Romelu Lukaku : « Je ne sais pas pourquoi certains veulent que j’échoue » (2/2)

Suite de l’entretien de l’attaquant belge Romelu Lukaku par le magazine The Players Tribune.

« J’aurais voulu que mon grand-père voie ma réussite »

« Quand j’avais douze ans, j’ai marqué 76 buts en 34 matches. (…)

Un jour, j’ai téléphoné à mon grand-père maternel. Il était l’une des personnes les plus importantes de ma vie. Il était au Congo, d’où proviennent mes parents. J’étais donc au téléphone avec lui et je lui ai dit : Oui, je vais très bien. J’ai marqué 76 buts et nous avons gagné le championnat. Les grandes équipes me suivent.’

D’habitude, il voulait m’entendre parler de mes matches. Mais cette fois-là, c’était étrange. Il a dit : ‘C’est bien, Rom. Mais peux-tu me faire une faveur ? Peux-tu veiller sur ma fille ?’

Je me souviens avoir été assez confus. Genre, que se passe-t-il grand-père ?

Je lui ai donc répondu : ‘Maman ? Oui, nous allons bien.’

Mais il a repris la parole : ‘Non, promets-le moi. Peux-tu me le promettre ? Veille simplement sur ma fille, OK ?’

J’ai accepté : ‘Oui, grand-père. Je comprends. Je te le promets.’

Cinq jours plus tard, il était mort. Et ce n’est qu’à ce moment que j’ai compris ce qu’il voulait me dire.

Cela me rend tellement triste de penser à cela parce que s’il avait encore vécu quatre ans de plus, il m’aurait vu jouer pour Anderlecht. Il aurait vu que j’avais tenu ma promesse. Il aurait vu que tout allait bien.

J’ai donc dit à ma mère que je le ferais à seize ans.

Finalement, j’ai été en retard de onze jours.

Mes débuts chez les professionnels, cela a été le jour le plus fou de ma carrière. Mais il faut prendre une minute pour revenir un petit peu en arrière. Car au début de cette saison, je jouais avec les U19 d’Anderlecht. Le coach m’avait mis sur le banc. Et je me demandais comment j’allais pouvoir signer un contrat professionnel à seize ans si j’étais encore sur le banc en U19.

Donc j’ai décidé de faire un pari avec le coach.

Je lui ai dit : ‘Si tu me fais jouer, j’aurai marqué 25 buts au mois de décembre, je te le garantis.’

Il a rigolé. Il a littéralement rigolé de moi.

Je lui ai alors dit : ‘OK, faisons un pari.’

– ‘OK, mais si tu n’y arrives pas, tu retournes sur le banc.’

– ‘Ça va, mais si je gagne, tu laveras toutes les camionnettes qui nous ramènent à la maison.’

– ‘OK, ça marche.’

– ‘Et encore une chose : tu nous feras des pancakes tous les matins.’

– ‘Ok, ça marche.’

C’était certainement le plus bête pari qu’on pouvait faire.

Au mois de novembre, j’avais déjà marqué 25 buts. Nous avons mangé des pancakes avant Noël. Que ça serve de leçon, on ne joue pas avec un homme qui a faim !

« J’étais le seul à ne pas être bien habillé »

J’ai signé mon contrat professionnel avec Anderlecht le jour de mon anniversaire, le 13 mai. J’ai directement acheté le nouveau Fifa et le câble pour la télévision. C’était déjà la fin de la saison, donc j’étais en train de me relaxer à la maison. Mais le championnat belge était dingue cette année-là car Anderlecht et le Standard avaient le même nombre de points. Donc il y a eu deux manches pour décider du titre.

Le match aller, je l’ai regardé devant ma télévision, comme un supporter.

Mais la veille de la manche retour, j’ai reçu un appel du coach de la réserve.

– ‘Salut.’

– ‘Salut Rom. Qu’es-tu en train de faire ?’

– ‘Je joue au foot dans le parc.’

– ‘Non, non, non. Prépare ton sac, tout de suite.’

– ‘Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?’

– ‘Tu dois aller au stade tout de suite. L’équipe première veut que tu sois là.’

