Interview avec Mario Epanya, l’excellence noire dans la photographie

NOFI a eu l’opportunité d’interviewer le grand photographe camerounais Mario Epanya. Il s’est exprimé sur son travail, ses projets et sur le fait d’être noir dans le monde de la mode.

Par Sandro Capo Chichi de New African Cultures / nofi.media

Dans un précédent article, je présentais le parcours de l’excellent photographe camerounais Mario Epanya. Du dessin et la peinture en passant par le maquillage il est arrivé à se faire une place dans le milieu saturé de la photographie où il travaille régulièrement avec les plus grands. Mais Mario Epanya est aussi un article engagé qui se bat pour la diversité dans le monde de la mode. Son projet Vogue Africa a à mon avis contribué à la nomination d’Edward Enninful, le premier Afro-descendant à la tête de l’édition britannique de Vogue.

Pour voir l’homme derrière le parcours, j’ai décidé de l’interviewer. Voici le résultat.

Peux-tu te présenter?

Je m’appelle Mario Epanya photographe , maquilleur et directeur artistique, 43 ans (en janvier 2018, NDLR) d’origine camerounaise vivant a Paris.

Comment en es-tu venu à faire de la photographie professionnelle?
La photographie m’a choisi , tout ceci s’est fait de façon naturelle. Après une démission de mon poste de formateur maquilleur et assistant du directeur artistique d’un groupe francais, je me suis lancé dans la photo de beauté en faisant des tests pour des agences de mannequins parisiennes et progressivement je me suis formé, j’ai pris des cours en ligne et constitué un book papier et un site et en 2007 c’était le début des réseaux sociaux donc très vite j’ai compris l’enjeu de communiquer sur mon travail que de courir après un agent artistique, voilà en gros.

Mario Epanya
BEAUTIFUL, le dernier livre de Mario Epanya est en vente chez NELLY Wandji
293 rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris

Comment définirais-tu ton travail et quels sont tes objectifs avec lui?
La photographie est la vision d’un artiste et une façon de s’exprimer sur les sujets qui nous touchent, donc mon appareil photo est ma voix, tout comme un écrivain utilise sa plume ou un chanteur sa voix, mon objectif est d’inspirer, faire réfléchir, partager ma vision , échanger avec les autres et bien sûr gagner ma vie aussi tout simplement.

Tu sembles travailler très souvent avec des modèles afro-descendants. Y-a-t-il une raison à cela?

Tout à fait, la raison est l’envie de partager la beauté de notre culture afro, notre savoir-faire… Mais aussi le manque de diversité et de représentativité des artistes afro dans les médias mainstream, souvent les carrières décollent après à travailler avec moi et ça fait plaisir, j’essaie à mon niveau d’être un avocat de la diversité.

Mario Epanya
Crédit : Mario Epanya

Tu as lancé Vogue Africa il y a quelques années, un projet qui a fait beaucoup de bruit dans le monde de la mode. Peux-tu nous rappeler de En 2017, Vogue UK a nommé son premier éditeur noir en la personne d’Edward Enninful. On pense sincèrement, au delà du talent d’Enninful, que ta campagne y a été pour quelque chose. Prévois-tu d’autres actions coup de poing pour faire évoluer la diversité dans le domaine de la mode?

Je suis heureux de voir les choses bouger, j’étais très content de voir le top model Naomi Campbell défendre l’idée d’un édition d’un Vogue Afrique en 2014, Edward Enninful est dans les milieu de la mode depuis un moment et son talent n’était pas reconnu et des Edward il y a en des milliers… Mais on ne les voit pas mais les choses avancent, il y a une prise de conscience collective, de nouveaux supports médias, le pouvoir n’est plus aux mains d’une minorité.
Pour moi Vogue Africa c’était du culot, un appareil photo, Photoshop et une connexion internet c’est devenu un Fashion statement… encore ce matin j’ai reçu une invitation à faire une expo Vogue Africa courant 2018…on aura encore beaucoup de surprises…

Mario Epanya
Une couverture de Vogue Africa par Mario Epanya

Quels sont les artistes qui ont le plus influencé ton oeuvre?
J’aime beaucoup Jean Paul Goude. Il m’inspire beaucoup, j’aime son approche et c’est un artiste complet, dessin, danse, direction artistique, collage, photographie mais aussi Okhai Ojeikere sur son travail sur la richesse de nos coiffures africaines, Olivier Toscani pour la force du message de ces images, Erwin Olaf pour son univers mystérieux et sa technique d’éclairage…

Mario Epanya
Coiffures par JD Okhai Ojeikere

Quels sont les pires cas de racisme explicite dont tu as fait l’expérience dans le monde la mode?
Bof quand j’étais maquilleur, des clients qui ne voulaient pas être touchés par un Noir…ou encore se faire virer par un acteur connu d’une campagne de chaussures à cause de ma couleur de peau… C’est vrai que c’est déplorable mais l’opinion de ces personnes ne définissent pas qui je suis, car lorsque l’on sait qui on est et d’ou l’on vient, on trouve cela ridicule et souvent j’ai de la peine pour eux car ce sont eux qui sont dans une souffrance, la haine de l’autre (rires). Moi je n’ai aucun souci avec ceux qui sont différents au contraire, je suis curieux d’apprendre leur culture et vision de ce monde qui nous appartient …à tous.

Que penses-tu de la mode et de la photographie africaines en 2018?
EXTRAORDINAIRE, au vu des jeunes pousses, des messages que je reçois et ce que je vois sur les réseaux sociaux c’est juste fabuleux, je suis très optimiste car la photographie africaine a de beaux jours devant elle et la jeunesse africaine va enfin écrire sa propre histoire, très important pour le futur de l’art africain.

Si tu avais un budget illimité pour réaliser un projet de ton choix dans le domaine de la photographie, de la mode ou de l’art en général, que ferais-tu?
Alors des ateliers photo avec des jeunes photographes, des expositions collectives dans différents musées et galeries avec d’autres photographes afro, des livres photos avec des thèmes divers autour de la culture africaine dans différents pays, création de maisons de la photographie dans chaque pays africain, des dvd de formation…et j’en passe 🙂

Sur quel(s) projet(s) travailles-tu actuellement?
En ce moment je travaille sur une série de portraits intitulée AFRICA NEW ROYALS by Mario Epanya, des portraits d’entrepreneurs connus ou pas qui sont partis de rien et ont réalisé leurs rêves, car je sais ce que c’est de ne pas avoir de contacts, d’argent, de structure …mais juste armé(e) d’un rêve, d’une vision et de travailler jour et nuit pour le réaliser …je les salue et leur rend leurs titres de noblesse car la plupart ne sont pas nés avec une cuillère en or dans la bouche… mais ont construit d’une main de fer leur empire ou royaume …alors RESPECT.

Un conseil aux jeunes qui souhaitent percer dans la photographie?

Avant de d’acheter votre réflex et matériel studio, de prendre avant tout des cours de marketing car pour se faire une petite place dans ce business saturé, il faut savoir vendre son produit, le talent ne suffira pas, j’entends par là photographe professionnel c’est à dire quelqu’un qui travaille et vit de la photo.
Pas en tant qu’amateur ou instagramer…mais avec une vraie structure entrepreneuriale derrière…bref un mélange de marketing, un peu de talent, beaucoup de culot, d’énergie et …de patience ça pourra le faire, sinon perdez pas votre temps et faites autre chose 🙂

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