiens en seraient morts entre 1900 et 1948. Cette tragédie, entretenue par le laxisme du régime colonial portugais, contribuera à la décision, quelques années plus tard, de Cabral, de se révolter. La constitution de l’âme ‘révolutionnaire’ de Cabral se fera aussi sous l’influence de son père qui, sans être un nationaliste, critiquait ouvertement le rôle du régime colonial portugais dans la situation déplorable de ses colonies et insistait sur l’unité entre Guinéens (Noirs) et Cap-Verdiens (métis) dont la différence avait été cultivée par les colons portugais. A cause des  nombreux déménagements de ses parents, c’est à l’âge tardif de douze ans que Cabral est scolarisé. Excellent élève, il parvient à rattraper son retard en terminant son cursus de onze ans en huit ans seulement avec des notes exceptionnelles comparativement à celles des élèves de tout l’Empire portugais. En parallèle de sa scolarité, Amilcar s’intéresse au théâtre, puis, dans le cadre du mouvement de renaissance littéraire afro-lusophone, écrit poèmes et nouvelles où il exprime à la fois son désire d’être père et une dénonciation des injustices dans son île. Fort de son brillant cursus scolaire, Amilcar Cabral obtient en 1945, à l’âge de vingt-et-un ans une bourse pour continuer ses études à Lisbonne, au Portugal métropolitain.

Etudes à Lisbonne 

Cabral, étudiant à Lisbonne
Cabral, étudiant à Lisbonne

A Lisbonne, bien que doté d’une bourse universitaire, l’étudiant Cabral doit cumuler les petits boulots pour subvenir à ses besoins. Il commence en octobre 1945 un cursus en à l’Institut Supérieur d’Agronomie. Une nouvelle fois, il se distingue par son intelligence, son sérieux et sa maîtrise de la langue portugaise qui font de lui l’un des tous meilleurs étudiants de sa promotion à un tel point que le recteur de l’institut lui demandera de donner des cours particuliers à ses propres enfants. En conclusion de son cursus en 1951, il soutient une thèse sur  l’érosion du sol dans la région portugaise de l’Alentejo, une thématique qu’il relie à d’autres de ses propres recherches sur l’érosion au Cap Vert qu’il considère comme l’une des causes de la famine dans cette région. Il reçoit son diplôme en 1952. Entre temps, Cabral avait rencontré Maria Helena Rodrigues, une élève de sa promotion qu’il avait épousé en décembre 1951.

Amilcar et Maria Helena Cabral
Amilcar et Maria Helena Cabral

A travers des réunions d’étudiants, il s’était rapproché d’étudiants africains avec qui il prenait part à un programme de ré-africanisation notamment inspiré par la Négritude et le mouvement littéraire parisien incarné par la maison d’édition Présence Africaine. Il avait aussi découvert les théories communistes. En 1952, il décide, pour des raisons politiques et identitaires, de se rendre en Afrique et d’y travailler comme ingénieur agronome au service du pouvoir colonial, mais d’après lui, pour préparer les populations locales à la lutte contre le colonialisme.

Agronome en Afrique et fondation du PAIGC

Un an après son arrivée en Guinée, à Pessubé, près de Bissau, Cabral est père d’un premier enfant, une fille appelée Iva. Une deuxième suivra. Les débuts de son travail en Guinée consiste, grâce à sa liberté d’exécution, d’améliorer et de créer de nouvelles techniques d’agriculture. Il peut subvenir aux besoins de sa mère au Cap Vert et son demi-frère Luis, qui peu après la mort de leur père, vient s’installer avec lui. En parallèle, il rencontre, souvent clandestinement, des Africains, Guinéens ou Cap-Verdiens avec qui il discute de politique et de militantisme. En septembre 1953, il accepte de procéder à une enquête agricole de la colonie guinéenne pour le gouvernement portugais. Cette enquête qui le fait voyager aux quatre coins de la Guinée le confronte aux réalités socio-économiques de cette colonie. Après être tombé gravement malade, Cabral et sa famille quittent la Guinée pour Lisbonne. Sur place, il trouve aisément du travail et effectue parfois de longues missions en Angola. A cette période, il écrit de nombreux articles scientifiques sur l’agriculture en Guinée. En parallèle de son activité académique, il poursuit clandestinement son activisme politique.  En septembre 1956, il fonde, lors d’une courte mission en Guinée le PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert) avec cinq autres militants et contribue, lors d’un séjour en Angola, à la création du  PLUA (Mouvement populaire pour la libération de l’Angola). En 1959, Cabral décida de renoncer, malgré son excellente réputation dans ce domaine, à son travail d’agronome. Celui-ci lui, plus que le travail d’une vie, aura été pour lui été un moyen de connaître le terrain africain, ses réalités socio-économiques et ses habitants qui devaient être ses alliés dans la guérilla, le seul moyen pour lui de mettre fin au colonialisme. Entre temps, Cabral avait fait la connaissance d’Ana Maria, une Guinéenne active dans la lutte, qu’il épousera en 1966 et avec qui il aura une fille en 1969.

