BLAISE DIAGNE

Député, membre des cabinets de Clémenceau et de Laval, maire de Dakar, Blaise Diagne fut l’un des hommes politiques d’Afrique noire francophone les plus influents de son temps

Premier député noir africain à rejoindre l’assemblée nationale française, constamment réélu de 1914 à 1934, membre des cabinets de Clemenceau et de Laval, maire de Dakar de 1924 à 1934, Blaise Diagne fut un des hommes politiques les plus importants de son temps et exerça plus d’influence que n’importe quel autre africain francophone à son époque.
Blaise Adolphe Diagne est né le 13 octobre 1872 dans l’île de Gorée. Il est d’ascendance lebou et wolof. Diagne est très tôt adopté par la famille Crespin, une famille respectée de métis originaires de Gorée et de St-Louis. Diagne apprend très tôt à lire et à écrire, bénéficie d’une éducation, il étudie à l’école des frères de Gorée, puis à l’école laïque de St-Louis. Il figure au palmarès de la distribution des prix en août 1884. Boursier du gouvernement, le jeune Diagne va poursuivre ses études en France, à Aix-en-Provence. Il a le mal du pays et revient poursuivre ses études à l’école secondaire des frères de Ploërmel puis prépare le concours d’entrée dans la fonction publique au service des Douanes où les places réservées aux africains sont assez peu nombreuses à l’époque.

Le début de carrière
Diagne est reçu au concours en 1892 et pendant les années qui vont suivre travaille comme fonctionnaire des Douanes, occupant des postes dans des localisations géographiques variées au Sénégal, au Dahomey (jusqu’en novembre 1892), au Congo jusqu’en 1898, à la Réunion (1898-1902), puis Madagascar (1902-1903)… En 1914, il est nommé Contrôleur des Douanes en Guyane. Au début de sa carrière, il est bien noté par ses supérieurs qui estiment néanmoins qu’il manque par trop de respect envers les hommes d’affaires et les fonctionnaires français, ce qui lui vaut deux mois de suspension en 1899 pour insubordination (un de ses supérieurs le décrit comme un « caractère indiscipliné et frondeur. »).
Son séjour à Madagascar s’avère important pour lui car il est reçu par la Franc-maçonnerie (Ordre du Grand-Orient) particulièrement influente en milieu colonial, ce qui lui permet d’accéder à la Haute administration. Il entre par ailleurs en conflit avec le gouverneur général Augageur qui veut le faire muter. Diagne réalise à l’occasion de cette crise qu’il peut tenir tête à un fonctionnaire de Haut rang. Conscient que sa carrière de fonctionnaire ne lui permet pas d’envisager une carrière politique, Blaise Diagne décide de se présenter à la députation à Dakar.
Les « Quatre communes » du Sénégal (St-Louis, Rufisque, Dakar et Gorée) jouissent d’un statut spécial unique dans l’empire colonial africain de la France qui confère à leurs habitants la possibilité de voter lors des élections, (ils peuvent élire des conseillers municipaux et un député) et le gagnant des élections législatives représente les quatre communes au palais Bourbon, qui abrite l’assemblée nationale française.
Mai 1914 : Diagne est élu député
Avant Diagne, aucun noir africain n’a jamais été élu député. Ce dernier part avec un désavantage : il est inconnu de la plupart des électeurs (il a quitté le pays en 1892). Il bénéficie néanmoins du soutien de Galandou Diouf, un africain membre du conseil général qui s’est fait remarquer par ses prises de position hostiles à l’administration. Il est aussi soutenu par Cheikh Amadou Bamba, le chef de la communauté Mouride (qu’il a rencontré lors de l’exil de ce dernier au Gabon). Il est également appuyé par Assane Ndoye, un des chefs de la communauté Lebou dont le soutien compense son manque de notoriété.
