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Assa Traoré : “J’irai jusqu’au bout, s’il faut, j’y laisserai ma vie”

Société

Assa Traoré : “J’irai jusqu’au bout, s’il faut, j’y laisserai ma vie”

Par Thalie Mpouho 10 mai 2021

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Assa Traoré comparaissait vendredi 7 mai, second jour de son procès, pour avoir divulgué l’identité des gendarmes qu’elle accuse d’avoir tué son frère en juillet 2016. Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant le TGI, en soutien à la famille Traoré.

“Justice pour Adama, justice pour Adama…”. Devant le tribunal de Grande instance de Paris, une foule de plusieurs centaines de personnes réclame justice, le poing levé. Tous ont répondu à l’appel au rassemblement du collectif La vérité pour Adama. Sous les regards vitreux d’une horde de CRS, des pancartes où l’on peut lire “notre police tue” ou encore “pas de justice pas de paix”, s’agitent au rythme des mouvements saccadés. Les journalistes, armés de micros et de caméras, se ruent vers l’entrée du tribunal. Ils sont suivis de près par un public qui s’agglutine.  

“BFM va te faire baiser” martèle une personne enfouie dans la masse. “Vous profitez du peuple” ajoute-t-il avant de se faire acclamer par un tonnerre d’applaudissements. Sur le parvis du 17ème arrondissement, tous espèrent approcher celle qu’ils attendent depuis des heures. Elle est le visage de la lutte contre les violences policières : Assa Traoré. Et pour cause, cette dernière comparaissait depuis la veille pour diffamation envers les gendarmes qu’elle accuse d’avoir tué son frère. Dans une tribune publiée sur facebook en juillet 2019, inspirée des écrits d’Emile Zola et donc intitulée « J’accuse », elle révélait leur identité. 

“Honte de la justice française”

Assa Traoré : “J’irai jusqu’au bout, s’il faut, j'y laisserai ma vie”

Assa Traoré arrive au tribunal de grande instance de Paris aux alentours de 16h30 – © Roy Yala

“Poussez-vous s’il-vous-plaît, poussez-vous”. Un membre du collectif La vérité pour Adama, appelle au calme à l’arrivée d’Assa Traoré. Assaillie par une marée humaine venue la soutenir, elle peine à se déplacer, malgré ses proches qui font office de bouclier. Les téléphones portables et autres appareils électroniques capables d’enregistrer le moindre mot se hissent tour à tour au-dessus des têtes. Le discours tant attendu est sur le point de commencer. 

“J’irai jusqu’au bout. S’il faut, j’y laisserai ma vie” crie-t-elle avec conviction. Difficile de se douter que quelques heures avant son second procès, Assa Traoré était prise en charge par le samu du 94 suite à un malaise. Elle n’a donc pas pu assister aux plaidoiries et réquisitions de la matinée. Pourtant, rien dans ses mots ni dans sa gestuelle ne trahit un signe d’une quelconque faiblesse physique.

“ J’ai honte de la justice française. 5 ans après la mort de mon petit frère, les gendarmes n’ont toujours pas été mis en examen alors que tous les éléments prouvent qu’ils sont responsables de la mort d’Adama Traoré. Mais la justice française préfère condamner et mettre sur le banc des accusés la sœur d’Adama Traoré. C’est scandaleux” assène-t-elle.

A travers son discours, l’on apprend alors que les gendarmes à l’origine de sa mise en examen, ne se sont pas présentés au procès. “Ce sont des lâches qui n’ont pas osé venir affronter le regard d’Assa Traoré. (…) des lâches qui n’ont pas osé venir assumer dire qu’ils sont responsables de la mort d’Adama Traoré. Ce sont des lâches qui auraient dû être là aujourd’hui”. Instantanément, ces phrases provoquent une audible indignation au sein de la foule, qui se met à huer.

