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La dynastie Duvalier : François Duvalier dit « Papa Doc »

Histoire

La dynastie Duvalier : François Duvalier dit « Papa Doc »

Par Mathieu N'DIAYE 13 avril 2021

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La dynastie Duvalier restera à jamais dans les esprits comme une dictature autoritaire en Haïti. Durant cette sombre époque qui dura presque deux décennies (1957-1986), la première république Noire de l’ère moderne fut sous le joug d’un duo père/fils despotique : François et Jean-Claude Duvalier, alias « Papa Doc » et « Baby Doc ». A travers cette d’article, Nofi vous propose quelques clés de compréhension au sujet de l’histoire de la tristement célèbre dynastie Duvalier.

La dynastie Duvalier : François Duvalier dit « Papa Doc »

« Dieu et le peuple sont la source de tout pouvoir. J’ai reçu deux fois le pouvoir. Je l’ai pris, et bon sang, je le garderai pour toujours. » [1]

François Duvalier, que l’Histoire retiendra sous le funeste sobriquet de « Papa Doc« , est né à Port-au-Prince, le 14 avril 1907. Son père était enseignant et journaliste. Sa mère, quant à elle, travaillait dans une boulangerie. Comme la majorité de ses concitoyens, François est un descendant d’esclaves africains. Il a obtenu son diplôme en 1934 de l’école de médecine de l’Université d’Haïti et devint médecin hospitalier jusqu’en 1943, date à laquelle il participera activement à la campagne contre le pian (une maladie infectieuse chronique) parrainée par les États-Unis. C’est à cette époque qu’il fut amicalement surnommé «Papa Doc» par ses patients.

Depuis 1915, Haiti était militairement occupée par les Etats-Unis. En effet, Le 28 juillet 1915, 330 Marines américains débarquèrent à Port-au-Prince sous l’autorité du président américain Woodrow Wilson. Déjà en décembre 1914, l’armée américaine avait saisi la réserve d’or du gouvernement haïtien. Les États-Unis rapatrièrent, par la suite, l’or dans le coffre-fort de la National City Bank, à New York.

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Marines américains en 1915 défendant la porte d’entrée au Cap-Haïtien. © Daily Evening Edition

Cette période semble avoir marqué le jeune François Duvalier qui commença à façonner sa vision politique. Collaborateur du quotidien Action Nationale (1934), « Papa Doc » développa un profond intérêt pour ses racines africaines, contribuant à fonder en 1938, le journal « Les Griots« , avec un groupe d’écrivains qui considéraient le nationalisme noir et le Vaudou comme les principales sources de la culture haïtienne. Au sein de la frange la plus pauvre et superstitieuse du pays, « Papa Doc » acquit la réputation d’être un puissant Houngan [2]. Le 27 décembre 1939, François épousa Simone Ovide Faine, une infirmière. Le couple donna quatre enfants: trois filles et un fils, Jean-Claude, le futur « Baby Doc« .

Partisan du président Dumarsais Estimé, Duvalier fut nommé directeur général du Service national de santé publique en 1946, et il dirigea la campagne anti-pian en 1947/48. Il fut nommé ministre du Travail en 1948 et devint ministre de la Santé publique et du Travail l’année suivante, poste qu’il conserva jusqu’au 10 mai 1950, date à laquelle le président Estimé fut renversé par la Junte de Gouvernement de la République d’Haïti sous la direction du Colonel Paul E. Magloire, ancien Secrétaire d’Etat de l’Intérieur et de la Défense nationale, qui fut par la suite élu président. Duvalier retourna à ses anciennes activités médicales avec la mission sanitaire américaine en 1951/54 et a commença, tapis dans l’ombre, à organiser la résistance contre le président Magloire. En 1954, « Papa Doc » devint le personnage central de l’opposition ce qui lui valu d’entrer en clandestinité pour poursuivre son militantisme.

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Le candidat à la présidentielle haïtienne, François Duvalier, et son épouse Simone, entourés de gardes du corps, quittent le bureau de vote où ils ont voté lors de l’élection présidentielle haïtienne de 1957. © GettyImage

En 1956, isolé, le gouvernement Magloire échoue et, bien que toujours dans la clandestinité, François Duvalier se déclara candidat à l’élection présidentielle de 1957.  Contraint de laisser les rennes du pouvoir, tandis que le pays traversait une crise politique, Paul Eugène Magloire laissa s’installer un gouvernement provisoire.  Duvalier et Louis Déjoie, un planteur de canne à sucre et industriel du Nord, étaient les deux principaux concurrents en lice, lors de la campagne présidentielle de 1957. Durant la campagne électorale, Haïti était gouvernée par 5 administrations provisoires, toutes incapables de se maintenir au-delà de quelques mois. Duvalier fit de nombreuses promesses de campagne :

  • mettre un terme aux privilèges de l’élite mulâtre,
  • renforcer le pouvoir politique et économique des masses noires,
  • reconstruire et renouveler le pays.

