Les Noirs sous le Jolly Roger

Durant l’âge d’or de la piraterie, les hommes noirs, esclaves en fuite ou marins libres, ont participé activement aux expéditions maritimes, échappant aux chaînes pour embrasser une existence pleine de danger et d’opportunités. Découvrons l’histoire fascinante et méconnue de ces pirates qui, dans les plis du Jolly Roger, cherchaient une liberté inespérée en défiant les empires européens.

Quand les pirates noirs voguaient sous le pavillon de la liberté

Les Noirs sous le Jolly Roger : Quand les pirates noirs voguaient sous le pavillon de la liberté
M. Scott (Black Sails) Hakeem Kae-Kazim/© 2017 Starz Entertainment, LLC – © 2017 Starz

Au XVIIIe siècle, les eaux des Caraïbes, du Golfe du Mexique jusqu’à la côte est des États-Unis, étaient infestées de navires arborant des pavillons noirs, symboles de rébellion et de liberté. Des pirates comme Bartholomew Roberts, alias Black Bart, et Edward Teach, dit Barbe Noire, se sont inscrits dans les légendes de la piraterie, mais un pan méconnu de cette histoire concerne les hommes noirs, esclaves en fuite ou engagés de force dans ces navires et qui, une fois la mer affrontée, ont fait le choix de demeurer sous le pavillon noir.

Entre 1715 et 1726, on estime que 5 000 pirates opéraient en haute mer, et parmi eux, environ 25 à 30 % étaient d’anciens esclaves ou des affranchis noirs. Pour ces hommes, la piraterie représentait une échappatoire à l’asservissement, une chance de redéfinir leur destin. Contrairement aux équipages traditionnels, les pirates prônaient un modèle d’égalité relatif, régi par des codes stricts et une part des butins équitablement distribuée entre chaque membre de l’équipage.

Pirates et esclavage

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Zethu Dlomo-MphahleleBlack SailsXXIX. Photo prise par David Bloomer/© 2017 Starz Entertainment, LLC – © 2017 Starz

Les esclaves fugitifs, ou « cimarrons1 », trouvaient souvent refuge à bord des navires pirates, en partie en raison des raids réguliers menés par les pirates sur les navires négriers européens. Sam Bellamy, célèbre pour avoir commandé l’équipage du Whydah Gally2, comptait 27 noirs parmi ses 180 hommes en 1717. Les cimarrons qui rejoignaient les pirates se retrouvaient égaux à leurs camarades, non comme objets de pitié mais comme compagnons de lutte contre l’ordre colonial.

Nombreux sont les cas documentés où les esclaves captifs sur des navires négriers sautaient sur l’occasion offerte par les pirates pour se libérer. Par exemple, lors de la prise d’un « navire de Guinée » par Bellamy, 25 esclaves noirs rejoignirent immédiatement les rangs des pirates. Non seulement ils gagnaient leur liberté, mais ils prenaient part activement aux raids, avec souvent des positions de premier ordre, comme celle de Francis Spriggs, cuisinier et chef des rations pour l’équipage, respecté pour son rôle vital dans la redistribution équitable du butin.

Le cas emblématique de Black Caesar

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La figure de Black Caesar, chef pirate d’origine africaine, incarne la résistance noire au sein du monde de la piraterie. Chef africain reconnu pour sa force et son intelligence, Caesar a été capturé par un négrier européen, mais a réussi à s’évader avec l’aide d’un marin compatissant. Ensemble, ils ont formé un duo redouté qui attaquait les navires marchands en se faisant passer pour des naufragés.

Avec le temps, Caesar est devenu un redoutable capitaine, recrutant un équipage et menant des raids dans les eaux de la Floride. Selon la légende, il possédait des trésors enfouis sur Elliott Key, cachés dans les replis des côtes inaccessibles où il se réfugiait après chaque expédition. L’alliance de Caesar avec le célèbre pirate Barbe Noire témoigne de son influence dans le monde pirate. Ensemble, ils ont défié la marine anglaise jusqu’en 1718, où Caesar, capturé, refusa de dénoncer ses camarades, embrassant ainsi le destin des pirates face aux gallows ou au fouet.

La piraterie : une forme de résistance et d’affirmation

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Toby Stephens, Zethu Dlomo-Mphahlele BlackSails, XXIX. Photo prise par David Bloomer/© 2017 Starz Entertainment, LLC

Les pirates noirs ne naviguaient pas uniquement pour leur survie ou le butin ; ils défiaient également un système colonial qui réduisait leur peuple en esclavage. La piraterie offrait une alternative où des individus comme Abraham Samuel, fils d’une esclave noire et d’un planteur de la Martinique, purent s’affranchir. Samuel a été élu chef des pirates sur l’île de Madagascar après avoir survécu à un naufrage. Il a construit une alliance solide avec les populations locales malgaches, faisant de Fort Dauphin un centre de commerce incontournable, rivale de l’île Sainte-Marie, autre bastion pirate

Cette micro-société dirigée par des pirates noirs et métissés à Madagascar offrait une alternative à la brutalité coloniale et prouvait que les hommes, indépendamment de leur origine, pouvaient vivre en communauté et prospérer. Samuel, considéré par les Malgaches comme un roi légitime, a exercé un pouvoir symbolique mais aussi politique, en traitant directement avec des marchands et en établissant des lois locales.

Les complexités de la justice pirate

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Malgré les idéaux égalitaires et les positions de pouvoir acquises par certains, les noirs capturés par les forces coloniales n’étaient pas toujours jugés de la même manière que leurs homologues blancs. John Julian, un indien miskito membre de l’équipage du Whydah Galley, après avoir survécu à un naufrage, fut vendu comme esclave au lieu d’être jugé pour piraterie comme ses compagnons blancs.

