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Alexandra Amon, une franco-ivoirienne à la conquête de « Babiwood »

Société

Alexandra Amon, une franco-ivoirienne à la conquête de « Babiwood »

Par SK 14 juin 2017

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Alexandra Amon: « Je suis noire et très très fière parce que c’est vraiment un atout. »

Alexandra Amon, est une amoureuse des challenges. A 35 ans, cette française d’origine ivoirienne est une actrice, scénariste et productrice qui vit son rêve africain, dans le pays de ses parents, en Côte d’Ivoire depuis 2008. Lors de son passage à Paris pour la Nollywood Week, elle a accordé un entretien à NOFI où elle est revenue sur son parcours et sur le défi de rentrer vivre et travailler en Afrique, dans ce domaine encore en timide développement qu’est le cinéma. La réalité de cette industrie en plein essor, le fait d’être jeune, ses projets. Le parcours d’Alexandra Amon est fait d’aventure, de courage et ressemble surtout à un portrait  d’inspiration.

Entretien avec une perle de l’industrie Babiwood.

Pourquoi avoir choisi le cinéma ?

Parce que depuis toute petite j’ai identifié ce talent en moi et j’ai toujours su que c’était ma vocation. Je savais que j’allais terminer dans le cinéma ou dans la télévision, c’est ce qui m’a toujours attirée. Il fallait que j’intègre cette industrie là.

Comment votre entourage a-t-il perçu ce choix ?

J’ai eu des parents assez ouverts d’esprit. Surtout qu’en Afrique, on n’encourage pas forcément les enfants à se diriger vers les métiers de l’art. On leur dit plutôt de faire carrière dans la finance, ou autre filière qui t’assure de recevoir un salaire à chaque fin de mois. Ils considèrent que le domaine artistique reste précaire, que les artistes galèrent beaucoup. Je suis la quatrième,  la dernière de la fratrie, donc ils m’ont laissée suivre ma voie. Ils ont perçu ce talent artistique en moi et ne m’ont pas imposé un autre chemin. Je les en remercie.

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Pourquoi avoir voulu rentrer en Afrique ?

J’étais aux Etats-Unis pour mes études et Après je n’avais pas l’intention d’y finir ma vie. Je pensais déjà à la Côte d’Ivoire parce que toute ma famille y réside. Vers 2006, je me suis dit qu’il serait bien de rentrer au pays parce qu’il y a beaucoup de choses à développer. Pour la jeune femme entreprenante que j’étais, c’était l’opportunité d’apporter mon savoir-faire. En tout cas, ça semblait mieux que de rester dans des pays où tout est bouché, où tout le monde se serre,  où il faut se donner beaucoup plus pour arriver à ses objectifs. Dans mon cas, je peux dire que ça a été un pari gagnant. Black is so beautiful*, je suis noire et très très fière parce que c’est vraiment un atout. Souvent on quitte nos pays pour aller à l’étranger en espérant réaliser nos rêves, moi je suis partie de New York pour m’installer au bled et accomplir mon rêve. Aujourd’hui je vis mon rêve africain et j’encourage toutes les personnes comme moi, toute notre jeune génération à faire de même et à réaliser des choses qui vont impacter positivement notre communauté.

Etiez-vous certaine que l’Afrique vous offrirait une ouverture dans votre domaine d’activités ?

Franchement, aujourd’hui on est tous d’accord pour dire que sur le plan économique, tous les indicateurs disent que le prochain relai de croissance est l’Afrique. Abidjan étant la capitale de l’Afrique francophone, la ville représentait pour moi un espace dynamique qui offre encore des opportunités pour les jeunes, surtout à ceux qui, comme moi, ont vécu à l’étranger, ont pu se frotter à d’autres cultures et veulent apporter un plus dans leur domaine. Quand j’ai commencé, il y a 5 ans, j’étais la plus jeune productrice de Côte d’Ivoire.

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Quel est l’état de l’industrie du cinéma en Afrique francophone lorsque vous arrivez ?

Il y a eu beaucoup de progression ces dernières années en Côte d’Ivoire. On a arriver de nouveaux et  jeunes producteurs, une nouvelle classe d’acteurs comme moi, comme nous, qui essaient de s’imposer, de changer la donne et de trouver des voies et moyens pour pouvoir produire. Le ministère de la culture apporte des subventions aux producteurs mais en dehors de cela, l’accès au financement, c’est là où le bât blesse. C’est difficile de trouver de l’argent. En France, il y a cette volonté politique de valoriser la culture et de croire en ses artistes. C’est ce qui nous manque un peu au pays et qui fait que ça reste compliqué d’asseoir notre industrie. Nollywood a une longueur d’avance sur nous. C’est une industrie qui tourne très bien, qui crée de l’emploi et participe au PIB du Nigéria. On ne peut pas en dire autant. Ceci dit, certains arrivent à tirer leur épingle du jeu. Il y en a qui tablent sur la production de séries, qu’ils peuvent ensuite vendre à des chaînes de télé et traduire en différentes langues.

