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La tragédie du Kasaï: chronique d’un massacre passé sous silence

Société

La tragédie du Kasaï: chronique d’un massacre passé sous silence

Par Anne Rasatie 1 juin 2018

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Au Kasaï, « 700 000 enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition aiguë dont 400 000 gravement dénutris sont menacés de mort », selon l’Unicef. Retour sur un massacre passé sous silence.

Une catastrophe humanitaire

Depuis 2016, une crise d’une ampleur sans précédent frappe la région du Grand Kasaï, au cœur de la République démocratique du Congo. Une crise humanitaire et sanitaire qui a fait près de 4 000 morts, 1.4 millions de déplacés et 35 000 réfugiés en Angola. Cette région calme, bien que pauvre, était jusqu’alors épargnée par les sursauts politiques de la capitale du pays, Kinshasa. Les Kasaïens fonctionnaient indépendamment du pouvoir central sur la base d’une chefferie locale traditionnelle.

Aujourd’hui, c’est le chaos. Le conflit entre la milice du Kamwina Nsapu et les forces du gouvernement a fait des ravages. Les enfants en sont les premières victimes: 700 000 enfants sont en insécurité alimentaire dont 400 000 en danger de mort. Les villages ont été brûlés, les écoles fermées, des enseignants ont été tués, des femmes violées, des maris décapités, des enfants enrôlés dans les milices…

Les réfugiés congolais en Angola © UNHCR photo

La normalisation de la violence

Les crimes sont d’une telle violence que l’ONU a répertorié à ce jour 80 fosses communes. Deux experts onusiens venus enquêter sur la situation de la région ont trouvé la mort eux aussi. Cela fait bientôt deux ans que la situation se dégrade sans réelles possibilités de sortie de crise. Les appels de fonds des nombreuses organisations internationales sont restés lettres mortes. Ainsi, les 21 000 soldats de la MONUSCO n’ont pas suffit à stopper le massacre. En février 2018, le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) n’avait reçu que 1% des 368 millions de dollars nécessaires à l’acheminement d’aide aux Kasaïens et aux réfugiés.

Que s’est-il passé pour en arriver à cette catastrophe humanitaire? Quel a été l’élément déclencheur de cette escalade de violence? Retour sur les évènements.

Le nouveau Kamwina Nsapu

Tout commence en 2012, lors de l’accession de Jean-Prince Pandi au titre de Kamwina Nsapu (chef traditionnel). Il succède à son oncle, ancien colonel des Forces armées zaïroises (FAZ) de l’ancien régime. Le nouveau Kamwina Nsapu, chef des Bajila-Kasanga est désigné, comme le veut la loi coutumière, par la famille régnante. Pourtant, il n’est pas reconnu par les autorités du Kasaï central.

S’ensuit la dégradation des relations entre Kamwina Nsapu et le gouvernement de Kinshasa par l’intermédiaire des forces armées (FARDC) et des partisans de Joseph Kabila. Refusant de se soumettre au pouvoir central qui ne reconnait pas la légitimité du Kamwina Nsapu, le Kasaï s’embrase. Jean-Prince Pandi accuse les chefs traditionnels de connivences avec le gouvernement qu’il qualifie de « gouvernement d’occupation ». Une guerre aux allures ethniques se propage dans les provinces limitrophes, transformant la paisible région en poudrière.

« Monsieur Kamwina Nsapu fustige la négligence de l’Etat congolais depuis son accession à l’indépendance (…) traite tous les détracteurs civils, militaires et policiers de mercenaires et qualifie le gouvernement national de gouvernement d’occupation. » Propos d’Emmanuel Ramazani Shadari, à l’Assemblée nationale, le 17 janvier 2017

Le chef Kamuina Nsapu devant la Tshiota, le feu sacré dans le village de Kamuina Nsapu © DR

Pouvoir central contre pouvoir traditionnel

Les 29 et 30 mars 2017, un violent conflit oppose la milice de Kamwina Nsapu aux forces loyalistes. 186 civils sont massacrés, enfants, femmes et personnes âgées. D’un côté, les partisans du Kamwina Nsapu défendant leurs terres et leurs traditions, munis d’armes blanches. De l’autre, les forces armées de Kabila, avec leurs lance-roquettes.

Le 3 avril, suite aux soupçons de détention d’armes de guerre, le gouvernement envoie l’armée au Kasaï central. Le Kamwina Nsapu est en déplacement en Afrique du Sud. Les FARDC fouillent et détruisent la maison du chef, s’en prennent aux symboles traditionnels sacrés et violentent les habitants. En réponse, les jeunes du village attaquent un sous-commissariat les 21 et 22 juillet suivants. La guerre est déclarée entre Jean-Prince Pandi et l’armée congolaise.

Mais c’est le 12 août 2016 que tout bascule. Lors d’une énième confrontation, les forces armées tuent le Kamwina Nsapu de plusieurs balles. Jean-Prince Pandi, qui incarnait le symbole de la résistance au pouvoir central est abattu. Son corps profané et émasculé, le tout, filmé par des soldats. C’est à ce moment que les soulèvements se propagent dans les provinces voisines, transformant un conflit local en crise humanitaire.

Rébellion ou résistance?

En 2015, le gouvernement congolais démembre le Kasaï occidental et le Kasaï oriental en 5 provinces réunies dans le nouveau « Grand Kasaï », qui comprend dès lors: le Kasaï, le Kasaï central, le Kasaï oriental, Sankuru et Le Lomami.

Au sein de l’opposition congolaise, des voix s’élèvent pour dénoncer l’utilisation des différentes ethnies pour transformer une guerre politique et économique en guerre tribale. L’objectif serait d’opposer les Kasaïens aux Congolais et punir ceux qui s’allient au chef coutumier refusant de se soumettre au pouvoir politique. Ces troubles serviraient notamment à repousser une nouvelle fois les élections de décembre et maintenir Joseph Kabila au pouvoir.

Une enquête menée conjointement entre la FIDH et des ONG congolaises auprès de réfugiés en Angola sur les massacres au Kasaï entre 2016 et 2017 révèle que:

« Les actions des autorités congolaises ont engendré un climat de chaos de nature non seulement à compromettre le processus électoral mais aussi à menacer durablement la sécurité de plusieurs provinces. »

Un des sous-sol les plus riches du monde

Par ailleurs, le territoire du Grand Kasaï regorge de richesses (or, coltan, diamants). D’aucuns considèrent cette guerre comme le moyen de vider les terres de leurs habitants afin de les vendre aux multinationales minières, déjà présentes sur le sol congolais et exploiter ses ressources naturelles qui font de la RDC, potentiellement, un des pays les plus riches du monde.

Le cri du coeur du sénateur Mutinga le 15 mai dernier résume tristement la situation: « On tue à petit feu le peuple du Kasaï ».

Depuis de longues années, la République démocratique du Congo connaît « l’une des pires crises des droits humains dans le monde » selon les ONG internationales. En effet, le pays connaît de nombreuses instabilités dans l’Est où se situent les enjeux économiques (Kivu, Kasaï). Dans le silence assourdissant et l’immobilité criminelle de la communauté internationale, des millions de personnes meurent en RDC, dans l’injustice la plus totale.

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Sources:

UNICEF

MSF

RFI

ReliefWeb

INGETA

RadiooKapi

AfriquelaLibre