De nombreux captifs noirs capturés aux côtés des pirates étaient directement réassignés aux plantations, rappelant que, même sous le pavillon noir, l’ombre de l’esclavage persistait dans la loi coloniale. Après la capture de Bartholomew Roberts, également connu sous le nom de Black Bart, en 1722, 66 de ses pirates noirs furent remis à la Royal African Company3, qui les revendit immédiatement comme esclaves. Ce double traitement montre la brutalité d’un système qui voyait la liberté des noirs comme une menace intolérable.

La fin des mythes et la persistance des légendes

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Si la piraterie noire a atteint son apogée au XVIIIe siècle, son déclin progressif ne s’est pas accompagné de l’oubli total de ces récits. Les mythes autour de figures telles que Black Caesar, Abraham Samuel ou Diego Grillo4, un mulâtre cubain, ont continué d’inspirer la littérature, le cinéma, et les mouvements d’affranchissement au XXe siècle. La piraterie, en tant que phénomène de résistance à l’oppression, trouve écho dans les luttes pour les droits civiques et les mouvements afro-descendants qui célèbrent aujourd’hui des figures de résistance et d’autonomie.

En défiant l’ordre colonial, les pirates noirs ont prouvé qu’une autre vie, hors des chaînes et des lois européennes, était possible. Ils ont offert aux générations futures des exemples de courage et d’endurance, dans une époque où la liberté n’était qu’un rêve lointain pour les peuples noirs.

L’héritage des pirates noirs dans la culture contemporaine

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Aujourd’hui, l’histoire des pirates noirs, longtemps mise de côté dans les récits traditionnels, ressurgit comme un témoignage précieux de résistance et de détermination. Leur héritage inspire non seulement des œuvres de fiction mais aussi des réflexions plus profondes sur la lutte pour la liberté et l’égalité. Ces pirates, hommes libres en mer, ont, par leurs actes de défiance, incarné une forme de dignité et d’honneur que peu de figures historiques ont su revendiquer dans un contexte de domination.

Pour des millions de descendants afro-descendants, les histoires de ces hommes sont une source de fierté et un rappel poignant de la résilience et de l’ingéniosité qui définissent leur héritage. Des cimarrons de Jamaïque aux flibustiers des Caraïbes, ces figures éparses du passé prennent aujourd’hui une place légitime dans les narrations de l’histoire mondiale, rappelant que même dans les périodes les plus sombres, la liberté reste un objectif atteignable, aussi incertain et dangereux soit-il.

Notes

  1. Cimarrons : Terme utilisé pour désigner les esclaves noirs qui s’étaient échappés et vivaient en communautés autonomes, notamment dans les montagnes ou les forêts. ↩︎
  2. Whydah Gally : Navire pirate dirigé par Sam Bellamy, coulé en 1717 ; célèbre pour avoir été l’un des rares navires pirates récupérés et dont le trésor a été partiellement retrouvé. ↩︎
  3. Royal African Company : Compagnie anglaise créée en 1672 pour monopoliser le commerce des esclaves et autres marchandises sur la côte africaine. ↩︎
  4. Diego Grillo : Pirate d’origine cubaine, souvent désigné comme un mulâtre, qui a défié l’autorité coloniale espagnole dans les Caraïbes. ↩︎

Sources

  • Bolster, W. Jeffrey – Black Jacks: African American Seamen in the Age of Sail. Harvard University Press, 1998.
    Cet ouvrage explore le rôle des marins noirs dans l’histoire maritime, y compris leur engagement dans la piraterie.
  • Kinkor, Kenneth J. – « Black Men Under the Black Flag » dans Bandits at Sea: A Pirates Reader, New York University Press, 2001, pp. 195-210.
    Une étude historique sur les pirates noirs et leur intégration dans les équipages pirates à l’époque de la piraterie.
  • Rediker, Marcus – Villains of All Nations: Atlantic Pirates in the Golden Age. Beacon Press, 2004.
    Rediker décrit l’histoire et la structure sociale des pirates, y compris les relations entre les marins blancs et noirs à bord.
  • Vallar, Cindy – « Black Pirates. » Pirates and Privateers: The History of Maritime Piracy, site Web de Cindy Vallar.
    Vallar documente les rôles joués par les pirates noirs et leurs alliances au sein des équipages pirates, de Black Caesar à Bartholomew Roberts.
  • Rogozinski, Jan – Honor Among Thieves: Captain Kidd, Henry Every, and the Pirate Democracy in the Indian Ocean. Stackpole Books, 2000.
    Rogozinski examine comment la « démocratie pirate » permettait l’intégration d’individus de toutes origines, et en particulier des noirs, parmi les équipages.
  • Marley, David F. – Pirates and Privateers of the Americas. ABC-CLIO, 1994.
    Cet ouvrage fournit une analyse détaillée des pirates dans les Amériques, y compris la participation des noirs dans les équipages et leurs raisons pour rejoindre la piraterie.
  • McCarthy, Kevin M. – Twenty Florida Pirates. Pineapple Press, 1994.
    McCarthy traite de plusieurs figures de pirates, y compris des pirates noirs ayant opéré dans les eaux de Floride, et des récits liés à Black Caesar.
  • Selinger, Gail – The Complete Idiot’s Guide to Pirates. Alpha Books, 2006.
    Un guide complet et accessible sur la vie des pirates, y compris les conditions de vie des marins noirs et les raisons de leur choix de vie sous le pavillon noir.
  • Gosse, Philip – The Pirates’ Who’s Who. Rio Grande Press, 1924.
    Un répertoire des pirates célèbres, fournissant des informations historiques sur les équipages et leurs membres noirs.
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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