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Funsu Nzinga Mbemba ou la lutte contre la traite négrière avec le Roi du Portugal

Histoire

Funsu Nzinga Mbemba ou la lutte contre la traite négrière avec le Roi du Portugal

Par Mathieu N'DIAYE 29 février 2024

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Découvrez comment Funsu Nzinga Mbemba, aussi connu sous le nom d’Afonso I du Congo, a combattu la traite négrière en écrivant au Roi du Portugal en 1526. Un acte historique contre le trafic d’êtres humains.

Suite à l’exploitation coloniale et au pillage du Brésil, le Portugal chercha à diversifier ses activités économiques et se lança dans le commerce de la traite négrière transatlantique, extrêmement rentable. Ce commerce eut un impact dévastateur sur le Royaume Kongo, affaiblissant considérablement son autorité centrale : les marchands portugais contournèrent le pouvoir du Manikongo en traitant directement avec ses vassaux. Face à cette situation, en 1526, Funsu Nzinga Mbemba, plus connu sous le nom d’Afonso Ier du Congo, prit la plume pour écrire au roi João III du Portugal, le suppliant d’abolir cette pratique néfaste.

Afonso Ier du Kongo : l’apôtre de la modernisation et de la résistance

Funsu Nzinga Mbemba, surnommé « l’apôtre du Kongo » et connu en français sous le nom d’Alfonse Ier, naquit en 1456 et devint le deuxième Manikongo1 chrétien du Kongo dia Ntotila2. Guerrier résolu, il agrandit les frontières du Kongo vers le sud et modernisa le royaume, ce qui lui valut la réputation d’un des plus éminents monarques de l’histoire kongo.

Face à l’implantation de la traite négrière transatlantique par les Portugais, qui sapait l’autorité centrale en traitant directement avec les vassaux du Manikongo, Afonso Ier prit une position ferme. En 1526, il adressa plusieurs lettres au roi João III du Portugal3, dénonçant les agissements répréhensibles des Portugais et leur commerce illégal d’êtres humains. Il menaça de rompre tout commerce avec le Portugal mais finit par instaurer une commission chargée de vérifier la légalité de l’esclavage des individus mis en vente.

Dans ses correspondances, il décrivait avec éloquence la désolation de son royaume, ravagé par l’enlèvement de ses habitants, y compris des membres de sa propre famille, pour être vendus comme esclaves. Il exprimait le désir que son royaume ne serve pas de marché aux esclaves, soulignant la nécessité de se concentrer sur des besoins spirituels et éducatifs plutôt que sur le commerce des esclaves.

En dépit de son opposition initiale à l’esclavage, Afonso Ier dut composer avec la puissance militaire portugaise et les exigences économiques de son royaume. Initialement, seuls les prisonniers de guerre et les criminels étaient vendus comme esclaves. Cependant, face à la demande croissante de « Bois d’Ébène », il fut contraint d’étendre la traite aux populations des régions avoisinantes.

Résigné, Afonso Ier chercha à réguler la traite des esclaves selon les lois du Kongo pour prévenir la vente d’hommes libres. Lorsqu’il suspecta les Portugais de persister dans leurs pratiques illégales, il adressa une ultime lettre au roi João III, le suppliant d’y mettre fin. Cette démarche illustre la complexité des relations entre le Kongo et le Portugal, marquées par des intérêts économiques et politiques souvent divergents, mais aussi par la volonté d’Afonso Ier de protéger son peuple et de préserver l’intégrité de son royaume.

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La correspondance historique d’Afonso Ier du Kongo à João III du Portugal

Seigneur,

Votre Altesse nous a écrit de lui demander dans nos lettres tout ce dont nous avons besoin. Elle nous pourvoirait de tout. La paix et la santé de nos royaumes reposent, après Dieu, sur notre vie, mais nous sommes déjà vieux, et il nous est arrivé souvent d’être affecté de diverses maladies qui nous affaiblissent jusqu’à la dernière extrémité. Ces mêmes maladies frappent aussi nos fils, nos parents et les gens du pays. Or, dans ce royaume nous n’avons ni médecins, ni chirurgiens qui sachent donner des remèdes appropriés à telle infirmité.