– ‘Quoi ? Moi ?’ (…)

Le lendemain matin, un ami est venu frapper à la porte de ma maison pour savoir si je voulais aller jouer au foot. Mais ma mère lui a répondu que j’étais déjà parti jouer. Elle a dit que j’étais parti jouer la finale.

Nous sommes sortis du bus au stade, et chaque joueur est sorti en portant une super belle tenue. À part moi. Je suis sorti du bus avec un horrible pull et toutes les caméras de télévision me filmaient. Il fallait marcher 300 mètres pour arriver jusqu’au vestiaire. Cela a peut-être pris trois minutes mais dès que je suis entré dans le vestiaire, mon téléphone a commencé à sonner. Tout le monde m’avait vu à la télévision. J’avais reçu 25 messages en trois minutes. Mes amis devenaient fous.

La seule personne à qui j’ai répondu, c’est mon meilleur ami. ‘Je ne sais pas si je vais jouer. Je ne sais pas ce qu’il va se passer. Mais regarde la télévision.’

À la 63e minute, l’entraîneur m’a fait monter au jeu.

J’étais sur le terrain, je jouais à Anderlecht à 16 ans et 11 jours.

Nous avons perdu la finale ce jour-là mais j’étais déjà au paradis. J’avais tenu la promesse faite à ma mère et mon grand-père. C’est à ce moment que j’ai su que tout allait bien se passer. (…)

J’attendais que tout cela m’arrive, mais peut-être pas aussi vite. Tout à coup, les médias ont parlé de moi, et placé beaucoup d’attentes en moi. Surtout avec l’équipe nationale. Peu importe la raison, je ne jouais pas bien avec la Belgique. Ça ne marchait pas.

Mais allez, j’avais 17, 18, 19 ans !

« Je ne sais pas pourquoi certains veulent que j’échoue »

Quand ça tournait bien pour moi, je lisais les journaux et ils m’appelaient Romelu Lukaku, l’attaquant belge. Mais quand ça ne se passait pas bien, ils m’appelaient Romelu Lukaku, l’attaquant belge aux origines congolaises.

Si tu n’aimes pas la façon dont je joue, pas de problème. Mais je suis né ici. J’ai grandi à Anvers, Liège et Bruxelles. Je rêvais de jouer pour Anderlecht. Je rêvais d’être Vincent Kompany. Je peux commencer une phrase en français et la terminer en néerlandais. Et je peux aussi y mettre de l’espagnol, du portugais ou du lingala. Je suis belge. Nous sommes tous belges, c’est ce qui fait que notre pays est cool, non ?

Je ne sais pas pourquoi certaines personnes en Belgique veulent que j’échoue. Je ne comprends vraiment pas. Quand je suis parti à Chelsea et que je ne jouais pas, je les entendais se moquer de moi. Quand j’ai été prêté à West Bromwich, je les ai entendus se moquer de moi.

Mais c’est cool. Ces gens n’étaient pas avec moi quand on mettait de l’eau dans mes céréales. Si tu n’étais pas avec moi quand je n’avais rien, alors tu ne peux pas me comprendre.

Tu sais ce qui est marrant ? J’ai raté dix années de Ligue des Champions quand j’étais enfant. Nous ne pouvions pas nous l’offrir. J’allais à l’école et tous les enfants parlaient de la finale mais je n’avais aucune idée de ce qu’il s’était passé. Je me souviens qu’en 2002, quand le Real Madrid a affronté le Bayer Leverkusen, tout le monde parlait d’une reprise de volée.

J’ai dû faire semblant de comprendre de quoi ils parlaient.

Deux semaines plus tard, nous étions dans la salle d’informatique et un de mes amis a télécharger la vidéo de cette volée, et j’ai enfin vu la frappe de Zidane dans la lucarne.

Cet été-là, je suis sorti de la maison et j’ai donc pu regarder Ronaldo, le Fenomeno, en Coupe du Monde. Le reste du tournoi est juste une histoire que j’ai entendue de mes copains à l’école.

Ah ! Je me souviens que j’avais des trous dans mes chaussures en 2002. Des gros trous.

Douze années plus tard, j’ai joué la Coupe du Monde. »

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