Enfin, il est épaulé par Amadou Duguaye Cledor qui restera un fidèle parmi les fidèles.Diagne cristallise les espoirs d’une génération qui rêve de se voir représenter par un Noir au palais Bourbon. Diagne a parfaitement compris l’espoir qu’il représente chez les électeurs africains des quatre communes, mais ses adversaires ne le prennent pas au sérieux (On se demande dans les cercles bien informés qui du clan Carpot, de la famille Devès ou du candidat des gros négociants bordelais l’emportera). Mais Diagne est tenace, il convainc le groupe des « jeunes africains », menés par Lamine Gueye, de se rassembler derrière sa candidature et obtient le soutien des petits commerçants français, parmi lesquels Jean Daramy D’oxoby, qui dirige le journal « la démocratie », un journal qui deviendra l’organe officiel de la campagne de Diagne. Les élections sont houleuses car le poste risque d’échapper, pour la première fois, aux Français et aux Métis qui se le « partage » depuis 1897.
Au premier tour, le 26 avril 1914, Diagne est arrivé en tête avec 1910 voix contre 671 à son concurrent direct le député sortant Carnot. Lors du second tour qui a lieu 10 mai, Diagne l’emporte avec 2424 voix, le second, Heimburger obtient 2249 voix, contre 472 à Carnot, le député sortant qui ne finit que troisième. A Paris c’est la surprise. Le ministre des colonies ne comprend pas ce qui se passe, les marchands de Bordeaux protestent auprès de William Ponty, le gouverneur général. Les adversaires de Diagne manoeuvrent pour faire invalider l’élection, le destabiliser, l’acheter…Mais l’élection de Diagne est malgré tout respectée, ce qui est à mettre au crédit de William Ponty, gouverneur de l’AOF. Blaise Diagne arrive au palais Bourbon en juillet 1914.
L’entrée dans le cabinet de Clemenceau
En août 1914, la France entre en guerre. En 1915, Diagne réussit à faire voter une loi conférant la nationalité française aux sénégalais issus des quatre communes, notamment parce que ceux qui en étaient originaires étaient incorporés dans les troupes coloniales sans bénéficier des mêmes avantages que les troupes françaises. En 1917, un tournant intervient pour le député Diagne. L’armée française a besoin de « forces vives » et de renfort dans les tranchées du Nord de la France. Diagne bénéficie de la confiance des Africains, et en Afrique, il y a eu plusieurs révoltes contre l’enrôlement destiné à pourvoir la France en hommes. Il est donc sollicité par Clemenceau qui crée un poste spécial dans son gouvernement (commissaire général des troupes africaines) pour lui et l’envoie en mission en Afrique.
Joost Van Vollenhoven, nouveau gouverneur général de l’AOF s’oppose au recrutement des africains (plusieurs tentatives de rébellion se sont produites) et met en jeu sa carrière dans la balance. Désavoué, il va sur le front où il est tué au combat (situation paradoxale où un gouverneur blanc de l’AOF défend la non-participation des africains alors que Diagne doit les convaincre de participer à l’effort de guerre). Au Sénégal, le nouveau gouverneur Gabriel Angoulvant qui rechigne à le recevoir est prié par Clemenceau d’accueillir Diagne à sa descente de bateau avec tous les honneurs dus à son rang. Diagne réussit à convaincre ses interlocuteurs africains du bien-fondé de sa démarche et plus de 80 000 africains rejoignent les rangs de l’armée française.
A son retour, il sera sollicité pour recevoir la légion d’honneur, récompense qu’il refusera d’accepter considérant n’avoir fait que son devoir. Le rôle de Diagne en cette fin de première guerre mondiale l’installe désormais comme un personnage incontournable dans les rapports entre la France et les colonies. Il ne fait cependant pas l’unanimité et ses détracteurs ne manquent pas de l’attaquer. Le journal « Les Continents » l’attaque en disant qu’il aurait reçu de l’argent pour avoir recruté des africains. Blaise Diagne poursuit l’éditeur en justice et Clemenceau témoigne en sa faveur, déclarant que Diagne avait mis fin à la « révolte des africains par la seule force de sa personnalité et que la question d’une quelconque récompense financière ou autre pour services rendus n’avait jamais été soulevée. »
Les rencontres avec WEB Du Bois et Marcus Garvey