Ana Maria et Amilcar Cabral
Ana Maria et Amilcar Cabral

La guerre et la diplomatie

Les débuts du PAIGC se font avec un succès initialement timide puis grandissant, dans le contexte des syndicats guinéens.  En 1959 une grève des ouvriers portuaires et des dockers en protestation éclate avec pour revendication d’obtenir des salaires plus élevés. Cette grève, associée à la méfiance des autorités coloniales contre les liens des syndicats avec le PAIGC tire sur les manifestants le 3 août 1959 et tue au moins 50 personnes dans ce qui est aujourd’hui connu comme le massacre de Pidjiguiti. Après ce drame, les membres exécutifs du parti se retrouvent lors d’une réunion secrète où ils décident de libérer leur pays par tous les moyens nécessaires y compris par la guerre, l’une des tactiques prévues étant de décentraliser le combat des villes vers les zones rurales. Après des voyages en Europe et en Chine fin 1959, Cabral rejoint la Guinée Conakry de Sékou Touré fraîchement indépendante où sont établis les nouveaux quartiers généraux du PAIGC. Sur place il travaille comme consultant au Ministère de l’Agriculture et  sollicite avec un succès mitigé le soutien militaire de Sékou Touré dans la perspective d’une guerre d’indépendance en Guinée portugaise voisine. Il enrôle des jeunes militants pour beaucoup sans éducation et parvient, grâce à ses qualités de leadership, à les mobiliser dans un engagement pour la lutte pour l’indépendance, en envoyant certains se former militairement à l’étranger. Fin 1962, le PAIGC commence à infiltrer les zones rurales du pays et entame des opérations de guérilla contre les Portugais avec succès.

Amilcar Cabral
Amilcar Cabral

En juillet 1963, le Ministre de la Défense portugais déclare que les rebelles contrôlent environ 15% du territoire guinéen, au sud de la province. Début 1964, les rebelles infligent aux Portugais leur plus cuisante défaite de leur histoire coloniale sur l’île de Como en leur faisant perdre plus de 900 hommes sur 3000. En 1965, Cabral et le PAIGC contrôlaient environ 30% du territoire guinéen. Entre temps, Cabral était intervenu de manière diplomatique à l’étranger et notamment auprès du Portugal et des Nations Unies pour faire reconnaître la légitimité de son parti et de son combat. En 1964, après le congrès de Cassaca, Cabral parvient à réformer certains aspects du parti qui souffre de dissensions intérieures, notamment ethniques et concernant les abus des membres du parti sur des civils. Les succès du PAIGC se poursuivent et en 1966, il contrôle la moitié de la population et 60 % du territoire.

Cabral et Fidel Castro lors de son voyage à Cuba en 1966
Cabral et Fidel Castro lors de son voyage à Cuba en 1966

Les succès au sol de l’armée rebelle font amener l’armée colonialiste à attaquer par les airs avec des armes chimiques comme le phosphore blanc causant de nombreux dégâts chez les civils. Le PAIGC parvient à s’adapter à cette nouvelle menace, rééquilibrant le conflit. Entre 1970 et 1973, le conflit évolue en faveur des rebelles et les Portugais, désespérés, tentent un coup d’état pour renverser Sékou Touré et mettre fin à son soutien pour le PAIGC : mais il se solde par un échec. Les rebelles contrôlent une très grande partie du territoire. Grâce à ses efforts diplomatiques à l’étranger, qui l’emmèneront même jusqu’à visiter et à obtenir le soutien du pape Paul VI, Cabral et le PAIGC obtiennent en octobre 1972, la reconnaissance du PAIGC comme le seul parti véritablement représentatif du peuple guinéen.

Amilcar Cabral
Amilcar Cabral

Mort et indépendance

Entre temps toutefois, les autorités coloniales portugaises devant l’humiliation d’une défaite quasi certaine, avaient dès 1971 programmé l’assassinat de Cabral par le biais de sa police secrète, la PIDE DGS.  La perte de la Guinée faisait craindre un effet domino sur l’indépendance des autres colonies. Mais l’opération ne devait pas être frontale et passer comme une simple dissension entre membres du parti. Les Portugais jouèrent la carte de la dissension entre Cap-Verdiens ‘métissés’ et Guinéens ‘noirs’  et celle de l’embrigadement d’anciens membres du parti, éconduits ou déclassés. L’un d’entre eux, Inocencio Kani, tenta avec d’autres un coup d’état avant l’heure en essayant de conduire de force les leaders du parti à l’extérieur de la Guinée, dont Cabral. Cabral refusa et conformément à sa nature diplomate plutôt que guerrière, décida de lui parler, espérant lui faire changer d’avis. Kani le tua le 20 janvier devant sa deuxième femme Ana Maria.

Ana Maria Cabral, en 2010
Ana Maria Cabral, en 2010

Les rebelles furent rapidement neutralisés et le PAIGC reprit le contrôle sur le territoire. L’indépendance de la Guinée Conakry fut déclarée en septembre 1973 et reconnue  par le Portugal en octobre 1974. Celle du Cap-Vert, aussi sous le leadership du PAIGC, suivra en 1975.

Luis Cabral
Luis Cabral

C’est son frère Luis qui participa aussi à la fondation du parti qui portera son héritage comme président du parti premier Président de la Guinée-Bissau (1973-1980). C’est un autre membre du PAIGC, Aristides Pereira qui deviendra le premier président du Cap Vert, concrétisant ainsi des années de lutte d’un authentique guerrier et intellectuel, l’un des plus brillants leaders anti-colonialistes de l’histoire.

Amilcar Cabral au palais de la culture, Cap-Vert par Joel Bergner
Amilcar Cabral au palais de la culture, Cap-Vert par Joel Bergner
Timbre guinéen à l'effigie de Cabral
Timbre guinéen à l’effigie de Cabral

Références
AMÍLCAR CABRAL: DEDICAÇÃO E ESPÍRITO DE SACRIFÍCIO / ANA MARIA CABRAL <http://www.nosgenti.com/?p=904>
AMÍLCAR CABRAL: REVOLUTIONARY LEADERSHIP AND PEOPLES’S WAR / PATRICK CHABAL

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