Nous n’avons pas non plus de pharmacies ni les remèdes les plus efficaces. Aussi, par manque de tout, meurt-il beaucoup de gens déjà instruits dans les vérités de la sainte foi de Notre Seigneur Jésus-Christ ! La plupart des habitants se soignent avec des herbes et différents bois ou recourent à des rites traditionnels. S’ils survivent, ils ajoutent foi à ces herbes et à ces rites et, s’ils meurent, ils croient qu’ils sont sauvés, ce qui ne favorise pas le service de Dieu.

Pour éviter une erreur aussi préjudiciable, puisque, après Dieu, c’est de Votre Altesse que nous viennent en nos royaumes tous les remèdes pour la santé, nous demandons par faveur à Votre Altesse de nous envoyer deux médecins, deux pharmaciens et un chirurgien. Qu’ils viennent s’établir en nos royaumes avec tous leurs médicaments et leurs instruments, parce que nous avons un très grand besoin de chacun d’eux.

Nous leur accorderons beaucoup de faveurs, parce qu’ils seront envoyés par Votre Altesse, si elle consent à ce qu’ils viennent travailler ici. Nous demandons instamment à Votre Altesse d’accepter de nous les envoyer, parce qu’il s’agit non seulement d’un bienfait particulier, mais encore du service de Dieu, pour les raisons que nous avons exposées.

De plus, Seigneur, il y a, dans nos royaumes, un grand obstacle au service de Dieu. Beaucoup de nos sujets convoitent vivement les marchandises du Portugal, que les vôtres apportent en nos royaumes. Pour satisfaire cet appétit désordonné, ils s’emparent de nombre de nos sujets noirs libres, ou libérés, et même de nobles, de fils de nobles, même de gens de notre parenté. Ils les vendent aux hommes blancs qui se trouvent dans nos royaumes, après avoir acheminé leurs prisonniers en cachette ou pendant la nuit, pour n’être pas reconnus. Dès que les captifs sont au pouvoir des hommes blancs, ils sont aussitôt marqués au fer rouge.

Au moment de leur embarquement, ils sont trouvés tels par nos gardes. Les hommes blancs allèguent alors qu’ils les ont achetés mais q u ’ils ne sauraient dire à qui. Il nous appartient de faire justice et de rendre la liberté à ces prisonniers, comme ils le réclament. Pour éviter un tel dom m age, nous avons décrété que tous les hommes blancs de nos royaumes, qui achètent des esclaves de quelque manière que ce soit, doivent d ’abord le faire savoir à trois nobles et officiers de notre cour, à qui nous avons confié ce contrôle. Ce sont Dom Pedro Manipunzo et Dom Manuel Manisaba, notre officier de justice principal, ainsi que Gonçalo Pires, notre armateur en chef .

Ils devront vérifier si ces esclaves sont des hommes libres ou non. S’ils sont reconnus esclaves, rien n ’empêchera de les emmener et de les embarquer. Mais, dans le cas contraire, on confisquera ces captifs aux hommes blancs. Nous accordons cette faveur et ces facilités à cause de la participation de Votre Altesse à ce trafic. Nous savons en effet que c’est pour votre service que les esclaves sont enlevés de nos royaumes. Sans cela, nous n ’y consentirions pas, à cause des motifs déjà exposés.

Nous informons de tout cela V. Altesse, pour que vos sujets n’aillent pas vous dire le contraire. Ils racontent, en effet, beaucoup de mensonges à Votre Altesse, pour écarter de votre esprit le souvenir des obligations que vous avez à notre égard et envers notre royaume pour le service de Dieu. Il nous semble que ce nous serait une très grande faveur, si vous nous faisiez savoir par l’une de vos lettres ce que vous pensez de ces dispositions. Nous baisons, Seigneur, plusieurs fois les mains de Votre Altesse.

Écrit en notre ville de Congo, le 18 octobre 1526 par Joâo Teixeira .