En recourant ainsi à un populisme « noiriste » [3] il s’assura le solide soutien du Haïti rural, majoritairement noire et de l’armée. Duvalier exacerba les frustrations de la majorité des Afro-Haïtiens dominée, économiquement et politiquement par l’élites mulâtres du pays. Avec l’appui de l’armée, « Papa Doc » fut élu 32ème président du pays pour un mandat de six ans. Après la prise des pleins pouvoirs par le président François Duvalier, l’ancien chef d’Etat quitta Haïti où il ne remit les pieds qu’à la chute de la dynastie Duvalier en 1986. Toutefois même en ayant écarté Magloire du pouvoir, le climat politique resta extrêmement tendu.

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Louis Dejoie, Candidat à la présidence en 1957. ©Pikliz.com

Ainsi donc, suite à son accession à la magistrature suprême de la République de Haiti en 1957, Duvalier fit le ménage parmi les rangs de Louis Lajoie et s’assura la suprématie du pouvoir. En juillet 1958, trois officiers de l’armée haïtienne exilés et cinq mercenaires américains débarquèrent en Haïti et tentèrent de renverser Duvalier; tous furent éliminés.  « Papa Doc » prit alors des mesures drastiques afin de consolider sa position. Les officiers supérieurs de l’armée furent remplacés par des hommes plus jeunes et plus noir,  les effectifs de l’armée furent réduis, l’académie militaire fut fermée, les partis politiques interdits et des couvre-feux instaurés. François prit également le contrôle de la Garde présidentielle, la transformant en unité d’élite de l’armée.

Avec l’aide de Clément Barbot, son bras droit, François mit en place les « Tontons Macoutes » rebaptisés par la suite, Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN), une milice privée sanguinaire estimée à 9 000 ou 15 000 hommes qui fut usités dans le but de terroriser et assassiner les opposant politiques de Duvalier. Le nom de « Tonton Macoutes » est une référence directe à un épouvantail folklorique qui kidnappe et tue les enfants…

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Les recrues étaient initialement issues des bidonvilles de Port-au-Prince ou du milieu rural. Ils ne recevaient aucun salaire et comptait plutôt sur des rackets de protection et sur le crime pour subvenir à leurs besoins. Les Volontaires de la Sécurité Nationale agissaient en tant que force de sécurité de première ligne de François Duvalier et comme contrepoids au pouvoir politique des forces armées. Leur chaîne de commandement menait directement à « Papa Doc« . En novembre 1962, les « Tonton Macoutes » furent officiellement reconnus comme les Volontaires de la Sécurité Nationale.

Luckner Cambronne dirigea le « Tonton Macoute » tout au long des années 1960 et au début des années 1970. Sa cruauté lui valut le surnom de « Vampire des Caraïbes« . Il profita de l’extorsion exercée par ses partisans pour s’enrichir. A la mort du président Duvalier en 1971, sa veuve Simone et son fils Baby Doc Duvalier ont ordonné à Cambronne de s’exiler. Cambronne a déménagé à Miami, en Floride, où il a vécu jusqu’à sa mort en 2006.

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Luckner Cambronne au champ de Mars. © Pikliz.com

Certains des membres les plus importants des Volontaires de la Sécurité Nationale étaient des prêtres Vaudou. Cette appartenance religieuse donnait aux Macoutes une sorte d’autorité surnaturelle aux yeux du public. De leurs méthodes à leur choix vestimentaires, Le Vaudou a toujours joué un rôle important dans leurs actions. Les « Tontons Macoutes » portaient des chapeaux de paille, des chemises en denim bleu et des lunettes noires. Ils étaient armés de machettes et de fusils. Leurs références au surnaturel et leur apparence physique furent toutes deux utilisées dans le but d’instiller la peur et le respect à la population haïtienne.

Les « Tontons Macoutes » furent omniprésents lors de la réélection de 1961, au cours de laquelle le décompte officiel des voix de « Papa Doc » fut «scandaleux» et frauduleux (1 320 748 voix à 0). Ils apparurent de nouveau en force aux élections de 1964, lorsque Duvalier tint un référendum truqué qui le déclara président à vie.