La langue est-elle une donnée importante pour s’exporter aujourd’hui ?

Bien sûr. Par exemple, la série « Chroniques africaines » qu’on a produit et qui a remporté un prix au FESPACO, a été doublée en anglais et en swahili donc, dans des langues parlées par des millions de personnes. La stratégie derrière ça était de pouvoir exporter nos projets vers différents territoires, voire dans le monde entier.

Etre artiste signifie-t-il désormais, avoir plusieurs casquettes ?

Totalement. A vrai dire, ça s’impose à nous. Aujourd’hui, un véritable artiste est obligé d’être aussi businessman. Ça me fait penser à un documentaire que j’ai vu sur Youssoupha, où il disait justement que le volet artistique qu’on développe est ce qu’on a en nous, mais à côté, on doit le vendre. Nous sommes nous-mêmes des produits marketing et on doit trouver des moyens de commercialiser ce qu’on crée. Dans le contexte actuel, tu ne peux pas vivre entièrement du travail d’acteur. C’est pour ça que j’ai choisi de m’impliquer dans l’écriture des scénarios et aussi dans la production, parce que le producteur est le premier à recevoir les gains. J’ai vite fait le calcul et je me suis dit qu’entre être actrice et galérer en ayant peut-être un rôle de temps en temps et pouvoir produire en gérant le projet du début à la fin et en gagnant bien ma vie, le choix était vite fait. C’est comme ça que j’ai produis ma première série avec A+, Canal + Afrique.

Existe-t-il des collectifs d’artistes dans le cinéma ?

Je n’en connais pas à ce jour. Au sein de l’industrie Babyiwood* on n’est pas très nombreux donc ce manque de solidarité est assez évident. De manière générale, cette industrie a besoin d’être réorganisée, restructurée. Nous devons comprendre qu’il y a un intérêt à nous mettre ensemble. Je ne pense pas que ce soit impossible et je crois qu’avec le temps, d’ici quelques années, nous arriverons à nous fédérer.

Etre une femme a-t-il été un avantage ou un obstacle ?

Je ne crois pas que cela ait été un obstacle. Ce qui peut l’être, en Afrique, c’est plutôt d’être jeune. On met très souvent en doute tes capacités, tes compétences, donc tu dois prouver deux fois plus.  Dans les autres pays, aux Etats-Unis par exemple, à 35 ans tu peux déjà être milliardaire dans le showbizz mais chez nous ce n’est pas la même chose. On te voit comme quelqu’un de pressé. Du coup, on se retrouve confronté à cette réalité où être jeune n’est pas forcément un atout. Ce avec quoi je ne suis absolument pas d’accord. Pour moi la jeunesse est un avantage majeur parce que c’est à ce moment là que tu es vigoureux et mobile. En France, on a un président qui à 39 ans, c’est un exemple tellement parlant. J’aimerais qu’il y en ait plus dans nos pays parce que cette mentalité malheureusement présente partout en Afrique.

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Quel regard portes-tu sur le cinéma français ?

Je vois qu’il y a de plus en plus d‘acteurs français d’origine africaine ou carribéenne et ça me fait très plaisir. Ils sont au premier rang. Je pense que le cinéma français est vraiment en train d’intégrer toutes les couches de population et surtout les Noirs, en leur offrant de vraies opportunités. Cela ne veut pas dire que tout est parfait,  j’observe et j’entends aussi des choses pas géniales sur la condition des nôtres dans ce milieu. Mais ça progresse quand même. Aujourd’hui il y a des films comme « Il a déjà tes yeux », c’est ce genre de comédies que j’avais l’habitude de voir aux Etats-Unis.  Avant ce n’était pas possible. Donc l’évolution se fait même au niveau du type de films.

Quel est votre actualité ?

Cette année j’ai coproduit la web-série « Boutique Hotel » avec une Red TV, une web tv nigériane. Elle est disponible sur Youtube. Je prépare en ce moment une production avec la RTI, la chaîne nationale ivoirienne et TV5 monde dans laquelle je joue qui s’appelle « 20,30,40 ». Puis, je prépare mon premier long-métrage que j’espère pouvoir tourner entre ici et Abidjan et dont la sortie est prévue pour décembre 2017. Ce sera une belle comédie romantique pour laquelle je vous donnerai l’exclusivité. J’espère qu’elle rendra les Noirs Noirs et fiers. L’idée, c’est de faire en sorte que ce film soit diffusé dans une salle ici en France, parce qu’il y a une forte communauté africaine ici et ce film est panafricain.. J’imagine que ce sera un challenge, mais c’est justement ce défi là qu’on veut relever.

Suivez Alexandra Amon sur Twitter et Instagram : @AlexandraAmon  et prochainement sur son site www.alexandraamon.com

 

*Babiwood: nom donné à l’industrie du cinéma ivoirien, originaire de la capitale, abidjan.  Abidjan est populairement baptisée « Babi ».

*Black is beautiful: Le noir est tellement beau.