Assa Traoré : “J’irai jusqu’au bout, s’il faut, j'y laisserai ma vie”

© Roy Yala

En février, les gendarmes avaient obtenu une condamnation d’Assa Traoré par la cour d’appel de Paris. Ils l’attaquaient au civil pour « atteinte à la présomption d’innocence ». 

Un soutien sans faille

Diénéba, étudiante de 20 ans, a fait le déplacement depuis le 95 pour soutenir Assa Traoré. Elle souligne l’importance de ce rassemblement, qui, selon elle, peut faire avancer le combat contre les violences policières. “Aujourd’hui on est là pour lutter contre ce fléau qui peut nous arriver à tous. Pour moi, c’est important d’être là car si on ne se bat pas, personne ne va le faire pour nous et nous sommes les voix du futur”. Tout comme elle, près de 300 autres personnes sont venues soutenir Assa Traoré. Parmi elles, certaines personnalités du cinéma, de la chanson ou de la politique ont répondu présent. Malgré le port du masque, il est possible de reconnaître la chanteuse Yseult ou encore les acteurs Gwendal Marimoutou et Aïssa Maïga. 

Plus loin, l’autrice et journaliste Rokhaya Diallo s’exprime au micro du média  Le Parisien. “Nous ce qu’on veut simplement, c’est que notre république qui réclame liberté égalité fraternité nous explique comment un jeune homme qui est sorti de chez lui en bonne santé, se retrouve mort sous le poids de trois gendarmes sans que ces derniers ne soient jamais interrogés pas la justice”. Interpellé par le même média, Eric Coquerel, député pour la France insoumise, évoque une “inversion des valeurs” en France, où “ceux qui dénoncent le racisme et en sont les victimes, sont dénoncés comme racistes”.

Assa Traoré : “J’irai jusqu’au bout, s’il faut, j'y laisserai ma vie”

Les femmes de chambre de l’hôtel Ibis de Batignolles – © Roy Yala

Comment ne pas reconnaître les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles, qui luttent depuis près de vingt-deux mois pour de meilleures conditions de travail. Rassemblées devant le tribunal, les cinq femmes sont venues prêter main forte à celle qui les a également soutenues dans leur cause. “Perdre un être cher est difficile, surtout dans des conditions pénibles et inexpliquées. Elle doit savoir qu’elle n’est pas toute seule” affirme Rachel Kéké, figure de proue dans le combat des femmes de chambre. 

Assa Traoré: « J’assume cette lettre »

Assa Traoré : “J’irai jusqu’au bout, s’il faut, j'y laisserai ma vie”

Assa Traoré pendant son discours avant son entrée au tribunal – © Thomas SAMSON, AFP

Malgré l’absence des trois gendarmes durant l’audience, Assa Traoré, qui espérait tout de même un face à face avec eux, a défendu son texte. « J’assume cette lettre. Si la justice française à laquelle j’étais censée faire confiance avait fait le travail nécessaire, peut-être qu’à ce moment-là, je n’aurais pas eu envie d’écrire cette lettre ». Afin d’examiner ladite diffamation, la défense et les parties civiles se sont basées sur des pièces du dossier d’instruction, toujours en cours. Autrement dit, l’interpellation d’Adama Traoré. Yassine Bouzrou, avocat de la famille, a comparé à plusieurs reprises l’affaire George Floyd, récent symbole des violences policières aux Etats-Unis, à l’affaire Traoré. « Lorsqu’un individu est entre les mains d’un service public et qu’il décède, on peut estimer qu’il y a une responsabilité des individus qui l’ont interpellé » affirmait-il.

Le procureur Yves Badorc, lui, a demandé au tribunal de la condamner car “le droit à l’indignation a ses limites”. Finalement, la décision a été mise en délibéré au 1er juillet. Après la longue plaidoirie de son avocat, Assa Traoré a déclaré une nouvelle fois se battre jusqu’au bout, “pour avoir la vérité et la justice”.