En 1919, Diagne participe au premier congrès panafricain à Paris (il a convaincu Clémenceau d’autoriser sa tenue en France). Bien que président du Congrès, Diagne n’est pas « emballé » par les idéaux de WEB Du Bois qui prône le panafricanisme sans tenir compte des frontières. A une question de Marcus Garvey, avocat du panafricanisme et du « Back to Africa », Diagne répond : « Nous africains de France avons choisi de rester français puisque la France nous a donné la liberté et qu’elle nous accepte sans réserves comme citoyens égaux à ses citoyens d’origine européenne. Aucune propagande, aucune influence de la part de Noirs ou de Blancs ne peut nous empêcher d’avoir le sentiment que la France seule est capable de travailler pour l’avancement de la race noire. »
En 1921, Du Bois et Diagne se retrouvent pour le second congrès panafricain, mais se quittent avant la fin car Diagne considère décidément ce mouvement comme trop radical. Il soupçonne même Garvey (à tort) d’être un agent de Moscou…Haut commissaire des troupes noires, Diagne est le porte parole des africains, mais aussi représentant du gouvernement français. Diagne se signale à plusieurs occasions par ses prises de position : en 1919 deux touristes américains font expulser deux officiers africains d’un bus (Ne comprenant pas que la ségrégation raciale ne soit pas appliquée en France), Diagne proteste au parlement ce qui conduit le président Poincaré à se prononcer publiquement contre les discriminations liées à la couleur.
Diagne homme politique influent
En 1922, il se signale une nouvelle fois au parlement prenant la parole au lendemain d’un scandale sportif qui a fait grand bruit : le boxeur Battling Siki, originaire du Sénégal (St-Louis), est dépossédé de son titre après sa victoire sur Marcel Carpentier par la fédération française qui revient sur la décision de l’arbitre. (Siki a gagné par KO, l’arbitre l’a déclaré perdant, mais les protestations du public contre une injustice flagrante l’ont conduit à redonner la victoire à Siki). « Si je m’exprime aujourd’hui » dira Diagne, « c’est pour que ce genre de choses ne se reproduisent pas à l’avenir. Il est inconcevable qu’on ait privé Siki de sa victoire simplement parce qu’il est Noir ». Le titre sera finalement redonné à Siki malgré les critiques.
Diagne continue à ne pas laisser indifférent et est qualifié par certains de traître pour avoir amené des africains combattre aux côtés de la France pendant la première guerre mondiale. D’autres le louent pour avoir renforcé la position des « peuples de couleur » dans l’empire. Les milieux coloniaux conservateurs le juge trop pro-africain et hostile à l’administration. Diagne est en 1921 président de la commission sur les colonies, négocie avec les riches commerçants bordelais (qui lui étaient hostile à ses débuts), ce qui ne plaît pas à ses détracteurs. Une opposition composée de jeunes africains a même essayé de lui faire mordre la poussière lors des élections en 1918, sans succès.
Lamine Guèye qui a bénéficié de l’aide de Diagne à ses débuts à Paris, entame sa propre carrière politique et devient un opposant à Diagne. Gueye pousse Paul Deferre (père de Gaston Deferre, futur maire de Marseille), avocat à Dakar à se présenter contre Diagne. Ce dernier bat facilement Deferre et sera constamment réélu (en 1928 face à son ancien compagnon Galandou Diouf qui s’est retourné contre lui, et en 1932 notamment grâce à son action en faveur des paysans). Il reçoit chez lui le jeune Leopold Sedar Senghor qu’il considère comme son correspondant à Paris et qu’il emmène à l’occasion en randonnée avec sa famille.
Diagne livre ses dernières batailles
Il livre au début des années 30 la « bataille de l’arachide » en usant de toute son influence politique et en mobilisant tous ses réseaux économiques et politiques pour que la chambre des députés accorde une subvention à l’arachide sénégalais victime de la crise mondiale qui sévit en ce début des années 30. Cependant, à la même période, Diagne adopte une position plus controversée puisqu’il prend la défense de la France lorsqu’elle prône le travail forcé dans les colonies. Aux réunions du Bureau International du Travail à Genève dans les années 30, Diagne soutient que la France a le droit d’exiger l’aide des africains pour tracer des routes, améliorer l’hygiène, et exécuter d’autres travaux du genre.
Pour qui a entendu parler de la construction du chemin de fer Congo Océan au cours de laquelle des milliers d’africains perdirent la vie (André Gide en rendra compte dans son fameux « voyage au Congo »), les propos de Diagne résonnent étrangement (même si celui-ci est conscient de l’ambiguité de sa position). Diagne est sollicité en 1931 par Pierre Laval pour entrer dans son cabinet comme sous-secrétaire d’Etat aux colonies, fonctions qu’il conservera dans les 2ème et 3ème cabinet de Laval. Ses détracteurs l’accuseront d’être un vieux politique coupé des réalités africaines dans son ministère…La bataille livrée pour obtenir des subventions pour l’arachide sénégalais a affaibli Diagne qui est malade. Alors qu’il est en voyage officiel en AOF, Diagne ressent un malaise et est rapatrié en France où il décède le 11 mai 1934.
Défendant à la fois les intérêts africains tout en étant « assimilé », présent au coeur des rouages de la vie politique française, Diagne préfigure ce que seront les carrières d’autres députés africains au lendemain de la seconde guerre mondiale comme Galandou Diouf, Léopold Sedar Senghor, Lamine Gueye ou encore Félix Houphouët-Boigny qui hériteront tous du « style Diagne ». Tous ses lieutenants, même si certains sont devenus ses adversaires par la suite, deviendront des ténors de la politique sénégalaise. La carrière de Diagne permet aussi d’une certaine façon de comprendre la relative facilité avec laquelle un certain néo-colonialisme se mettra en place dans les pays d’Afrique francophone après les indépendances puisque parmi les nouveaux chefs d’Etat africains, beaucoup étaient d’anciens députés du palais Bourbon…Toujours est-il que la mort de Diagne marque la disparition de celui qui fut peut-être le Noir le plus notoire de son temps, et un des hommes politiques africains les plus influents de la première moitié du 20ème siècle.
Date : 13 octobre 1872 – 11 mai 1934

 

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