[signé] Le roi Dom A.

Destinataire: Très haut et très puissant prince, roi du Portugal, notre frère.

Expéditeur: Le roi de Manicongo.

L’héritage de Funsu Nzinga Mbemba et l’appel à la conscience

L’histoire d’Afonso Ier du Kongo, mieux connu sous le nom de Funsu Nzinga Mbemba, est un témoignage poignant de la complexité des relations entre l’Afrique et l’Europe à l’aube de la période coloniale. Sa lutte acharnée contre la traite négrière transatlantique, illustrée par sa correspondance avec le roi João III du Portugal, révèle un souverain profondément engagé dans la protection de son peuple et la souveraineté de son royaume. Malgré les défis insurmontables et les compromis douloureux, l’histoire d’Afonso Ier nous interpelle sur les conséquences durables de la traite des esclaves et l’importance de la mémoire historique dans la compréhension des dynamiques actuelles.

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Notes et référence :

Louis Jadin et Mireille Dicorato, « Correspondance de Dom Afonso, roi du Congo 1506-1543« 
Cette référence bibliographique concerne un ouvrage publié par l’Académie royale des Sciences d’Outre-Mer en 1974, qui compile et analyse la correspondance entre Dom Afonso, roi du Congo, et divers interlocuteurs européens, principalement le roi du Portugal, entre 1506 et 1543. L’ouvrage de Louis Jadin et Mireille Dicorato offre un aperçu précieux sur les dynamiques politiques, économiques et sociales du Royaume du Kongo à l’époque de la traite négrière transatlantique, ainsi que sur les efforts d’Afonso Ier pour naviguer entre la préservation de l’autonomie de son royaume et les pressions coloniales européennes.

Ce travail est essentiel pour comprendre la complexité des relations entre l’Afrique et l’Europe au début de l’ère moderne et met en lumière la figure d’Afonso Ier comme un dirigeant africain qui a tenté de résister aux impacts dévastateurs du commerce des esclaves sur son peuple.

  1. Manikongo : le titre de Manikongo désigne le souverain du Royaume du Kongo, une entité politique majeure en Afrique centrale avant la colonisation européenne. Le terme est dérivé de « Mwene Kongo« , signifiant « seigneur de Kongo » en kikongo, la langue du royaume. Le Manikongo exerçait une autorité politique, judiciaire et religieuse sur ses sujets, et son pouvoir était souvent renforcé par des alliances matrimoniales, des conquêtes et le contrôle du commerce, notamment celui des précieuses coquillages cauris utilisés comme monnaie. ↩︎
  2. Kongo dia Ntotila : Kongo dia Ntotila, se traduisant par « le Kongo unifié » ou « l’Empire du Kongo« , fait référence à l’étendue maximale du Royaume du Kongo sous le règne de certains Manikongos, qui ont réussi à unifier diverses chefferies et royaumes sous leur autorité. Cette période a été marquée par une expansion territoriale, une centralisation du pouvoir et un essor économique, grâce notamment à des réseaux commerciaux étendus avec d’autres régions africaines et avec les Européens. Le Kongo dia Ntotila est souvent évoqué pour souligner la grandeur et la sophistication politique, sociale et économique du Kongo avant les perturbations causées par le commerce transatlantique des esclaves. ↩︎
  3. João III du Portugal : João III, né en 1502 et décédé en 1557, fut le 15e roi du Portugal et des Algarves, de 1521 jusqu’à sa mort. Son règne a été marqué par l’expansion de l’Empire portugais en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, ainsi que par le début de l’institutionnalisation de l’esclavage dans les colonies portugaises. João III est également connu pour son rôle dans la promotion de la Contre-Réforme catholique, notamment à travers l’introduction de l’Inquisition au Portugal. Sa correspondance avec Afonso Ier du Kongo révèle la complexité des relations entre le Portugal et le Kongo à cette époque, oscillant entre coopération et conflit, notamment en ce qui concerne le commerce des esclaves et les efforts d’évangélisation. ↩︎