« L’Amérique latine a été témoin de nombreuses élections frauduleuses, mais aucune n’aura été aussi scandaleuse que celle qui vient d’avoir lieu en Haïti ». [3]

Les « Volontaires de la Sécurité Nationale sont restés actifs même après la fin de la présidence de « Baby Doc » Duvalier, le fils de « Papa Doc » Duvalier, en 1986. Les massacres menés par les groupes paramilitaires issus des Macoutes se poursuivirent au cours de la décennie suivante. Le groupe paramilitaire le plus redouté dans les années 1990 était le Front pour l’avancement et le progrès d’Haïti (FRAPH), que la journaliste du Toronto Star Linda Diebel qualifiait de « Tontons Macoutes » modernes, et non le parti politique légitime qu’ils prétendaient être.

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Lorsque Duvalier fut victime d’une crise cardiaque en 1959, c’est son lieutenant, Clément Barbot qui prit les affaire en main. Après son rétablissement, le « Papa Doc » a rapidement emprisonné bras droit. Sa manipulation des élections législatives de 1961 visant à prolonger son mandat jusqu’en 1967 ainsi que d’autres mesures corrompues et despotiques précipiteront la fin de l’aide américaine en Haïti, les États-Unis s’inquiétant du détournement de l’argent de l’aide par François. L’année suivante, les relations diplomatiques sont également suspendues et l’ambassadeur américain se retire. Cet été là, « Papa Doc » fera assassiner Barbot, après que celui-ci, à sa sortie de prison, ait tenté une insurrection. D’autres tentatives de renverser François continuent, apparemment avec le soutien de la Central Intelligence Agency (CIA). Le leadership de « Papa Doc » devint de plus en plus extrême. Il favorisa un culte de la personnalité en exploitant sa réputation de Bokor [4] et en se présentant comme l’incarnation semi-divine d’Haïti, un Jésus-Christ Vaudou.

« Je suis le drapeau haïtien. Celui qui est mon ennemi est l’ennemi de la patrie ». [5]

Suite à une tentative ratée de kidnapper son fils Jean-Claude de l’école, Duvalier Père ordonna l’exécution de 100 personnes, dont 65 officiers de l’armée. La corruption en Haiti était devenue endémique. Le revenu annuel par habitant tomba à 80 $ US, c’est à dire, le plus bas de l’hémisphère occidental. Le taux d’analphabétisme stagnait à environ 90%. Au mois d’avril 1964, « Papa Doc » s’autoproclame « président à vie« . Haïti est alors presque complètement isolée.  Il en va de même pour son président qui fut excommunié par l’Église catholique pour avoir harcelé le clergé et ne fut réadmis qu’en 1966. Le mécontentement à l’égard du régime continue de croître, malgré la discipline stricte imposée par les « Tontons Macoutes« . Conspirations et dissensions prolifèrent en Haiti. « Papa Doc » répond par la terreur étant capable de se maintenir au pouvoir plus longtemps qu’aucun de ses prédécesseurs.

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Papa Doc est mort, vive Baby Doc !

En janvier 1971, la constitution est modifiée afin de permettre à « Papa Doc » de nommer son fils, Jean-Claude, comme son successeur. Jean-Claude se fera connaitre sous le nom de « Baby Doc« , imitant le funeste surnom de son père.

« Papa Doc » mourut le 21 avril à Port-au-Prince. Le pouvoir est immédiatement transféré à son seul fils, Jean-Claude qui, à peine âgé de 19 ans, deviendra le plus jeune président du monde et héritant du titre de «président à vie» de son père. Mais ça c’est une autre histoire que nous vous relaterons en seconde partie.

Notes et références

[1] Cité par Elizabeth Abbott dans, « Haïti: L’histoire de l’ascension et de la chute des Duvaliers » (1988), p. 112

[2] Un Houngan est le terme désignant un prêtre mâle en Vaudou haïtien (une prêtresse est connue sous le nom de Mambo).

[3] noirisme (dérivé de noir avec le suffixe -isme) : « Politique censée privilégier les Noirs (au détriment des mulâtres) durant le pouvoir de François Duvalier« , wiktionary.org

[4] Biographie de François « Papa Doc » Duvalier, avizora.com

[5] Un Bokor est dans le vaudou est un tradi-praticien  ou houngans qui louent leurs services.

[6] « Haitians need ‘Baby Doc’ like a hole in the head », .mirror.co.uk, publié le 3 février 2012